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Full text of "Méditations sur la vie de Jésus-Christ traduites de saint Bonaventure par M. Lemaire-Esmangard. Deuxième édition revue et précédée d'une notice sur la vie et les écrits de saint Bonaventure par M. l'abbé Ozanam"

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BIBLIOTHECA S. J. 

Maison Saint-Augustin 
ENGHIEN 

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MÉDITATIONS 


SDK LA 

VIE DE JÉSUS-CHRIST. 



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APPROBATION. 


Joseph-Armand GIGNOÜX, par la Miséricorde divine et la 
grâce du Saint-Siège Apostolique, Evêque de Beauvais, etc., 

Avons fait examiner le livre intitulé : MÉDITATIONS 
SUR LA VIE DE JÉSÜS-CHRIST, Traduites de S . Bona- 
venture par Lemaire-Esmangard, ancien élève de l'École 
Polytechnique . 

Nous félicitons le traducteur d’avoir reproduit avec exac¬ 
titude et dans un style clair et facile l’un des nombreux 
écrits qui ont mérité à S. Bonaventure le surnom de Doc¬ 
teur Séraphique . Nous recommandons l’usage de ce livre 
aux personnes pieuses. Elles y trouveront, sous des formes 
variées»souvent gracieuses et quelquefois naïves, des consi¬ 
dérations remarquables par leur solidité et leur onction. 

Donné à Beauvais, sous notre seing, notre sceau et le 
contre-seing du Secrétaire de l’Évêché, le 24 novembre 1847. 

f JOS.-ARM., Évêque de Beauvais. 

Par J fondement de Monseigneur : 

Laurent, Ch. hon., Secrétaire. 


Imprimerie de BEAU, a Saiul-Germam-cn-Laye. 


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MEDITATIONS 


SUR LA 

VIE DE JÉSUS-CHRIST 


TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE x 

PAR 

M. LEM AIRE-ESM AN GARD, 

Ancien élève de l’Ecole Polytechnique. 


DSUXliKB ÉDITION. 

REVEE ET PRÉCÉDÉE D’UNE NOTICE SUR LA VIE ET LES ÉCRITS DE 
SAINT BONAVENTURE. 

PAR M. L'ABBÉ OZANAM, 

Chanoine honoraire de Troyei et d'Evrcux. 


MUOTHÉQUE S.J- 

Le» fontaine» 
éO - CHANTILLY 

PARIS 


LIBRAIRIE SA1NT-GERMAIN-DES-PRÉS 

PUTOIS-CRETTÉ, ÉDITEUR 

39, RUE BONAPARTE, 39. 

1860 


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PROPRIÉTÉ. 


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NOTICE 


«JR LA VIE ET LES ÉCRITS 

DE SAINT BONAYENTURE. 


Lorsqu’on vient de lire, dans la solitude et Je re¬ 
cueillement, les Méditations de saint Bonaventure 
sur la vie de Jésus-Christ, on se sent tout pénétré d’un 
parfum céleste et délicieux. On se figure éprouver 
presque ce qu’éprouvait celui qui écrivait ces pages 
dignes d’une plume séraphique. On voit l’âme et le 
cœur de ce grand saint s’épanouir, pour ainsi dire, se 
dilater, s’élever, s’embraser en contemplant les pa¬ 
roles et les œuvres du Sauveur. On dirait qu’il en¬ 
tendait sa voix divine de ses propres oreilles, et qu’il 
le voyait agir sous ses yeux. 11 vous fait assister vous- 
méme aux discours de Jésus-Christ, à ses miracles, à 
ses mystères, par la vie dont il sait animer ses pa¬ 
roles, et les magnifiques tableaux qu’il déroule à vos 
regards. 

Il voudrait seulement vous faire apprécier et sentir 
tout ce que Notre-Seigneur a fait pour nous appren¬ 
dre à l'aimer ; et, sans s’en douter, il se peint lui- 
méme avec toutes ses vertus. Ën un mot, cet admi- 


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VI 


NOTICE. 


râble opuscule est comme un reliquaire précieux où 
notre saint a renfermé avec un pieux respect tout ce 
que le divin Maître a dit et fait de plus touchant pour 
notre salut; puis, entraîné par son cœur, il l’a non- 
seulement orné de tout ce que l'imagination et l’art 
d’écrire peuvent créer de plus beau, de plus silnple 
et de plus délicat ; mais, sans s’en douter, il a encore 
en quelque sorte incrusté son amour et son zèle pour 
la pauvreté, l’humilité, la mortilication et la chasteté, 
ses vertus favorites, comme les pierres les plus pré¬ 
cieuses et les plus dignes du trésor divin qu’il vou¬ 
lait offrir à notre vénération. 

Il montre la pauvreté sous des couleurs si sédui¬ 
santes, qu’on ne peut s’empêcher de l’admirer et de 
l’aimer avec lui : on voit qu’il la pratiquait avec dé¬ 
lice. — Quant à l’humilité, toutes les lignes en sont 
empreintes : à chaque instant il reconnaît son impuis¬ 
sance, et se tait pour faire parler à sa place un autre 
saint, saint Bernard, dont il admirait la doctrine et 
la haute perfection ; et comme s’il craignait que, per¬ 
dant de vue qu’il citait ce grand docteur, on ne lui 
attribuât les paroles qu’il lui empruntait, il a tou¬ 
jours soin d ! ajouter à chaque cilatiou : Ainsi parle 
saint Bernard; ces paroles sont de saint Bernard; tout 
ceci est de saint Bernard. Il était loin, comme on le 
voit, de soupçonner qu’un jour il serait élevé lui- 
môme à la dignité de docteur de l’Eglise. 

il parle de ces vertus de pauvreté, d’humilité, de 
mortification et de chasteté avec tant d’onction et de 
simplicité, il s’insinue si bien dans l’âme de ses lec¬ 
teurs, qu’on finit presque par croire qu’on possède 
comme lui tous ces dons précieux. Les raisons et les 


y Google 



NOTICE. 


VII 


motifs qu’il allègue sont si péremptoires et si entraî¬ 
nants, il sait vous élever si ingénieusement avec lui 
de la terre au ciel, qu’on se persuade jusqu'à un cer¬ 
tain point qu’on est comme lui mort au monde, pour 
ne vivre que pour Dieu, et qu’on est tout étonné, 
lorsqu’on a cessé depuis quelques moments cette ra¬ 
vissante lecture, de se retrouver encore, comme de¬ 
vant, sur la terre d’exil et de misère. 

Mais si notre saint ne peut nous fixer à tout jamais 
dans les régions célestes, du moins nous sortirons de 
ces douces et sublimes Méditations avec de saints 
désirs et de meilleures résolutions. Car, il nous fait 
toucher au doigt la vanité des choses du monde, et 
nous fait aimer les biens de l’éternité. C’est là le fruit 
infaillible que recueilleront ceux qui liront dévote¬ 
ment et avec attention ce petit volume. 

Ce qui ravit dans la doctrine de ce saint docteur, 
c’est que sa vie entière fut la preuve de sa sincérité : 
comme son divin Maître, il commença par faire lui- 
méme ce qu’il voulait enseigner aux autres. 

Depuis sa plus tendre enfance, saint Bonaventure 
fut à Dieu tout entier, et la bénédiction particulière 
qu’il reçut de saint François d’Assise dès son jeune 
âge, ne fit que l’enrichir encore davantage des dons 
célestes qui lui avaient été déjà accordés dans une 
ai généreuse mesure. 

Entré à vingt-deux ans dans l’ordre de Saint-Fran¬ 
çois, il ne tarda pas à être envoyé à l’Université de 
Paris, pour y faire ses études théologiques. Alexandre 
de Halès, l’un des docteurs les plus célèbres de son 
temps, le docteur irréfragable, fut son professeur, et 
devint bientôt l’admirateur, non-seulement de la 


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VIII 


NOTICE. 


subtilité de son esprit et de la justesse de son juge¬ 
ment, mais surtout de sa haute piété et de l’éminence 
de ses vertus ; au point qu’il avait coutume de dire, 
en parlant de lui, qu*ü ne paraissait pas qu'il eût pé¬ 
ché en Adam . 

Saint Thomas d’Aquin, son condisciple, étant allé 
le visiter, lui demanda dans quels livres il puisait son 
admirable science : « Voilà, répondit-il en lui mon- 
» trant son crucifix, la source où je puise mes con- 
» naissances : j’étudie Jésus, et Jésus crucifié. * 

C’est à cette éeole, sans doute, qu’il apprit à mépri¬ 
ser toutes ces questions subtiles, métaphysiques et 
oiseuses qui agitaient si vivement les esprits de son 
temps, et qui en excitaient les passions, trop souvent 
aux dépens des lois de la charité chrétienne. Il n'ai¬ 
mait à s’occuper que des sujets utiles et positifs, et ne 
craignait rien tant que les discours nébuleux, am¬ 
poulés et redondants. 

C’est, au reste, le jugement qu’en portait le célèbre 
Gerson : (1) « De tous les docteurs catholiques, Eus- 
» tache (car c’est ainsi que l’on peut traduire son nom 
» de Bonaventure) me parait le plus propre à éclai- 
» rer l’esprit et à échauffer le cœur. (2) Les ouvrages 
» de saint Bonaventure, dit-il dans un autre endroit, 
» me paraissent les plus propres pour l’instruction 
» des fidèles. Ils sont solides, sûrs, pieux et dévots. 
» On n’y trouve point de ces subtilités, ni de ces vai- 
» nés questions scolastiques qui avaient beaucoup de 
» cours dans le temps. Il n’y a nulle part une doc- 


(1) Gerson : de lîbris quos religiosi legere debent. 

(2) Id. L. de examine docirinarum. 


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NOTICE. 


IX 


• trine plus élevée, plus divine et plus capable de con- 
» duire à fe piété. » Luther lui-même en parlait avec 
éloge ; il disait de lui : Bonaventura præstantissimus 
vir, c’est-à-dire, Bonaventure est l'homme le plus par - 
fait. 

Partout, dans ses écrits, on ne trouve que des ques¬ 
tions propres à élever l’àme et à l’orner de toutes les 
vertus évangéliques. Son style est simple, naïf, sur¬ 
tout pour notre siècle, lors même qu’il s’élève aux 
plus hauts degrés de la vie mystique ; ce qui ne l’em¬ 
pêche pas d’être gracieux , aimable , plein d’images 
aux couleurs les plu3 vives. Il sait être tout à la fois 
poète et enfant, grand docteur et rempli de simpli¬ 
cité. Il était évêque, cardinal, supérieur général de 
son ordre, et pourtant modeste comme le dernier des 
religieux. On le voyait s’asseoir à la table de saint 
Louis, roi de France, qui aimait à lui demander des 
conseils, et on le trouvait ensuite remplissant les 
dernières fonctions dans la cuisine du couvent. 11 
était d’une mortification qui ferait frémir notre sen¬ 
sualité, et néanmoins plein de gaité et d'affabilité; 
d’une fermeté inébranlable, mais tempérée par une 
douceur et une charité qui, au concile de Lyon, lui 
gagnèrent le coeur de tous ses adversaires, et déci¬ 
dèrent l’union, hélas! trop courte, entre l’Eglise grec¬ 
que eU’Eglise latine. En un mot, c’était un saint; 
car la sainteté est la réiyûon de toutes ces qualités, 
qui, aux yeux du monde, paraissent incompatibles 
dans le même individu. 

Ce grand docteur a composé un grand nombre 
d’opuscules spirituels, tes principaux sont : L'Itiné¬ 
raire de l'âme vers Dieu, qu’il écrivit après une 


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X 


NOTICE. 


longue extase au mont Alverno, à l’endroit même où 
saint François d’Assise avait reçu les stigmates ; le 
Combat spirituel contre les sept péchés capitaux ; une 
Conférence sur le mépris du monde ; les Exercices spiri¬ 
tuels ; les Sept chemins de l'Eternité ; les sept Dons du 
Saint-Esprit ; le Traité du gouvernement de Vâme ; le 
Soliloque , traduit dernièrement en français par 
M. l’abbé Alix et par M. Ernest Mézière; les Cinq fêtes 
de VEnfant Jésus ; les Sept paroles de Jésus en croix ; 
les Méditations sur la vie de Jésus-Christ. Ce dernier 
ouvrage est un des plus estimés ; aussi a-t-il été tra¬ 
duit plusieurs fois dans notre langue. Il l’a été par 
M. de Riancey, puis par M. l'abbé Berthaumier, curé 
de Saint-Palais, qui a donné une édition en six vo¬ 
lumes in-8° des Œuvres spirituelles de saint Bo- 
naventure. Enfin, M. Lemaire-Esmangard, ancien 
élève de l’Ecole polytechnique, a traduit à son tour 
les Méditations sur la vie de Notre-Seigneur Jésus- 
Christ, et c’est cette dernière traduction que nous 
réimprimons aujourd’hui. Outre le mérite intrinsè¬ 
que qui la caractérise par la précision avec laquelle 
elle rend le sens de l’original, elle a un cachet par¬ 
ticulier d’intérét, celui d’avoir été faite par un 
homme d’abord égaré loin de Dieu, puis converti, et 
enfin rudemen t éprouvé par la perte complète de la 
vue. C’est après être devenu aveugle, qu'il a accom- 
pli ce travail ; trouvant unt singulier adoucissement 
à cette triste position, dans la pensée de pouvoir se 
rendre encore utile à ses frères. 

C'est pour entrer dans l’esprit qui inspirait le 
pieux traducteur, que nous avons cru devoir donner 
une nouvelle édition de son ouvrage dans un format 


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NOTICE. 


XI 


plus portatif, et auquel on a joint les Prières de la 
Messe et lés Vêpres ; de manière à rendre ce livre 
un véritable manuel de méditations quotidiennes. 

Puisse ce précieux opuscule être chaque jour plus 
connu, et devenir le sujet des réflexions de la plu¬ 
part des chrétiens; car, comme le dit saint Bona- 
venture lui-méme à la religieuse pour laquelle il 
l’avait composé : C’est là la voie m de la vie , c'est là le 
véritable fondement sur lequel on peut élever le grand 
édifice de sa sanctification. 

Nous ne doutons pas que du haut du ciel,où ces 
précieuses Méditations l’ont assurément conduit, 
M, Lemaire Esmangard ne fasse descendre sur ses 
pieux lecteurs une bénédiction spéciale, qui achè¬ 
vera dans leur cœur le bien que son travail aura 
commencé. 

L’abbé G.-A. Ozanam. 


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PRÉFACE DU TRADUCTEUR. 


Lorsqu’à la fin du dernier siècle » l’auteur de 
cette traduction entrait comme élève à l’École po¬ 
lytechnique , il était loin de prévoir que, cin¬ 
quante ans plus tard, il devait traduire les Mé¬ 
ditations de saint Bonaventure sur la vie de 
Jésus-Christ. Incrédule alors, ou plutôt indifférent 
en matière de religion (c’était l’esprit de fépoque), 
il n’admettait comme certaines que les vérités 
scientifiques. Il avait lu, avec une sotte confiance, 
les principaux écrits des philosophes religieux, 
mais il avait négligé de consulter les ouvrages si 
nombreux et si concluants des apologistes de la 
Religion chrétienne. Quelle faute dans une ques¬ 
tion si grave! 

Vingt ans après, en 1814, pendant les horreurs 
et les anxiétés de la funeste nuit qui précéda la 
chute du colosse impérial, l’ancien élève de l’Ecole 
polytechnique méditait en silence les terribles 
événements dont il était le témoin. Dans le trouble 
de son esprit, dans les déchirements de son cœur, 
il entrevoyait avec effroi les tristes conséquences 
que cette grande catastrophe pouvait avoir à son 
égard. Sa vie, sa fortune, son avenir lui semblaient 
en un péril immense ; et, roulant d’ablme en 

i 


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2 


PRÉFACE 


abîme, il serait peut-être tombé dans celui 
désespoir, si une pensée de Dieu, un ardent désir 
de foi ne lui eussent subitement été inspirés d’en 
haut. Il sentait le besoin de croire afin de pouvoir 
espérer ; il voulait croire, mais il lui fallait des 
preuves et il en demandait au christianisme , la 
seule religion qui en puisse donner. Les livres ne 
lui manquèrent pas, il les lut, les médita, les op¬ 
posa contradictoirement aux écrits philosophiques ■; 
et, pendant ce travail qui dura plusieurs années, 
la solution de ces hautes questions religieuses lui 
offrait encore plus d’intérêt que celle de,s pro¬ 
blèmes d’algèbre et de géométrie. Le résultat de 
ces recherches consciencieuses fut un retour sin¬ 
cère à cette religion qui, comme le dit Montes¬ 
quieu, ne paraissant avoir d r autre objet que le 
bonheur de la vie future, est pourtant le seul 
moyen d’être heureux dans celle-ci. Le nouveau 
disciple du Christ ne tarda pas longtemps à res¬ 
sentir les consolants effets de la Foi catholique. 
La"vérité, si vainement cherchée par lui dans les 
livres des philosophes, était dans son esprit ; le 
bien infini, si infructueusement demandé aux créa¬ 
tures, était entré dans son âme avec cette paix 
profonde, ce repos que l’on ne trouve qu’en Dieu ; 
il était heureux autant qu’il est permis à l’homme 
de l’être sur la terre. 

Toutefois une grande épreuve lhi était réservée. 
Ses yeux s’affaiblirent insensiblement. Il lui fallut 
renoncer à ses études chéries, à l’écriture et même* 
à tous les livres. Le monde physique était, pour 
ainsi dire, perdu pour lui ; pourtant, à l’aide d’un 


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DU TRADUCTEUR. 3 

lecteur, il consacrait tous les jours quelques heures 
au travai! du cabinet, lorsqu’on 1841, dans une 
des lectures qu il se faisait faire, il fut frappé du 
passage suivant qui se trouve dans les Conférences 
du savant docteur Wiseman sur les cérémonies de 
la semaine sainte à Rome : 

wint I TJ eUX P f rler des dé,icieuses méditations de 
saint Bonaventure sur la vie de Jésus-Christ ; ou- 

viâge dans lequel on ne sait ce qu’on doit le ohis 
admirer de la richesse d’imagination, 5e la dt 
îf“ r d f S f timent ' ou de la variété des applica- 

rhTnï A s r ? D0US aV °‘ r conduits à travers les tou¬ 
chants événements de l’enfance et de la vie du 

Sauveur, quand il approche de la dernière cata- 

fl r0P ^ e ’^ Sa marche se ralentit, arrêtée par la 
fécondité de ses belles et mélancoliques idées n 
ne raconte plus les années, les mois, les jour ' 

Sde q ^ heUre 3 S6S mdd * ta dons, et chaque 
trait de ce drame est pour lui la matière des con¬ 
sidérations les plus pathétiques. » 

Un-tel éloge des méditations de saint Bonaven¬ 
ture inspira a l’ancien élève le désir de contre 
cet opuscule, puis bientôt après la pensée de le 
traduire. La difficulté était grande pour unavei 
gle, mais Dieu vint à l’aide de so/impuissance 
Son lecteur habituel, tenant d’une main le texte dé 
*mt Bonaventure et de l’autre la plume? M 

tfJfS 6 Phl ’ a , Se 3 . phrase et en Privait la trad5c- 
on sous sa dictée. Ce travail avait pour le traduc- 

médi Son Va Oh a r1 h- lescharmes d une profonde 

Ser à L • S d apprendre Ie texte ’ de repré¬ 
senter à son imagination et les personnes, et les 

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4 


PRÉFACE 


situations, et les scènes décrites d’une manière si 
vive, si naturelle et si touchante par le docteur 
Séraphique, il retrouvait, avec un inexprimable 
bonheur, cet univers spirituel et scientifique qu’il 
avait perdu ; un monde nouveau lui apparaissait 
dans lequel les yeux de son intelligence voyaient 
agir, se mouvoir et se grouper tous les personnages 
du Nouveau et de l’Ancien Testament, sur la terre, 
dans les limbes et jusque dans les cieux. 

C’étaient là les consolations et les solides instruc¬ 
tions que la bonté de Dieu avait préparées pour sa 
misère et dont il ne saurait assez lui rendre grâces. 
En échange des livres qu’il ne pouvait plus lire, il 
avait la vie modèle du divin Maître, et sa crèche 
et sa croix. Il trouvait dans l’histoire de l’Homme- 
Dieu un abrégé des preuves du christianisme, des 
exemples de toutes les vertus, des enseignements 
et des conseils propres à le détacher des choses 
vaines et périssables, à le soutenir dans les tribu¬ 
lations et les adversités, et à le prémunir contre 
les dangers si nombreux auxquels on est exposé 
dans la vie présente. 

Et en effet, que voit-on dans la vie de Jésus- 
Christ, sinon l’accomplissement littéral et complet 
de toutes les promesses, de toutes les figures et de 
toutes les prophéties de l’Ancien Testament. Or, 
quoi de plus capable d’assurer et de fortifier la foi 
que ces rapports entre l’ancienne et la nouvelle 
alliance ? Que présentent à l’observateur attentif les 
circonstances de la vie et de la mort du Sauveur, 
sinon des exemples admirables de toutes les vertus, 
et surtout d’humilité, de douceur, de détachement, 


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DU TRADUCTEUR. 


5 


de patience et de mortification ? Qui donc, en les 
contemplant, pourrait se défendre d'un désir ar¬ 
dent de les imiter? Où trouvera-t-on, aussi bien 
que dans les Méditations de la vie de Jésus-Christ, 
des enseignements et des conseils plus utiles et 
plus appropriés à tous les besoins, à toutes les si¬ 
tuations de l'homme sur la terre ? 

Et qu'on veuille bien le remarquer ici ; quand 
même la Méditation de la vie du Sauveur ne réuni¬ 
rait pas ces avantages, comme elle les réunit à n'en 
pas douter, la manière admirable dont elle est 
traitée dans saint Bonaventure ferait toujours de 
son ouvrage une des lectures les plus attachantes 
que Ton puisse trouver. Quelle grâce et quelle 
simplicité dans le style ! Quelle richesse d’imagi¬ 
nation dans la composition des tableaux ! Quelle 
douceur dans les sentiments î Quel choix exquis 
dans les citations ! Quelle variété et quel à-propos 
dans les applications! Quel intérêt dans les détails 
de la fuite du Sauveur en Egypte, de son retour et 
de sa vie cachée à Nazareth ! Veut-on de la gran¬ 
deur et de la magnificence ? qu'on lise l’institution 
de ^Eucharistie. Veut-on des scènes pathétiques, 
déchirantes? que l’on considère Jésus au Jardin 
des Oliviers, attaché à la colonne de la flagellation, 
puis cloué, suspendu à la croix ; que l’on entende 
les douloureuses lamentations de Marie, lors- 
qu’après la mort de son Fils, elle le contemple sur 
la croix, lors encore qu’un soldat impitoyable 
brandit une lance pour lui percer le cœur, et au 
moment où le corps de Jésus est descendu de la 
croix, embaumé, déposé dans le sépulcre ; que 


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(i 


PRÉFACE 


l’on écoute enfin les derniers adieux de cette Mère 
de douleur et ses profonds gémissements lors¬ 
qu’elle rentre sans son Fils dans le Cénacle. Si 
l’on désire des chants de joie, des cantiques d’al¬ 
légresse, que l’on descende, avec Jésus, dans les 
limbes, qu’on le suive avec les Patriarches, les 
Prophètes et tous les Ordres des Esprits céleste 
au jour de sa triomphante Ascension. 

"ï Dans ces différentes scènes, dans toutes les cir¬ 
constances de la vie de Jésus-Christ, saint Bona- 
venture se montre toujours vrai, toujours naturél ; 
il prête à chaque personnage le langage qui lui 
convient, et cela avec tant de bonheur qu’il paraît 
moins inventer que rapporter leurs paroles ; il ne 
se contente pas d’intéresser son lecteur, il veut 
l’instruire et l’édifier. Il profite de tous les événe¬ 
ments qu’il .raconte pour en tirer des leçons, des 
enseignements pratiques de toutes les vertus ; il 
cite avec bonheur et toujours fréquemment le 
grand, le dévot saint Bernard, dont les ,ouvrages 
lui étaient familiers. En un mot, rien ne manque à 
ces pieuses Méditations. 

On a reproché à saint Bonaveiïture d’avoir rap¬ 
porté quelques révélations peu certaines, quel¬ 
ques circonstances qui sembleront peut - être 
puériles ; mais il ne faut pas oublier que le saint 
docteur écrivait dans un siècle de foi et à une 
religieuse pour qui ces détails devaient avoir un 
grand intérêt. On a aussi blâmé sa méthode 
de méditation. Voici en quel terme il se justifie 
de ces reproches dans son avant-propos : « 11 
nous est permis de recourir aux différents moyens 


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DU TRADUCTEUR. 


7 


♦qui nous semblent les plus propres à faciliter la 
méditation, Pexpositionet l’intelligence des saintes 
^Ecritures, pourvu cependant qu’il n’y ait rien de 
contraire à la vérité des faits, à la justice, à l’en- 
seignement de l'Eglise, à la foi, aux bonnes mœurs. 
Lors donc que je vous dirai : c< Jésus a ainsi parlé, 
Jésus a fait cela, » ou que j’ent erai dans quel¬ 
ques autres détails, si cei<a n’estpasdans l’Evangile, 
ne donnez pas plus de foi à mes paroles que n’en 
exige une pieuse méditation, c’est-à-dire recevez- 
les comme si je vous disais 4 « Supposez que Jésus 
;a fait et dit cela, » et de même dans tous les cas 
îsemblables. » On voit donc que les citations peu 
•certaines et les représentations imaginaires propo¬ 
sées par le saint docteur, et après lui conseillées 
par saint François de Sales et saint Ignace, peu¬ 
vent, sans aucun danger pour la foi, offrir une 
précieuse nourriture à la «piété sage et prudente. 

.L'auteur de cette traduction ne l’avait d’abord 
•entreprise quf pour sa propre satisfaction, avec 
une intention assez vague alors de l’offrir un jour 
-au public. En 1841, il apprit, par l’Avent liturgi¬ 
que, que D. Le Bannier s’occupait à reproduire les 
Méditations dans l’idiome du xvi e siècle, et il se 
persuada qu’une traduction écrite en français plus 
moderne pourrait être agréable aux personnes peu 
émtiées au langage du siècle de François I er ; mais, 
avant que de la faire paraître, il voulut avoir, sur 
son mérite, l’avis d’un homme éclairé et conscien¬ 
cieux. Au mois d’août 1842, il la confia donc à un 
ecclésiastique dont les vertus, les lumières et la 
science étaient également reconnues. Différentes 


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PRÉFACE 


« 

circonstances indépendantes de la volonté du tra¬ 
ducteur retardèrent le renvoi du manuscrit et l’avis 
sollicité. Cet avis était peu concluant, et l’auteur 
'prit la résolution de ne pas produire son travail 
grand jour. 

Quand parurent les traductions du R. P. Le Ban- 
nier et de M. Henri de Riancey, il se les procura, 
et, s'empressant de les comparer à la sienne, il vit 
avec bonheur que celle-ci, pour le sens, ne diffé¬ 
rait des deux autres qu’en quelques endroits et 
notamment dans les citations empruntées à saint 
Bernard. Ces différences d’interprétation venaient 
de ce que ces extraits, au lieu d’être traduits par 
lui sur le texte souvent inexact de saint Bonaven- 
ture, l’avaient été sur celui des œuvres mêmes de 
saint Bernard, édition d’Horstius et de Mabillon, 
1690. 

Toutefois l’auteur de la présente traduction n'a¬ 
vait pas encore la confiance de la faire imprimer. 
Des personnes éclairées, auxquelles il l’avait mon¬ 
trée, levèrent ses scrupules. Elles pensaient que, 
si les deux premières traductions avaient obtenu 
les suffrages mérités des savants et des hommes 
de lettres, la dernière, écrite dans un style simple, 
naturel et tel à peu près que celui des ouvrages 
ascétiques de nos jours, pourrait offrir quelque 
intérêt aux personnes pieuses, et surtout à ces 
bonnes âmes qui, suivant l’opinion de saint Bona- 
venture, peuvent aimer Dieu autant et plus qu'un 
grand docteur. Cet avis fixa les irrésolutions de 
l’auteur; il se décida, témérairement peut-être, à 
faire imprimer. 


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Dü TRADUCTEUR. 


9 


Saint Bonaventure, dans les derniers chapitres 
de son opuscule, voulant étendre à l’année entière 
la pratique de ces contemplations, propose à sa 
fille spirituelle d’embrasser toute la vie du Sauveur 
dans l’espace de sept jours et de renouveler cha¬ 
que semaine un si saint exercice. Cette méthode 
pourrait sans doute être suivie avantageusement 
par quelques personnes, mais elle serait imprati¬ 
cable au plus grand nombre des fidèles. C’est dans 
l’intérêt de ceux-ci que l’on a placé à la fin de 
l’ouvrage une table indicative de lectures pieuses* 
ou plutôt de sujets de méditation pour tous les di¬ 
manches et fêtes principales de l’année, pour les 
temps de l’Avent, de Noël, du Carême, de Pâques* 
de l’Ascension, de la Pentecôte et du SaintSacre- 
ment. Au moyen de ces lectures méditées, on 
pourra, chaque année et sans peine, parcourir à 
peu près tous les chapitres de saint Bonaventure* 
C’est à la très-sainte Vierge que le traducteur* 
en terminant, esl heureux de dédier ce faible tribut 
de son respectueux dévouement, de son amour et 
de sa filiale reconnaissance. Il la conjure de ré¬ 
pandre sur lui, sur ce livre et sur toutes les per¬ 
sonnes entre les mains desquelles la divine Provi¬ 
dence le fera tomber, la rosée de ses plus douces 
bénédictions, et de solliciter auprès de son divin 
Fils, avec cette toute-puissance de supplication 
qui n’appartient qu’à elle, des grâces de conver¬ 
sion pour les pécheurs, de ferveur pour les âmes 
tièdes et de persévérance pour les justes. 


Beauvais, le 21 novembre 1S47. 


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AVANT-PROPOS 


DE SAINT BONAVENTURE. 


Dans les panégyriques qui ont été faits de.B vertus 
et des mérites de sainte Cécile, on lit qu’elle portait 
constamment caché clans son sein l’Evangile de Jésus- 
Christ ; ce qui semble signifier qu’elle avait choisi 
dans l’Evangile quelques traits de la vie de Notre- 
Seigneur plus propres à exciter sa piété, qu elle les 
méditait nuit et jour avec une grande pureté et une 
grande droiture de cœur, avec une singulière et fer¬ 
vente attention, et que, reprenant et recommençant 
sans cesse ces Méditations, les ruminant doucement 
et les savourant avec délices en elle-même, elle les 
déposait au fond de son cœur. Je vous conseille d’en 
faire autant. Car je crois que, dedous les.exercices 
de la vie spirituelle, cette pratique est la plus néces- 
saire, la plus utile et la plus capahle de nous élever 
au plus haut degré de la perfection.En effet, vous ne 
trouverez nulle part, aussi bieu que dans la vie m 
pure et si parfaite de Jésus-Christ, les enseignements 
dont vous avez besoiQ pour vous prémunir contre 
les attraits des choses vaines et périssables, contre 


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12 


AVANT-PROPOS 


les tribulations et les adversités, et contre les dan¬ 
gers auxquels vous exposent les tentations de vos 
ennemis et vos propres passions. 

II est évident que la Méditation fréquente et habi¬ 
tuelle delà vie de Jésus-Christ donne à notre âme 
une telle familiarité, une si grande confiance, un si 
parfait amour, qu’elle n’éprouve plus pour le reste 
que dégoûts et que mépris. Elle y puise en outre les 
lumières et les forces qui lui sont nécessaires pour 
faire ce qui lui est commandé et pour ^éviter ce qui 
lui est défendu. 

Je dis d’abord que la Méditation continuelle de la 
vie de Notre-Seigneur fortifie et affermit notre âme 
contre l'attrait des choses vaines et périssables, 
comme on le voit dans ce que nous rapportons ci- 
dessus de sainte Cécile dont le cœur était si rempli 
des exemples de la vie de Jésus-Christ, qu’aucune 
chose vaine n’y pouvait pénétrer; ce qui fit qu’as¬ 
sistant un jour à l’une de ces cérémonies nuptiales 
où se trouvent tant de pompeuses vanités, le bruit 
des instruments ne put l’empécher de rester con¬ 
stamment occupée de Dieu auquel elle adressait ces 
paroles : « Seigneur, conservez-moi la pureté du 
corps et du cœur, afin que je ne sois pas éternelle¬ 
ment confondue. » 

Secondement, la Méditation de la vie de Jésus- 
Christ fortifie contre les tribulations.et les adversités, 
comme on le voit dans les Martyrs ; ce qui fait dire à 
saint Bernard : « (1) C’est en pensant avec beaucoup 
» de dévotion aux plaies de Jésus-Christ, c’est en s’y 


(I) Serai. SI, snp. cant. 


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DE SAINT BONAVENTUBE. 


13 

» fixant par une continuelle Méditation que l’on puise 
» Ja force de supporter les supplices. Là, le corps 
» tout couvert de plaies, les entrailles déchirées par 
» le fer, le Martyr tressaille d'allégresse comme sur 

* un char de triomphe, fît où est donc l’âme de ce 
» Martyr? Dans les plaies de Jésus-Christ; oui, dans 
» ses plaies ouvertes pour le recevoir. Si elle demeu- 
» rait en elle-même, Jpensant à elle-même, assuré- 

* ment elle sentirait l’atteinte du fer, elle ne pour- 
» rait supporter la douleur, elle succomberait et 
» trahirait sa foi. » Telles sont les paroles de saint 
Bernard. 

Voilà pourquoi non-seulement les Martyrs, mais 
aussi les Confesseurs ont eu et ont encore tous les 
jours tant de patience dans leurs tribulations et leurs 
infirmités. Lisez la vie de saint François et celle 
de la vierge sainte Claire, votre Mère et votre guide, 
et vous jtourrez voir comment, au milieu des tribu¬ 
lations, des peines et des infirmités les plus multi¬ 
pliées, ils se montrèrent non-seulement patients, 
mais pleins.de joie. Les personnes qui vivent sainte- 
ment vous offrent tous les jpurs le même spectacle; 
ce qui vient de ce que leurs âmes n’étaient et ne 
sont, pour ainsi dire, pas unies à leurs corps, mais 
à Jésus-Christ, par une pieuse méditation de sa vie. 

Je dis en troisième lieu que cette Méditation nous 
instruit si parfaitement de ce que nous devons faire, 
que nous n’avons à craindre ni les attaques de nos 
ennemis, ni les égarements de nos passions, et cela 
parce que cette pratique nous élève à la perfection 
de toutes les vertus. Car où trouverait-on, aussi bien 
que dans la vie du Maître de toutes les vertus, des 


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14 


AVANT-PROPOS 


exemples et des leçons d’extrême pauvreté, de par¬ 
faite humilité, de profonde sagesse, d’oraison, de 
douceur, de patience, d’obéissance et de toutes les 
autres vertus? Sur quoi saint Bernard dit ces courtes 
paroles: « (1) C’est donc en vain que l’on travaille à 
» acquérir les vertus, si l’on se flatte de les trouver 
» autre part qu’en Celui qui en est le Maître. Sa doc¬ 
trine est la source féconde dé la sagesse, sa misé- 
» riçorde le fondement de la justice, sa vie le miroir 
» de la tempérance, et sa mort le signe glorieux de la 
» force et du courage. » 

Concluons donc de ce que dit saint Bernard, que 
celui qui suit Jésus-Christ ne peut ni être trompé, ni 
s’égarer. En méditant souvent ses vertus, le désir ar¬ 
dent de les imiter et de les acquérir s’allume dans 
le cœur; bientôt la vertu brille en nous d’un si vif 
éclat que l’on semble revêtu de sa lumière et que 
l’on sait discerner la vérité de l’erreur, De là vient 
que plusieurs, quoiqu’ignorants et sans instruction, 
ont- pénétré les plus grands mystères de Dieu. 

Où pensez-vous que saint François ait puisé toutes 
les vertus qui abondaient en lui, une intelligence si 
éclairée des saintes Ecritures; une si parfaite con¬ 
naissance des ruses de nos ennemis et de celles dé 
nos passions, siaon dans lé commerce habituel qu’il 
entretenait par là Méditation avec Jésus-Christ son 
divin Maître? C’est parce qu’il s'était appliqué, avec 
tant d’ardteur; à se rendre semblable à Lui qu’il en- 
devint comme la copie là plus vivante. Car il l'imi¬ 
tait le plus parfaitement qu’il le pouvait dans toutes * 


, (If Serin 21, sup. cant. 


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DE SAINT BONAVENTURE. 


15 

les vertus. Et Jésus ayant enfin complété et perfec¬ 
tionné cette ressemblance par l’impression de ses 
sacrés stigmates, le transforma entièrement en lui- 
même. 

Vous voyez donc à quelle élévation peut conduire 
la Méditation de la vie de Jésus-Christ; ajoutez en¬ 
core qu’elle est comme un échelon qui nous-aide à 
monter jusqu’aux degrés les plus sublimes de la 
contemplation, parce qu’on y trouve une onction 
qui, purifiant et élevant peu à peu notre âme, lui 
communique sur toute chose une science dont nous 
nous occuperons plus tard. Maintenant j’ai pensé à 
vous offrir ce traité comme une espèce d’introduc¬ 
tion à la Méditation de la vie de Jésus-Christ. Mais 
j’aurais voulu que ce travail vous fût offert par une 
main plus habile et plus expérimentée; car je re¬ 
connais mon incapacité, surtout en pareille matière. 
Toutefois, pensant que, sur ce sujet, je ferais mieux 
de dire, bien ou mal, quelque chose que de garder 
entièrement le silence, je vais, quelle que soit mon 
impuissance, essayer de m'entretenir familièrement 
avec vous dans un langage simple et sans recherche, 
tant pour que vous puissiez mieux saisir ce que je- 
vous dirai que pour vous portera y chercher plutôt 
ce qui nourrit l’âme que ce qui charme l’oreille. Car 
ce n’est point à de belles phrases, mais à la Médita¬ 
tion de la vie de Jésus-Christ qu’il faut ici s’attacher. 
Et je me sens encouragé par l’opinion de saint Jé¬ 
rôme dont voici les paroles : « Un langage simple et* 
commun pénètre jusqu’au cœur; un discours élé¬ 
gant ne sert qu’à repaître l’oreille. » Au reste, j’es¬ 
père que, malgré ma faiblesse et votre inexpérience. 


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16 


AVANT-PROPOS 


je ne vous serai pas tout à fait inutile, efrce qui forti¬ 
fie cette espérance, c’est que, si vous voulez vous 
appliquer assidûment à ces Méditations, Celui qui en 
est l’objet, Notre-Seigneur, vous apprendra lui-même 
à les faire. 

Mais ne pensez pas que l’on puisse méditer ou que 
l’on ait écrit toutes les paroles ou toutes les actions 
de Jésus telles qu’il les a réellement dites ou faites. 
Toutefois je me propose, pour vous toucher davan¬ 
tage, de vous présenter les choses comme si elles se 
passaient actuellement sous vos yeux, comme on 
peut croire qu’elles sont réellement arrivées ou 
qu’elles ont pu arriver, en se les ligurant à l’aide de 
quelques représentations imaginaires que l’esprit 
conçoit de diverses manières. Car il nous est permis 
de recourir aux différents moyens qui nous semblent 
les plus propres à faciliter la méditation, l’exposition 
et l’intelligence des saintes Ecritures, pourvu cepen¬ 
dant qu’il n’y ait rien de contraire à la vérité des 
faits, à la justice, à l’enseignement de l’Eglise, à la 
foi et aux bonnes mœurs. 

Lors donc que je vous dirai : « Jésus a ainsi parlé, 
Jésus a fait cela, » ou que j’entrerai dans quelques 
autres détails, si cela n’est pas dans l’Evangile, ne don¬ 
nez pas plus de foi à mes paroles que n’en exige une 
pieuse méditation, c’est-à-dire recevez-les comme si 
je vous disais : « Pensez que Jésus à fait et dit cela,» 
et ainsi dans tous les cas semblables. Si donc vous 
voulez retirer quelque fruit de ces méditations, ima¬ 
ginez-vous que vous êtes aussi présente à ce qu’on 
vous rapporte avoir été dit ou fait par Notre-Seigneur 
Jésus-Christ que si vous l’entendiez de vos oreilles 


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DE SAINT BON AV EXTURE. 


17 


et le voyiez de vos yeux, c’est-à-dire avec tous les 
sentiments affectueux, avec l'attention, la délicieuse 
émotion et le recueillement dont vous êtes capable, 
éloignant de vous tout autre soin, toute autre solli¬ 
citude. Je vous prie donc, ma chère Fille, de rece¬ 
voir avec joie et de méditer avec encore plus de joie, 
de dévotion et d’empressement, ce travail que j’ai 
entrepris pour la gloire de Jésus-Christ, votre profit 
spirituel et ma propre utilité. 

Il faudrait parler d’abord de l’Incarnation*, mais il 
m’a semblé que nous pouvions méditer quelques 
événements qui se sont passés avant l’Incarnation, 
soit dans le Ciel à l’égard de Dieu et de ses saints 
Anges, soit sur la terre à l’égard de la très-glorieuse 
Vierge; et c’est aussi par là que nous allons com¬ 
mencer. 


* 


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LES MÉDITATIONS 

DE 

Li VIE DE JÉSUS-CHRIST. 


PREMIÈRE PARTIE. 

(DIMANCHE.) 


CHAPITRE PREMIER. 

'Pvesaanle intercession des Anges en notre faveur. 

Depuis très-longtemps, plus de cinq mille ans, le 
genre humain demeurait enseveli dans un abîme de 
misère; nul homme, à cause du péché d'Adam, ne 
pouvait s’élever à la céleste patrie. Touchés d’un si 
grand malheur et désirant réparer leurs propres dé¬ 
sastres, les bienheureux Esprits angéliques, à l’ap¬ 
proche de la plénitude des temps, rassemblés tous et 
prosternés devant Te trône de TEternel, renouvelè¬ 
rent avec plus de ferveur les instances que, tant de 
fois, ils avaient déjà faites et lui adressèrent les sup¬ 
plications suivantes : « Seigneur, votre Majesté sainte, 
pour manifester son intime bonté, daigna former 
l’homme créature raisonnable dans le dessein de l’é¬ 
lever avec nous au séjour de votre gloire, çt de ré- 


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20 MÉDITATIONS SUtt LA VIE DE N.-S. J.-C. 

. parer ainsi les pertes que nous a fait éprouver la 
chute des mauvais Anges ; mais, vous le voyez, voilà 
que tous périssent; nul ne peut se sauver, et, dans 
le cours de tant de siècles, tous les enfants d’Adam 
sont devenus la proie de no$ ennemis. Ainsi, ce ne 
sont point nos légions ravagées, ce sont les abîmes 
de l’enfer qu’ils vont combler en foule. Pourquoi 
donc, Seigneur, les avez-vous créés? Pourquoi li¬ 
vrer à la fureur des esprits immondes des âmes qui con¬ 
fessent votre nom (1)? Et si jusqu’à présent votre jus¬ 
tice l’a ainsi voulu, les jours de votre miséricorde 
ne sont-ils pas arrivés ? Si l’imprudence des premiers 
humains leur a fait transgresser votre sainte loi, votre 
miséricorde ne peut-elle pas tout réparer? Souve¬ 
nez-vous que vous avez créé les hommes à votre 
image. Ouvrez avec bonté votre main et comblez-les 
de vos miséricordes. Comme les yeux des serviteurs 
fidèles s'attachent aux mains de leurs maîtres (2), ainsi 
les regards de vos enfants restent fixés sur vous jusqu'à 
ce que , touché de compassion , vous apportiez aux mi¬ 
sères du genre humain un remède salutaire. » 


CHAPITRE II. 

Débat élevé entre la Miséricorde et la Justice, la Vérité 
et la Paix. 

Après cette prière, la Miséricorde et la Paix réunies 


(«) P*. 7t. — (3) Ps. IM. 


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P 8 PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. II. 21 

pressaient le cœur du Père céleste de soulager tant 
de maux; mais la Vérité et la Justice le poussaient 
en sens inverse. Aussi s'engagea-t-il entre elles un 
grand débat que saint Bernard rapporte dans un 
long et admirable discours dont, autant que je le 
pourrai, je vais brièvement retracer les principaux 
traits. Car j'ai dessein de citer fréquemment dans 
cet opuscule les délicieuses paroles de ce grand 
saint, en les abrégeant, pour l'ordinaire, afin d’éviter 
les longueurs. Or voici le sommaire de ce qu’il dit 
à ce sujet (1) : 

La Miséricorde disait donc à Dieu : « Rejetterez- 
vous, Seigneur, vos enfants pour jamais, ou plutôt 
oublierez-vous toujours de leur pardonner (2)?'» Et 
ces paroles, elle ne cessait de les répéter. Le Sei¬ 
gneur répondit : « Appelez vos sœurs qui, vous le 
savez, sont disposées à vous contredire et enteu- 
dons-les à leur tour. » On les appela, et la Miséri¬ 
corde commença ainsi : « Votre créature intelligente, 
l'homme, est malheureuse, et sa misère est si grande, 
qu’elle ne peut se passer de la bonté compatissante 
de son Dieu; le jour du pardon est arrivé, bientôt 
il va passer. » La Vérité répliqua : « Seigneur, il 
faut accomplir la sentence que vous avez prononcée : 
qu’Adam meure tout entier avec tous ceux qu’il ren¬ 
fermait en lui-même au moment où sa main coupa¬ 
ble osa toucher au fruit défendu. » La Miséricorde 
insista : « Seigneur, pourquoi m’avez-vous faite? et 
la Vérité ignore-t-elle que vous m'anéantissez si vous 
ne pardonnez jamais? » La Vérité dit* au contraire : 

(I) Discours I er . De Annuntiatione. — (2) Pi. 76. 


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22 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

« Si le coupable échappe à votre sentence, votre Vé¬ 
rité périt aussi et cesse d’être éternelle. » 

La décision de la question fut alors remise au Fils 
de Dieu. 

La Vérité et la Miséricorde répétèrent devant lui 
les mêmes arguments, et la Vérité ajoutait : « Je con¬ 
fesse, Seigneur, que la Miséricorde est animée d’un 
zèle louable, mais ce zèle n’cst pas selon la justice, 
puisqu’elle aime mieux épargner le coupable que 
sa propre sœur. — Et vous, dit la Miséricorde, vous 
n’épargnez ni l’une ni l’autre, car l’excès de votre 
indignation contre le coupable vous conduit à sa¬ 
crifier votre sœur avec lui. » Mais la Vérité alléguait 
avec non moins de force : « Seigneur, cet argument 
se tourne contre vous-même, et s’il triomphe, il est 
à craindre qu’il n’ait pour résultat d’anéantir la pa¬ 
role de votre Père. » La Paix dit à son tour : « Met¬ 
tez fin à ces débats, ils sont peu convenables entre 
les Vertus. » 

C’était là une grave discussion, solidement et for¬ 
tement motivée de part et d’autre. On ne voyait pas 
comment la Miséricorde et la Vérité pourraient sub¬ 
sister à la fois à l’égard de l’homme. ✓ 

Le Roi traça son jugement qu’il donna à lire à la 
Paix alors plus rapprochée de lui; il était conçu en 
cçs termes : « L’une de vous dit : Je suis anéantie si 
Adam n’est livré à la mort; l'autre s’écrie : Je péris, 
s’il n’obtient grâce. Pour contenter l’une et l’autre, 
que la mort soit désormais un bien. » A ces paroles 
de laSagesse suprême, on s’étonne et l’on consent uni¬ 
versellement à ce qu'Adam subisse la mort en obte¬ 
nant miséricorde. Mais on demande comment cette 


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I™ PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. II. 23 

mort, dont le seul nom fait frémir, pourra devenir 
un bien. Leroi répond (l) : « La mort des pécheurs 
» est très-mauvaise, mais la mort des saints est pré- 
» cieuse, et la porte de la vie (2). Que Ton me trouve 
» un juste qui, sans être sujet à la mort, consente 
» à mourir par charité pour ses frères, et alors ce 
» juste triomphera de la puissance de la mort et 
» ouvrira par elle un passage à ceux qu’il aura délî- 
» vrés. » Cette décision satisfit les Vertus. « Mais, 
» dirent-elles, où trouver un juste si charitable? » 
Alors la Vérité descendit de nouveau sur la terre, et 
la Miséricorde demeura dans le ciel; car, dit le pro¬ 
phète, votre Miséricorde , Seigneur , remplit les deux et 
votfe Vérité s'élève jusqu'aux nues (3). 

La Vérité parcourt donc l’univers et n’y peut trou¬ 
ver un seul homme sans tache, pas même l’enfant 
qui vient de naître (4). De son côté, la Miséricorde 
explore soigneusement l’immensité des cieux, et n’y 
découvre personne qui eût assez de charité pour 
faire un-si grand sacrifice; car nous sommes tous 
des serviteurs de Dieu, et lorsque nous faisons quel¬ 
que bien, nous devons dire avec saint Luc : Nom ne . 
sommes que des serviteurs inutiles (5). Or, n’ayant pu 
trouver personne qui fût assez charitable pour don¬ 
ner sa vie afin de sauver des serviteurs inutiles (6), 
les deux Vertus se réunirent, au jour marqué, devant 
le Roi, plus inquiètes encore qu’elle3 ne l’étaient 
avant leur séparation. Voyant qu’elles n’avaient pas 
trouvé ce qu’elles désiraient, la Paix leur dit : Vous 
ne savez rien, vous ne pensez à rien (7). Il n*est pas 

(I) Ps. 33. — (2) Ps. 445. — (3) Ps. 35. — (V; Job, 25 — (3) Saint 
Luc, 18. — (6) Saint Jean, 45,. — (?) Ps. 43. 


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24 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J-C. 

d'homme qui fasse le bien , il n'y en a pas même un 
seul . Mais que celui qui nous propose une telle dif¬ 
ficulté nous aide à la résoudre. » Le Roi comprit ce 
vœu et dit : « Je me repens d'avoir fait l'homme (1); 
mais c’est moi qui expierai le crime de ma créature 
rebelle. » Puis, ayant appelé l’archange Gabriel, il 
lui dit : « Allez, dites à la fille de Sion : Voici que 
votre Roi vient à vous plein de douceur et de miséri¬ 
corde (2). » Là finit le récit de sain t Bernard. 

Comprenez donc à quel danger nous a exposés et 
nous expose encore le péché, et combien il est dif¬ 
ficile de trouver un remède à un si grand mal. 

Pour sortir d’embarras, les Vertus s’accordèrent à 
choisir spécialement la personne du Fils. Car d’un 
côté la Miséricorde et la Paix n’osaient en quelque 
sorte s’adresser à la personne du Père, dont la puis¬ 
sance leur paraissait trop redoutable ; d’autre part, 
la Justice et la Vérité hésitaient de recourir au 
Saint-Esprit, à cause de sa bonté infinie ; la per¬ 
sonne du Fils fut donc acceptée comme terme moyen 
entre ces deux extrêmes. 

Ce que je dis ici ne doit pas être pris au pied de 
la lettre, mais comme une approximation de ce qui 
s’est passé. Alors s’accomplirent ces paroles du Pro¬ 
phète : La Miséricorde et la Vérité se sont rencontrées , 
la Justice et la Paix se sont embrassées (3). 

Et c’est ainsi que nous pouvons méditer ce qui 
s'est alors passé dans le ciel. 

(I) Genèse, 7. — (2) Zach ; 9. — (3) Ps. 84. 


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l rc PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. III. 


25 


CHAPITRE III. 

De la vie de la sainte Vierge et des sept demandes qu’elle 
adressait à Dieu. 

Quant à la sainte Vierge, en qui s’opéra le mystère 
de l’Incarnation, nous pouvons méditer sa vie. Vous 
y verrez qu'à l’àge de trois ans, Marie fut, par ses 
parents, consacrée au temple, où elle demeura jus¬ 
qu’à sa quatorzième année; et si nous voulons sa¬ 
voir ce qu’elle y fit, nous pouvons l’apprendre par 
les révélations qu’elle en fit elle-même à l’une de 
ses plus fidèles servantes que l’on croit être sainte 
Elisabeth ( 1 ), dont nous célébrons la fête avec tant 
de solennité. Entre autres détails, on y trouve ce 
qui suit : 

« Aussitôt, dit Marie, que mes parents m’eurent 
» laissée dans le temple, je résolus intérieurement 
» de considérer désormais Dieu comme mon père. 
j» Dans ma pieuse sollicitude, je cherchais souvent 
*» par quel moyen je pourrais plaire au Seigneur, et 
» mériter ainsi qu’il daignât m’accorder sa grâce. A 
» cet effet, je me fis instruire de la sainte loi de mon 
« Dieu. Mais, de tous les préceptes de la loi divine, 
» mon cœur s’appliqua à garder particulièrement les 
« trois suivants : 1° Vous aimerez le Seigneur votre 


U) Sainte Elisabeth de Hongrie. — Lisez la vie de cette grande 
sainte, si admirablement écrite par M. le comte de Montalembert. 


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26 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de 
» tout votre esprit et de toutes vos forces. 2o Vous 
» aimerez votre prochain comme vous-même. 3° 
» Vous haïrez le démon, votre ennemi. J'eus tou- 
» jours, dit Marie, ces trois préceptes présents à l’es- 
» prit, et avec eux, en même temps, l’intelligence 
» des vertus qu’ils prescrivent. 

» C’est ainsi, ma fille, que vous devez faire vous- 
» même, car on ne peut avoir aucune vertu, si l’on 
» n aime Dieu de tout son cœur. Cet amour, en ef- 
« fet, est la source féconde de la grâce sans laquelle 
» aucune vertu ne peut germer ni se conserver dans 
» une âme, mais s’échappe bientôt comme une va- 
» peur légère, si l’on ne hait souverainement ses 
» ennemis, je veux dire les vices et les péchés. Ainsi, 

» que celui qui veut obtenir et conserver la grâce, 

» règle en lui, comme il convient, et cet amour et 
» cette haine. Je veux donc que vous fassiez exac- 
» tement ce que je faisais moi-même. Or, j’avais 
» l’habitude de me lever au milieu de la nuit et d’al- 
» 1er me prosterner devant l’autel du temple; et là, 

» avec tous les désirs, toute la volonté, toute l’ar- 
» deur dont j’étais capable, je demandais à celui qui 
» peut tout, la grâce d’observer ces trois préceptes 
» et tous les autres commandements de la loi, et, 
» me tenant toujours au pied de l’autel, j’adressais 
» au Seigneur les sept demandes suivantes : 1° Je 
» lui demandais la grâce dont j’avais besoin pour 
« accomplir ce précepte de charité qui consiste à 
» l’aimer de tout son cœur, et le reste ; 2° la grâce 
» d'aimer le prochain comme Dieu le veut et l’en- 
» tend, et de m’affectionner à tout ce qui lui plaît et 


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I re PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. 111. 27 

» 

» qu’il aime; 3° je le conjurais de me faire détester 
» et fuir tout ce qui lui déplaît; 4° je lui demandais 
» l’humilité, la patience, la bonté, la douceur et 
» toutes les vertus qui pourraient me rendre agréa- 
» ble à ses yeux ; 5° je le suppliais de me faire con- 
» naître le moment où viendrait cette Vierge bien- 
» heureuse qui devait engendrer le Fils de Dieu, de 
» me conserver des yeux pour la voir, une langue 
» pour la louer, des mains pour la servir, des pieds 
» pour exécuter ses ordres, des genoux pour adorer 
» le Fils de Dieu incarné dans son sein virginal ; 6° je 
» lui demandais la grâce de me conformer aux or- 
» dres et aux dispositions du Grand-Prêtre préposé 
» à la garde du temple ; 7° enfin, je le priais de con- 
» server, pour son service, le temple et tout son 
» peuple. » 

Ainsi parla Marie à la servante du Seigneur. Elisa¬ 
beth lui dit : « O mon aimable souveraine, n’étiez- 
» vous donc pas pleine de grâce et de vertus. — 
» Sois convaincue, répondit la bienheureuse Vierge, 
» que je me regardais comme aussi coupable, aussi 
» méprisable et aussi indigne de la grâce de Dieu 
» que toi-même ; voilà pourquoi je sollicitais avec 
» tant d’instance la grâce et les vertus. » Marie me 
dit encore : « Tu crois peut-être, ma fille, que j’ai 
» obtenu sans peine toutes les grâces dont j'ai été 
» favorisée ; mais il n’en est pas ainsi. Je t’assure, 
» au contraire, qu’à l’exception de la sanctification 
» dont je fus prévenue dès ma Conception, je n’ai 
» reçu de Dieu aucunes grâces, faveurs ou vertu» 
» sans les avoir sollicitées par de vives instances, de 
» continuelles prières,' d’ardents désirs, une profonde 


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28 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N -S. J.-C. 

» piété, des larmes abondantes et de grandes rnorti- 
» fications, m’appliquant sans cesse, selon mes lu- 

• mières et mon pouvoir, à ne dire ou penser que 
» que ce qui pouvait plaire au Seigneur. Sois assu- 

• rée, ajouta-t-elle, que sans la prière et la môrtifî- 
'» cation des sens, l’âme ne peut recevoir aucun 
» écoulement de la grâce ; mais quand nous avons 

• offert à Dieu tout ce dont nous sommes capables 
» dans notre indigence, il vient lui-méme en notre 

• âme, et l’enrichit de ses dons suréminents. L’âme 

• semble alors défaillir en elle-même; elle oublie 
« tout le passé, et ne se souvenant plus d’avoir fait 

• ou dit rien qui puisse plaire au Seigneur, elle se 
» croit encore plus vile et plus méprisable qu’elle ne 
» le fut jamais. » Là finissent les révélations de Marie 
sur sa vie. 

Mais saint Jérôme écrit sur le même sujet : « La 

• bienheureuse Vierge avajt ainsi réglé l’emploi de 
j» son temps ; depuis le matin jusqu’à la troisième 
» heure elle vaquait uniquement à la prière; elle 

• s’occupait d’un travail extérieur depuis la troisième 

• jusqu’à la neuvième heure; puis elle reprenait 
» l’exercice de la prière qu’elle n’interrompait qu’à 
» l’apparition de l’Ange, de la main duquel elle avait 

• coutume de recevoir sa nourriture, et elle crois- 

• sait en piété et en amour de Dieu. Aussi était-elle 
» la première dans les saintes veilles, la plus in- 
» struitp dans la connaissance de la Loi divine, la 

• plus humble entre les humbles, la plus habile au 
» chant des psaumes, la plus éminente en charité, la 

• plus éclatante en pureté et la plus parfaite en tou- 

• tes sortes de vertus : car sa constance était imper- 


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r c PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. III. 29 

» turbable, et quoiqu’elle s’efforçât tous les jours de 
» s’élever à une plus haute perfection, la moindre 
» agitation de l’âme ne parut jamais dans son air ou 
» dans ses paroles ; sa conversation était pleine de 
» tant de grâces, qu’il était facile de connaître que 
» Dieu réglait tous ses discours. Elle persévérait dans 
» l’oraison et la méditation de la Loi de Dieu. Dans 
» sa sollicitude pour ses compagnes, elle veillait à 
» ce qu’aucune d’elles n'offensât Dieu dans ses pa- 
» rôles, à ce qu’aucune ne se livrât à une joie trop 
• bruyante, à ce qu’aucune n’adressât à une autre 
» des paroles de mépris ou d’orgueil. Elle bénissait 
» Dieu en toute chose; et, pour ne point cesser de le 
» faire, elle répondait aux salutations qu’on lui 
» adressait : Rendons grâces à Dieu. Ainsi c’est à elle 
» que remonte l’usage où sont tous les saints per- 
» sonnages de répondre Deo gratias à ceux qui les 
» saluent. La nourriture qu’elle recevait de la main 
» de l’Ange suffisait pour réparer ses forces, et elle 
» distribuait aux pauvres les aliments que lui don- 
» naient les Prêtres du Temple. Tous les jours, on 
» voyait l'Ange du Seigneur s’entretenir avec elle 
» avec autant de déférence qu’on en a à l’égard de 
» la plus tendre sœur ou de la mère la plus chérie.» 
Voilà tout ce que dit saint Jérôme. 

A l’âge de quatorze ans, la sainte Vierge Marie fut 
fiancée à Joseph par l'inspiration de Dieu, puis elle 
revint à Nazareth ; vous trouverez les détails de ces 
circonstances dans la légende de sa Nativité. 

Voilà ce que nous pouvons méditer sur les événe¬ 
ments antérieurs à l’incarnation de Notre-Seigneur 
Jésus-Christ : repassez-les souvent dans votre esprit 


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30 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J -C. 

et mettez-y vos délices, les gravant avec amour dans 
votre mémoire et les réduisant en pratique, car ils 
sont très-édifiants. 

Maintenant passons à l’Incarnation. 


CHAPITRE IY. 

De l’Incarnation de Jésus-Christ. 

Lors donc que le temps fut pleinement accompli, 
ou plutôt lorsque, cédant à l'amour qu’elle portait 
aux hommes, pressée par sa miséricorde et par les 
instances des Saints, l’adorable Trinité eut résolu, 
après le retour de la sainte Vierge à Nazarçth, de 
mettre à exécution le dessein qu’elle avait formé 
d’opérer le salut du genre humain par l’Incarnation 
du Verbe, le Tout-Puissant appela l’Archange Gabriel 
et lui donna cet ordre : « Va trouver Marie, notre 
fille bien-aimée, fiancée à Joseph, etdis-lui que, ravi 
du charme de ses vertus, mon Fils l’a choisie pour sa 
Hère. Demande-lui de consentir avec joie à le rece¬ 
voir dans son sein; car j’ai résolu d’opérer par son 
■entremise le salut du monde et de pardonner l’ou¬ 
trage que m’a fait le premier homme. » 
Arrêtez-vous ici et souvenez vous de ce que je vous 
ai dit précédemment, afin de pouvoir assister en es¬ 
prit à tout ce qui se dit et se fait en ce moment. Re¬ 
présentez-vous donc le Seigneur et considérez-le, 
au f ant qu’il est possible de voir un être incorporel; 


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I ie PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. IV. 


31 


contemplez-le comme un grand roi, assis sur un 
trône élevé, prononçant ces paroles d’un air doux, 
tendre et paternel, comme prêt à se réconcilier ou 
comme déjà réconcilié avec ses enfants; figurez-vous 
aussi l’Archange Gabriel, qui, d’un air gracieux et 
satisfait, fléchissant les genoux, baissant les yeux 
avec une crainte respectueuse, écoute attentivement 
les ordres du Seigneur son Dieu. Plein d’une douce 
allégresse, l’Archange se lève à l’instant, et d’un vol 
rapide, il se précipite du haut des cieux, et le vo ci 
sous la forme humaine, en présence de la Vierge 
Marie qu’il trouve retirée dans la chambre de sa petite 
maison de Nazareth. Mais quelle que fût la vitesse 
de sa course, Dieu le devança près de Marie, et il 
trouva la sainte Trinité prévenant ainsi l’ambassadeur 
céleste. Gar remarquez bien que, quoique le Fils de 
Dieu se soit seul revêtu de notre nature, la Trinité 
tout entière coopéra à la grande œuvre de l’Incarna¬ 
tion, à peu près comme si deux personnes placées 
aux côtés d’une autre, tenaient les manches de sa 
robe pour l’aider à s’en vêtir. 

Maintenant, considérez avec attention, et, comme si 
vous étiez vous-même témoin de ce prodige, tâchez de 
bien comprendre tout ce qui va se dire et se faire. Oh ! 
qu’elle fut grande alors, et qu’elle doit l’être encore 
aujourd’hui dans votre méditation, cette humble pe¬ 
tite maison où se sont réunis dè tels personnages, où 
se sont accomplis de tels événements! Car quoique la 
sainte Trinité soit partout présente, vous comprenez 
qu’elle était en quelque sorte spécialement alors en ce „ 
lieu, à cause de l’œuvre particulière qu’elle y exerçait. 
Gabriel s’étant, en fidèle serviteur, approché de Ma- 


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32 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

rie, lui dit : « Je vous salue , ô pleine de grâce , le Sei¬ 
gneur est avec vous , vous êtes bénie entre toutes les fem¬ 
mes. » Troublée de cette salutation, Marie garda le 
silence. Sou trouble n’était pas causé par le péché, 
il ne l’était pas non plus par la vue d’un Ange, car 
elle était accoutumée aux fréquentes apparitions de 
ces esprits célestes; mais, comme l’observe l’Evan¬ 
gile, elle se troubla à cause du discours de l’Ange, 
pensant à la nouveauté de cette salutation si diffé¬ 
rente de celles qu’elle avait coutume d’entendre; et, 
observant que trois éloges y étaient contenus, il 
était impossible que l’humble Vierge n’en fût pas 
alarmée. On la louait, en effet, de ce qu’elle était 
pleine de grâce, dé ce que le Seigneur était avec 
elle, enfin, de ce qu’elle était bénie au-dessus de 
toutes les femmes. 

Or, une personne humble ne peut s’entendre louer 
sans rougir et sans s’émouvoir. Une honnête et ver¬ 
tueuse pudeur causa donc le trouble de Marie ; elle 
sentait aussi s’élever dans son cœur quelque doute 
sur la vérité des louanges qui lui étaient adressées, 
non par défiance de la sincérité de l’Ange, mais par 
une disposition particulière aux humbles, qui les 
porte à oublier leurs mérites et à ne faire atten¬ 
tion qu’à leurs défauts. Et c’est ainsi que la con¬ 
sidération des uns et des autres contribue à leur 
avancement, leurs plus sublimes vertus leur parais¬ 
sant médiocres, et leurs moindres imperfections des 
vices énormes. Sagement prudente, modestement ti¬ 
mide, elle ne fit donc aucune réponse. Que pouvait- 
elle en effet répondre ! — Apprenez d’elle à vous taire 
et à aimer le silence ; c’est une grande et précieuse 


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33 


I re PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. IV. 

vertu dont elle vous a donné l’exemple; car ce ne 
fut qu’après avoir deux fois entendu l’Ange qu’elle, 
fit sa première réponse. Rien en effet n’est plus in¬ 
supportable dans une vierge que l’intempérance des 
paroles. 

Or, l’Ange pénétrant le motif do son hésitation, lui 
dit : « Ne craignez rien, Marie, et ne vous troublez 
point de mes louanges, car elles vous sont dues ; 
puisque, non-seulement vous avez en vous-même la 
grâce dans sa plénitude, mais que vous avez recou¬ 
vré de Dieu ce don précieux et l’avez restitué à 
tout le genre humain. Voici donc que vous con¬ 
cevrez et que.vous enfanterez le Fils du Très-Haut. 
Celui qui vous a choisie pour sa Mère sera le Sau¬ 
veur de tous ceux qui espèrent en lui. » Alors, 
sans accepter, sans rejeter les louanges qui lui 
étaient adressées ; mais beaucoup plus préoccupée 
de la manière dont s’opérerait ce prodige, et désirant 
surtout savoir si sa virginité n’en souffrirait aucune 
atteinte, elle interrogea l’Ange sur le mode de sa 
copception, et lui dit : « Gomment se fera ce que 
vous m’annoncez? car j’ai irrévocablement consacré 
à Dieu ma virginité, avec la résolution de ne jamais 
connaître d’homme. » L’Ange répondit : « Cela s’ac¬ 
complira par l’opération du Saint-Esprit; vous én 
serez remplie d’une manière particulière, et vous 
concevrez par sa vertu sans perdre votre virginité. 
C’est pourquoi celui que vous enfanterez sera appelé 
le Fils de Dieu, auquel d'ailleurs rien n’est impossi¬ 
ble; car voici qu’Elisabeth, votre cousine, quoique 
stérile et avancée en âge, porte dans son sein, depuis 
six mois, un fils qu’elle a conçu par la vertu de Dieu. » 

3 


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34 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

Arrêtez-vous, üe grâce, et contemplez avec une 
profonde attention comment la sainte Trinité, pré¬ 
sente à cette scène, fixe ses augustes regards sur 
cette Vierge, sa fille privilégiée, et, dans l’attente de 
sa réponse et de son consentement, observe avec une 
affectueuse complaisance sa pudeur, ses dispositions 
et ses paroles; considérez aussi l’Ange, employant 
pour la déterminer le langage circonspect de la pru¬ 
dence et du zèle, s’inclinant respectueusement de¬ 
vant sa souverain ; : son air est calme et serein, il 
remplit son message avec une exacte fidélité, il ob¬ 
serve attentivement les paroles de Marie, afin d’y ré¬ 
pondre avec convenance et d'accomplir dans cette 
œuvre admirable la volonté du Seigneur. Observez 
•encore la posture humble et timide de la sainte 
Vierge; une douce pudeur couvre son front à l’appa¬ 
rition de l'Ange qui la pré vient, ses louanges inatten¬ 
dues ne l’élèvent point, ne lui donnent pas meil¬ 
leure opinion d’elle-même, et lorsqu’elle apprend 
-qu’il va s’opérer en elle des choses si merveilleuses 
qu’on n’en a jamais annoncé de pareilles à personne, 
■elle les attribue uniquement à la grâce de Dieu. 

Apprenez à son exemple à pratiquer la pudeur et 
îThiimilité; car, sans ces vertus, la virginité elle- 
anême est bien peu de chose. 

La Vierge très-prudente, satisfaite de ce qu'elle 
vienld’entendre, consent aux propositions de l’Ange; 
et, comme on le voit dans les révélations qu'elle en 
a faites, elle s’incline avec une profonde soumission, 
et dit en joignant les mains ; Voici la servante du Sei¬ 
gneur; qu'il me soit fait selon votre parote. A l’instant 
même, le Fils de Dieu se précipite dans le sein de la 


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I ,e PARTIE. — DIMANCHE, CIIAP. IV. 35 

Vierge bénie, y prend un corps et y demeure tout 
entier, sans cesser d’étre tout entier dans le sein de 
son Père. 

Votre piété peut ici se figurer comment le Fils de 
Dieu, en acceptant cet acte d’obéissance, ce pénible 
ministère, s’inclina devant son Père et se recom¬ 
manda à lui; comment son âme, créée au môme in¬ 
stant et unie à son corp3, fit de lui un homme par¬ 
fait, possédant dans une extrême petitesse tous les 
caractères de l’humanité; de sorte que, comme les 
autres enfants, il prenait naturellement de continuels 
accroissements dans le sein de sa Mère ; mais, par 
une exception particulière, du'moment de la con¬ 
ception et sans aucuu intervalle de temps, l’âme se 
trouva unie au corps et les membres parfaitement 
distingués les uns des autres. C’était donc un homme 
parfait, un Dieu parfait; et par conséquent, dès lors, 
tout aussi sage, tout aussi puissant qu’il l’est main¬ 
tenant. 

Alors Gabriel se prosterna avec Marie; bientôt, se 
relevant comme elle, après s’étre profondément in¬ 
cliné, ainsi qu’il l’avait déjà fait, il prit congé d’elle, 
disparut, et, de retour dans la patrie céleste, il ra¬ 
conta toutes ces choses, qui furent pour ses heureux 
habitants le sujet d’une joie nouvelle, d’une fêle nou¬ 
velle et d’une allégresse infinie. 

Pour Marie, plus enflammée, plus embrasée que 
jamais de l’amour de Dieu, ayant la conscience de sa 
conception miraculeuse, elle s’agenouilla et rendit 
grâces à Dieu d’un si grand bienfait, le suppliant 
avec une pieuse humilité de daigner lui donner les 
lumières nécessaires, afin de pouvoir s'acquitter par- 


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36 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

faitement de tout ce qu’elle aurait à faire à l’égard 
de son Fils. 

Quant à vous, considérez combien ce jour est so¬ 
lennel ; qu’il remplisse votre cœur d’une sainte allé¬ 
gresse et qu’il soit toujours pour vous un jour de joie 
et de bonheur; car rien de semblable ne s’était vu 
dans les siècles précédents et ne s’est vu jusqu’à 
présent. Cette fête, en effet, est le jour solennel où 
Dieu le Père célébra les nôces de son Fils, s’unissant 
pour toujours à la nature humaine; c’est le jour des 
noces du Fils de Dieu, le jour de sa naissance dans le 
sein de Marie, présage de celui où il en sortira pour 
naître dans Je monde; c’est le jour de la gloire de 
l’Esprit saint & cause de l’opération unique et admi- 
. rablc de l’Incarnation du Verbe qui lui est attribuée; 
c’est en ce jour qu’il commença à manifester sa 
bonté singulière pour les hommes; c’est le jour des 
grandeurs de notre Reine, jour auquel le Père la re¬ 
connut et l’adopta pour sa Fille, le Fils pour sa Mère, 
et le Saint-Esprit pour son Epouse ; c’est le jour de 
la fête solennelle de tous les habitants du ciel, 
puisqu’il commence la réparation de leurs perlés ; 
mais bien plutôt, c’est le jour de fête de la nature 
humaine, puisque c’est l’origine de son salut, 
de sa rédemption, de sa réconciliation ; puisque ce 
jour la relève et la déifie en quelque sorte; c'est le 
jour où Dieu le Père commanda de nouveau à son 
Fils d’achever l’œuvre de notre salut ; c’est le jour 
où le Verbe, se précipitant des hauteurs du ciel, s’é¬ 
lança comme un géant pour parcourir sa carrière (I), 


(4) Ps. 48. 


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I re PARTIE;. — -DIMANCHE, CUAP. IV. 37 

et se renferma, comme en un jardin délicieux, dans 
le sein virginal de Marie ; c’est le jour encore où il 
daigna se faire l’un d’entre nous, notre frère et le 
compagnon de notre pèlerinage; c’est le jour où la 
lumière véritable est descendue du ciel pour éclairer 
et dissiper nos'ténèbres; aujourd’hui le pain vivant 
qui donne la vie au monde est préparé dans le sein 
de la sainte Vierge; aujourd’hui le Verbe se fait chair 
afin d'habiter parmi nous (1) ; aujourd’hui sont enfin 
entendus et exaucés les cris et les vœux exprimés 
par les Patriarches et les Prophètes, lorsque dans 
leurs ineffables désirs ils disaient : Seigneur, envoyez 
l'Agneau dominateur de la terre, etc. (2) ; encore : O 
deux, donnez votre rosée (3); et encore : Que ne brisez- 
vous, Seigneur, les voûtes du firmament pour descendre 
enfin parmi nous (4) ; et encore : Seigneurabaissez la 
hauteur des deux et descendez sur la terre (5) ; et en¬ 
core : Seigneur, montrez-nous votre visage et nous serons 
sauvés (6) ; et 1 les autres semblables textes dos Patriar¬ 
ches etdes Prophètes dont l’Ecriture est toute remplie, 
car ce jour fut constamment l’objet de leur attente 
et-de leurs plus ardents désirs. Ce jour est aussi le 
principe et le fondement de toutes les solennités, et 
la source de tout notre bonheur. Car jusque là le 
Seigneur, à cause de la désobéissance de nos pre¬ 
miers parents, ne jetait plus sur le genre humain 
que des regards d’indignation ; mais désormais la vue 
de son Fils incarné pour les hommes désarmera pour 
toujours sa colère. Ce jour enlin est considéré comme 
étant la ptéuitude des temps. 

(I) Saint Jean, I. — (** Isal, 16. — (3) Isaï, 4«. — (*) Isa!, 64. — 
Ci) Ps. 143. — (6) Ps. 79. 


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38 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

Voyez donc combien cette œuvre est admirable et 
combien cette fête est solennelle : tout en est déli¬ 
cieux, ravissant, désirable; tout y doit exciter notre 
dévotion, notre allégresse et les transports de notre 
joie ; tout y est digue de nos respects et de notre 
vénération. Méditez donc assidûment ce mystère, pre- 
nez-y vos délices, vous y trouverez toujours de nou¬ 
veaux charmes, et, peut-être, le Seigneur vous en 
donnera une plus parfaite intelligence. 


CHAPITRE Y. 

Comment la sainte Vierge visita sainte Elisabeth. — Origine 
des Cantiques Magnificat et Benedictus. 

Après le départ de l’Ange, Marie, se rappelant ce 
qu’il lui avait appris au sujet de sa cousine Elisabeth, 
se proposa de la visiter pour lui offrir tout à la fois 
ses félicitations et ses services. Elle partit donc de Na¬ 
zareth avec Joseph son époux, pour se rendre au do-' 
micile d’Elisabeth, éloigné de Jérusalem d’environ 
quatorze à quinze milles. La difficulté, la longueur 
de la roule ne la retardent pas, elle marche en toute 
hâte, parce qu’elle ne voulait pas s’exposer trop long¬ 
temps au regard du public : d’où l’on voit que sa 
grossesse n’appesantissait pas sa marche, comme il 
arrive aux autres femmes, car Jésus ne fut jamais 
à charge à sa Mère. 

Considérez donc ici comment la reine du ciel et de 


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I re PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. V, 39 

la terre voyage seule avec son époux, sans monture* 
mais à pied; elle n’est point suivie d’une multitude 
de barons ou de soldats, elle n’esl point entourée 
d’une foule de dames d’honneur ou de filles de ser¬ 
vice; là, elle s’avance escortée de pauvreté, d’humi¬ 
lité, de pudeur et de l'honorable assemblage de tou¬ 
tes les vertus ; le Seigneur est aussi avec elle, ac¬ 
compagné d’une nombreuse escorte d’honneur, bien 
différente de la vaine pom~e des mondains. 

En entrant chez sa cousine, elle la prévient en di¬ 
sant : « Je vous salue, ma sœur Elisabeth. » Pleine 
de joie et d’allégresse, embrasée de l’Esprit saint, 
Elisabeth se lève, l’embrasse avec une extrême ten¬ 
dresse, et s’écrie dans son ravissement ; Vous êtes 
b énie entre toutes les femmes , et le fruit de vos entrailles 
est béni ; et d'où me vient ce bonheur que la mère de 
mon Dieu daigne me visiter, etc. (1). 

Aù moment où Marie saluait Elisabeth, l’enfant 
qu’elle portait dans son sein, saint Jean» fut rempli 
du Saint-Esprit, Elisabeth en fut aussi remplie; tou¬ 
tefois elle ne le fut pas avant son fils, mais celui-ci 
lui communiqua de sa plénitude. Ce ne fut pas, à 
la vérité, par une opération propre du fils sur l’àme 
de la mère, mais saint Jean, ayant reçu le premier 
et avec plus d’abondance la grâce du Saint-Esprit, 
mérita par là que cette brillante effusion s’étendît 
jusqu’à sa mère, et de même qu’Elisabeth reconnut 
en Marie son auguste qualité de Mère de Dieu, de 
même Jean sentit la présence de son Seigneur : voilà 
pourquoi l’un tressaillit d’allégresse, et l’autre pro- 


(I) Luc. i. 


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40 MÉDITATIONS SCK LA VIE DE N.-S. J<-C. 

phétisa. Observez quelle est la puissance des paro¬ 
les de Marie, puisqu’en les prononçant elle commu¬ 
nique à ceux qui les entendent la grâce du Saint- 
Esprit. Elle était, en effet, si remplie de cette-grâce 
que par ses mérites, le même esprit remplissait aussi 
tous ceux qui rapprochaient, 

Marie répondit à Elisabeth, en s’écriant : Mon âme 
glorifie h Seigneur , etc., achevant dans le même mo¬ 
ment ce cantique sublime de ravissement et de 
louange. 

Ensuite, se disposant à s’asseoir, l’humble Marie se - 
place à l’endroit le plus basaux pieds d’Elisabeth ; 
mais celle-ci se levant à l’instant et ne pouvant souf¬ 
frir cette déférence, la releva aussitôt et la fît asseoir 
près d’elle. Alors Marie interroge sa cousine sur le 
prodige de sà conception, et Elisabeth demande aussi 
à Marie comment elle est devenue mère. Elles se 
donnent réciproquement et avec joie des détails sur 
ces deux conceptions, elles en bénissent le Seigneur 
et emploient à lui en rendre grâces plusieurs jours 
qu’elles passèrent dans uee sainte allégresse. 

La sainte Vierge demeura près de trois mois chez 
sa cousine, lui prodiguant avec humilité et une pieuse 
révérence tous les secours et les services qu’elle 
pouvait lui rendre, comme si elle eût oublié qu’elle 
était la Mère de Dieu et la Reine de tout l’univers. 
<)u’elle est sacrée la maison, qu’elles sont saintes 
la chambre et la modeste couche qu’habitent et où 
reposent en commun de telles mères, enceiutes de 
tels fils, Marie et Elisabeth, Jésus et saint Jean! Là 
se trouvent aussi deux vénérables vieillards, Zacha¬ 
rie et Joseph. 


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. F® PARTIE. — Diilf ANCHE* CMÀP. V. 

Elisabeth étant parvenue au terme de sa grossesse, 
mit au monde son fils ; Marie le prit entre ses bras et 
s’empressa de lui donner tous les secours que ré¬ 
clamait sa situation. L’enfant la regardait affectueu¬ 
sement comme s’il eût compris ce qu’elle était, et 
lorsqu’elle le présentait à sa mère, ses yeux se tour¬ 
naient vers Marie, et il semblait n’avoir de bonheur 
que dans cette douce contemplation ; Marie lui sou¬ 
riait gracieusement, le pressait contre son coeur et 
le couvrait de ses délicieux baisers. 

Voyez quelle fut la gloire de Jean-Baptiste : nul 
enfant ne fut jamais si honorablement porté. Je 
pourrais encore citer ici plusieurs autres privilèges 
considérables dont il fut favorisé ; je n’y insiste pas 
pour le moment. 

Le huitième jour, l’enfant fut circoncis et reçut le 
nom de Jean. En ce moment, Zacharie recouvra la 
parole et prophétisa en ces termes : Que le Seigneur , 
le Dieu d'Israël , soit à jamais béni, etc., et ce fut ainsi 
que les deux admirables cantiques Magnificat et 
Benedictus eurent leur origine dans la maison de 
Zacharie. 

La sainte Vierge qui, dans le dessein de se dérober 
aux regards des hommes réunis pour la circoncision 
de saint Jean, se tenait cachée derrière un rideau, 
écoutait avec une vive attention ce cantique où il 
était si admirablement parlé de son (ils, et toutes 
œs paroles, elle les déposait soigneusement dans 
son cœur. Enfin après avoir pris congé d’Elisabeth et 
de Zacharie, et béni saint Jean, elle retourna à la 
petite maison qu’elle habitait à Nazareth. Et durant 
ce voyage, tappelez-vous de nouveau son extrême 


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42 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

indigence. Observez que dans le pauvre asile où elle 
va rentrer, elle ne trouvera ni pain, ni boisson, ni 
aucune des choses nécessaires à la vie; cir elle 
n’avait ni argent, ni propriété. Elle vient de passer 
trois mois chez des parents peut-être fort à l’aise, et 
elle retourne à sa première pauvreté: la voilà de 
nouveau réduite à pourvoir à sa subsistance parle 
travail des mains. 

Soyez touchée de sa misère et que l'amour de la 
pauvreté embrase votre cœur. 


CHAPITRE VI. 

Gomment Joseph forma le dessein de quitter Marie; et com¬ 
ment Dieu permet quelquefois que ses plus fidèles servi¬ 
teurs soient éprouvés par la tribulation. 

Or, comme Marie habitait en çpmmun avec Joseph, 
comme l’çnfant Jésus croissait de jour en jour dans 
le sein de sa Mère, Joseph s’apercevant que son 
épouse était enceinte, en fut excessivement af¬ 
fligé. 

Redoublez ici d’attention, car vous y pourrez re¬ 
cevoir plusieurs leçons intéressantes. Si vous ne pou¬ 
vez comprendre pourquoi le Seigneur voulut que sa 
Mère eût un époux mortel, et pourtant qu’elle restât 
toujours vierge, on vous dira que ce fût pour trois 
raisons : pour que sa grossesse ne la déshonorât pas ; 
pour la faire jouir de l’appui et de laf société d’un 


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I re PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. VI. 43 

époux.; et, enfin, pour cacher au démon l'incarna¬ 
tion du Fils de Dieu. 

Joseph donc considérait son épouse, et la considé¬ 
rait encore; son affliction et son trouble étaient 
grands, et ce trouble qui éclatait dans toute sa per¬ 
sonne, il ne pouvait le dissimuler à Marie, et, dans 
ses soupçons, il détournait d’elle ses regards comme 
si elle eût été coupable d’adultère. 

Observez comment Dieu éprouve par la tribulation 
ses serviteurs fidèles, et les tente pour embellir leur 
couronne (1). 

Or, Joseph pensait à quitter secrètement Marie. 
Pourtant on ne peut nier que son éloge ne soit dans 
l’Evangile, puisqu’on y lit : que c'était un homme 
juste (2) ; et, en effet, il avait une grande vertu. Car, 
bien que l’adultère de la femme soit ordinairement 
considéré, par l’époux, comme le comble de l’humi¬ 
liation et le sujet de la plus violente douleur, Joseph 
cependant avait la force de se modérer, n’accusait 
personne, supportait un tel affront avec une invin¬ 
cible patience. Vaincu par la charité et non par la 
vengeance,.il résolut, pour conserver la paix, de 
quitter secrètement son épouse. 

De son côté, Marie n’était pas sans tourments; elle 
voyait et remarquait les agitations de Joseph, et en 
était troublée elle-même. Cependant, par humilité, 
elle gardait le silence, et n’osait révéler la faveur 
que le Seigneur lui avait accordée, aimaut mieux 
laisser soupçonner sa vertu que de divulguer les 
mystères de Dieu, et de dire pour sa justification une 


(4) Corinth. 8. — (2) Matth. 4. 


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44 MÉDITATIONS SUR LA VIE RK N'.-S. J.-C. 

seule parole, qui pût paraître inspirée par la vanité. 
Elle se contentait de demander à Dieu qu’il daignât 
appliquer lui-même le remède convenable et la déli¬ 
vrer, ainsi que son époux, d’une telle tribulation.- 
Vous concevez combien cette épreuve et ces anxiétés 
étaient pénibles aux deux époux. Mais le Seigneur 
consola l’un et l'autre. À cet effet, pendant que Jo¬ 
seph se livrait au sommeil, il lui fit dire par son 
Ange de rester sans défiance et sans peine près de 
son épouse, parce qu’elle avait conçu par Vopêration 
du Saint-Esprit. Cet avertissement mit (in à ses an¬ 
goisses et le remplit de consolation. 

Dieu nous traiterait comme Joseph si, dans nos 
tribulations, nous savions comme lui conserver la 
patience; car le Seigneur fait toujours succéder le 
calme à la tempête, et vous devez être convaincu 
que, s’il permet quelquefois aux afflictions d’attein¬ 
dre ses plus fidèles serviteurs, c’est toujours pour 
leur avantage. 

Joseph avant interrogé Marie sur sa conception mi¬ 
raculeuse, elle lui en fit connaître avec exactitude 
toutes les circonstances. Plein de joip et de bon¬ 
heur, Joseph demeura donc près de sa sainte Epouse; 
et îl est impossible d’exprimer de quel chaste amour 
il la chérissait, de quels soins fidèles il l’entourait, 
daus quelle confiante sécurité Marie habitait avec 
lui, avec quelles délices ils vivaient ensemble dans 
leur pauvreté. 

Le Seigneur Jésus reste donc, comme les autres 
enfants, renfermé neuf mois dans le sein de sa Mère; 
il y reste avec une inexprimable bonté, attendant 
patiemment le terme prescrit par la nature. Soyez 


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F c PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. VI. 45 

érau de compassion en le voyant s’abaisser pour 
vous à une humilité si profonde. Que cette vertu de¬ 
vrait vous être chère! Combien nous devrions crain¬ 
dre de nous enorgueillir de notre rang ou de notre 
réputation, lorsque le Dieu de toute majesté se ré¬ 
duit à de tels abaissements! et cette captivité à la¬ 
quelle il a daigné si longtemps se condamner pour 
nous clans le sein de sa Mère est un nouveau bien¬ 
fait pour lequel nous ne pourrions jamais lui montrer 
assez de reconnaissance. Mais du moins sentons-en 
tout le prix au fond du cœur, et, avec tout l’amour 
dont nous sommes capables, renlons-lui grâce de ce 
qu’il a daigné nous séparer du monde pour acquit¬ 
ter cette faible partie de la dette et nous consacrer 
à son service dans une volontaire et perpétuelle ré¬ 
clusion. C’est en effet une faveur purement gratuite 
que nous n’avions en rien méritée, un bienfait in¬ 
fini, immense, inappréciable et digne de toute notre 
vénération. Car ce n’est pas pour notre malheur, 
mais pour notre sûreté, que nous sommes renfermés 
et placés dans les murs de nos maisons religieuses 
comme dans une forteresse inexpugnable. Là, ni les 
flèches empoisonnées du siècle, ni la fureur des tem¬ 
pêtes de la mer du monde, ne pourront jamais nous 
atteindre, si nous n’avons la témérité de nous y ex¬ 
poser. Efforçons-nous donc, autant que nous en som¬ 
mes capables, par le recueillement de l’esprit' et par 
le renoncement à toutes les choses vaines, de nous 
attacher par la pureté du cœur à notre sainte réclu¬ 
sion, puisque, sans celle de l’esprit, celle du corps 
est inutile ou peu avantageuse. 

Partagez aussi la douleur que Notre-Seigneur Jé- 


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46 * MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

sus-Ghrist eut dès sa naissance et conserva conti¬ 
nuellement jusqu’à sa mort, en voyant d’une part 
que son Père, pour lequel il avait un amour inlini, 
était déshonoré par le culte de préférence que les* 
pécheurs rendaient aux idoles ; et de plus en pré¬ 
voyant, avec une vive compassion, que des âmes 
créées à sa ressemblance seraient misérablement et 
presqu’universellement condamnées à* la réproba¬ 
tion : et ce supplice du cœur lui paraissait incompa¬ 
rablement plus grand que celui de son corps dans 
sa Passion; car il ne s’était livré à l’im que pour 
échapper à l’autre. 

Vous voyez quel festin délicieux vous est ici pré¬ 
senté ; si vous voulez en savourer toute la douceur, 
ruminez souvent et avec soin toutes ces choses dans 
votre esprit. 


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II e PARTIE. — LUNDI, CHAP. VII. 


47 


DEUXIÈME PARTIE. 

(LUNDI.) 


CHAPITRE VII. 

Naissance de Jésus-Christ,-et autres choses y relatives. 

Vers la fin du neuvième mois de la grossesse de Ma¬ 
rie, parut un édit de l’empereur(1) ordonnant le dé¬ 
nombrement des habitants de toute la terre, et à cha¬ 
cun de se faire inscrire dans sa ville natale. Joseph, 
ayant l’intention d’aller à Bethléem, lieu de sa nais¬ 
sance, s’y rendit avec son épouse, parce qu’il savait 
que l’époque de son enfantement approchait. Voilà 
donc Mariequi fait encore une fois ce long voyage ; car 
Bethléem est éloigné de Jérusalem d'environ cinq à 
six milles. Ils amènent avec eux un àne et un bœqf, 
et voyagent comme de pauvres marchands de bes¬ 
tiaux. — Arrivés à Bethléem, ils ne purent y trou¬ 
ver de logement, parce qu’ils étaient pauvres, et 
que, pour obéir à l’édit, il y avait un grand con¬ 
cours d’étrangers. 

Considérez ici, avec une tendre compassion, cette 
Vierge délicate, à peiné âgée de quinze ans, fatiguée 


(I) Luc 2. 


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4» MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

d’une longue route, rougissant de paraître en pu¬ 
blic, et pourtant réduite à chercher un logement 
qu’elle ne peut se procurer. Tout le monde la re¬ 
bute, ainsi que sou époux, ce qui les oblige à se re¬ 
tirer dans une rue couverte, où l’on allait s'abriter 
dans le temps de la pluie, n paraîtrait que Joseph, 
qui était maître charpentier, s’y construisit une es¬ 
pèce de clôture. 

Maintenant, observez toutes les choses que je vais 
rapporter, avec d’autant plus d’attention qu’elles ont 
été’ révélées et découvertes par la sainte Vierge 
elle-même, ainsi que je l’ai appris d’un saint reli¬ 
gieux de nôtre ordre, digne de toute confiance, à 
qui je pense que ces révélations ont été faites. 

« L’heure de l’enfantement étant venue (c’était un 
dimanche au milieu de la nuit), Marie se leva et se 
plaça contre une espèce de pilier qui était près d’elle; 
Joseph était assis, fort affligé, peut-être à cause de 
l’impossibilité où il se trouvait de se procurer toutes 
les choses nécessaires dans de telles circonstances. 
Se levant à l’instant et prenant un peu de foin de la 
crèche, il le mit aux pieds de Marie et se tourna d’un 
autre côté. Ce fut aloTsque le Fils de l’Eteroel, sortant 
du sein de la Vierge, sans rompre le sceau de la vir¬ 
ginité, sans lui occasionner aucune douleur, fut en 
un moment déposé sur le foin, aux pieds de sa Mère, 
au même état où il était dans ses entrailles sacrées. 
Marie se baissant aussitôt, le recueillait et l’embras¬ 
sant tendrement, le plaça sur son cœur, et, par une 
inspiration du Saint-Esprit, se mit à oindre ou à la¬ 
ver tout son corps avec le lait dont la bonté céleste 
avait miraculeusement rempli son sein; cela fait, 


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II e PARUE. — LUNDI; GHAP. VII. 49 

elle l'enveloppa du voile dont sa tête était couverte, 
et le coucha dans la crèche. Au môme moment, le 
bœuf êt l’âne, fléchissant le genou, mettent leur 
tête au-dessus de la crèche, y dirigent leur haleine, 
comme s’ils eussent compris qu’un enfant si pauvre¬ 
ment vêtu, dans la saison rigoureuse, avait besoin 
de cette douce chaleur. Marie se prosterne et l’a¬ 
dore, et, rendant grâces, elle s’écrie : « Soyez béni, 
# Seigneur, Père saint, qui avez daigné me donner 
» votre Fils; Dieu éternel, je vous adore; je vous 
» adore aussi, Fils du Dieu vivant, qui êtes devenu 
» le mien. » Joseph adressa à Dieu de semblables 
adorations, et, détachant de la selle de l’âne un cous¬ 
sin de laine ou de bourre, il le plaça près de la crè¬ 
che pour servir de siège à Marie ; elle s’y assit donc, 
appuya son coude sur la salle : et ce fut dans un tel 
état que la Souveraine de l’univers, la tête tournée 
vers la crèche, attachait tendrement ses regards et 
son cœur 6ur son Fils bien aimé. » Là finit la révé¬ 
lation. 

Après avoir fait connaître toutes ces choses, Marie 
disparut, et un Ange, qui lui succéda, raconta à ce¬ 
lui do qui je tiens ccs détails des circonstances fort 
honorabLes à Marie ; elles m’ont aussi été rapportées, 
mais je n’ai su ni les retenir, ni les écrire. 

Vous avez vu la naissance temporelle du Dieu de 
toute sainteté, vous avez également vu l’enfante¬ 
ment de la Reine du ciel, et dans l’un comme dans 
l’autre vous avez pu remarquer une extrême pau¬ 
vreté, réduite à manquer des choses les plus indis¬ 
pensables. Cette précieuse vertu était perdue sur la 
terre, le Seigneur l'a retrouvée ; voilà cette perle 

4 


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50 MÉDITATIONS SU H LA VIE DE N.-S. J.-C. 

dont parle l’Evangile pour l’acquisition de laquelle il * 
faut tout sacrifier (1); voilà la pierre fondamentale 
de tout l’édifice spirituel, car le fardeau des biens 
temporels empêche l’àme de s’élever jusqu’à Dieu. 
C’est ce qui faisait dire à saint François : « Sachez, 
» mes frères, que la pauvreté est la voie spirituelle 
» qui conduit au salut; elle est le ferment de l’hu- 
» milité et la racine de la perfection ; ses fruits sont 
» abondants, mais ils sont cachés. » Quelle honte 
donc pour nous de nous surcharger de tant de super¬ 
fluités, et de ne pas embrasser de toutes nos forces 
une vertu que le Maître du monde et sa sainte 
Mère ont pratiquée avec tant d’amour et d’exacti¬ 
tude! Saint Bernard dit à ce sujet (2) : « Le trésor de 
» la pauvreté était répandu sur la terre avec abon- 
» dance, et l'homme n’en comprenait pas le prix ; 

» mais il excita tous les désirs du Fils de Dieu qui 
» descendit du ciel pour s’en emparer et nous ap- 
» prendre à l’estimer à son exemple. Parez votre 
» couche d’humilité et de pauvreté : Jésus aime à 
» s'envelopper de ces langes, c’est Marie -qui nous 
» en assure; il met ses délices à être revêtu de ces 
» riches ornements : immolez donc à votre Dieu les 
» abominations de l’Egypte. 

Saint Bernard dit encore, dans un sermçn sur la 
Nativité, qui commence ainsi : Béni soit le Seigneur et 
le Père (3). « Dieu console enfin son peuple. Voulez- 
» vous savoir quel est son peuple ? C'est à vous , Sei- 
»» gneur , que le pauvre a été confié , s’écrie l’homme se- 


(I) Mafth. 13. — (i) S. Bernard, Serra. t, in. Vig. Rat.. Dora. 
— (3) S. Bernard, Serm. 5, in. Vig, Nat. Dom. 


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II e PARTIE. — LUNDI, CHAI*. VII. Ô1 

» Ion le cœur de Dieu (1). Mais Jésus-Christ lui-même 
-» dit dans l’Evangile : Malheur à vous, riches, qui avez 
» ici-bas votre consolation (2) ! En etl'et, qu’est-ce qui 
» consolera ceux qui ont leur consolation? L’enfance 
» silencieuse de Jésus ne peut consoler les grands 
» parleurs; les larmes de Jésus ne peuvent consoler 
» ceux qui sont dans la joie ; ses langes ne peuvent. 
» consoler ceux qui aiment à étaler la magnificence 
» de leurs vêlements; l’étable et la crèche ne con- 
» soient point ceux qui aiment à occuper les premié- 
» res places dans les Synagogues. C’est aux yeux des 
» vigilants Pasteurs que brille la lumière qui vient ré- 
» jouir le monde; c’est à eux que l’on dit un Sauveur 
» vous est né; c’est aux pauvres et à ceux qui sont 
» affligés que cette bonne nouvelle est apportée, et 
» non à vous, riches, qui avez votre consolation et 
» vos domaines. » Là finit saint Bernard. - 
Vous avez pu remarquer aussi dans la naissance 
de Jésus sa profonde humilité et celles de sa Mère ; 
car ils n’ont dédaigné ni l’étable, ni de vils ani¬ 
maux, ni le foin, ni tant d’autres choses rebutantes. 
Toutes les actions de Notre-Seigneur,' toutes celles 
de sa sainte Mère, dans lesquelles l’un et l’autre se 
montrent si fidèles observateurs de cette vertu, nous 
la recommandent puissamment. Appliquons-nous 
donc, avec tout le zélé dont nous sommes capables, 
à la pratiquer; car il n’y a point de salut à espérer 
sans elle, puisqu’aucune action, si elle a l’orgueil 
pour principe, ne peut être agréable à Dieu. En effet, 
au sentiment de saint Augustin (3j, « l’orgueil trans¬ 
it; Ps.9. — (ZJ Luc. 6 — (3) Lib. de sing. doc., eh. 18. 


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S2 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

forme les Anges en démons, et l’humilité rend les 
hommes semblables aux Anges. » Et saint Bernard 
dit (1) « : Quel homme, selon vous, méritera d’être 
» choisi pour occuper dans le ciel la place de l’Ange ré- 
» prouvé 0 Une seule fois l’orgueil mit le trouble dans 
» ce royaume; il en ébranla les colonnes, et en ren- 
» versa non-seulement quelques-unes, mais même la 
» plus grande partie. Qu’en conclure, sinon qu’aux 
» yeux,de la sainte cité, l’orgueil est un objet d’hor- 
» reur et d’abomination? Soyez donc convaincus, 
» mes frères, que celui qui n’a point épargné l’Ange 
» superbe, n’épargnera pas davantage l’homme or- 
» gueilleux. Dieu n’est jamais contraireà lui-même. » 
Voilà comme s’exprime saint Bernard. 

Vous avez pu aussi observer, en Jésus et en Marie, 
mais particulièrement en Jésus, une assez grande af¬ 
fliction de cœur, dont l’extrait suivant de saint Ber¬ 
nard vous donnera une idée (2) : « Le Fils de Dieu, 
» qui, pour venir au monde, pouvait choisir à son gré 
» le temps qui lui conviendrait, préféra la saison la 
» plus pénible pour un enfant et surtout pour Ten- 
» fant d’une femme indigente, qui avait à peine des 
» langes pour l’envelopper, une crèche pour le cou- 
» cher; et pourtant, dans une nécessité si pressante, 
» il n’est mention d’aucune fourrure. » 

Saint Bernard ajoute : « Jésus-Christ, qui, certes, 
» ne peut se tromper, a choisi ce qui crucifie davan- 
* tage la chair ; voilà donc ce qu’il y a de meilleur, 
» de plus utile, ce qu’il faut préférer en tout ; si quel- 
« qu’un enseigne ou conseille autre chose, je le re- 


(l) Serin. 2, de Yerb. Isaï, 6. — (2) Serm. 3, de Nativ. Dom. 


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53 


II e PVRTIE. — LUNDI, CHAP. VII. 

» garde comme un séducteur dont il faut se défier. » 
Et plus bas il dit : « Et cependant, mes frères, c’est 
» là cet enfant qui, suivant les anciennes promesses 
» d’Isaïe, sait choisir le bien et rejeter le mal (1) ; donc 
» le mal c’est la satisfaction des sens, et le bien c'est 
» la mortification, puisque la sagesse incarnée, le 
» Verbe enfant a choisi l'une et réprouvé l autre. » 
Ainsi parle saint Bernard. 

Allez donc et suivez cet exemple; toutefois, soyez 
discrets et mesurez vos forces. Mais comme nbus 
pourrons parler ailleurs de ces vertus, revenons à 
l’étable. 

Aussitôt la naissance de Jésus, une multitude d’An- 
ges, qui y assistaient, après avoir adoré leur Dieu, 
allèrentpromptement trouver des pasteurs, qui éfaient 
à environ un mille de là, pour leur annoncer cette 
naissance et le lieu où était l’enfant. Puis ils remon¬ 
tèrent au ciel au milieu des cantiques et des accla¬ 
mations, annonçant les mêmes prodiges à tous les 
habitants de cet heureux séjour. Celle nouvelle fut, 
pour toute la Cour céleste, l’occasion d’une vive al¬ 
légresse et d’une fête magnifique, et après avoir 
adressé à Dieu le Père des louanges et des actions 
de grâces, tous les citoyens du ciel vinrent succes¬ 
sivement et suivant l’ordre de leur hiérarchie, con¬ 
templer la face du Seigneur leur Dieu, et s’étant 
prosternés avec un profond respect devant lui et de¬ 
vant sa Mère, ils chantaient à l’euvi des cantiques de 
louanges et de bénédictions. Et, en effet, qui d’entre 
eux, en apprenant ces prodiges inouïs, eût préféré 

(4) Isa!. 9. 


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54 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

demeurer au ciel plutôt que d'aller rendre hommage 
à son Seigneur, réduit sur la terre à un état si hu¬ 
miliant? Aucun d’eux n’était capable d’un tel excès 
d’orgueil. De là, ces paroles de l’Apôtre (1) : « Lors¬ 
que Dieu envoya sur la teri'e son Fils unique , il dit : 
Que tous les anges Vadorent. Quelle que soit, au reste, 
la manière dont ces choses se passèrent, je pense que 
ces considérations sur la conduite des Anges vous pa¬ 
raîtront pleines de charmes. 

Les pasteurs viennent à leur tour, adorent l’En¬ 
fant et s’empressent de raconter ce que les Anges 
leur ont annoncé. La Vierge très-prudente conservait 
dans son cœur tout ce qu’elle entendait dire de son 
Fils ; quant aux pasteurs, ils s’en retournèrent pleins 
de joie. 

Et vous, qui venez si tard à l’étable, fléchissez 
aussi le genou, rendez vos hommages au Fils; puis, 
rendez-les aussi à la Mère, et saluez respectueuse¬ 
ment le saint vieillard Joseph. Baisez ensuite les 
pieds de l’enfant Jésus reposant dans ia crèche et 
priez Marie de vous le présenter ou de vous per¬ 
mettre de le prendre vous-même; portez-le entre 
vos bras, conservez-le, contemplez ses traits enchan¬ 
teurs avec une tendre piété, donnez-lui de respec¬ 
tueux baisers, et mettez en lui toutes vos délices; 
ne craignez rien, tout vous est permis, car c’est pour 
le salut des pécheurs qu’il est venu à eux, qu’il a 
conversé avec eux, et qu’enlin il s’est donné à eux 
en nourriture. Touchez-le tout à votre aise, sa bonté 
vous laissera patiemment prendre cette familiarité 

(I) Hebr. i. 


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II e PARTIE. — LUNDI, CH AP. VII. . 55 

qu’elle n’attribuera point à une présomption témé¬ 
raire, mais à votre amour. Néanmoins, dans tout cela, 
agissez toujours avec crainte et avec respect, car 
c’est le Saint des saints lui-même. Rendez-le ensuite 
à sa Mère, et considérez attentivement avec quel soin 
et quelle sagesse elle le gouverne, l’allaite et lui 
rend tous les autres services dont il a besoin. Et vous 
aussi, partagez, autant que vous le pourrez, ses 
soins maternels, mettez-y votre bonheur et vos dé¬ 
lices, pensez-y continuellement-, rendez à Marie et 
à l'Enfant Jésus tous les bons offices dont vous ôtes 
capable, et fixez souvent de tendres regards sur cette 
face adorable que les Anges ne se lassent pas de con¬ 
templer. Mais comme je vous l’ai dit, si vous ne vou¬ 
lez point que vos empressements soient rebutés, 
accompagnez-les d’une craiute respectueuse; car 
vous devez vous regarder comme indigne d’avoir 
de telles communications. 

Vous devez ensuite entrer dans une sainte joie 
en réfléchissant sur la solennité de ce jour, car c’est 
aujourd’hui que Jésus-Christ est né ; c’est donc vrai¬ 
ment le jour de la naissance temporelle du Roi éter¬ 
nel, du Fils du Dieu vivant ; c’est aujourd’hui qu’tm 
Fils nous est donné , et qu'un enfant nous est né ( 1 ); 
c’est aujourd’hui que le Soleil de justice longtemps 
voilé d’un sombre nuage a fait briller toutes ses 
splendeurs; aujourd’hui le Saint-Esprit, chef de l’E¬ 
glise des élus, est descendu de son lit nuptial; au¬ 
jourd’hui le plus beau des enfants des hommes dé - 
couvre à tous les regards sa beauté ravissante (2) ; 

(I)Hebr. 4. — (ï) Ps. M. 


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56 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

aujourd’hui les Anges ont fuit entendre ce cantique, 
« Gloire à Bien au plus haut des deux (1). » Aujour¬ 
d’hui, par le même cantique, la paix a été annoncée 
à tous les hommes. Aujourd’hui, comme l’Eglise le 
chante aussi dans tout l’univers, « le miel découle 
des deux et les chants de la milice celeste ont été en¬ 
tendus sur toute la terre. Aujourd’hui le Dieu Sauveur 
a montré les prémices de sa bonté et de son huma¬ 
nité (2); aujourd’hui Dieu a été adoré, revêtu d’une 
chair semblable à celle du péché. Aujourd’hui se 
sont opérés deux prodiges qui confondent toute la 
raison humaine, et que la foi seule peut concevoir,, 
un Dieu a pris naissance, une Vierge a enfanté. Mais 
ce jour est encore, pour ainsi dire, illustré par plu¬ 
sieurs grands événements extraordinaires; et ces 
prodiges ont enfin rendu plus sensibles tous ceux 
que nous avons déjà rapportés de l’Incarnation : 
ks uns sont une ébauche, les autres une évidente 
manifestation ; ainsi, rapprochez maintenant les uns 
et les autres avec une sérieuse attention. 

Oui : ce jour est à juste titre un jour de fête, d’al¬ 
légresse, d’inexprimable joie. Car d’une taverne de 
Rome, dite Emeritoria (parce que c’était en ce lieu 
que les militaires venaient dépenser leur solde en 
divertissements ou en acquisitions de choses néces¬ 
saires), on vit sortir de terre une source abondante 
d’huile qui coula à pleins bords pendant tout un jout ; 
on vit aussi dans toutes les parties de la terre bril¬ 
ler autour du soleil un cercle lumineux, semblable 
à rarc-en-ciel; et à Rome, la statue d’or que Romulus 


(I) Luc, 2. — (2) Tit. 8. 


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II e PARTIE. — LUNDÎ, CHAP. VÏII. 5T 

avait placée dans son palais, et qui, selon l’oracle, 
ne devait être renversée qu’au moment où une 
Vierge enfanterait, tomba précipitamment à terre 
aussitôt après la naissance de Jésus-Christ. C’est 
là que le pape Calixte fit élever l’église appelée au¬ 
jourd’hui Sainte-Marie, au delà du Tibre. 


CHAPITRE VIII. 

Circoncision et larmes de Jésus-Christ. 

Le huitième jour l’Enfant fut circoncis. Deux faits 
importants rendent ce jour remarquable. Premiè¬ 
rement, le nom de Sauveur que l’Étemel lui-même 
lui avait imposé, ce nom qui lui fut donné par 
l’Ange, même avant sa conception, fut aujourd'hui 
manifesté, proclamé ; on l’appela Jésus fl). Jésus si¬ 
gnifie Sauveur; c’est un nom au-dessus de tout 
autre nom. Car, selon l’apôtre saint Pierre, il n'y 
a pas d'autre nom sous le ciel par lequel nous puissions 
être sauvés (2). Secondement, ce fut en ce jour que 
le Seigneur Jésus répandit pour nous les prémices 
sacrées de son précieux sang. Celui qui était l’inno¬ 
cence môme commença à propos à souffrir pour nos 
péchés, puisqu’en ce jour il commença à en accep¬ 
ter la peine. Entrez donc dans ses sentiments et pleu¬ 
rez avec lui, parce qu’en ce jour il a répandu des 


(I) Lue. 2. — (2) Àct. 4. 


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58 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

larmes abondantes. Car nos saintes solennités doi¬ 
vent nous combler de joie en vue de notre salut, et 
nous remplir de compassion et de tristesse, à cause 
des peines et des souffrances de Jésus-Christ. Vous 
avez vu dans sa naissance combien il eut à souffrir, 
combien de choses lui manquèrent ; mais, entre tant 
d’autres que je pourrais citer, remarquez que, lors¬ 
que sa Mère le mit dans la crèche, elle posa sa tète 
sur une pierre qui n’en était séparée que par un 
peu de foin, ainsi que je l’ai appris d’un de nos frè¬ 
res qui l’a vu; et l'on peut encore aujourd'hui dis¬ 
tinguer cette pierre dans le mur où elle a été scellée 
en souvenir de ce fait. 

Ne doutez pas que, si Marie eût pu disposer d’un 
oreiller, elle ne l’eût préféré; mais, n’ayant rien à 
mettre que cette pierre, elle la plaça en gémissant 
sous la tête de son fils. Vous vous rappelez auçsi 
que le sang de Jésus a coulé dans ce jour. Une 
pierre tranchante a déchiré sa chair. Ne devons-nous 
pas être sensibles à ses douleurs? Oui, sans doute; 
et à celle de sa Mère! Les souffrances que l’Enfant 
Jésus éprouva dans sa chair, lui firent donc aujour¬ 
d’hui répandre des pleurs; car il était revêtu d’une 
chair véritable, d’une chair passible comme celle 
des autres hommes. Et pensez-vous qu’en voyant 
couler ses larmes, sa Mère put retenir les siennes? 
Elle pleure donc aussi, et l’Enfant qu’elle pressait 
sur son sein, voyant sa douleur, portait sa petite 
main sur ses lèvres et sur son visage,.et semblait, 
par ce geste, la conjurer de ne pas pleurer; car il 
ne pouvait supporter l’affliction d’une Mère qu’il 
chérissait si tendrement; et Marie en même temps, 


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II e PARTIE. — LUNDI, CHAP. Vllf. 59 

dont les entrailles étaient profondément émues à la 
vue des douleurs et des larmes de son Fils, essayait, 
de les adoucir par des caresses et par des paroles 
affectueuses. Car la haute pénétration de Marie, lui 
faisait comprendre la volonté où il était de souffrir, 
quoiqu’il ne pût encore l'exprimer. Et elle lui disait : 
« Mon fils, si vous ne voulez pas que je pleure, ces¬ 
sez donc de pleurer vous-méme, car je ne puis voir 
vos larmes, sans y mêler les miennes. » Et alors, par 
compassion pour sa Mère, Jésus retenait sessanglots; 
et Marie essuyait ses yeux, essuyait aussi ceux de Jé¬ 
sus, appliquait son visage sur le sien, le suspendait à 
son sein virginal et lui prodiguait toutes les consola¬ 
tions possibles ; elle les renouvelait toutes les fois qu’il 
versait des pleurs, ce qui lui arrivait souvent comme 
aux autres enfants, tant pour montrer qu’en pre¬ 
nant la nature humaine, il en avait accepté toutes 
les misères, que pour æ dérober sous ce voile à ’a 
connaissance du démon. Voilà pourquoi l’Église, 
dans ses saints cantiques, dit: L'Enfant , dans les lan¬ 
ges, fit entendre des vagissements . 

Maintenant il n'y a plus de Circoncision corporelle; 
elle est remplacée par le Baptême, qui, avec moins 
de douleur, nous donne une grâce plus abondante; 
mais nous devons nous soumettre à la Circoncision 
spirituelle, retrancher toutes les choses superflues, 
ce qui nous oblige à embrasser la pauvreté, car la 
véritable pauvreté n’est qu’une vraie Circoncision 
spirituelle. Et selon saint Bernard (1), « l’Apôtre la 
» fait connaître en ce peu de mots (2) : Quand nous 


(I) S. Ber., Serhi. I, in circumc. Dom. — (2) Timoth. 6. 


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60 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» avons la nourriture et le vêtemmt rien demandons pas - 
» davantage. Mais la Circoncision spirituelle doit 
» aussi s’étendre à tous nos sens ; usons donc avec 
» modération, de la vue, du goût, de l’ouïe, du tou- 
» cher et surtout de la parole. » L’intempérance de 
la langue est un vice détestable, également odieux 
et désagréable à Dieu et aux hommes; il faut donc 
circoncire notre langue, c’est-à-dire, parler peu et 
ne rien dire d’inutile; l’abondance des paroles an¬ 
nonce un homme inconséquent; le silence, au con¬ 
traire, est une vertu, et ce n’est pas .saps raison 
qu’il est prescrit dans tous les ordres religieux. 

Voilà ce que dit saint Grégoire sur cette matière (1) : 

« Celui-là sait véritablement bien parler qui a d’a- 
» bord bien appris à se taire; car le silence sert, 

» en quelque sorte, de nourriture à la parole, puis- 
» qu’il lui ôte tout ce qui l’énerve et l’affaiblit. » 
Saint Grégoire dit encore ailleurs (2) : « Les hommes 
» d’un esprit surperficiel parlent avec précipita- 
d tion, parce que la langue se hâte de mettre au 
» jour les conceptions d’une tête légère. » Dans un 
sermon sur l’Epiphanie, commençant par ces mots : 
Dans les œuvres du Seigneur, etc., saint Bernard 
s’exprime ainsi sur le même sujet (3) : « Quant à 
» la langue, qui de nous ignore par combien de vains 
» discours et de mensonges, de détractions et de 
» flatteries, de paroles malignes ou présompteuses 
» elle nous a souillés? le silence est le remède né- 
» cessaire à tous ces maux; c’est le bouclier d’un 


(4) Moral., lib. 5., c. 41. — (2) Serm. 2, in Dom. 4 post. Oct. 
Epiph. — (3) Liv. 3 , de Conrid,, ch. 43. 


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II e PARTIE. — LUNDI, CHAP. IX. 61 

» religieux, c’est là qu'est toute notre force. « Le 
môme auteur dit autrepart : « L’oisiveté est la mère 
» de la bagatelle et la marâtre des vertus ; et ce qui, 
» pour un homme du monde, n’est que bagatelle, 
» est un blasphème dans la bouche d’un Prêtre. Si, 
- pourtant, il arrive que vous entendiez des discours 
» si vains, peut-être pourrez-vous les souffrir quel¬ 
quefois, mais vous ne devez jamais les répéter; 
» car il ne vous est *pas permis d’ouvrir pour cet 

* usage des livres consacrées à la lecture de l’E- 

* vangile (1). » 


CHAPITRE IX. 

De l'Épiphanie ou de la manifestation du Seigneur. 

Le treizième jour après sa naissance, l’Enfant Jé¬ 
sus se manifesta aux Gentils, dans la personne des 
Mages qui les représentaient. 

Remarquez sur ce jour qu’on aurait peine à trou¬ 
ver une autre fête plus célèbre dans l’Eglise, et qui 
offre un plus grand nombre d’antiennes, de répons, 
de passages et de traits de l’Ecriture qui s’y rappor¬ 
tent, non que cette solennité l’emporte sur les autres, 
mais à cause que le Seigneur Jésus a fait en ce jour 
et surtout en faveur de son Eglise plusieurs choses 
importantes. 


(I) Liv. 3, de Consid., th. 13. 


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62 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

La première, c'est d’avoir .aujourd’hui formé l’E¬ 
glise en la personne des Mages, parce que l'Eglise a 
été rassemblée de toutes les nations. Car au jour de 
sa naissance, Jésus, dans la personne des Pasteurs, 
s’est fait connaître aux Juifs qui, à l’exception d’un 
petit nombre, n’ont pas voulu recevoir le Verbe éter¬ 
nel de Dieu ; mais en ce jour il s’est révélé aux Gen¬ 
tils qui composent ainsi l'Eglise des élus. La fête de 
ce jour est donc véritablement la fête de tous les 
Chrétiens fidèles. 

La deuxième chose, c’est que l’Eglise a été fiancée 
aujourd’hui à Jésus-Christ, qui, à pareil jour, après 
sa vingt-neuvième année, l’a véritablement par son 
Baptême prise pour son Epouse. Voilà pourquoi nous 
chantons avec joie : Aujourd'hui l'Eglise a été unie à 
son céleste Epoux, etc. Car c’est dans le Baptême que 
les âmes deviennent les fiancées de Jésus-Christ, en 
vertu des droits que son Baptême lui donne sur elles. 
Et la société des ûmes qui ont reçu le Baptême, s’ap¬ 
pelle l’Eglise. 

La troisième chose que fit Jésus-Christ, c’est qu’à 
pareil jour, après l’année de son Baptême, il opéra 
aux noces de Cana le premier de ses miracles que 
l’on peut aussi rapporter à l’Eglise et aux noces spi¬ 
rituelles. Il parait encore qu’il fit, plus tard, à pareil 
jour, le miracle de la multiplication des pains et des 
poissons; mais l’Eglise, qui rappelle aujourd’hui les 
trois premiers événements, ne fait nulle mention 
du dernier. 

Comprenez donc quel respect nous devons avoir 
pour ce jour choisi par le Seigneur pour exécuter 
tant de choses magnifiques et admirables. A la vue 


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63 


1!'* PARTIE. — LUNDI, CHAP. IX. 

des faveurs si grandes et si multipliées dont elle fut 
aujourd’hui comblée par son céleste Epoux, l’Eglise, 
pleine de reconnaissance, célèbre ce jour avec pompe, 
par ses acclamations, les transports de sa joie et de 
son allégresse. 

Disons donc quelque chose du premier de ces évé¬ 
nements; car nous parlerons des autres à leur place, 
lorsqu’il en sera question dans la vie de Jésus-Christ. 
Quant à ce premier fait, la venue des Mages à Jésus- 
Christ, je ne me propose pas d’en exposer les mora¬ 
lités et les développements que plusieurs saints per¬ 
sonnages nous ont transmis avec tant de soin. Si 
vous voulez donc savoir comment les Mages vinrent 
d’Orient à Jérusalem, ce qui se passa entre eux et 
Hérode, comment ils furent conduits par l’étoile, ce 
qui les détermina dans le choix des présents qu’ils 
firent et toutes les autres choses semblables, vous 
trouverez tout cela dans le texte évangélique et dans 
les écrits des Saints. Pour moi, comme je vous l’ai 
déjà dit, je me propose, sur ce fait et sur tous ceux 
de la vie de Jésu -Christ, d’effleurer ici quelques mé¬ 
ditations que me suggéreront les représentations 
idéales que l’imagination peut diversement conce¬ 
voir des choses, telles qu’elles ont réellement été. 
faites par Jésus-Christ, ou, du moins, telles que l’on 
peut croire qu’elles se sont passées. Je me suis rare¬ 
ment permis d’entrer dans les développements, tant 
à cause de mon incapacité que des longueurs où ce 
travail m’aurait entraîné. Redoublez donc d’attention 
en lisant ceci, et observez bien toutes choses; car, 
comme je vous l’ai dit précédemment, c’est de là que 
ces Méditations tireront toute leur efficacité. 


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64 MÉDITATIONS Sill LA VIE DE *N.-S. J.-C. 

Les trois.Rois Mages arrivèrent donc escortés d'une 
suite nombreuse et brillante; et les voilà devant la 
pauvre chaumière où Jésus-Chris! est né. Marie en¬ 
tend du bruit et du tumulte, elle se saisit de son en¬ 
fant. Les Mages pénètrent dans l’étable, ils se pro¬ 
sternent et adorent respectueusement l’Enfant Jésus, 
Notre-Seigneur ; ils l’honoreut comme leur Roi, ils 
l’adorent comme leur Dieu. 

Admirez la grandeur de leur foi! Car comment 
croire que ce petit Enfant, couvert «de langes si mi¬ 
sérables, qu’ils trouvent avec une Mère si pauvre et 
dans un lieu si abject, abandonné de tous, sans fa¬ 
mille, sans aucune marque de grandeur, était un Roi 
et le vrai Dieu? Et cependant ils crurent qu’il était 
l’un et l’autre. Voilà les premiers guides, les pre¬ 
miers modèles qu'il fallait à notre foi ; ils demeurent 
à genoux devant lui, s’entretiennent avec Marie, soit 
par un interprète, soit par eux-mêmes; car, étant 
savants, peut-être connaissaient-ils la langue hé¬ 
braïque. Ils s’informent de toutes les circonstances et 
de tous les détails relatifs à l’Enfant Jésus. Marie les 
leur fait connaître; ils croient tout sans hésiter. Ob¬ 
servez bien avec quel respect et quelle dignité ils 
s’expriment, ils écoutent. Remarquez aussi Marie; 
elle rougit à chaque mot, scs yeux sont baissés vers 
la terre, elle parle avec retenue, elle craint de par¬ 
ler et d’ètre vue. Le Seigneur la remplit de force 
dans cette grande circonstance ; car les Mages figu¬ 
raient en ce moment l’Eglise universelle qui devait 
être formée de toutes les nations. Voyez aussi l’En¬ 
fant Jésus; il ne parle pas encore, mais il a la gra¬ 
vité d’un homme mûr qui écoute et comprend; il 


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II e PARTIE. — LUNDI, CHAP. IX. 65 

regarde avec bonté les Mages qui, de leur côté, le 
contemplent avec délices, non-seulement des yeux 
du corps, parce qu'ils voyaient en lui le plus beau 
des enfants des hommes, mais aussi des yeux du 
cœur, parce que Jésus les éclairait, les instruisait in¬ 
térieurement. 

Eutin, après avoir été comblé dqs plus douces con¬ 
solations^ ils présentent de l’or, de la myrrhe et de 
l’eneens; puis ils ouvrent leurs trésors, et, sur une 
étoffe précieuse, ôn sur quelque riche tapis qu’ils 
ont placé aux pieds du Seigneur Jésus, ils lui offrent 
tous ensemble, et chacun pour sa part, ces trois pré¬ 
sents en grande quantité, et l’or avec encore plus 
d'abondance. Autrement, et pour faire une légère 
offrande, ils n’eussent pas eu besoin d’ouvrir leurs 
trésors ; ce que leurs serviteurs portaient à la main 
aurait suffi. 

Après cela les Mages baisèrent les pieds de Jésus 
avec beaucoup de respect et de piété. Qu'eussent-ils 
éprouvé si, pour augmenter leur bonheur et les for¬ 
tifier dans son amour, cet enfant plein de sagesse 
leur eût aussi présenté sa main à baiser? Or, il l’é¬ 
tendit sur eux pour leur donner sa bénédiction. Les 
Mages, l’ayant salué profondément, prirent congé de 
lui, se retirèrent tout remplis de joie, et retournè¬ 
rent dans leur pays par un autre chemin. 

Mais que fit-on, pensez-vous, de cette quantité d’or 
dont la valeur était si considérable? Marie l’a-t-elie 
gardée pour elle? En a-t-elle fait un dépôt? S’en est- 
elle servie pour acheter des maisons, des terres ou 
des vignes? Non, certes ! elle aimait trop la pauvreté 
pour penser à de pareils emplois. Pleine de zèle pour 

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66 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

celte vertu, et comprenant la volonté de son Fils» 
qui la lui faisait connaître intérieurement par sa 
grâce, et la lui manifestait extérieurement en dé¬ 
tournant avec horreur ses yeux de cet or qu’il mé¬ 
prisait, Marie le distribua entièrement aux pauvres 
en peu de jours; car il lui était pénible de conserver 
plus longtemps ou de transporter ce fardeau. Aussi, 
elie s'en était si parfaitement dépouillée, qu’au mo¬ 
ment de sa présentation au temple, elle n’avait plus 
de quoi payer Tunique agneau qu’elle devait offrir 
pour sou Fils, et qu’elle ne put acheter que deux 
tourterelles ou deux colombes. Il est donc raisonna¬ 
ble de croire que l’offrande des Mages fut considéra¬ 
ble, et que Marie, par amour de la pauvreté et par 
l’excès de sa charité, la distribua aux pauvres sans 
aucune réserve. 

Voyez quel bel éloge de la pauvreté. Mais remar¬ 
quez ici deux choses : la première, c’est que l’enfant 
Jésus, ainsique sa Mère, reçoivent aujourd’hui l’au¬ 
mône comme des pauvres ; la seconde, c’est que non- 
seulement ils ne se soucient ni d’acquérir, ni d’amas¬ 
ser, mais qu’ils ne veulent pas même conserver ce 
qu’on leur donne : tant l’amour de la pauvreté 
prenait sans cesse en eux de nouveaux accroisse¬ 
ments ! 

Ne remarquez-vous pas encore, dans ce système, 
un exemple frappant d’humilité? cette vertu, si vous 
y faites attention, se montre ici dans toute sa pro¬ 
fondeur. 11 y a des personnes qui ne s’élèvent point 
à leurs propres yeux, et qui se croient intérieure¬ 
ment viles et abjectes ; mais elles ne veulent pas 
passer pour telles aux yeux des autres, elles ne 


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II e PARTIE. — LUNDI; CHAP. X. 67 

souffrent pas qu’on les méprise, ou qu’ou les raille : 
elles cachent leur bassesse ou leurs défauts pour ne 
pas être déshbnorées. Telle n'est pas aujourd’hui la 
conduite de l’Enfant Jésus, souverain de l’univers, 
qui voulut, au contraire, découvrir toute son abjec¬ 
tion, non-seulement à ses proches, mais aux étran¬ 
gers; non à quelques personnes, non à des hommes 
obscurs, mais à un grand nombre d'hommes, à des 
personnes distinguées, et des rois et à la foule nom¬ 
breuse qui les accompagne. Et cela, dans un temps 
et des circonstances où il était fort a craindre que 
les Mages, venus pour chercher le Roi des Juifs qu’ils 
croyaient aussi être leur Dieu, à la vue de l’état dans 
lequel ils le trouvaient, ne se retirassent plutôt avec 
le doute qu’ils étaient tombés dans une sotte erreur, 
qu’avec de profonds sentiments de foi et de piété. 
Cependant le Maître, l’ami de l’humilité ne se refuse 
pas à les recevoir, nous apprenant par là à ne point 
rejeter la pratique de l’humilité, sous le prétexte de 
quelque apparence de bien, et à consentir à paraître 
aux yeux des autres vils et méprisables. 


CHAPITRE X. 

Séjour de Marie dans l’étable. 

Après le départ des Mages, après qu’ils eurent re¬ 
pris la route de leur patrie, après la distribution de 
toutes leurs offrandes, la Reine du monde resta en- 


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68 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

core dans l’étable avec l’Enfant Jésus et le saint vieil¬ 
lard Joseph, son père nourricier; elle y demeura pa¬ 
tiemment jusqu’au quarantième jour,«comme si elle 
n’était qu’une femme du peuple, comme si son Fils 
Jésus n’était qu’un pur homme soumis aux obser¬ 
vances légales. Mais, parce que ni l’un ni l’autre ne 
voulaient de privilèges particuliers, ils observaient 
la loi comme les autres Israélites. Ce n’est pas ainsi 
que se conduisent plusieurs membres de commu¬ 
nautés religieuses, qui exigent pour eux des préro¬ 
gatives ‘spéciales, par lesquelles ils prétendent se 
distinguer des autres auxquels ils se croient préfé¬ 
rables. Mais ces prétentions sont incompatibles avec 
une humilité véritable. 

Marie se tenait donc dans l’étable, attendant le 
jour où, suivant l’usage, il lui serait permis d’entrer 
dans le temple; elle était là vigilante et attentive à 
la garde de son Fils bien-aimé. O Dieu! avec quelle 
sollicitude et quels soins elle veillait sur lui pour le 
préserver des moindres chutes! Avec quel respect et 
quelle précaution, avec quelle sainte frayeur elle 
touchait de ses mains, celui qu’elle savait bien être 
son Dieu; c’était à genoux qu’elle prenait son Sei¬ 
gneur; à genoux qu’elle le reposait dans la crèche! 
Avec quel bonheur, avec quelle confiance et avec 
quelle autorité maternelle elle embrassait, elle cou¬ 
vrait de ses baisers, elle pressait tendrement sur sou 
cœur celui qu’elle-savait être son Fils, et en qui elle 
mettait toutes ses délices. Combien de fois et avec 
quel intérêt elle considérait ses traits et toutes les 
parties de son corps sacré ! avec quelle gravité, avec 
quelle pudeur elle emmaillottait ses membres déli- 


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II e PARTIE. — LUNDI, CHAP. XI. 


69 


cats! Car Marie fut la plus prudente des femmes, 
comme elle en fut la plus humble. Voilà pourquoi 
elle était si attentive à prodiguer les services et les 
soins à Jésus pendant ses veilles et durant son som¬ 
meil , non-seulement dans sa première enfance, 
mais dans un âge plus avancé. Avec quel empresse¬ 
ment elle le nourrissait de son lait ! En allaitant un 
tel Fils, elle dut indubitablement ressentir aussi une 
douceur inexprimable, inconnue à toutes les autres 
mères. 

Quant à saint Joseph, saint Bernard dit de lui, que 
lorsqu’il tenait Jésus sur ses genoux, souvent le saint 
Enfant lui souriait. 

Placez-vous en esprit tout près de l’étable où Ma¬ 
rie a fixé son séjour, et allez souvent près de Jésus 
respirer avec délices le parfum de vertu qui s’en 
exhale. Tous les fidèles, et surtout les religieux, de¬ 
vraient, depuis la Nativité jusqu’à la Purification, vi¬ 
siter au moins une fois par jour, dans ce saint asile, 
Marie et l’Epfant Jésus, se prosterner à leurs pieds, 
et faire d’affectueuses méditations sur la pauvreté, 
l'humilité et la bonté dont ils nous otfrent de si par¬ 
faits modèles. 


CHAPITRE XI. 

Purification de la sainte Vierge. 

Le quarantième jour après la Nativité, Marie, con- 


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70 - MÉDITATIONS SIR LA VIE DE Pi. HS. J.-C. 

♦ 

formément au précepte, partit avec Jésus et saint 
Joseph pour se rendre à Jérusalem, éloigné de cinq 
à six milles de Bethléem, afin de consacrer l’Enfant 
au Seigneur, comme le prescrivait la loi (1). Accom- 
pagnez-les dans ce voyage, aidez-ies à porter l’En¬ 
fant, et observez attentivement toutes les paroles, 
toutes les actions; elles sont très-propres à nourrir 
votre piété. 

• Ils conduisent donc le Seigneur de Bethléem dans 
le temple du Seigneur. En y entrant, ils y achètent 
deux tourterelles ou deux petites colombes (î) pour 
les offrir à la place de Jésus, comme faisaient les pau¬ 
vres. Et, attendu que leur indigence était extrême, il 
est très-probable qu’ils prirent deux petites colombes, 
parce qu’étant d’un prix moins élevé, elles sont, 
dans la loi, mises au dernier rang, et parce qu’en 
outre l’Evangéliste ne parle pas de l’agneau qui était 
i’oflrande des riches. 

Et voilà que le saint vieillard Siméon est au même 
instant conduit au temple par l’inspiration du Saint- 
Esprit, pour y voir, avant de mourir, le Christ du 
Seigneur, ainsi que la promesse lui en avait été faite. 
S’étant approché avec empressement, il ne l’eut pas 
ydutôt aperçu qu’il le reconnut par une lumière pro¬ 
phétique; et, doublant le pas, il se prosterna et l’a- 
dora entre les bras de sa Mère. L’Enfant le bénit, 
regarde sa Mère et s’incline vers le saint vieillard, 
annonçant ainsi le désir qu’il a d’aller à lui; Marie 
observe ce mouvement, le comprend, l’admire et 
présente Jésus à Siméon. Plein de joie, le saint vieil- 


<l) Lévitic. 12. - (2) Luc. 2. 


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II e PARTIE. — LUNDI, CHAP. XI. 71 

lard le prit respectueusement entre ses bras, se leva 
et bénit Dieu en disant : Seigneur, laissez maintenant 
mourir en paix votre serviteur (1), etc.; puis il parla 
de sa passion d’une manière prophétique. 

En ce moment survint Anne la prophétesse; elle 
adora l’enfânt divin et parla de lui comme le vieil¬ 
lard Siméon,. Pour Marie, ce qu’elle voit, ce qu’elle 
entend la rempli d’admiration, et elle conserve soi¬ 
gneusement toutes ces choses dans son cœur, 

• Jésus alors, tendant les bras vers sa Mère, lui fut 
rendu par Siméon; en môme temps, on se dirigea 
vers l’autel en faisant une procession dont l'image 
est aujourd’hui reproduite dans tout le monde chré¬ 
tien. En tête de cette procession s’avancent les deux 
vénérables vieillards, Joseph et Siméon; ils sont 
pleins d‘allégresse, ils se tiennent par la main, font 
entendre de joyeuses acclamations et chantent avec 
enthousiasme les psaumes suivants : Mettez votre con¬ 
fiance dans le Seigneur, car il est bon, et sa miséricorde 
est éternelle (2), etc.; Comme il est le Seigneur notre Dieu 
pour tous les siècles des siècles, il nous conduira et nous 
gouvernera pendant Véternité ; Dieu est fidèle dans toutes 
ses paroles (3), etc.; Seigneur, nous avons éprouvé les 
effets de votre miséricorde au milieu de votre temple (4). 
Vient ensuite la Vierge-Mère, portant entre ses bras 
le Roi Jésus; Anne l’accompagne, elle marche à ses 
•côtés, elle modère par respect ses acclamations; elle 
loue aussi le Seigneur avec une joie inexprimable. 
C’est ainsi qu’ils font cette procession si petite par le 
nombre de ceux qui y sont représentés; car il s'y 


(I) Luc. ai. - (8) Ps. 117.— (3) PîL, tu. — (*) p».«. 


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72 MÉDITATIONS SI R LA VIE I)E X.-S. J.-C. 

tr iivuit des personnes de toutes les conditions hu¬ 
maines, des hommes et des femmes, des vieillards et 
de jeunes enfants, des vierges et des veuves. 

Lorsqu’on fut arrivé au pied de l’autel, la Mère de 
Jésus, se prosternant humblement, offrit son Fils 
bien-aimé au Père céleste, en disant : « Père infini¬ 
ment bon, recevez votre Fils unique, que, par obéis¬ 
sance au commandement de votre loi* je vous offre 
comme mon premier-né; mais je vous supplie, 6 a 
mon Père, de le rendre à ma tendresse. » Puis, se re¬ 
levant, elle le déposa sur l’autel. O Dieu I quelle obla¬ 
tion vous est présentée! Jamais on ne vous en fit, 
jamais on ne vous en fera de semblable. 

Considérez attentivement tout ce qui se passe ici ; 
Jésus, commedes autres enfants, reste assis sur l’au¬ 
tel avec une gravité qui n’était pas de son âge; il- 
porte ses regards sur sa mère et sur ceux qui l’ac¬ 
compagnent, puis, dans une humble patience, il at¬ 
tend ce qui doit survenir. Les prêtres s’approchent ri t 
de l’autel, et le Roi de l’univers est racheté comtae 
un esclave, au prix ordinaire de cinq sicles, espèce 
de monnaie en usage chez les Juifs. Joseph les ayant 
remis au Grand-Prêtre, Marie Teprit son Fils avec 
joie. Elle reçut aussi de Joseph, pour les offrir au 
Seigneur, les deux colombes dont nous avons parlé; 
puis, les tenant dans ses mains, à genoux, les yeux 
élevés et portés vers le ciel, elle les présente à Dieu, 
en disant : « Recevez, ô Père plein de bonté, cette 
Iri mière oblation, ce misérable don, cet indigne pré¬ 
sent que voire enfant vous offre dans sa pauvreté. » 
L’enfant Jésus étendit ses petites mains vers les co¬ 
lombes, leva les yeux au ciel, et, ne pouvant se join- 


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73 


II e PARTIE. — LUNDI, CHAP. XI. 

dre de bouche à l'oblation de sa Mère, s’y unit du 
moins par ses gestes. Ils déposèrent donc ensemble 
les colombes sur l’autel. Vous comprenez bien quels 
sont ceux qui les offrent : c’est Jésus, c’est Marie? 
Tout petit qu’il était, ce présent pouvait-il être re¬ 
fusé? non, sans doute. Il fut, au contraire, porté par 
la main des Anges devant le trône de Dieu auquel il 
parut extrêmement agréable; ce qui remplit toute la 
Cour céleste d’une grande allégresse, qu’elle exprima 
par les plus vives acclamations. Marie ensuite quitta 
Jérusalem,* et alla de nouveau visiter Elisabeth» 
parce qu’elle youlait revoir saint Jean, avant de s’é¬ 
loigner de ces contrées. Suivez-la, accompagnez-lâ 
partout, et aidez-la à porter Jésus. 

Quand ces deux Mères furent réunies, ce fut pour 
elles un jour de fête, surtout à cause de leurs en¬ 
fants. La joie de ceux-ci fut réciproque, et saint 
Jean montrait du respect pour Jésus comme s’il eût 
compris ce qu’il était. Prenez aussi respectueusement 
entre vos bras le petit saint Jean ; peut-être cet en¬ 
fant, si grand devant le Seigneur, vous bénira-t-il. 
Ayant passé quelques jours à Hébron, Marie et Jo¬ 
seph partirent pour retourner à Nazareth. 

Si vous voulez vous faire une idée de l’humilité et 
de la pauvreté qui éclatent dans tout ce qui précède, 
vous y parviendrez facilement, en considérant la 
Présentation de Jésus, son rachat, et avec quelle 
exactitude Ja loi est observée dans ces circonstances. 


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74 


MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 


TROISIÈME PARTIE. 

(MARDI.) 


CHAPITRE XII. 

Fuite de Notre-Seigneur en Égypte. 

Pendant que les saints voyageurs s’acheminaient 
vers Nazareth, ignorant encore, à cet égard, les des¬ 
seins du Seigneur), et le projet qu’Hérodq avait 
formé d’ôter la vie à Jésus, un Ange du Seigneur, 
apparut à Joseph pendant son sommeil, lui ordon¬ 
nant de fuir en Egypte avec Marie et son Fils, dont 
Hérode menaçait les jours (1). Joseph, se réveillant, 
réveille aussi Marie, et l'instruit de ce qu’il vient 
d’apprendre. Sortant à l’instant du lit, Marie résolut 
de partir sans délai; car ses entrailles maternelles 
s’étaient troublées à ces nouvelles, et elle ne vou¬ 
lait rien négliger pour assurer le salut de son Fils. 
Incontinent et dans la môme nuit, la Sainte Famille 
•se mit en marche pour le pays d'Egypte. 

Remarquez et méditez ce qui précède .et ce qui 
suit. Voyez la dure nécessité où sont Marie et Joseph 
de lever Jésus au milieu de son sommeil; compatis- 

(l)Malth. 2. 


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75 


III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XII. 

sez* à fëur peine et redoublez votre attention, car 
cette circonstance peut tous fournir plusieurs consi¬ 
dérations excellentes. Observez d’abord avec quelle 
indifférence le Seigneur supporte en sa personne, 
tantôt la prospérité, tantôt l’adversité, et souffrez 
avec-patience ces alternatives quand elles vous arri¬ 
veront ; car on trouve les vallées à côté des montagnes . 
Voici, en effet, qu’à sa naissance Jésus fut, par les 
Pasteurs, glorifié comme un Dieu, et, peu de temps 
après, il est circoncis comme un pécheur; puis 
viennent les Mages qui lui rendent les plus grands 
honneurs, et cependant il ne sort pas de l’étable, il 
demeure au milieu des plus vils animaux, et répand 
de9 larmes comme l’enfant du dernier des hommes; 
ensuite on le présente au temple,' Siméon et Anne 
portent sa gloire jusqu’au ciel, et maintenant un 
Ange vient lui dire de fuir en Egypte. Et dans plu¬ 
sieurs autres circonstances de sa vie nous pourrons 
faire les mêmes remarques et les appliquer à notre 
instruction. Quand donc vous serez dans la consola¬ 
tion , préparez-vous à la tribulation et réciproque¬ 
ment, et concluez qu’il ne faut ni 9e laisser abattre 
dans l’une, ni s’élever dans l’autre. Car, Notre-Sei- 
gneur, parla consolation, soutient notre espérance 
et nous maintient dans la bonne voie ; et, par la tri¬ 
bulation, il nous affermit dans l’humilité afin que, 
connaissant toute notre misère, nous persévérions 
•dans sa crainte. Comprenons donc que, dans tout 
cela, Jésds n’agit que pour nous instruire et pour se 
cacher au démon. 

Une seconde considération à faire sur les grâces et 
les consolations de Dieu, c’est que celui qui les ob- 


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76 MÉDITATIONS SLR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

tient ne doit pas s’estimer plus que celui à qui elles 
sont refusées, et que ceux qui en sont privés ne doi¬ 
vent ni se décourager, ni porter envie à ceux qui.les 
reçoivent. Je fais ces réflexions en voyant ici que 
les Anges s’étaient adressés à Joseph plutôt qu’à la 
Mère de Jésus qui, pourtant, était si supérieure à ce 
saint Patriarche. J’ajoute que, lorsqu’on ne reçoit 
qu’une partie des grâces que l’on désire, on ne doit 
se montrer ni ingrat ni murrnurateur, en voyant que 
Joseph lui-même, si grand aux yeux de Dieu, n’ob¬ 
tint point, en plein jour, mais pendant la nuit, la fa¬ 
veur de s’entretenir avec les Anges. 

Observons, en troisième lieu, comment le Sei¬ 
gneur permet quelquefois que ses plus fidèles servi¬ 
teurs soient éprouvés par les persécutions et les 
tribulations. Quelles étaient les angoisses de Marie 
et de Joseph lorsqu’ils apprirent qu’on cherchait 
Jésus pour l’immoler? Pouvait-on leur annoncer une 
nouvelle plus affligeante? Leurs sentiments les plus 
naturels étaient soumis à une épreuve non moins 
pénible; car il fallait fuir avec Jésus, et, quoiqu’ils 
sussent qu’il était le Fils de Dieu, cette fuite cepen¬ 
dant pouvait les troubler et leur faire dire : « Sei¬ 
gneur, Dieu tout-puissant, est-il bien nécessaire que 
votre Fils ait recours à la fuite? Ne pouvez-vous le 
défendre en ce lieu? » Une autre tribulation pour 
eux, c’était l’obligation d’aller dans un pays éloigné, 
qu’ils ne connaissaient pas, par des chemins diffi¬ 
ciles qu’ils étaient incapables de parcourir. Marie 
était trop jeune, Joseph trop avancé en âge ; de plus, 
l’enfaut qu’ils devaient transporter avaient à peine 
deux mois, et il fallait parcourir des pays étrangers 


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77 


III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XU. 

dans un état de pauvreté et de dénùment absolu. 
Tout cela n’était-il pas pour eux un grand sujet d’af¬ 
fliction ? Soyez donc patiente dans la tribulation, et 
ne comptez pas sur un privilège que Dieu n’a ac¬ 
cordé ni à lui-même, ni à sa Mère. 

Quatrièmement, appliquez-vous à connaître toute 
la douceur de Jésus. Observez avec quelle barbarie 
on le persécute, avec quelle précipitation on l'oblige 
à fuir loin de sa patrie, et eu même temps avec 
quelle bonté il cède à la fureur de celui qu’il pouvait 
anéantir eu un moment. Que cette humilité est pro¬ 
fonde! Que cette patience est grande! Car, il ne 
voulait ni se venger de son ennemi, ni l’offenser ; il 
voulait par la fuite échapper à ses pièges. C’est donc 
pour nous aussi une obligation d’agir de même en¬ 
vers ceux qui nous font des reproches, c’est-à-dire 
de nous soumettre à ceux qui nous blâment ou nous 
persécutent, de ne former contre eux aucun désir de 
vengeance, mais de les supporter avec patience, de 
céder à leur violence, qt même de prier pour eux, 
suivant le précepte que le Seigneur nous en donne 
dans un autre endroit de l’Evangile (1). 

Notre-Seigneur fuyait donc devant l’un de ses ser¬ 
viteurs, ou plutôt devant un esclave du démon. Une 
tendre Mère, bien jeune encore, accompagnée de 
saint Joseph,déjà avancé en âge, le portait en Egypte, 
par une route sauvage, obscure, couverte d’arbres, 
âpre, déserte et surtout d’une extrême longueur. On 
dit que pour un courrier il y a douze ou quinze jours 
de marche. Mais, pour eux, ce fut peut-être un 

(!) Matth. 5. 


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78 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

voyage de deux mois et plus ; car on rapporte qu'ils 
allèrent par le môme désert que les enfants d’Israël 
traversèrent autrefois, et où ils demeurèrent pen¬ 
dant quarante ans. Mais comment transporter avec 
eux les vivres nécessaires ? Où et comment trouver 
aussi, pour passer la-nuit, un gîte et un logement? 
Car, dans ce désert, ils rencontraient rarement des 
habitations. Que leur situation vous inspire donc 
une tendre compassion; car ce voyage était pour 
eux et pour l’Enfant Jésus une bien rude, bien ac¬ 
cablante et bien longue fatigue. Accompagnez-les, 
aidez-les à porter LEnfant, et rendez-leur tous les 
services possibles. Nous ne devrions pas trouver pé¬ 
nible de faire pénitence pour nos^ propres péchés, 
lorsqu’ils ont coûté, à des étrangers, à de tels per¬ 
sonnages, de si grands et de si nombreux sacrifices. 

Je ne vous parlerai pas de tout ce qui arriva à nos 
saints voyageurs pendant leur marche dans le dé¬ 
sert, car on a sur ce point peu de détails authenti¬ 
ques. Lorsqu’ils entrèrent en Egypte, toutes les 
idoles de cette contrée furent renversées, comme 
Isaïe l’avait prophétisé (1). Ils allèrent donc à une 
ville nommée Héliopolis, cù, ayant loué une petite 
maison, ils y demeurèrent pendant sept ans, comme 
des voyageurs et des étrangers, comme des pauvres 
et des indigents. 

Cela va nous fournir un beau sujet de réflexions 
aussi pieuses que touchantes. Appliquez-vous bien 
à ce qui suit. 

De quoi et comment Jésus, Marie, Joseph vécu¬ 
es Isaï. 19. 


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79 


III e PARTIE. —* MARDI, CHAP. XII. 

renl-ils pendant un si long séjour? Furent-ils réduits 
à mendier? 11 est écrit que Marie pourvoyait à ses 
besoins et à ceux de son Fils par le travail de la 
quenouille et de l’aiguille. La Souveraine du monde 
Filait et cousait par amour de la pauvreté. La pau¬ 
vreté fut toujours bien chère à Jésus, à Marie, à 
Joseph. Aussi lui furent-ils parfaitement fidèles jus¬ 
qu’à la mort. 

Mais Marie allait-elle donc elle-même, de maison 
en maison, chercher du linge à coudre ou d’autres 
ouvrages à faire? Assurément; car il fallait bien 
qu’elle fit connaître à ses voisines qu’elle manquait 
quelquefois de semblables travaux, ce que ces fem¬ 
mes n’auraient pu deviner. Mais encore, lorsque 
Jésus fut parvenu à l’àge d’environ cinq ans, est-ce 
qu ? il ne se chargeait pas lui-même des commissions 
de sa Mère, demandant pour elle les travaux qu elle 
savait faire? On n’en peut douter; car elle n’avait 
pas d’autre écuyer. Jésus ne reportait-il pas aussi 
l’ouvrage fait; n’en demandait-il pas pour sa Mère le 
paiement et le prix? Jésus, le Fils du Tout-Puissant, 
De rougissait-il pas de faire de semblables démar¬ 
ches, ni sa Mère elle-même de l’en charger? Et 
qu’a-l-il eu à souffrir si parfois, après avoir rendu 
l’ouvrage et en avoir sollicité le prix, une* femme 
hautaine, querelleuse et bavarde ne répondait que 
par des injures à une si juste demande, gardait 
l'ouvrage, le cbassait sans le payer, et l’obligeait 
de retourner sans argent au logis? Ah ! quelles in¬ 
jures, quels sanglants outrages ont à souffrir les 
étrangers 1 Et le Seigneur a voulu, non s’y sous¬ 
traire, mais les recevoir. 


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80 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

Et quelle peine encore si, quelquefois, rentrant 
à la maison et pressé par la faim, comme il arrive 
aux enfants, il a demandé du pain à sa Mère qui n’en 
avait point à lui donner! Alors, et dans des circon¬ 
stances semblables, ses entrailles maternelles n’en 
étaient-elles pas totalement déchirées Y Marie adres¬ 
sait à Jésus des paroles consolantes, s’efforçait, au¬ 
tant que possible, de lui procurer du pain, et allait 
même quelquefois jusqu’à se priver de son néces¬ 
saire pour le donner à son Fils. Voilà de vastes 
sujets de méditation sur l’Enfant Jésus. Etendez- 
les et développez-les comme vous le voudrez ; soyez 
petit avec le petit Jésus; ne dédaignez pas des cho¬ 
ses si humbles ni de faire de sérieuses réflexions 
sur ce qu’il parait y avoir de plus puéril en Jésus; 
car ces considérations me semblent propres à exciter 
votre piété, à augmenter votre amour, à ranimer 
votre ferveur, à émouvoir votre sensibilité, à vous 
communiquer la pureté et la simplicité, à nourrir en 
vous l’amour ardent de l’humilité et de la pauvreté, 
à entretenir une grande familiarité, à établir une 
parfaite conformité entre vous et Jésus, et à élever 
au plus haut point toutes vos espérances. Car les 
choses sublimes sont bien au-dessus de notre intelli¬ 
gence. Mais ce qui parait folie en Dieu est pour les 
hommes la plus haute sagesse ; et ce qui semble le 
plus faible en lui, est pour nous ce qu’il y a de plus 
fort. Ces méditations paraissent aussi très-propres 
à anéantir notre orgueil, à affaiblir notre cupidité, 
et à désespérer notre curiosité. Comprenez vous 
combien elles peuvent vous être utiles? Gomme je 
vous l’ai dit, rapetissez-vous avec Jésus; grandissez 


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8! 


III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XII. 

avec lui en conservant toujours l'humilité ; suiyez-le 
partout où U ira, et tenez toujours vos regards atta¬ 
chés sur lui. 

Mais n’avez-vous pas remarqué dans ce qui précède 
combien la pauvreté de la Sainte Famille fut pénible 
et humiliante? Ët si le travail des mains était pour 
eux le seul moyen de se procurer la nourriture, 
comment eurent-ils des vêtements, des lits et les 
autres choses indispensables dans une maison? 
Avaient'ils des meubles doubles, superflus, curieux? 
Ces petites douceurs sont contraires à la pauvreté, 
et conséquemment, quand elle eût pu se les procu¬ 
rer, l’amie de la pauvreté n'en aurait pas voulu. 
Mais pensez-vous que Marie, quand elle s’occupait à 
la couture ou à d’autres travaux, faisait quelquefois, 
pour plaire à quelques personnes, des ouvrages re¬ 
cherchés et curieux ? Gardez-vous bien de le croire. 
Ces inutilités qe conviennent qu’aux personnes qui 
ne s’inquiètent guère de perdre le temps. Réduit à 
une si grande indigence* Marie ne pouvait s'occuper 
de choses si vaines; elle ne l’eût pas même voulu 
faire dans une position plus heureuse. Car, c’est là 
un défaut très dangereux et surtout dans le siècle 
où nous sommes. Voulez-vous savoir pourquoi? J’ob¬ 
serve d'abord que le temps qui nous est donné par 
Dieu pour le louer et le bénir .est alors, contre les in¬ 
térêts de sa gloire, employé à de vaines occupations; 
en effet, un ouvrage curieux prend beaucoup plus 
de temps qu’il ne convient, et c’est là un très-grand 
mal. Un second mal, c’est qu’un semblable travail 
expose celui qui s’y livre au danger de la vaine 
gloire. Oh! combien de fois alors, so t dans l'inaction, 

6 


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" 32 MÉDITATIONS SL'll LA VIE DE N.-S. J.-C. 

soit même quand on vaque à la prière, on pense, on. 
repense à faire cet ouvrage dont la beauté doit at¬ 
tirer tous les regards; ce qui conduit à l’estime de 
soi-même et au désir d’être estimé des autres! En 
troisième lieu, un tel ouvrage est, pour celui auquel 
il est destiné, une occasion d’orgueil ; c’est comme 
une huile qui nourrit et augmente le feu de cette 
passion ; or, comme les choses viles et communes 
entretiennent en nous l’humilité, de môme les cho¬ 
ses précieuses et rares servent d’aliment à notre or¬ 
gueil. Quatrièmement, ces sortes d’occupations dé¬ 
tachent l’âme de Dieu; car, selon saint Grégoire, 
plus l’objet de nos affections est méprisable, plus 
nous nous séparons de l’amour souverain (t). Cin¬ 
quièmement j’observe encore que la concupiscence 
des yeux‘est l’une des trois sources d’où dérivent 
tous les péchés du monde; et, en effet, ces choses 
curieuses ne servent qu’à donner une vaine satis¬ 
faction à nos yeux ; et celui qui les fait, comme celui 
qui les porte et qui en fait usage, pèchent autant de 
fois qu’ils se complaisent à les considérer. Sixième¬ 
ment, c’est un piège, une occasion de chute pour 
beaucoup d’autres, puisqu’en considérant ces objets 
précieux, on peut offenser Dieu de bien des maniè¬ 
res, soit par le mauvais exemple que l’on donne, 
soit par le plaisir que l’on prend à les regarder, soit 
par la convoitise d’en avoir de pareils, soit par des 
murmures ou des médisances. Voyez donc combien 
de fois Dieu peut être offensé avant que ces choses 
curieuses soient détruites. Celui qui les confectionne 


(I) Greg., homil. SO in Ev. 


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83 


III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XII. 

en est seul la cause. Ainsi, quand je vous prierais 
d’en faire pour moi, ou même quand vous auriez 
la certitude que je souhaite m’en servir, vous de¬ 
vriez refuser ce travail ; car aucun motif ne nous 
peut faire consentir à pécher,* et l’on doit, en toutes 
choses, s’abstenir d’offenser Dieu. Ne serait-ce donc 
point pécher plus grièvement encore, que de s’occu¬ 
per de pareiUes bagatelles spontanément, pour se 
satisfaire, préférant ainsi la créature au créateur? 
Or, voilà ce que font les personnes du siècle ; car ces 
pompes du monde sont pour Dieu des outrages. 
Mais je ne puis comprendre comment un homme, 
qui veut conserver la pureté du cœur' ose tenir une 
pareille conduite et se salir ainsi dans la boue. Vous 
voyez combien une telle curiosité peut produire de 
mal. 

Mais il y en a un plus grand eneore que ceux dont 
j’ai parlé; c’est que la curiosité s’oppose directement 
à la pauvreté. Et, outre tout ce que nous venons de 
dire, prendre ce parti, qu’est-ce autre chose que la 
détermination d'un esprit léger, vain et inconstant? 
Je ne me suis autant étendu sur cette question que 
pour vous donner de l’éloignement pour toutes les 
choses curieuses. Gardez-vous donc bien, comme d’un 
poison mortel, d’en faire ou de vous en servir. Il ne 
faut pourtant point penser que l’on ne puisse quel¬ 
quefois faire de beaux ouvrages, et surtout quand 
il s’agit de ceux qui sont destinés au service de Dieu. 
Mais alors il faut biep régler son intention, se garder 
surtout de la vaine gloire, et mettre tous ses soins à 
la bannir loin de son cœur. Voilà ce que saint Ber¬ 
nard dit à ce sujet : « Quel avantage, je vous prie. 


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84 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» la vue des choses vaines peut-elle procurer an 
» corps?Ou de quelle utilité peut-elle être pour l’âme? 

» Car, certainement, vous ne trouverez dans l’homme 
» rien qui puisse retirer quelque profit de la curio- 
» sité. C’est une consolation tout à fait frivole, vaine 
» et futile; et je ne sais si, pour une personne qui, 

» fuyant la paix d’une douce tranquillité, cherche 
» son bonheur dans une inquiète curiosité, on pour- 
» rait souhaiter rien de plus funeste que l’accomplis- 
» sement de ses vains désirs (i). » 

Mais retournons en Egypte auprès de Marie dont 
nous nous sommes éloignés pour parler du vice mau¬ 
dit de la curiosité. Considérez-la au milieu de ses 
travaux; elle s’occupe à coudre, à filer, à tisser : 
voyez avec quelle fidélité, quelle sollicitude elle s’y 
emploie; et néanmoins elle prend un soin extrême 
de son Fils et de la conduite de sa maison, toujours 
appliquée, autant que possible, à veiller et à prier. 
Que sa situation excite donc toute votre sensibilité; 
et remarquez que la Reine de l’univers n’a pas ob¬ 
tenu gratuitement son royaume. Mais,* sans doute, 
il arriva plus d’une fois que quelques femmes chari- ‘ 
tables, voyant son indigence, lui faisaient de petits 
présents qu’elle recevait avec humilité et actions de 
grâces. Quant au saint vieillard Joseph, il s’occupait 
aux travaux de la charpenterie. Tout ce qui s’offre 
ici à vos regards doit exciter votre compassion. Ar- 
Vétez-vous quelque temps à ce sentiment; deman¬ 
dez ensuite la permission de vous retirer, et après 
vous être prosternée pour recevoir d’abord la béné- 

(t) DeConvers. ad clericos., ch. 13. 


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III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XIII. 85 

diction de Jésus, puis celle de Marie, enfin celle de 
Joseph, prenez congé d'eux, répandant des larmes 
et profondément touchée de leur sort : car ils sont 
réduits, sans aucun motif, à demeurer comme des 
bannis et des exilés, bien loin de leur patrie, errants 
pendant sept ans, dans un pays étranger où ils ne 
subsistent qu'à la sueur de leur front. 


CHAPITRE XIII. 

Notre-Seigneur revient de l’Égypte. 

Jésus ayant passé sept années entières en Egypte, 
l'Ange du Seigneur appamt à Joseph pendant son som¬ 
meil et lui dit (1) : Prenez l'Enfant et sa mère, et allez 
dans le pays d'Israël ; car ceux qui en voulaient à la 
vie de l'Enfant sont morts. Joseph prit l'Enfant et sa 
Mèi'e et retourna dans le pays d'Israël . Ayant appris 
en arrivant qu’Archélaüs, fils d'Hérode, était monté sur 
le trône, il craignit d'y aller, et, sur un second avertis¬ 
sement de l'Ange, il se retira en Galilée, dans la ville 
de Nazareth. Ce retour eut lieu vers la fête de l'Epi¬ 
phanie; c’est-à-dire deux jours après, comme on le 
voit dans le Martyrologe. 

Ici remarquez encore, ainsi que nous l’avons indi¬ 
qué dans le chapitre précédent, comment le Seigneur 
n’accorde la grâce de ses consolations et de s js ré- 


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<«) MnHIï. 2. 



8« MÉDITATIONS SUR LA VIE DE M.-S. J.-C. 

vélations qu’avec mesure, et jamais avec autant 
plénitude que notre convoitise le souhaiterait. C’est 
ce qui résulte de deux circonstances de celle révéla* 
tion. Car, comme je l’ai dit, elle fut faite à Joseph 
pendant le sommeil et non en plein jour. En second 
lieu, ce ne fut pas en une seule fois, mais en deux 
que l’Ange lui fit connaître en quel lieu il devait aller. 
Et, comme le dit un interprète, le Seigneur en agit 
ainsi, parce qu’en pareil cas, plusieurs-visites aug¬ 
mentent la conviction. Au reste, quelles que soient 
ces visites, nous devons les estimer beaucoup : 
soyons-en donc reconnaissants ; car le Seigneur fait 
toujours, de son côté, tout ce qu’il sait nous être 
.plus avantageux. 

Maintenant poursuivons ce que nous avons à dire 
sur leretour de Notre-Seigneur.Considérez-en avecat- 
ie»tion toutes les circonstances ; car il y a là matière à 
une pieuse méditation. Revenez donc en Egypte pour 
y visiter encore l'Enfant Jésus ; peut-être le trouve¬ 
rez-vous hors de la maison, au milieu des enfants, 
et, lorsqu’il vous apercevra, il viendra le premier & 
votre rencontre; car il est plein de bonté, d’affabi¬ 
lité et de politesse. Pour vous, fléchissant le genou, 
vous lui baiserez les pieds, vous le prendrez entre 
vos bras et vous vou3 reposerez quelque temps avec 
lui. Enfin, peut-être vous dira-t-il : « Nous pouvons 
» maintenant retourner dans notre patrie, et c’est 
» demain que nous partons d’ici ; vous êtes arrivée à 
» propos, voiis viendrez avec nous. » Répondez-lui 
vivement que cela vous sera très-agréable, que vous 
désirez le suivre partout où il ira, et mettez vos déli¬ 
ces à vous entretenir ainsi avec lui. Je vous l'ai déjà 


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tll* PART®. — MARTI, CUAP. XUI. $7 

dit, rien de plus utile que la méditation de ces choses, 
en apparence si puériles. On y découvre bientôt les 
vérités les plus importantes. L’Enfant Jésus vous 
conduira ensuite à sa Mère qu’il honorera par toutes 
sortes d’égards. Pour vous, saluez-la respectueuse¬ 
ment, ainsi que le saint vieillard Joseph, et goûtez 
dans leur sainte société un repos délicieux. 

Dès le matin du jour suivant, vous verrez quelques 
saintes femmes et quelques hommes de la cité qui, 
attirés par la douceur et la sainteté de leur conver¬ 
sation, viennent les accompagner jusqu’au delà des 
portes de la ville. Car, quelques jours auparavant, 
ils avaient annoncé leur départ aux personnes de 
leur voisinage, principalement parce qu’il n’était pas 
convenable qu’ils quittassent le pays par une retraile 
Oubite et presque furtive. Si leur départ fut mysté¬ 
rieux quand ils vinrent en Egypte, c'est qu’ils crai¬ 
gnaient pour la vie de l’Enfant Jésus. On se met donc 
en marche ; Joseph est en avant avec les hommes, 
Marie suit de loin avec.les femmes. Pour vous, pre¬ 
nez l’Eufcmt par la maiu, et placez-vous au milieu, 
devant la Mère, car elle ne veut pas qu’il vienne 
après elle. 

Dès qu’on est sorti des portes, Joseph ne souffre 
pas que ceux qui raccompagnent aillent plus loin. 
Alors un ^des plmriches, touché de leur pauvreté, ap¬ 
pelle l’Enfant attn de lui donner quelques pièces de 
monnaie pour leurs, dépenses. Jésus a honte de tes re¬ 
cevoir; cependant, par amour de la pauvreté, il tend 
la main, reçoit l'argent d’un air modeste et remercie; 
il reçut encore l’aumône de plusieurs autres. Les 
femmes l’appelèrent aussi, et firent de môme ; ce 


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88 MÉDITATIONS SÜR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

qui occasionna autant de honte à la Mère qu'à son 
Fils; cependant elle leur rendit à tous d’humbles 
actions de grâces. Comment se défendre ici d’une 
véritable compassion en voyant celui à qui l’univers 
et tout ce qu’il renferme appartient, choisir pour lui, 
pour sa Mère, pour son nourricier, la plus extrême 
pauvreté, et consentir à vivre dans une si grande in¬ 
digence. La sainte pauvreté brille en eux de tout 
son éclat,et ils nous montrent combien elle doit nous 
paraître aimable et praticable. 

Enfla, après avoir fait leurs remerciments et leurs 
adieux à tout le monde, ils reprennent la route de 
la Judée. Mais comment reviendra l’Enfant Jésus et 
dans un âge si tendre? Car le retour me parait en¬ 
core plus difficile que l’arrivée. En effet, quand il 
vint en Egypte, il était si petit qu’on pouvait le por¬ 
ter, et maintenant il est trop grand pour être tenu 
entre les bras, et trop faible pour faire à pied une 
si longue route. Mais peut-être que l’un de ceux qui 
l’accompagnaient avec tant de bienveillance, lui 
donna ou lui prêta quelque paisible animal sur le¬ 
quel il pût monter? O tendre et aimable Enfant, Roi 
du ciel et de la terre ! que les souffrances que vous 
avez endurées pour nous ont été grandes! qu’elles 
ont été précoces! David a bien prophétisé quand il 
vous fait dire : Je suis pauvre et condamné aux dou¬ 
leurs dès ma jeunesse (1), etc. Vous avez constamment 
condamné votre chair aux plus grandes privations, 
aux plus accablantes fatigues et aux plus rudes af¬ 
flictions, par aiuour pour nous, vous vous êtes 


(I) Ps 8Ï. 


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89 


III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XIII. 

presque haï vous-même. Certes, les peines qui nous 
occupent en ce moment auraient seules dû.suffire 
pour l’entière rédemption du monde; 

Prenez-donc l’Enfant Jésus, placez-le sur sa paisi¬ 
ble monture, conduisez-le attentivement, et lorsqu’il 
voudra descendre, prenez-le avec joie entre vos bras 
et tenez-le ainsi quelques instants, du moins jusqu’à 
l’arrivée de sa Mère, dont la marche, un peu plus 
lente, «est aussi plus tardive. Alors l’Enfant se pré¬ 
cipitera vers elle, et sa vue sera pour Marie un grand 
soulagement dans ses fatigues. 

Ainsi, ils cheminent et traversent le désert par le¬ 
quel ils sont venus; et dans cette route vous aurez 
souvent occasion de vous attendrir sur leur sort, car 
ils ont bien peu de repos. Voyez les lassitudes et les 
fatigues dont ils sont accablés, et le jour et la nuit. 
Parvenus presqu’à l’extrémité du désert, ils trouvè¬ 
rent Jean-Baptiste qui avait déjà commencé à faire 
pénitence en ce lieu, quoiqu’il ne fût coupable d’au¬ 
cun péché. On assure que l’endroit du Jourdain où 
Jean administra son baptême est précisément celui 
que traversèrent les enfants d’israél, quand ils vin¬ 
rent de l’Egypte dans le même désert, et quç ce fut 
près de là que Jean fit pénitence. Il est donc possible 
que l’Enfant Jésus l’y ait rencontré en revenant par 
le même endroit. Considérez avec quelle allégresse 
Jean-Baptiste reçut nos saints voyageurs; comment, 
pendant leur court séjour en ce lieu, ils partagèrent 
avec lui une grossière nourriture; enfin, comfnent 
ils prirent congé de lui, après avoir goûté les plus 
pures délices spirituelles. Pour vous, en arrivant, 
comme en partant, fléchissez le genou devant saint 


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90 MÉDITATIONS SUR U VIE DJE N.-S. J.-C. 

Jean, baisez-lui les pieds,- priez-le de vous bénir et 
recommandez-vous à lui ; car cet Enfant, dès son ber 
ceau, est le pins grand et le plus admirable des en¬ 
fants des hommes. En effet saint Jean fut le premier 
ermite, le principe et la voie de ceux qui veulent 
vivre religieusemént; sa virginité fut sans tache, il 
fut le premier des prédicateurs; plus que prophète 
enfin, il eut la gloire du martyre. Ensuite la Sainte 
Famille, après avoir passé le Jourdain, descendit chez 
Elisabeth, ce qui fut pour les uns et pour les-autrès 
un grand sujet de bonheur et de joie. Là, Joseph 
ayant appris qu’Archélaüs, fils d'Hérode, régnait en 
Judée, il en conçut de vives inquiétudes; et, sur 
l'avis qu'un Ange lui donna, pendant son sommeil, 
il se retira avec sa famille en Galilée, dans la ville 
de Nazareth. 

Voilà donc Jésus revenu de l'Egypte. A son-arri¬ 
vée, les sœurs, les parents et les amis de Marie et de 
Joseph s'empressent de les visiter. La Sainte Famille 
se fixe en cette ville et y vit dans la pauvreté. De¬ 
puis cette époque jusqu'à celle où Jésus eut atteint 
sa douzième année, on ne sait rien autre chose de 
lui. On dit pourtant, et cela est très-vraisemblable, 
qu'on voit encore à Nazareth la fontaine où Jésus al¬ 
lait chercher de l’eau pour sa Mère. Car notre humble 
Maître rendait de semblables services à Marie qui 
n’avait pas d’autre serviteur que son Fils. Vous pou¬ 
vez encore penser ici que la Mère de saint Jean l’é¬ 
vangéliste, sœur de Marie, visitait souvent la Sainte 
Famille avec son fils, alors âgé de cinq ans. Car, on 
voit dans les Ecritures qu’il mourut soixante-sept 
ans après la Passion de Notre-Seigneur, à l’ûge dh 


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III e PARTIE. — MÀRW, CHAP. XIV. 9t 

quatre-vingt-dix-huit ans ; ainsi il avait trente et un 
ans au moment de la Passion de Jésus-Christ, qui, 
lui-même, en avait alors trente trois ou un peu 
plus; et puisque Jésus avait sept ans à son retour 
d’Egypte, Jean en avait cinq. Considérez-ies donc,, 
autant que Dieu vous en fera la grâce, vivant et con¬ 
versant ensemble ; car Jean fut dans la suite le dis¬ 
ciple que Jésus aimait davantage. 


CHAPITRE XIY. 

Jésus demeure à Jérusalem. 

A l’âge de douze ans, Jésus alla avec ses parents à 
Jérusalem pour y célébrer, conformément à l’usage 
et au précepte, la grande fête des Juifs qui durait 
huit jours. Dans un âge si tendre, Jésus s’exposait 
déjà aux fatigues des plus longs voyages, pour aller, 
aux jours prescrits, rendre à son Père céleste les 
hommages qu’il lui devait ; car le Père et Je Fils ont 
l’un pour l’autre un amour extrême. Mais en considé¬ 
rant combien son Père était déshonoré par la multi¬ 
tude des péchés qui se commettent, son cœur res¬ 
sentait une affliction plus grande et une plus vive 
douleur qu’il n’éprouvait de joie en voyant la pompe 
extérieure de la fêté et l’honneur que son Père en 
recevait. Le suprême législateur se soumettait donc 
à la loi, se confondant humblement avec le peuple, 
comme le dernier des hommes. Les jours de la fête 


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$2 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

étant passés , Jésus demeura à Jérusalem sans que ses 
parents , qui en étaient partis, s'en aperçussent . 

Faites-ici une grande attention, et assistez en es¬ 
prit à tout ce qui se dit et à tout ce qui se fait ; car 
il y a là matière aux plus pieuses et plus utiles con¬ 
sidérations. J’ai déjà dit au commencement de cet 
ouvrage que Nazareth, où Notre-Seigneur avait son 
domicile, est éloigné de Jérusalem d’environ quatorze 
ou quinze milles. Lors donc que Marie et Joseph ar¬ 
rivèrent le soir, par des routes différentes, au lieu 
où se réunissaient les pèlerins, et où iis devaient lo¬ 
ger eux-mêmes, Marie, voyant Joseph sans son Fils, 
qu’elle croyait l’avoir suivi, lui dit : « Où est donc 
l’Enfant? » Joseph répondit : « Je n’en sais rien, il 
n'jest pas revenu avec moi ; je le croyais avec vous.» 
Marie, émue d’une vive douleur, lui dit en pleurant: 
« Il n’e3t pas revenu avec moi. Je vois bien que j’ai 
mal veillé à la garde de mon Fils. » Et aussitôt elle 
se mit à parcourir différentes maisons, et à le cher¬ 
cher de tous côtés dès le même soir, autant que la 
décence le permettait, répétant partout : Aux uns, 
vous avez vu mon Fils ? aux autres, n'avez-vous pas 
vu mon Fils? Et sa douleur et le désir de retrouver 
Jésus étaient les sentiments qu’elle pouvait éprouver. 
Joseph la suivait tout en pleurs. Ils ne le retrouvè¬ 
rent point; et je vous laisse à penser quel repos ils 
purent goûter ; et surtout Marie, dont l’amour pour 
son Fils était extrême. Aussi les consolations que lui 
prodiguaient les personnes de sa connaissance ne 
pouvaient-elles calmer sa douleur. Quelle perte, en 
effet, que celle de Jésus ? Gonsidérez-la attentivement 
et avec beaucoup de compassion ; car son âme est 


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93 


111° PAIITIK. — ÎWAItfir, CHAI». XIV. 

plongée dans une si mortelle affliction, que depuis 
qu’elle est au monde elle n’en a jamais éprouvé de 
semblable. Ne nous laissons donc pas troubler par 
les tribulations, quand nous voyons que Jésus ne les 
a point épargnées à sa Mère. Car s’il permet que ses 
plus fidèles serviteurs y soient exposés, c’est que les 
tribulations sont des témoignages de son amour; 
il nous est donc avantageux d’en éprouver nous- 
mêrae. 

Enfin Marie, se renfermant dans sa chambre, 
adresse au ciel sa prière et ses gémissements. « O 
mon Dieul dit-elle, Père éternel, plein de clémence 
et de bonté, vous avez daigné me donner votre Fils; 
mais voilà que je l’ai perdu, je ne sais ce qu’il est 
devenu ; rendez-le à ma tendresse ! O Père! ôtez-moi 
cette amertume, et donnez-moi la consolation de re¬ 
voir mon Fils! Voyez, ô mon Père! l’affliction de 
mon cœur, et pardonnez-moi ma négligence; j’ai 
commis une grande imprudence, je l’aVoue, mais 
j’ai agi sans le savoir; n’écoutez que votre bonté, 
rendez-moi mon Fils; car je ne puis vivre sans lui. 
O le bien-aimé de mon cœur! O mon Fils ! où êtes- 
vous? Que vous est-il arrivé? Qui vous donne main¬ 
tenant un asile? Seriez-vous retourné au ciel avec 
votre Père ? Car, je le sais, vous êtes Dieu, vous êtes 
le Fils de Dieu; mais comment m’auriez-vous laissé 
ignorer ce dessein ? Quelqu'un vous aurait-il enlevé 
par surprise? Car, je n’oublie pas non plus que vous 
êtes homme, que je vous ai enfanté, et qu’autrefois, 
pour vous soustraire aux recherches d’Hérode, je vous 
ai porté en Egypte. O mon Fils! que votre Père vous 
préserve de tous les malheurs! Faites-moi connaître 


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IM MÉDITATIONS SUH LA VIE DE N.-S. J.-C. s 

où vous êtes, et j’irai vous trouver. Ou plutôt, ô 
mon Fils, revenez à moi ; pardonnez-moi cette pre¬ 
mière faute; et désormais il ne. m’arrivera plus de 
vous garder avec tant de négligence. Aurais-je eu le 
malheur de vous offenser en quelque chose? Pour¬ 
quoi donc, ô mon Fils! vous êtes-vous éloigné de 
moi? Je sais que ma douleur ne vous est pas incon¬ 
nue ; ne différez plus de revenir auprès de votre 
Mère; depuis votre naissance jusqu’à ce jour, je n’ai 
jamais passé un moment sans vous, mangé sans 
vous, dormi sans vous; voilà la première fois que ce 
malheur m’arrive. Mais me voilà maintenant séparée 
de vous, et j’ignore comment cela s’est fait. Vous le 
savez, ô mon Fils ! Vous êtes mon espérance, ma vie 
et tout mon bien, je ne puis vivre sans vous. Faites- 
moi donc connaître où vous êtes caché', et comment 
je pourrai vous trouver. » 

C’était ainsi et par d’autres semblables gémisse¬ 
ments que Marie exprimait pendant la nuit les tour¬ 
ments que lui causait l’absence de son Fils bien- 
aimé. 

Le lendemain matin, Marie et Joseph, sortant de la 
maison dès le point du jour, se mirent à chercher 
Jésus dans les environs ; car on revenait de Jérusa¬ 
lem par plusieurs chemins, de même que pour reve¬ 
nir de Sienne à Pise on peut passer par lePuy-de- 
fionichy, par Colle ou par d’autres endroits. Le jour 
suivant ils parcoururent donc diverses routes, cher¬ 
chant Jésus parmi les personnes de leur parenté ou 
de leurs connaissances, et ne l’ayant pas trouvé, 
Marie, presque désespérée, était en proie aux plus 
pénibles anxiétés, et rien ne pouvait la consoler. 


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IIi e PARTIE. — MARDI, CHAP. XIV. 95 

Le troisième jour enfin, le Père et la Mère de Jé¬ 
sus, étant revenus à Jérusalem, le trouvèrent dans 
le temple assis au milieu des Docteurs. Alors Marie 
l’apercevant fut remplie de joie, et comme si elle eût 
retrouvé une nouvelle vie, elle tomba à genoux, et, 
ne pouvant retenir ses larmes, elle rendit grâces à 
Dieu. A la vue de sa Mère, l’Enfant Jésus s avance 
vers elle ; Marie le prend dans ses bras, le presse, 
l’embrasse tendrement, colle son visage sur celui de 
son Fils, et, le retenant quelque temps sur son 
coeur, goûte en ces étreintes un délicieux repos; car 
dans son émotion, il lui eût été impossible de pro¬ 
noncer une parole. Puis elle dit, en levant les yeux 
sur lui : « Mon Fils, pourquoi avez-vous agi ainsi 
avec nous? Voilà que votre Père et moi, vous cher¬ 
chions, fort affligés. » Jésus répondit ; « Pourquoi me 
cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il faut que je 
m’emploie à ce qui regarde le service de mon Père?» 
Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait. Marie, 
lui dit donc : « Moq Fils* nous allons retourner à la 
maison ; ne voulez-vous pas revenir avec nous? — Je 
ferai ce qu’il vous plaira, reprit Jésus. » Et il revint 
avec eux à Nazareth. 

Vous avez vu l’affliction de Marie dans cette cir¬ 
constance. Mais que fit l'Enfant Jésus pendant ces 
trois jours? Gonsidérez comment il se retire dans 
l’hôtellerie des pauvres, avec quelle honte il demande 
à y être reçu, et comment le pauvre Jésus mange 
et loge avec les pauvres. Assis au milieu des Doc¬ 
teurs, voyez avec quelle gravité, quelle sagesse et 
quel respect il les interrogeait ; il les écoutait comme 
un enfant ignorant, ce qu’il faisait par humilité, et 


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96 MKonxnoxs suu la me de x.-s. j.-c. 

pour leur épargner la honte que ses admirablês ré¬ 
ponses auraient pu leur occasionner. — Vous pou¬ 
vez faire sur ce qui précède les trois réflexions sui¬ 
vantes qui sont très-importantes. Précisément, que 
celui qui veut s’attacher à Dieu ne doit pas entrete¬ 
nir avec scs proches des rapports trop intimes, mais 
se séparer entièrement d'eux. Car quand l’Enfant 
Jésus voulut s’occuper de ce qui regardait le service 
son Père, il se sépara de sa Mère bien-aimée, et l’on 
voit même que, lorsqu’on le chercha parmi les per¬ 
sonnes de sa parenté et de sa connaissance, on ne l’y 
trouva pa6. Secondement, que les personnes de piété 
ne doivent point s’étonner lorsque, parfois, se trou¬ 
vant dans un état d’aridité spirituelle, il leur semble 
que Dieu les a abandonnées, puisque la Mère de Dieu 
elle-même a été soumise à cette épreuve. Qu’elles ne 
se troublent donc point, mais que, persévéran t dans 
l’oraison et dans la pratique des bonnes œuvres, elles 
cherchent Dieu de tout leur cœur, et bientôt elles le 
trouveront. Troisièmement, qu’il ne faut jamais s’at¬ 
tacher à son propre sentiment ou à sa propre vo¬ 
lonté; car on voit que Notre-Seigneur, après avoir 
dit qu’il devait s’employer au service de son Père, se 
détermina pourtant à faire la volonté de sa Mère ; 
qu’il partit avec elle et avec Joseph, et « qu’il leur 
était soumis. » En quoi vous pouvez aussi admirer 
son humilité, dont nous allons parler plus ample¬ 
ment. 


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III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XV. 


97 


CHAPITRE XV. 

De ce que ût Jésus depuis douze jusqu'à trente ans. 

Or, Jésus étant sorti du temple et de Jérusalem, 
retourna dans la ville de Nazareth avec ses parents 
« auxquels il était soumis, » et il y dem®ura avec 
eux depuis ce moment jusqu’au commencement de 
sa trentième année; et les Ecritures ne rapportent 
rien de ce qu’il a pu faire pendant tout ce temps, ce 
qui paraît tout à fait étonnant. Que penserons-nous 
donc qu’il ait pu faire ? Qu’admirerons-nous dans sa 
conduite? La vie de Jésus, pendant tant d’années, a- 
t-elle été si oisive que Ton n’ait trouvé aucune action 
digne de nous être transmise par la tradition ou par 
l'Ecriture ; et, s’il y en eut de telles, pourquoi n’ont- 
elles pas été écrites comme les autres faits évangé¬ 
liques? cela parait tout à fait surprenant. Mai3 ici re¬ 
doublez d’attention, et il vous sera facile de voir 
qu’en ne faisant rien, Jésus a réellement fait des 
choses dignes d’admiration. Car tous ses actes sont 
pleins de mystères. C’était par vertu qu’il faisait 
toutes ses actions extérieures ; c’était aussi par vertu 
qu’il gardait le silence et la solitude. Ce grand Maître, 
qui devait plus tard nous enseigner la vertu et nous 
montrer le chemin du ciel, commença donc, dès sa 
jeunesse, à pratiquer toutes les vertus, mais avec 
une perfection admirable dont on ne pouvait trou- 

7 


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98 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

ver d’exemple dans les siècles antérieurs, c’est-à- 
dire, ainsi que Ton peut le supposer sans impiété et 
l’affirmer sans aucune témérité, en se présentant à 
tous les regards comme un homme inutile, abject et 
insensé. Au reste, je n’avance rien que je ne puisse 
•justifier par le témoignage de l’Ecriture ou des saints 
Pères, ainsi qu’on vous l’à dit au commencement de 
cet ouvrage. 

Jésus s’éloignait donc du commerce et des conver¬ 
sations du monde, il fréquentait la'Synagogue, ou, si 
vous l’aimez mieux, l’Eglise. Là, se tenant à l’endroit 
le moins apparent, il consacrait à la prière un temps 
considérable. De retour à la maison, il restait avec 
sa Mère et quelquefois il aidait Joseph dans les tra¬ 
vaux de son état ; il passait et repassait au milieu des 
hommes comme s’ils eussent été invisibles à ses yeux. 
On s’étonnait donc qu’un jeune homme si distingué 
ne fit rien qui parût propre à lui attirer l’estime et 
les louanges du monde; car on s’attendait à lui voir 
faire les actions les plus éclatantes et les œuvres les 
plus recommandables. Enfant, il croissait en âge et 
en sagesse devant Dieu et devant les hommes (1) ; 
mais, pendant son accroissement et depuis sa dou¬ 
zième jusqu'au delà de sa trentième année, on ne lui 
voyait rien faire qui eût la moindre apparence d’habi¬ 
leté et de capacité. On s’en étonnait, on s’en moquait, 
en disant : « Il n’est bon à rien, c’est un idiot, un 
homme de néant, sans jugement, un imbécile. » Il 
n’apprit pas même à lire; ce qui faisait dire de lui 
que : « C’était un pauvre Sire. » Et il tenait si con- 


(I) Luc, s. 


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III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XV. 99 

8tamment à cette manière de vivre, il y était si for¬ 
tement attaché, qu’il passait ordinairement aux yeux 
de tout le monde pour un être vil et méprisable. 
C’est ce que David avait prophétisé par avance en 
faisant dire au Christ : « Je ne suis pas un homme, 
mais un ver de terre, etc. (i). » 

Voilà donc ce qu’il faisait en paraissant ne rien 
faire. Comme je vous l’ai déjà dit, il se rendait vil 
et abject aux yeux de tout le monde. Cela vous pa¬ 
rait-il donc être si peu de chose? Sans doute ces 
abaissements ne lui étaient pas nécessaires; mais 
moi n'en avais-je pas besoin? Certes, je ne trouve 
rien de plus grand ni déplus difficile à pratiquer. 11 
me semble que l’on est arrivé au plus haut degré de 
la perfection lorsqu'on est parvenu sans feinte, et 
sans déguisement, mais en toute vérité et sincérité, 
à se vaincre soi-même, à commander aux inclina¬ 
tions et à l’orgueil de la nature, jusqu’au point de 
ne vouloir plus être compté pour quelque chose, 
mais de consentir à être dédaigné comme un homme 
abject.et méprisable. H y a là plus de grandeur qu’à 
soumettre des villes, suivant ces proverbes de Salo¬ 
mon : « Un homme patient vaut mieux qu’un 
homme vaillant. Celui qui règne sur son cœur est 
au-dessus de celui qui emporte des places fortes (2).» 
Jusqu’à ce que vous soyez parvenue à ce point, 
croyez que vous n'avez encore rien fait. Car, comme 
dit l’Evangile : « Puisque dans la vérité nous ne som¬ 
mes tous que des serviteurs inutiles (3), » même lors¬ 
que nous avons bien fait toutes choses, tant que 

(I) Ps. 21. —(2) Prof . < - • Luc. 17. 


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100 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

nous n’avons pas atteint ce degré d’humilité, nous 
ne sommes pas encore dans là vérité, mais nous 
nous arrêtons, et nous marchons dans la vanité. 
C’est ce que l’Apôtre confirme encore quand il dit : 
« Celui qui croit être quelque chose, quoiqu’en effet 
il ne soit rien, se trompe lui-même (i). » Si donc 
vous me demandez pourquoi Jésus agissait de la 
sorte, je vous répondrai qu’il ne Fa pas fait pour lui, 
mais pour nous instruire. D’où il faut conclure que 
si nous ne profitons point d’une telle leçon, nous 
sommes tout à fait inexcusables. C’est, en effet, une 
chose abominable qu’un vermisseau, qui sera bien¬ 
tôt lui-même la proie des vers, ose s’élever lorsque 
le Seigneur, le Dieu de majesté s’humilie et s’abaisse 
si profondément. 

Que si quelqu’un trouve qu’il est absurde de sup¬ 
poser que Notre-Seigneur a vécu dans une telle inu¬ 
tilité, s’il ose dire que les Evangélistes ont omis bien 
des choses et tenir d’autres semblables discours, il 
sera facile de répondre qu’il n’était pas inutile d’of¬ 
frir et de donner l’exemple d’une si importante 
vertu; mais que rien, au contraire, n’était plus 
utile, parce qu’elle est le fondement le plus ferme, 
le plus inébranlable de toutes les vertus. D’ailleurs, 
on lit dans l’Evangile de saint Jean ces paroles de 
Jésus lui-même ; « Lorsque le Saint-Esprit', que je 
vous enverrai de la part de mon Père, cet Esprit de 
vérité qui procède du Père, sera venu, il rendra té¬ 
moignage de moi ; et vous aussi, vous me rendrez 
témoignage, parce que vous êtes avec moi dès le 

(I) Galat. 6. 


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toi 


III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XV. 

commencement (l), » à savoir : comme Prédicateurs. 
Et saint Pierre dit, lors de l'élection de Papôtre saint 
Mathias : « Il faut que nous choisissions entre ceux 
qui sont restés unis avec nous depuis le moment où 
le Seigneur Jésus-a vécu parmi nous (2), à commen¬ 
cer du baptême de saint Jean. » Or Jésus avait envi¬ 
ron trente ans quand il commença. Mais si Notre- 
Seigneur eût commencé à prêcher avant saint Jean, 
comment aurait-il été inconnu, pendant tant d'an¬ 
nées, de ses voisins qui disaient de lui : « N’est-ce 
pas là le Fils du charpentier (3)? » lorsque peu de 
temps après il était appelé « Fils de David » par ceux 
qui le suivaient. Si donc il eût commencé plus tôt à 
faire des prédications ou des actions importantes, 
l’Ecriture en aurait fait mention, ou du moins en 
aurait conservé quelque chose, et tous les Evangé¬ 
listes ne les auraient pas passées sous silence. Mais 
ce que j’avance ici parait aussi être l’opinion de 
saint Bernard, comme je vous le prouverai au cha¬ 
pitre suivant, par une dernière citation. Quelle que 
soit la vérité sur ce point, je pense que les person¬ 
nes pieuses aimeront à se figurer les choses telles 
que nous venons de les présenter. 

Ainsi, par cette conduite, le Seigneur Jésus for¬ 
geait en quelque sorte ce glaive de l’humilité dont 
parlait le Prophète, quand il disait : « Geignez-vous 
de votre glaive, Roi très-puissant<4); » car, pour 
abattre l’orgueil de son ennemi, rien ne convenait 
mieux que le glaive de l’humilité. En effet, ou lit 
qu’au lieu de faire usage du glaive de sa toute-puis- 


(I) Joap. 15.— (2) Act. I. — (3) Matlh. 18. — (4) Ps. 44. 


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102 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

sance, au moment où il semblait lui être plus né¬ 
cessaire, c’est-à-dire au temps de sa Passion, il eut 
recours à des armes bien différentes. Le même Pro¬ 
phète se plaint à Dieu le Père de la conduite qu’il a 
tenue envers son Fils, en lui disant : « Vous avez 
brisé la pointe de son glaive et vous ne l’avez pas 
secouru dans le combat (1). » Ainsi vous voyez que 
le Seigneur Jésus commença à pratiquer ce qu’il 
voulait enseigner plus tard (2). Car il devait dire dans 
la suite : « Apprenez de moi que je suis doux et 
humble de cœur (3). » Il voulut donc d'abord donner 
l’exemple, et comme il était véritablement doux et 
humble de cœur, c’était aussi sans déguisement et 
du fond du cœur qu’il pratiquait la douceur et l’hu¬ 
milité. Loin d’user de feinte dans l’exercice de ces 
vertus, il s'établit et s’affermit si parfaitement dans 
l’humilité, la bassesse et l’abjection, et s’anéantit si 
complètement aux yeux de tout le monde, que, 
même après qu’il eut commencé ses prédications, 
après qu’il eut révélé des vérités si élevées et si di¬ 
vines, après même qu’il eut. opéré des œuvres si 
prodigieuses et si admirables, on n’avait pour lui 
aucune considération, et qu’on le méprisait, qu’on 
le raillait par ces questions? Quel est celui-ci? N'est - 
ce pas le fils du charpentier? ou par d'autres paroles 
dérisoires et méprisantes. Ainsi se vérifia la parole 
de l’Apôtre, qui a dit de lui : Il s'est anéanti lui-même 
en prenant la forme d'un esclave (4) ; et non-seulement 
d’un esclave ordinaire, comme il l’est devenu en 
s’incarnant, mais d’un esclave inutile, par l'humilité 

(I) Ps. 88. — (8) Act. I. — (3) Matth. h U — (4) Phil. a. 


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Iu e PARUE. — MARDI, CHAP. XV. 103 

et la bassesse de ses manières et de son langage. 

Voulez-vous donc voir avec quelle puissance il 
s’est armé de ce glaive? examinez toutes sesactious, 
il n'y en a pas une où n’éclate l’humilité. Vous avez 
pu l’observer dans tout ce qui précède ; souvenez- 
vous-en bien. Nous allons voir dans ce qui va suivre, 
et même en un grand nombre de circonstances, que 
la fidélité de Jésus à la pratique de l'humilité prit 
de continuels accroissements jusqu’à sa mort, après 
sa mort, et même après son Ascension. N’a-t-il pas, 
à la fin de sa vie, lavé les pieds de ses disciples? 
N’a-t-il pas été humilié au delà de tout ce qu’on 
pourrait dire, en souffrant le supplice infâme de la 
Croix? Rayonnant de la gloire de sa Résurrection, 
n’a-t-il pas encore daigné donner à ses Disciples le 
nom de frères ? Allez , dit-il à Madeleine, et dites à mes 
frères : Je monte vers mon Père et votre Père, etc. (I); 
et après son Ascension, n’a-t-it pas dit humblement 
A Paul, comme il l’eût fait à un égal : Saul, Saul, 
pourquoi me persécutez-vous '% ? Et dans cette même 
circonstance, il ne prend pas le titre de Dieu, il se 
nomme lui-même Jésus ; enfin, au jour du jugement, 
lorsqu’il se sera assis sur le trône de Sa Majesté, ne 
dira-t-il point aux élus : Tout ce que vous avez fait à 
l'un des plus petits d'entre mes frères, vous l'avez fait à 
moi-mème (3). 

Ce n’est pas sans raison que cette vertu fut si 
chère au cœur de Jésus. Car il n’ignorait pas que si 
l’orgueil est le principe de tous les vices, l’humilité 
est le fondement de toutes les vertus, et môme de 

(I) Saint Jean, 20. Act. 9. — (3) Matth. 23. 


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104 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

notre salut. C’est donc en vain que l'on essaierait 
d’élever sur une autre base l’édifice de notre sancti¬ 
fication. Donc, sans l’humilité, vous ne devez vous 
rassurer ni sur la virginité, ni sur la pauvreté* ni 
sur aucune autre vertu, ni sur aucune bonne œuvre, 
Jésus a donc forgé lui-méme cette vertu ; c’est-à-dire 
qu’il nous a montré les moyens de l’acquérir, les¬ 
quels consistent à être vil et méprisable à ses propres 
yeux et même à ceux des autres, et à s’appliquer 
continuellement à l’exercice des emplois les plus bas. 
Allez donc et faites de même, si vous voulez acqué¬ 
rir l’humilité. Car cette vertu doit être précédée de 
l’humiliation que Ton trouve dans l’avilissement et 
dans les exercices des travaux obscurs et méprisés. 

Voilà ce' que saint Bernard dit à ce sujet (1) : 
<» l’humilité à laquelle on arrive inévitablement par 
» l’humiliation, est le fondement de tout l’édifice spi¬ 
rituel; car l’humiliation conduit à l’humilité, 
» comme la patience à la paix, et la lecture à la 
» science. Si vous désirez devenir humble, marcher 
» constamment dans la voie de l’humiliation. Car si 
# vous ne pouvez souffrir d’être humilié, vous n’ar- 
» riverez jamais à l’humilité. » Saint Bernard dit en¬ 
core : « Lorsque vous tendez à ce qu’il y a de plus 
» élevé, ayez d’humbles sentiments de vous-méme, 
» de peur qu’en vous élevant au-dessus de ce que 
» vous êtes, vous ne descendiez au-dessous de vous- 
» même; ce qui arriverait si vous ne vous étiez af- 
» fermi dans une véritable humilité. Et comme ce 
» n’est que par l’humilité qu’on obtient les plus 


(4) Bern.,Ep. 87, ad Ogerium. — (2) Bern. Serm. 24, sup. Cant. 


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III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XV. 105 

» grandes grâces, celui qui veut y parvenir doit se 
» courber sous la verge de la réprimande, et acqué- 
» 'rir ainsi le mérite de l’humilité. Lors donc que 
» vous vous voyez humilié, regardez cela comme un 
» heureux présage; c’est une preuve assurée de la 
» proximité de la grâce (1). Car, comme Dieu ne tarde 
» pas à humilier_par quelque chute celui qui s’élève 
» dans son cœur, de même il ne tarde pas à élever 
» celui qui s’humilie. Sans doute vous connaissez ces 
» deux proverbes (2) : Dieu résiste aux superbes et 
» donne sa grâce aux humbles . » Saint Bernard dit un 
peu aprè3 : « Mais c’est peu de se soumettre de bon 
» cœur lorsque Dieu nous humilie par lui-même, si 
* l’on ne montre la même soumission lorsqu’il le fait 
» par quelque personne que ce soit. Ainsi recevez 
» sur ce sujet l’admirable leçon du saint Roi David. 
» Maudit un jour par l’un de ses serviteurs, il fut 
» insensible à ce comble de l’outrage parce qu.’it 
» pressentait le retour de la grâce, et il se contenta 
» de dire (3) : Qu'y a-t-il de commun entre moi vt vous t 
» enfant de Sarvia? 0 homme vraiment suivant le 
» cœur de Dieu, qui crut devoir s’enflammer et s’ir- 
» riter plutôt contre celui qui prenait sa défense que 
» contre celui qui l’outrageait! c’était donc en toute 
» sécurité de conscience qu’il disait(4) : Si j'ai rendu 
» le mal pour le mal , que je tombe sans défense devant 
» mon ennemi , je l'ai mérité. » 

Mais en voilà assez pour le moment sur cette 
vertu. Revenons à l’observation des actions et de la 
vie de Jésus, notre divin modèle, car c’est là ce que 

(I) Prov, 46. — (-2) Jacob. 4. — (3) II Re0. 6. — (*) Ps, T. 


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106 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

nous nous sommes principalement proposé. Or, ma 
chère fille, rendez-vous présente à tout, ainsi que je 
vous l’ai souvent recommandé, et considérez que 
cette pauvre famille, quoique bénie au-dessus de 
toutes le3 autres, mène pourtant, au sein de la plus 
extrême pauvreté, une vie obscure et cachée. L’heu¬ 
reux vieillard Joseph vivait comme il pouvait du 
métier de charpentier. Le travail de l’aiguille et du 
fuseau procurait quelque gain à Marie; elle faisait 
en outre tout le service de la maison qui, comme 
vous le savez, comprend beaucoup de choses ; elle 
préparait les repas pour son Epoux et pour son Fils; 
elle se chargeait aussi de tous les autres soins du 
ménage, car elle n’avait pas de servante. Soyez tou¬ 
chée de la voir ainsi réduite à tout faire de ses pro¬ 
pres mains ; soyez aussi sensible au sort de Jésus 
qui consent à l’aider et à se livrer avec zèle à toutes 
les occupations dont il était capable. Car, ainsi qu’il 
le déclare lui-même (1) il est venu pour servir et non 
pour être servi. Or donc, n’aidait-il pas sa Mère à 
dresser leur pauvre table, à faire les lits, et à pour¬ 
voir à toutes les autres nécessités du ménage? Con- 
sidérez-le, remplissant dans la maison les fonctions 
les plus humiliantes, et, en même temps, ne perdez 
pas de vue sa sainte Mère. Voyez aussi comment Jé¬ 
sus, Marie, Joseph s’asseyent chaque jour à la même 
table pour prendre en commun, non une nourriture 
exquise et recherchée, mais grossière et frugalé; 
et comment ensuite ils s'entretiennent, non par des 
discours frivoles et inutiles, mais par des paroles 

(I) Matth. 20. 


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107 


III e PARTIE. — HARDI, CHAP. XV. 

pleines de sagesse et de l'esprit de Dieu ; de sorte 
que l'âme n'est pas moins nourrie que le corps. 
Après quelques moments de récréation, ils se reti¬ 
rent dans leurs chambres pour y faire leur prière* 
Loin d'étre spacieuse, la maison qu'ils occupaient 
était fort petite. Entrez en esprit dans ces chambres, 
car chacun d'eux a la sienne. 

Voyez, vers le soir, Notre-Seigneur Jésus-Ghrist 
s'étendant sur la terre, après sa prière, pour y pas¬ 
ser pendant tant d'années toutes ses nuits aussi 
humblement, aussi misérablement que le plus pau¬ 
vre des hommes. Vous deviez avec autant de persé¬ 
vérance le considérer aussi tous les soirs dans cette 
triste situation. 0 Dieu vraiment caché! pourquoi 
donc traitiez-vous si rudement votre chair inno¬ 
cente? Car une seule nuit ainsi passée suffisait pour 
expier tous les péchés du monde. Mais en cela vous 
cédiez aux impulsions d’un amour immense ; vous 
brûliez de zèle pour la brebis perdue, que vous 
vouliez rapporter sur vos épaules au céleste bercail. 
0 Roi des rois, Dieu éternel, qui soulagez l’indigence 
de toutes vos créatures, et qui leur donnez avec 
abondance tout ce qui est nécessaire à leurs besoins, 
vous vous étiez donc réservé toutes les souffrances 
de la pauvreté, de l’abjection, de la mortification 
supportées dans la veille comme dans le sommeil, 
dans vos jeûnes comme dans vos repas, dans toutes 
les actions de votre vie et pendant un si long temps? 
Où en sont donc les amateurs des jouissances cor¬ 
porelles et tous ceux qui recherchent les ornements 
curieux et variés? Nous ne sommes pas disciples 
d’un tel Maître si nous avons de semblables goûts. 


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108 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

Sommes-nous donc plus sages que lui? 11 nous a ap¬ 
pris par ses leçons et par son exemple à être hum¬ 
bles, pauvres, mortifiés et iaborieux ; suivons les 
traces de ce grand Maître, qui ne veut pas nous trom¬ 
per et ne peut se tromper lui-même ; et selon ren¬ 
seignement de l’Apôtre (1), lorsque nous avohs la 
nourriture et le vêtement , sachons nous contenter de ce 
qui suffit à la nécessité sans désirer le superflu. Per¬ 
sévérons constamment, sans nous lasser, et avec 
tout le soin dont nous sommes capables, dans la 
pratique des autres vertus et des exercices spiri¬ 
tuels, etc. 


CHAPITRE XVI. 

Baptême de Notre-Seigneur Jésus-Christ. 

Après avoir passé vingt-neuf ans de sa vie dans 
l'état de souffrance Bt d’abjection que nous venons 
de décrire, le Seigneur Jésus <ÿt à sa Mère : « Le 
moment est venu de vous quitter, de glorifier et de 
faire connaître mon Père, dé me montrer au monde 
et de travailler au salut des âmes, objet de ma mis¬ 
sion sur la terre. Ne vous troublez donc point, ma 
bonne Mère ; car je reviendrai bientôt près de vous. » 
Après quoi le Maître de l’humilité demande à genoux 
la bénédiction maternelle. Marie s’agenouille aussi. 


(l)Timolli. 6. 


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; III e PARTIE. — MARDI; CHAP. XVI. 109 

l’embrasse en pleurant et lui dit avec tendresse : 
« Partez, mon Fils, avec la bénédiction de votre 
Père et avec la tnienne ; souvenez-vous de moi et 
n’oubliez pas la promesse que vous me faites de re¬ 
venir bientôt. » 

Ayant ainsi respectueusement pris congé de sa 
* Mère et de Joseph son nourricier, Jésus se hâte de 
prendre la route de Nazareth à Jérusalem, pour se 
rendre au Jourdain où Jean baptisait. Ce lieu est 
situé à dix-huit milles de Jérusalem. Le Maître du 
monde entreprit seul ce voyage ; car il n’avait pas 
encore de Disciples. . 

Au nom du ciel 1 considérez-le donc attentivement 
parcourant seul, nu-pieds, une si longue route, et 
soyez touchée d’une vive compassion. O Seigneur! 
où allez-vous? N’ètes-vous pas au-dessus de tous les 
Rois de la terre? Où sont donc. Seigneur, les Barons, 
les Comtes, les Ducs, les troupes, les chevaux, les 
chameaux, les éléphants, les chars, les équipages, 
les serviteurs, et cette multitude de gens dont vous 
devriez être accompagné? Où sont les gardes qui de¬ 
vraient vous environner et vous défendre de l’em¬ 
pressement indiscrets de la foule, selon l’usage des 
Rois et des grands personnages? Pourquoi n’ètes- 
vous pas annoncé par le son des trompettes, le 
bruit des instruments? Où sont vos drapeaux et vos 
royales enseignes; où sont les Officiers de votre mai¬ 
son qui devraient vous précéder-pour préparer les 
logements et les choses nécessaires? Où sont les hon- 
, neurs et les pompes qu’on ne refuse pas môme à des 
vermisseaux tels que nous? Eh quoi, Seigneur, le 
ciel et la terre sont remplis de votre gloire, et vous 


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110 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

marchez ainsi sans pompe et sans honneurs! N’êtes- 
vous pas celui qui, dans son royaume (1), était servi 
par un million d’Anges et qu’assistait un milliard 
d’Esprits célestes? Pourquoi donc vous avancer 
ainsi seul, foulant la terre de vos pieds nus et déli¬ 
cats? C’est, sans doute, parce que vous m’êtes pas 
maintenant dans votre royaume; car (2) votre 
Royaume n'est pas de ce monde {Z). Vous vous ôtes 
anéanti vous-même, en prenant la forme, non d’un 
roi, mais d’un esclave (4) ; vous êtes devenu comme 
l’un d’entre nous,pèlerin et étranger, ainsi que l’ont 
été nos pères ; vous vous êtes fait serviteur, afin que 
nous devinssions des rois. Gar vous êtes venu pour 
nous conduire à votre royaume en nous montrant 
la voie par laquelle nous pouvons y parvenir. Mais 
pourquoi donc négligeons-nous de la suivre? Pour¬ 
quoi ne marchons-nous pas sur vos traces? Pourquoi 
refusons-nous de nous humilier? Pourquoi poursui¬ 
vons-nous avec tant d’empressement et possédons- 
nous avec tant d’attache les honneurs, les pompes, 
les choses vaines et périssables d’ici-bas? Ah ! il n’y 
a pas de doute, c’est que notre royaume est de ce 
monde ; c’est que nous ne pensons pas que nous n’y 
sommes que comme des voyageurs ; voilà pourquoi 
nous courons après tous ces biens trompeurs, qui ne 
sont que de véritables maux. 

0 vains enfants des hommes ! pourquoi rechercher 
et embrasser avec tant d'ardeur le mensonge pour 
la vérité, les choses fragiles et périssables pour les 
biens solides et permanents, ce qui passe avec le 


(I) Dan. vu — \2) Joan. 18. — (3) Phil. 9, — (4) Ps. 38. 


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III e PARTIE. — MARDI, CHÀP. XVI. iil 

temps pour ce qui est éternel ? Certes, Seigneur, si 
nous ne perdions jamais 'de vue que nous sommes 
ici-bas des pèlerins et des étrangers, il nous serait. 
plus facile de vous suivre; et, n’usant que pour la 
nécessité de tout ce qui frappe nos sens, nous ne tar¬ 
derions pas à courir après vous à l'odeur de vos par¬ 
fums ( 1 ) ; car nous serions déchargés de tant de soins 
inutiles; nous regarderions toutes les choses qui pas¬ 
sent comme déjà passées, et il nous coûterait peu de 
les dédaigner. 

Voilà donc Notre-Seigneur Jésus-Chrirt cheminant 
humblement, comme nous l’avons dit, de journée 
en journée, jusqu’à ée qu’il soit parvenu au Jour¬ 
dain. En arrivant, il trouve saint Jean occupé à bap¬ 
tiser les pécheurs, et une foule immense accourue 
pour entendre ses prédications; car on le prenait 
pour le Messie. Jésus lui dit donc : « Donnez-moi, je 
vous prie, le baptême comme à ceux-ci. » Mais Jean 
le regardant et découvrant, par la lumière de l’Es¬ 
prit saint, quel est celui qui lui parle, est saisi de 
crainte et répond avec respect (2) ; Seigneur , c*est moi 
qui dois être baptisé par vous . Jésus lui dit : Laissez- 
moi faire : c'est ainsi que nous devons accomplir toute 
justice. Taisez-vous maintenant et ne me faites pas 
connaître, parce que mon heure n’est pas encore ve¬ 
nue ; tuais baptisez-moi. Voici le moment d’exercer 
l’humilité, et je veux pratiquer cette vertu dans 
toute son étendue. 

Apprenez-donc ici ce que c’est que l’humilité, car 
c'est le lieu d’en parler; et vous devez savoir que. 


(1) Cant. I. — (3) Matth. 3. 


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112 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N. -S. J.-C. 

suivant les auteurs qui ont traité ce sujet, il y a 
trois degrés d’humilité. Le premier, c’est de se sou¬ 
mettre à ses supérieurs et de ne point se préférer à 
ses égaux. Le second,est de se mettre au-dessous de 
ses égaux et de ne pas s’élever au-dessus de ses in¬ 
férieurs. Le troisième et dernier degré consiste à 
se mettre au-dessous môme de ses inférieurs. Et 
c’est là justement ce qu’a fait Jésus-Christ. 11 a donc 
pratiqué cette vertu dans toute son étendue. Vous 
voyez que l’humilité de Jésus est encore plus grande 
ici que dans le chapitre précédent. Car maintenant 
il se soumet à son inférieur, il s’abaisse au rang des 
pécheurs pour justifier et glorifier saint Jean. 

Mais en outre, examinez combien son humilité 
s’est accrue, sous un autre rapport ; jusque là, il ne 
l’a montrée que par une vie inutile et abjecte, ici il 
veut être regardé comme un pécheur; car c’est à 
des pécheurs que saint Jean prêche la pénitence et 
donne son baptême, et c’est avec Ges pécheurs et en 
leur présence que le Seigneur Jésus veut être bap¬ 
tisé. Mais voici comment saint Bernard s’explique en 
cette occasion (i). 

« C’est au milieu de la foule du peuple que Jésus 
» vient au baptême de Jean. Il y vient comme un 
» homme pécheur, lui qui, seul, était sans péché 
» parmi les hommes. Qui reconnaîtrait en lui le Fils de 
» Dieu? Qui croirait que c’est le Dieu de toute ma- 
» jesté? Certes, Seigneur, votre humilité est exces- 
» sive, le voile qui vous couvre est trop impénétra- 
» ble; mais il ne pourra vous dérober au regard 


(i) Bern., Serai. 1, iu Epiph. 


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III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XVI. 113 


* de saint Jean. » Voilà ce que dit saint Bernard. 

Quoique ces réflexions puissent convenir également 

à la Circoncision, où Jésus prit aussi l’apparence de 
pécheur, elles sont ici bien plus convenables encore, 
puisque dans son baptême, c’est publiquement et de¬ 
vant la foule, au lieu que, dans sa Circoncision, c’est 
secrètement qu’il prend cette ressemblance. Mais ici 
n’y avait-il pas à craindre que, dans l’exercice de la 
prédication auquel il allait se consacrer, il ne perdit, 
en qualité de pécheur, la considération qui lui était 
nécessaire? Cependant cette crainte n’empêcha pas 
le Maître de l’humilité de s’humilier très-profondé¬ 
ment. Il voulut donc paraître ce qu’il n’était point, 
abject et méprisable, nous instruisant ainsi constam¬ 
ment par son exemple; nous, au contraire, nous 
voulons paraître ce que nous ne sommes pas, dignes 
de louanges et de gloire. En effet* si nous croyons 
remarquer en nous quelque chose qui mérite l'estime, 
nous en faisons étalage et nous cachons avec soin nos 
défauts, quoique nous soyons remplis de péchés et 
de malice. Où est donc notre humilité? Ecoutez à ce 
sujet, non mes réflexions, mais celles de saint Ber¬ 
nard (1) que voici : « 11 y a, dit-il, une humilité que 
» produit et qu’enflamme la charité, et il y a une hu- 
» milité que la vérité fait naître en nous, mais elle 
» est froide et sans ardeur. L’une est dans l’esprit, 
» l’autre est dans le cœur. En effet, si, au flambeau 

* de la vérité, vous jetez intérieurement un regard 
» consciencieux sur vous-même, et si vous vous ju- 

* gez sans vous flatter, je lie doute pas que la con- 


(I) Bern. Serin. 42, sup. Cant. 


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8 



114 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE X.-S. J.-C. 

» naissance parfaite que vous aurez de vous-même 
» ne vous humilie et ne vou6 rende méprisable à vos 
» propres yeux, quoique peut-être il vous fût encore 
» insupportable de passer pour tel aux yeux des au- 
» très. Ce sera alors la vérité qui vous rendra hum- 
» ble; vous ne le serez pas encore par un sentiment 
» d’amour. Car, si la vérité qui vous a donné une 
» connaissance si exacte et si salutaire de vous-même, 

» avait embrasé votre cœur d’autant d’amour qu’elle 
» y a répandu de lumières, vous eussiez indubitable- 
» ment voulu, qu’autant qu'il est possible, tout le 
» monde Vous jugeât comme vous l’êtes intérieure- 
» ment par la .Vérité elle-même. Je dis autant qu’il 
» est possible, parce qu'il n’est pas toujours conve- 
» nable de faire connaître aux autres tout ce que 
» nous savons de nous-mêmes, et que souvent une 
» sincérité charitable et une charité sincère ne nous 
» permettent pas de divulguer ce qui pourrait nuire 
» aux personnes qui en auraient connaissance. Àu- 
» trement si, retenu par votre amour-propre, vous 
« retenez aussi en vous-même le témoignage de la 
» vérité, qui ne voit que votre amour pour elle est 
» bien faible, puisque vous lui préférez vôtre-intérêt 
» propre ou votre propre gloire ? » 

Saint Bernard ajoute un peu plus bas. « Alors si 

• vous éprouvez en vous-même l’humiliation que 
» fait naître cette inévitable humilité dont le Dieu 
» qui sonde les cœurs et les reins remplit tous les 

* sentiments d’une âme vigilante, joignez-y l’adhé- 
» sion de la volonté; et faites de nécessité vertu, car 
» il n’y a point de vertu sans l'adhésion de la vo- 
» lonté. Or, c’est ce qui se fera, si vous ne voulez 


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115 


III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XVI. 

» passer aux yeux du monde que pour ce que vous 
» êtes intérieurement, Sans cela craignez que ce qui 
» suit ne vous regarde (1) : II agit avec artifice en la 
» présence de Dieu, et sa perversité le fait abhorrer. Et 
» comme dit Te proverbe (2) : Le double poids est abo- 
» minable devant Dieu . En effet que faites-vous? Après 
» vous être pesé dans la balance de la vérité, vous 
» jugez secrètement au fond de votre cœur que vous 
» valez peu de chose ; puis, vous estimant à l’exté- 
» rieur à un autre prix, vous vous vendez en quel- 
» que sorte à nous à plus haut poids que celui que 
» vous avez reconnu être le vôtre. Craignez le Sei- 
» gneur, et ne soyez pas assez injuste pour vouloir 
» glorifier celui que la vérité humilie, car ce serait 
» résister à la vérité et combattre contre Dieu. Mais 
» plutôt acquiescez à ce que Dieu demande de vous, 

» et que votre volonté soit soumise à la vérité, non- 
» seulement soumise, mais même entièrement con- 
» forme (3). Mon âme, dit le Prophète, ne se soumet- 
» tra-t-elle pas à Dieu ? Mais c’est peu d'être soumis 
» à Dieu, si vous ne l’étes aussi à toute créature 
» humaine en vue de Dieu ; soit à votre Abbé comme 
» à votre supérieur, soit aux Prieurs préposés par lui. 
» le dis plus, soumettez-vous A vos égaux, soumet- 
» tez-vous même à vos inférieurs ; *car c'est ainsi 
» que nous devons accomplir toute justice . A l’exemple 
» du; divin Maître, prévenez aussi votre inférieur. Si 
» vous voulez que votre justice soit parfaite, déférez 
» à un subordonné, fléchissez sous un moindre que 
» vous. » Là s’arrête saint Bernard. Il dit encore 


(I) Ps. 35. - (*) Prov. 20. - (3) Ps. 61. 


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116 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

autre part (1) : « Qui peut être réputé juste sans hu- 
» milité? Lorsque le Seigneur se courbait sous la 
» main de Jean-Baptiste, son serviteur, et que celui- 
» ci était saisi de crainte devant une si haute Majesté: 

« Laissez-moi faire , dit Jésus, car c'est ainsi que , vous 
» et moi , devons accomplir toute justice , faisant con- 
» sister la consommation d’une parfaite justice dans 
» une humilité parfaite. L’homme véritablement juste 
» est donc celui qui est humble.» Ainsi conclut saint 
Bernard. 

Or, les humbles montrent évidemment qu’ils sont 
remplis de cette parfaite justice en rendant à chacun 
ce qui lui appartient ; ils ne dérobent rien à per¬ 
sonne, ils rendent la gloire à Dieu et gardent pour 
eux le mépris. Vous comprendrez encore mieux 
celte vérité en considérant quelle est l’injustice de 
l’orgueilleux qui s’attribue les dons de Dieu. Voilà 
ce qu’en dit saint Bernard : « (2) Comme il arrive 
» souvent que les plus grandes grâces deviennent 
» pour nous la source des plus grands malheurs, 
» lorsque, le Seigneur nous les ayant accordées par 
» préférence aux autres, nous usons de ses dons 
» comme si nous ne les tenions pas de lui, et sans 
» en faire remonter à lui toute la gloire; de même 
» ceux que les faveurs célestes font regarder comme 
» étant très-grands, sont indubitablement très-petits 
» aux yeux de Dieu, lorsqu’ils oublient quils les 
» tiennent de lui. Et j’épargne ici votre faiblesse ; 
» car en me servant de ces expressions mitigées: 
» très-grands , très-petits , je n’ai pas rendu toute ma 


(I) Sup. Cant. Serai. 47. - (i) Ser. 84, sup. Cant. 


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117 


III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XVI. 

» pensée. J’ai adouci les traits de l’opposition, je 
» vais les rendre plus saillants; j’aurais dû dire: 
» très-bons, très-mauvais. Sans aucun doute, le meil- 
» leur des hommes en est réellement le plus mauvais, 
» s’il s’attribue les dons qui le mettent au-des3us des 

autres; car cela est abominable. Que si quelqu’un 
j» dit : A Lieu ne plaise que je m’aveugle jusqu’à ce 
» point ; je reconnais, au contraire, que je ne suis rien 
» que par la grâce de Dieu (1); et que, cependant, 
» il s’étudie à s’attirer quelque gloire pour les grâces 
» qu’il a reçues de Dieu, n’est-ce pas là un larron, un 
» voleur? Que celui que cela regarde écoute ce qui 
» suit : (2) Mauvais serviteur, vous prononcez vous - 
» même votre condamnation. Car quoi de. plus abomi- 

* nable qu’un serviteur qui s’approprie la gloire de 
» son Maître? » Voilà les paroles de saint Bernard, 
Elles vous font voir que la justice parfaite consiste 
dans rhumilité; qu’elle ne dérobe point à Dieu l’hon¬ 
neur qui lui est dù; qu’elle ne s'attribue point ce 
qui ne lui appartient pas, et surtout qu’elle ne nuit 
en rien au prochain. Car l'homme humble ne juge 
personne, ne se préfère à personne, se croit inférieur 
à tout le monde et choisit toujours la dernière place. 
Sur quoi le même saint Bernard s’exprime ainsi : 

« (3) O homme! que savez-vous si celui que vous 
» regardez comme le plus méprisable et le plus 
» misérable des hommes, dont la vie excessivement 

* criminelle et affreusement infâme vous fait hor- 
» reur, et que, par tous ces motifs, vous vous croyez 
« autorisé à mettre au-dessous, non-seulement de 


<l) I. Coririt. I?, — (2) Luc. 19. — (3) Serm. 37, sup. Cant. 


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118 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

n vous-même qui vous flattez peut-être de vivre 
d avec sobriété, justice et piété, mais même au-des- 
» sous de tous les scélérats dont il vous parait être 
» le plus abominable; que savez-vous, dis-je, si cet 
» homme ne sera pas un jour, par un changement 
» opéré par la main du Tout-Puissant, meilleur inté- 
» rieurement que ces scélérats et que vous-même? 
» Que savez-vous s’il n’est pas déjà tel. aux yeux de 
» Dieu? Et voilà pourquoi ce grand Dieu nous a dé- 
» fendu de prendre non seulement une place peu éle- 
» vée, mais la pénultième, mais même Tune des 
» dernières; voilà pourquoi il nous dit : « (1) Meltez- 
» vous à la dernière place, » afin que vous parais- 
» siez seul le dernier de tous, et que vous ne soyez 
» pas tenté, je ne dis pas seulement de vous préfé- 
» rer, mais de vous comparer à personne. » 

Saint Bernard recommande encore l’humilité dans 
plusieurs autres passages que nous allons rappor¬ 
ter ( 2 ) : « L’humilité, mes frères, est une grande et 
» féconde vertu qui nous mérite de savoir ce qui ne 
» s’apprend point, qui nous fait acquérir ce que nous 
» ne pourrions par nous-mêmes ajouter à nos con- 
» naissances, qui par le Verbe et sur le Verbe nous 
» rend capable de concevoir des mystères qu’il nous 
» serait impossible d’expliquer par nos propres pa- 
» rôles. 

y> Pourquoi recevons-nous ces faveurs? Ce n’est pas 
» que nous les ayons méritées, mais c’est qu’elles 
» nous ont été accordées par le bon plaisir du Père 
» éternel, du Verbe, l’Epoux de nos âmes, Jésus-Christ 


(I) Luc. I*. — (2) Serm. 85., sup. Cant. 


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JH e PARTIE. — MARDI, CHAP. XVI. 119 

» Notre-Seigneur qui est le Dieu béni au-dessus de 
» tout dans les siècles des siècles. » Saint Bernard, 
dit encore : 

« (l) L’humilité est une vertu qui, par la connais- 
» sance véritable qu’elle nous donne de nous-mêmes 
» noas rend vils à nos propres yeux. » Il dit ailleurs : 
« (2) 11 n’y a que par l’humilité que Ton peut répa- 
» rer les fautes qui blessent la charité. » Et dans un 
autre endroit : « (3) 11 n’y a que l’humilité qui ne 

• se glorifie de rien, qui ne présume de rien, qui ne 

• conteste sur rien. Celui qui est vraiment humble 
» ne soutient pas avec chaleur son opinion, n’a pas 
» la prétention d’ètre plus juste que les;autres. Or 
» l’humilité nous réconcilie avec Dieu qui se plaît à 

• la voir régner dans nos cœurs. » Et autre part : 
« ^4) L’humilité a toujours été la vertu favorite de 
» la divine grâce. C’est sans doute pour nous con- 
» server l’humilité que la bonté divine dispose les 
» événements de telle sorte que plus on fait de pro- 
» grès dans la perfection, moins il semble que l’on 
» avance. Car, lors même que l’on se serait élevé au 
» plus haut degré de la vie spirituelle, il restera en- 
» core quelque chose de l’imperfection du premier 
» degré, de manière qu’à peine croira-t-on avoir 
» franchi ce degré. » Le môme saint Bernard dit 
aussi ; (5) « C’est une belle chose que d’unir ensém- 
» ble la virginité et l’humilité. Et rien n’est plus 
» agréable aux yeux de Dieu qu’une personne dont 
» la virginité est relevée par l'humilité, et dont 

(4) Tract. de12 grad. humil. — (4) Serra. 2. In Nativ. Dom’ni. 
— (3) Ep. ad Henr. Senonens. — (4) Serra. 4, super Missus est. — 
(5) Serm. 7. super Missus est. 


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120 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

»> l’humilité est embellie par la virginité. Mais, je 

* vous le demande, de quelle vénération n’est pas 

* digne celle dont l’humilité est rehaussée par la 
» fécondité, et dont la virginité est consacrée par 
#* la maternité? Voici deux choses admirables : la 
» virginité et l’humilité. Si vous ne pouvez imiter 
» la virginité d’une créature si humble, imitez l’hu- 
» milité d’une vierge si pure. La virginité mérite 
» tous les éloges, mais elle est moins nécessaire que 
» l’humilité. Celle-là est de conseil, celle-ci est de 
» précepte ; on vous invite à la première, on vous 
» oblige à la seconde. C’est de la virginité qu’il est 
» dit : (1) Que celui qui peut s'élever jusque là, s'y 
♦> élève; mais c’est de l’humilité qu’il est écrit : 
» <2) Si vous ne devenez semblables à ces petits enfants, 
» vous n'entrerez pas dans le royaume des deux . On jé- 
» compense la première, on exige la seconde. Enfin, 
» le salut est possible sans la virginité, il est impos- 
» sible sans l’humilité. Je dis même que l’humilité 

* peut encore être agréable à Dieu après qu’elle a 
>> perdu la virginité, si elle déplore cette perte. Et 
» j'ose assurer que, sans l’humilité, la virginité môme 
» de Marie n’aurait pu plaire au Seigneur. (3) Sur 
» qui, dit-il, reposera mon' Esprit, si ce n'est sur celui 
» qui est humble et pacifique ? Donc, si Marie n’eût 
» pas été humble, le Saint-Esprit ne se serait pas 

* reposé sur elle; et s’il ne s’y était pas reposé, elle 
» ne serait pas devenue la Mère de Dieu ; car sans le 
» Saint-Esprit, comment aurait-elle conçu du Saint- 
» Esprit? Or, il est évident, par son propre témoi- 

0) MUth. 19.—(2) Matth.18. -(3) Isaï. 66. 


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121 


III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XVI. 

» gnage, pour qu'elle conçût du Saint-Esprit, (1) le 
» Seigneur a regardé Yhumilité de sa servante, plus 
» encore que sa virginité. H est donc démontré que 
» si sa virginité a été agréable aux yeux de Dieu, 
» c'est indubitablement à son humilité qu'elle en est 
» redevable. Que dites-vous à cela, vierge orgueil- 
» ieuse? Marie oublie qu'elle est vierge et ne parle 
» que de son humilité; et vous qui négligez l’humi- 
» lité, vous vous glorifiez d’être vierge. Dieu , dit Ma- 
» rie, a regardé l'humilité de sa servante ; or, de qui 
s'agit-il? De la Vierge la plus sainte, la plus rete- 
» nue, la plus dévouée à Dieu. Vous croyez-vous plus 
» chaste qu'elle? plus dévouée à Dieu? Votre chas- 
» teté serait-elle, par hasard, plus agréable à Dieu 
» que celle de Marie, pour que, sans humilité, elle 
» pût suffire à plaire à Dieu, lorsque, sans cette vertu 
» la chasteté de Marie a été insuffisante? Enfin, plus 
» le don spécial de la chasteté vous honore, plus vous 
* vous déshonorez lorsque vous ternissez l’éclat que 
» cette vertu.répand sur toute votre vie (2). » 

» (3) La chasteté, la charité, l'humilité, dit encore 
» le même auteur, sont sans éclat, mais elles ne sont 
» pas sans beauté, ni même sans une grande beauté, 

» puisqu’elles peuvent charmer le cœur de Dieu. Et 
» quoi de plus ravissant que la chasteté qui fait d'un 
» être conçu dans l’iniquité un vase d’élection, d’un 
» ennemi un enfant, et d’un homme un Ange? 

» L’homme chaste diffère à la vérité de l’Ange, non 
» par la vertu, mais seulement par la félicité; et tout 


(I) Luc. I. — (2)Ep. 62, vel tract, ad Henr. Senou. Archi. fo 464. 
cap. 3. —. (3) VideBurn. Edit. 4590, p. Horst. et Mabill. 


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122 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» en accordant plus de bonheur à la chasteté de l’un, 

» il faut reconnaître qu’il y a plus de force dans celle 
» de l’autre. C’est la chasteté qui, sur cette terre et 
» dans ce temps de notre mortalité, peut seule nous 
» offrir une image imparfaite de l'état où nous se- 
» rons dans le séjour de la gloire immortelle. Résis- 
» tant seule à l’entraînement qui porte le plus grand 
» nombre des hommes à s’unir par le mariage, elle 
» s’approprie ici-bas l’innocence des heureux habi- 
» tants du ciel qui ne prennent point d’épouse, ne 
» s’unissent point par le mariage, et elle reproduit 
» en quelque sorte les mœurs de la patrie céleste. 

» Mais pendant la vie, semblable à un baume précieux 
» propre à conserver les cadavres et à les préserver 
» de la corruption, la chasteté préserve aussi notre 
» cœur des dangers auxquels sa fragilité l’expose 
» incessamment et le conserve dans une sainteté 
» parfaite. Bile contient nos sens, enchaîne tous nos 
» membres pour les empêcher de se relâcher dans 
» l’oisiveté, de se laisser corrompre par les désirs ou 
» putréfier par les voluptés de la chair. » Saint Ber¬ 
nard ajoute peu après : * Quelqu’éclatante que pa- 
» raisse en elle-même la beauté de la chasteté, 
» elle n’a pourtant aucune valeur, aucun mérite 
» sans la charité. Et cela ne doit pas vous sur* 
» prendre, car, sans cette vertu, que pourraitril y 
» avoir de bon? La Foi? Nullement (1) ; fùt-eUe même 
» assez grande pour transporter des montagnes . La 
» Science? Pas davantage: même quand je saurais 
» parler le langage des Anges . Le Martyre? Pas du 


(I) I. Cor. 13. 


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III e PARTIE. — MARDI/ CHAP. XVI. 12$ 

» tout; quand même j'aurais livré mon corps aux 
» flammes , au point d’être dévoré par elles. Encore 
» une fois, sans elle aucune bonne œuvre n'est rc- 
» çue par Dieu ; et avec elle aucun bien, quelque pe- 
» tit qu’il soit, n’en est jamais rejeté. La chasteté 
» sans la charité est une lampe sans huile; retirez 

* l’huile, la lampe cesse cPéclairer. Otez la charité, 
» la chasteté ne peut plaire à Dieu. » Et saint Ber- 
nard, après beaucoup d’autres réflexions, dit, vers 
le milieu de la môme épitre : « Maintenant, defe 
» trois vertus dont nous nous étions plus haut pro- 
» posé de parler, il ne nous reste plus à traiter que 
» de l’humilité. Et celle-ci est si nécessaire aux deux 
» autres que, si elles n’en sont accompagnées, elles 
» ne peuvent même être considérées comme des ver- 
» tus. C’est assurément par le mérite de l’humilité 
» que nous obtenons d’être chastes ou charita- 
» blés ; (I) car Dieu donne sa grâce aux humbles. C’est 

encore l’humilité qui conserve les vertus dont Dieu 
» nous a favorisés, parce que le Saint-Esprit ne re- 
» pose que sur ceux qui sont doux et humbles (2). 
j» L’humilité perfectionne en nous les vertus dont 

* elle est la gardienne ; car cette perfection s’acquiert 
» dans l’infirmité, c’est-à-dire dans Fhumilité. Celle-ci 
» triomphe de l’orgueil qui est le plus grand obstacle 
» à la grâce et le principe de tous les péchés ; elle 
» repousse loin d’elle et des autres vertus son tyran- 
» niqtie empire. Et comme la vue de quelques bon- 
» nés qualités qui sont en nous accroît ordinairement 
» les forcés de l’orgueil, de même l’humilité devient 


(I) Jac. I. — (2) Isai. 66. 


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124 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

« seule pour toutes les vertus une espèce de forte- 
» resse du haut de laquelle elle repousse fortement 
» toutes les attaques de l’orgueil et nous préserve de 
« la présomption. » 

Dans les citations que je viens de faire, qui sont 
extraites de l’humble et véridique saint Bernard, 
vous avez dû remarquer beaucoup de belles consi¬ 
dérations sur l’humilité. Appliquez-vous en môme 
temps à bien comprendre et à mettre en pratique ce 
qu’il dit, en passant, des autres vertus. Mais il est 
temps de revenir au Baptême de Notre-Seigneur. 
Après donc que saint Jean eut connu la volonté de son 
maître, il obéit et le baptisa. 

Considérez attentivement Jésus dans cette circon¬ 
stance. Voici que le Dieu de toute majesté, comme 
s’il eût été le dernier des mortels, se dépouille de 
ses vêtements, se plonge dans une eau très-froide, 
à l’époque de la saison la plus rigoureuse, et opère 
dans un excès d’amour le salut du genre humain en 
établissant le Sacrement de Baptême et en nous pu¬ 
rifiant de toutes les souillures du péché. C’est donc 
ià qu’il prend pour ses fiancées l’Eglise universelle, 
et surtout les âmes fidèles. Car, nous sommes fian¬ 
cés de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la foi du 
Baptême, suivant ce qu’il dit par la bouche du Pro¬ 
phète : (1) Je vous fiancerai dans la foi. D’où il faut 
conclure que cette solennité et l’œuvre qu’elle nous 
rappelle sont aussi utiles qu’importantes. Voilà pour¬ 
quoi nous chantons que l’Eglise s’unit aujourd’hui à 
i’Epoux céleste, parce que Jésus-Christ l’a purifiée 


(I) Ose. 2 . 


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125 


III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XVI. 

de tous ses péchés dans les eaux du Jourdain. Or, 
dans ce grand événement, la Trinité tout entière se 
manifesta d’une manière particulière. Le Saint-Esprit, 
sous la forme d’une colombe, descendit et se reposa 
sur Jésus; et d'une voix éclatante (1) comme le 
tonnerre, le Père céleste fit entendre ces paroles : 
(2) Voici mon fils bien-aimé en qui j'ai mis toutes mes 
complaisances; écoutez-le. (3) « Seigneur Jésus, 
» reprend saint Bernard, parlez maintenant, votre 
» Pèré vous le permet. O vous qui êtes la vertu et 
» la sagesse de Dieu, combien de temps resterez-vous 
» caché dans la foule obscure comme le plus inca- 
» pable et le plus ignorant des hommes ? Combien de 
» temps, grand Roi, monarque éternel des cieux % 
» souffrirez-vous qu’on vous appelle et qu’on vous 
regarde comme le fils du charpentier? car l’Evan- 
» géliste saint Luc (4) nous assure que, jusque là> 
» Jésus passait pour être le fils de Joseph. O humilité 
» de Jésus-Christ, combien vous confondez mon or- 
» gueil et ma vanité! Je sais peu de chose, ou plutôt 
» je crois savoir quelque chose, et je ne peux garder 
» Je silence, parlant sur tout avec autant d’impudence 
» que d’impudence, ma montrant prompt à parler, 

» empressé à donner les leçons, peu disposé à écouter 
» les autres. Mais, était-ce par crainte delà vaine gloire 
» que Jésus gardait le silence et se tenait caché pen- 
» dant si longtemps? Qu’avait à craindre de la vaine 
» gloire celui qui est la véritable gloire du Père? 
» Oui, sans doute, il avait tout à craindre d’elle, 

(i) Matth. S. - (2) Marc, 4. — (3, Saint Bernard, in Epipft. 
serin. 4. — (4) Saint Luc, 3. 


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126 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» non par rapport à lui, mais par rapport à nous pour 
» qui il savait qu’elle était si redoutable. Il s’en gar- 
» dait pour nous afin de nous instruire. Sa bonche 
* était muette, mais ses œuvres nous parlaient et 
« son exemple prêchait déjà bien haut ce qu’il en- 
»> seigna plus tard par ces paroles : Apprenez de moi 
» que je suis doux et humble de cœur (1). Car on sait 
» peu de chose de l’enfance de Notre-Seigneur, et 
» depuis son enfance jusqu’à sa trentième année on 
» ne trouve absolument rien. Mais celui que le Père 
» céleste a montré à tous les regards d’une manière 
» si éclatante ne peut pas rester plus longtemps 
» caché. » Là finit saint Bernard. 

Et voilà l'autorité que j’ai invoquée dans le chapi¬ 
tre précédent, afin de vous faire comprendre com¬ 
ment Jésus-Christ, pour notre instructions gardé si, 
humblement le silence. Respirez donc le parfum de 
l’humilité qui s’exhale de toutes parts. Je,vous parle 
avec plaisir de cette vertu parce qu’elle est inesti¬ 
mable, que nous en avons un très-grand besoin et 
que nous devons la rechercher avec d’autant plus 
d’empressement, l'aimer avec d’autant plus d’ardeur, 
que Notre-Seigneur s’est appliqué d’une manière 
plus remarquable à la pratiquer dans toutes ses 
actions. 

(4) Mattfa. 44. 


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III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XVII. 


127 


CHAPITRE XVII. 

Jeûne et tentations de Jésus-Christ. — Son retour près de 
sa Mère. — Quatre moyens pour obtenir la pureté du 
cœur. — Plusieurs avantages de l’oraison. — Nécessité de 
combattre la gourmandise. — Pourquoi et pour qui Dieu 
fait des miracles. 

Aussitôt après son Baptême, Notre-Seigneur Jésus- 
Christ alla dans le déserteur une montagne située û 
quatre milles environ, appelée Quarantaine (1) ; il y 
jeûna quarante jours et quarante nuits ; et, selon 
saint Marc (2), il y vivait au milieu des animaux. 
Arrêtez vos regards sur cette montagne, et observez 
attentivement Jésus, car il va vous offrir l'exempte 
de plusieurs vertus. En effet il se retire dans la so¬ 
litude, il jeûne, il prie, il veille, s’étend et prend son 
repos sur la terre nue, et demeure humblement au mi¬ 
lieu des plus vils animaux. Ne lui refusez donc point 
votre compassion, puisque toujours, en tout lieu et 
surtout dans ce désert, il se condamne à une vie si 
pénible et si mortifiée;,et, à son exemple, apprenez 
à vous exercer au travail et à la mortification. Car 
nous allons parler de quatre pratiques de l’exercice 
spirituel, qui s’entr’aident merveilleusement Tune 
l’autre ; à savoir : la solitude, le jeûne, la prière et 
la mortification. Et ces pratiques nous feront parve- 


(I) Matth.4. -(i) Marc, I. 


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126 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

nir à la pureté du cœur; vertu extrêmement désira¬ 
ble, parce qu’elle renferme en quelque sorte en elle 
toutes les vertus, la charité, Thumilité, la pa¬ 
tience, etc., et qu’elle éloigne de nous tous les vices : 
car où règne le péché et où manque la vertu, la pu¬ 
reté du cœur ne peut subsister. Voilà pourquoi il est 
dit, dans les Conférences des saints Pères, (1) qu’un 
religieux doit s'appliquer continuellement à acquérir 
la pureté du cœur ; c’est en effet par là que l’homme 
mérite de voir Dieu, suivant ces paroles de l’Evangile : 
(2) Bienheureux ceux qui ont le cceur pur, car ils 
verront Dieu . Et selon saint Bernard, « plus on est 
» pur, plus on s’approche de Dieu. Dope la parfaite 
» pureté c'est la parfaite union avec Dieu. » Pour 
obtenir cette vertu, rien n’est plus efficace que la 
prière fervente et assidue sur laquelle nous allons 
bientôt vous donner les instructions les plus éten¬ 
dues. Mais, avec l’intempérance, les excès de la 
table, la mollesse ou l’oisiveté, la prière est peu 
utile. Voilà pourquoi on conseille' d'y joindre le jeûne 
et une mortification discrète; car, poussée à l’excès, 
elle serait un obstacle à tout bien. 

Enfin, comme complément des vertus dont nous 
venons de parler, la solitude me paraît indispen¬ 
sable. En effet, on ne prie pas comme il faut au 
milieu du bruit et du tumulte, et il est difficile de 
voir et d’entendre beaucoup de choses sans se souil¬ 
ler et sans offenser Dieu, car la mort pénètre par 
les sens dans nos âmes. Ainsi, à l’exemple du Sei¬ 
gneur, retirez-vous dans la solitude, c’est-à-dire, sé- 


(4) Cassian. Collât. 4, caput 7. — (2) Mattb. 


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III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XVII. 129 

parez-vous autant que vous le pourrez de la société 
des hommes, et vivez solitaire si vous voulez être uni 
à Dieu et mériter, par la pureté du cœur, de le voir 
sans ombre et sans nuage ; fuyez aussi les conversa¬ 
tions, surtout avec ceux qui vivent dans le monde • 
ne recherchez pas les dévotions extraordinaires et 
les nouveaux amis ; fermez vos yeux et vos oreilles 
aux fantômes de la vanité, et évitez comme la peste 
et comme l’ennemi le plus redoutable de votre âme 
tout ce qui peut troubler le recueillement de votre 
esprit et la tranquillité de votre cœur. Car ce n’était 
pas sans raison que les saints Pères allaient s’ense¬ 
velir dans la profondeur des forêts et dans les lieux 
les plus inaccessibles à tout commerce avec les 
hommes. Ce n’était pas non plus sans cause qu’ils 
recommandaient à ceux qui s’étaient retirés dans les 
monastères d’être a. eugles, sourds et muets. 

Mais pour mieux comprendre ceci, écoutez ce que 
dit saint Bernard ( 1 ) : « Pour vous, dit-il, si vous êtes 
» docile aux mouvements qu’excite en vous le Saint- 
» Esprit , et si vous recherchez avec ardeur les 
* moyens de faire de votre àme une épouse de Jésus- 
» Christ(2), asseyez-vous, comme dit le Prophète, 
» dans la solitude ; car vous vous êtes élevé au-des- 
» sus de vous-même, en désirant vous unir au Sei- 
» gneur des Anges. En effet, n’est-il pas au-dessus de 
» l’hommè de s’attacher à Dieu, et de n’avoir avec 
» lui. qu’un même esprit? Soyez donc solitaire 
» comme la tourterelle. Qu’il n’y ait rien de commun 
» entre vous et la foule, entre vous et le commun 


<1) Ber. Serm. 40 super Cant. — ( 3 ) Thren. 3. 

9 


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130 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 


* des hommes; (l) oubliez même votre pays et la 
» maison de votre père, et le Roi sera épris de votre 
» beauté. 0. Ame sainte, soyez solitaire pour vous 
» conserver à Tunique Epoux que vous avez choisi 
» entre mille ; fuyez le monde, fuyez votre famille ; 
» retirez-vous de vos amis et de vos plus intimes, et 
» même des plus dévoués à votre service. Ne savez- 
» vous pas que votre Epoux est timide et réservé, 
» et que c’est sans témoin qu’il veut vous accorder 
» la faveur de sa présence? Retirez donc du monde, 
» non votre corps, mais votre cœur, votre volonté, 
3 vos affections, votre esprit. Car il y a devant vous 
» un Esprit, le Christ, le Seigneur, et il exige, non la 
» solitude de votre corps, mais celle de votre esprit. 
« Toutefois, quand vous le pourrez, il ne vous sera 
3 pas mutile, particulièrement au temps de l’oraison, 
» de vous séparer quelquefois corporellement du 
» monde. » Saint Bernard dit plus bas : « Vous êtes 
» solitaire, si vous ne pensez point aux choses de la 
» terre, si vous n’avez point d’affection pour les cho- 
» ses présentes, si vous méprisez ce qu’estime le 
» commun des hommes, si vous n'avez que du dé- 
» gotit pour ce que tout le monde désire, si vous évi- 
3 tez les disputes, si vous êtes indifférent à la perte, 

* si vous pardonnez les injures. S’il en est autrement, 
» vous n’êtes pas solitaire même en pratiquant la 
» solitude corporelle. Ne comprenez-vous donc pas 
3 que vous pouvez être seul au milieu d’une grande 
3 assemblée, et trouver une nombreuse compagnie 
3 au sein même de la solitude? Souvenez-vous que 

(i)Psal. W. 


y Google 



13! 


III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XVII. 

» tous êtes seul, quel que soit le nombre de ceux qui 
» vous environnent, pourvu que, dans vos rapports 
» avec les autres, vous vous gardiez d’être un obser- 
» vateur trop curieux, ou un juge trop téméraire. » 
Ainsi parle saint Bernard. 

Vous voyez combien la solitude vous est néces¬ 
saire, et que celle du corps est insuffisante si l’on n’y 
joint celle de l’esprit ; mais pour parvenir à cette 
dernière, il faut que la première soit très-profonde, 
afin que l'Ame ne se répande* pas au dehors, et 
qu’elle puisse se recueillir avec son déleste Epoux. 
Efforcez-vous donc de tout votre cœur et de tout 
votrepouvoir d’imiter Jésus votre Seigneur et votre 
Epoux dans la solitude, dans l’oraison, dans le jeûne 
et dans une discrète mortification des sens. 

Mais, en voyant Jésus demeurer au milieu des plus 
vils animaux, apprenez à vivre humblement au mi¬ 
lieu des hommes et à supporter avec patience ceux 
même qui vous paraissent quelquefois les plus dé¬ 
raisonnables. Allez souvent aussi en esprit visiter 
votre Maître dans sa solitude. Voyez comment il y 
demeure pendant le jour, comment il prend durant 
la nuit son repos sur la terre. Une âme fidèle devrait, 
au moins une fois par jour, lui rendre visite, surtout 
depuis l’Epiphanie jusqu’à la fin des quarante jours 
qu’il passa dans le désert. 

Après quarante jouis, Jésus ressentit la faim. 
Alors, le tentateur s’approcha de lui, voulant s’assu¬ 
rer s’il étai fie Fils de Dieu, et il le tenta par la gour¬ 
mandise, en disant : (f) Si vous êtes le Fils de Dieu , 

(I)"Saint Matth. 14. 


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432 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

commandez que ces pierres deviennent des pains. Mais 
il ne put surprendre le Maître de la sagesse. En effet, 
ses réponses et sa conduite furent si prudentes qu’il 
ne succomba point à la tentation de gourmandise, et 
que son ennemi ne put pénétrer le secret qu’il vou¬ 
lait découvrir; car Jésus ne nia point, ne déclara 
point qu’il était .le Fils de Dieu, mais il confondit son 
adversaire .par l’autorité de l’Ecriture. Et ici, appre¬ 
nez, par l’exemple de Jésus, combien il importe de 
résister à la gourmandise; car, si nous voulons 
triompher de nos passions, c’est par celle-là qu’il 
faut commencer. On observe, en effet, que celui qui 
est esclave de ce vice devient impuissant à combattre 
les autres. Et voilà ce que dit, sur ce passage, le com¬ 
mentateur de saint Matthieu : « Si l’on ne réprime 
» avant tout la gourmandise, on ne fera contre les 
» autres vices que des efforts inutiles. » 

Le Diable prit ensuite Jésus et le transporta à Jéru¬ 
salem, éloignée de là d’environ dix-huit milles. (Les 
distances de lieu dont je parle souvent dans cet ou¬ 
vrage, m’ont été indiquées par des personnes qui ont 
visité ces contrées.) Considérez, ici, la bonté et la pa¬ 
tience de Notre-Seigneur. Il se laisse toucher et por¬ 
ter par cette bête cruelle qui était altérée de son 
sang et de celui de tous ceux qui l’aimaient. Le dia¬ 
ble l’ayant porté sur le pinacle du temple, renouve¬ 
lant les tentatives qu’il avait déjà faites pour savoir 
ce qu’était Jésus, le tenta par la vaine gloire ; mais 
il fut encore vaincu par l’autorité de la sainte Ecri¬ 
ture et trompé dans ses espérances. Et dès lors (1), 


(I) Serin. 4, in die S. Fasch. 


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III e PARTIE. — MARDI, CHÀP. XVII. 133 

selon saint Bernard, Notfe-Seigneur n’ayant en rien 
manifesté sa divinité, fit croire à son ennemi qu'il 
était un homme ; Satan le tenta une troisième fois 
comme s’il n’eût été que cela. Le reprenant donc, il 
le transporta encore sur une montagne élevée, située 
à deux milles de celle dite de la Quarantaine ; et alors 
il le tenta d'avarice. Mais là, celui qui fut homicide 
dès le commencement, fut vaincu pour la troisième 
fois. 

Vous venez de voir comment le Seigneur Jésus 
permit au démon de le toucher et de le tenter. Vous 
étonnerez-vous donc de ce que nous soyons nous- 
mêmes exposés à la tentation? Jésus fut encore tenté 
plusieurs autres fois. Ce qui fait dire à saint Ber¬ 
nard : « (1) Celui qui croit que Jésus ne fut pas tenté 
» plus de trois fois ne connaît point ces paroles cle 
» l’Ecriture : (2) La vie de l'homme sur la terre est une 
» continuelle tentation . » Et suivant l’Apôtre : « (3) Jé- 
» sus a été comme nous exposé à toutes les tentations , et 
» sujet à toutes nos misères , à l'exception du péché. » 

Après donc qu’il eut triomphé du démon, les An¬ 
ges s’approchèrent de lui et ils le servaient. Obser¬ 
vez ici, avec une sérieuse attention, Notre-Seigneur 
prenant seul sa nourriture au milieu des Anges, et 
appliquez-vous aux considérations suivantes qui sont 
pleines d’intérêt et d’édification. Et d’abord je me 
demande quels aliments les Anges purent offrir à 
Notre-Seigneur après un si long jeûne? L’Ecriture 
n’en dit rien; Mais nous pouvons, comme il nous 
conviendra, ordonner ce repas avec une raagnifi- 


(I) Serin. 14, in psalm. Qui habitat. — (2) Job, 7. — (3) Hcbr à. 


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184 MÉDITATIONS SUR LÀ VHE DE N.-S. J.-C. 

cence digne du vainqueur de Satan. El même, si 
nous considérons sa puissance, il n’y a plus rien à 
chercher, parce que Jésus pouvait à son gré ou tirer 
du néant, ou se procurer parmi les choses créées, 
tout ce qu’il aurait voulu. Mais on ne voit pas qu’il 
ait fait usage de oetle puissance, soit pour lui, soit 
pour ses disciples ; il n’y eut recours qu’en faveur 
d’une foule immense de peuple qu’il nourrit deux 
fojs avec quelques pains. A la vérité, on lit dans 
l’Evangile, qu’en sa présence, (1) ses disciples pressés 
par la faim arrachaient des épis pour s’en nourrir . Et 
lorsque, (2) fatigué d’une longue route* Jésus s’as¬ 
seyait au bord du puits de Jacob et s’y entretenait 
avec la Samaritaine, on ne Ut pas qu’il ait fait usage 
de la puissance créatrice pour se procurer de la nour¬ 
riture, mais qu’il envoya ses disciples en chercher 
dans la ville voisine.lt il n’est donc pas vraisemblable 
que Jésus ait fait ici un miracle, parce qu’il n’en 
opérait jamais que pour l’édification des autres, et en 
présence de plusieurs personnes ; or, il n’y avait là 
d’autres témoins que les Anges. 

Quelle idée pourrons-nous donc concevoir de ce 
repas? Car, dans ce désert, on ne pouvait trouver 
ni habitation ni aliments arrêtés; mais les Anges 
lui en servirent qui avaient été préparés ailleurs, 
ainsi qu’il arriva à Daniel (8). En effet, au moment 
où le prophète Habacuc préparait un plat pour ses 
moissonneur?, l’Ange du Seigneur le saisit par les 
cheveux et le transporta de la Judée à Babylone pour 
y nourrir Daniel, après quoi il le reporta en un mo- 


(I) S. Matth. 14. - (2) Joani 6. — (3) Dan. 14. 


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III e PARTIE. — MARDI, CHAP. XVII. 135 

ment où il l’avait pria. Tenons*nous-en donc là, 
ayons recours au même moyen, prenons avec Notre- 
Seigneur part à la joie de son festin, et puisse l’ex¬ 
cellente Mère de Jésus se réjouir avec nous et du 
festin , et de la victoire de son Fils! Or, nous pou¬ 
vons, avec autant de piété que de dévotion, nous fi¬ 
gurer ainsi qu’il suit ce qui se passa dans cette cir¬ 
constance. 

Dés que Notre-Seigneur Jésus-Christ eût chassé 
Satan loin de lui, les Anges s’approchèrent en grand 
nombre, et, pour l’adorer, ils se prosternèrent en di¬ 
sant : « .Salut, ô Seigneur Jésus, notre Dieu, notre 
souverain Maître ; » Jésus, inclinant la tète, les reçut 
avec bienveillance et humilité, se souvenant qu’en 
qualité d’homme il était un peu au-dessous des 
Anges. « Seigneur, demandèrent les Anges, que vou¬ 
lez-vous que nous vous servions après un si long 
jeûne? » Jésus répondit : « Allez trouver ma Mère 
bien-aimée, et si elle a.quelque chose à me donner, 
apportez-le ; car aucune nourriture ne m’est aussi 
agréable que celle qu’elle m’a préparée. » Alors deux 
Anges traversant rapidement l’espace, furent en un 
moment auprès de Marie; Tayaut respectueusement 
saluée, ils s’acquittent de leur message et empor¬ 
tent, avec le maigre potage qu’elle a préparé pour 
elle et pour Joseph, du pain, une nappe et les autres 
choses nécessaires; peut-être Marie ajouta-t-elle 
aussi quelques petits poissons, autant que cela lui 
fut possible. De retour auprès de Jé?us,'ils déposent 
tout à terre, et font solennellement la bénédiction 
de la table. 

Mais, ici, observez soigneusement toutes les actions 


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136 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

du divin Maître; il s’assied sur la terre avec une di¬ 
gnité modeste; la sobriété préside à son repas ; en¬ 
touré de ses Anges, il est servi par eux. L’un lui pré¬ 
sente du pain, l’autre du vin, un troisième lui offre 
du poisson, et les autres chantent en chœur les can¬ 
tiques de Sion et se réjouissent en sa présence 
comme en un jour de fête. Au milieu de cette fête, 
les Anges éprouvent, s’il est permis de parler ainsi, 
une grande compassion qui devrait aussi nous arra¬ 
cher des larmes. (1) Leurs regards sont respectueu¬ 
sement fixés sur Jésus, et, en voyant leur Seigneur, 
leur Dieu, le Créateur de l’univers, qui pourvoit au 
besoin de tout ce qui respire, réduit à un état si hu¬ 
miliant, manquant du nécessaire et se nourrissant 
comme le dernier des hommes, ils ne peuvent se dé¬ 
fendre d’une compatissante émotion. Et si vous arrê¬ 
tiez vous-même les yeux sur ce spectacle, pourriez- 
vous ne pas vous écrier : « Seigneur, que vos œuvres 
sont grandes! elles me remplissent d’unë sainte 
frayeur; aidez-moi à supporter quelque chose pour 
vous qui avez tant et si cruellement souffert pour 
moi. » Certes, cette seule considération devrait suf¬ 
fire à vous enflammer d’amour pour Jésus. 

Enfin, après son repas, il commande aux deux 
Anges de reporter tout à sa Mère et de lui dire 
qu’il se rendrait bientôt près d’elle. Dès qu’ils fu¬ 
rent revenus, Jésus dit à tous les Anges : « Retour¬ 
nez a mon P^ère et au séjour du vrai bonheur ; pour 
moi, il faut que je vive encore en exil; mais, je vous 
en prie, recommandez-moi à mon Père et à toute la 


(l)Ps. 85. 


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137 


III e PARTIE. — MARDI-, CHAP. XVII. 

. cour céleste. » Les Anges se prosternent, demandent 
et reçoivent la bénédiction de Jésus, puis ils retour¬ 
nent au ciel leur patrie, accomplissent les ordres de 
leur divin Maître et remplissent toute la cour céleste 
du bruit de sa victoire et des choses prodigieuses 
qu'il venait d’opérer. 

Or, Notre-Seigneur, voulant retourner à sa Mère, 
descendit aussitôt de la montagne. Suivez-le encore 
en esprit dans ce voyage. Et en voyant cheminer 
ainsi nu-pieds et sans escorte le Maître du monde, ne 
lui refusez pas une vive compassion. Il arrive au 
Jourdain, et saint Jean qui le voit se diriger vers lui, 
le désignant du doigt à ses disciples, s’écrie (i): 

« Voici VAgneau de Dieu , voici celui qui efface les pé- 
du monde; c’est sur lui que j'ai vu le Saint-Esprit se. 
reposer au moment où je le baptisais. » Un autre 
jour, l’ayant encore vu se promener sur le bord du 
Jourdain, il répéta : « Voici l'Agneau de Dieu. » Alors 
André, accompagné d’un autre disciple de saint Jean, 
se mirent à suivre Jésus. Ce bon Maître, qui désirait 
ardemment leur salut, afin de leur inspirer une 
grande confiance en lui, se tourne vers eux et leur 
dit : « Que cherchez-vous ? Ils répondirent : Maître , , 
où demeurez-vous ?» Et Jésus les conduisit à la mai¬ 
son où il se retirait dans ces contrées ; ils y passè¬ 
rent un jour avec lui. Puis André conduisit Simon son 
frère à Jésus qui le reçut avec plaisir; car il savait 
déjà à quoi il le destinait, et il lui dit : « Désormais on 
vous appellera Céphas ; » et c’est ainsi qu’il commença 
à s’en faire connaître et se familiariser avec eux* 


(I) Joan. I. 


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188 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N^S. 4.-C. 

Notre-Sdgneur, ayant ensuite le dessein de retour- . 
ner en Galilée près de sa Mère, quitta les bords du 
Jourdain et se mit en marche. Maintenant, considé¬ 
rez-le encore avec un tendre intérêt, et accompa- 
gnez-le dans son voyage ; car, suivant sa coutume, 
il fait seul, nu-pieds, une longue route de quatorze 
milles. A son arrivée, sa Mère le reconnaît, et, pleine 
d’une inexprimable joie, elle se lève, se précipite à 
sa rencontre, le serre affectueusement entre ses 
bras. Jésus la salua respectueusement, ainsi que Jo¬ 
seph, son nourricier, et demeura près d’eux comme 
il l’avait fait avant son départ. 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CHÀP. XVIII. 139 


QUATRIÈME PARTIE. 

(■BBCBBDI.) 


CHAPITRE XYIII. 

lésas ouvre dans la Synagogue le livre du prophète Isaïe. 

Jusqu’ici, par la grâce de Dieu, nous üfcmfi esquissé 
la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ en suivant 
Tordre des temps, n’omettant rien ou presque rien 
de ce qui lui est arrivé ou de ce qu’il a fait. Mais 
notre intention n’est pas de continuer ainsi ce qui 
nous reste à dire. Car il serait beaucoup trop long de 
raconter, sous la forme de méditations, toutes ses 
paroles et toutes ses actions. Et ce qui, surtout, nous 
détermine à abréger ce récit, c’est, qu’à l’exemple 
de sainte Cécile, nous devons mettre tous uos seins à 
eonserverjoujours, dans le fond de notre cœur,Je 
souvenir des actions de Jésus-Christ. Contentons-nous 
donc de choisir pour le sujet de nos méditations ha¬ 
bituelles, quelques-unes des actions qu’il a faites de¬ 
puis sou retour en Galilée jusqu’à sa Passion; car, 
depuis cette dernière époque, il n’y a plus rien à re¬ 
trancher. Toutefois ce que nous omettrons ne doit 
pas être tellement négligé que nous n’eu fassions 
aussi, en temps et lieu, l’objet des plus sérieuses ré- 


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140 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

flexions. Ainsi nos méditations ne seront désormais 
développées que rarement. Car je crois qu’il vous 
suffira d’arrêter un moment vos pensées sur quelque 
parole ou quelqu’action de Jésus et de vous en en¬ 
tretenir familièrement avec lui. 

En effet, il mé semble que les plus pures jouissan¬ 
ces, la dévotion la plus solide, et presque tout le 
fruit de ces méditations consistent à l’observer sans 
cesse, en tous lieux et avec une pieuse attention, 
dans chacune de ses actions, lorsqu’il est avec ses 
disciples, lorsqu’il se trouve avec les pécheurs, lors¬ 
qu’il s’entretient avec eux, lorsqu’il annonce aux 
peuples le royaume de Dieu, lorsqu’il marche ou 
qu’il se repose, lorsqu’il dort ou qu’il veille, lorsqu’il 
prend sa nourriture ou qu’il la donne aux autres, 
lorsqu’il guérit les malades ou qu’il fait quelques 
autres œuvres miraculeuses. Dans toutes ces circon¬ 
stances et dans toutes celles qui leur ressemblent, 
remarquez ses mouvements, vous appliquant sur¬ 
tout à contempler l’air et l’expression de son visage, 
s’il vous est possible de vous en faire une juste idée, 
ce qui me parait plus difficile encore que de vous x 
représenter tout ce que nous avons dit précédem¬ 
ment, et redoublez d’attention, s’il daigne quelque¬ 
fois jeter sur vous un regard de' bonté. Revenez à 
cette pratique et suivez ce conseil dans tout ce qui 
me reste à vous dire, dans tous les récits que j’ai en¬ 
core à vous faire ; et si, par la suite, je ne donne 
pas à chacune des méditations d’autres développe¬ 
ments, si je les néglige entièrement, recourez à cette 
méthode et elle vous suffira. Reprenons donc la nar¬ 
ration de ce qui nous reste à dire. 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XVIII. 141 

De retour après son Baptême, Jésus, le Maître de 
l’humilité, vivait aussi humblement qu’il l’avait fait 
auparavant ; pourtant il commença à se manifester 
peu à peu à quelques personnes qu’il instruisait et 
exhortait en secret. Car on ne dit pas qu’il ait exercé 
en public le ministère de la prédication dans tout le 
cours de l'année qui suivit son Baptême, c’est-à-dire 
jusqu’au miracle des noces de Gana, qu’il fit au jour 
même où un an auparavant il^vait été baptisé. Et 
s’il parlait quelquefois en public, si ses disciples ad¬ 
ministraient le Baptême, cependant, avant l’empri¬ 
sonnement de saint Jean, la prédication ne fut exer¬ 
cée ni par Jésus, ni par les siens, et x en agissant ainsi, 
Jésus nous donnait l’exemple d’une admirable hu¬ 
milité, puisqu’il montrait à saint Jean, infiniment in¬ 
férieur à lui dans le ministère de la prédication, cette 
humble déférence que les détails précédents ont pu 
faire supposer ou découvrir à votre piété. Ce ne fut 
donc point avec pompe, avec éclat qu’il commença 
son œuvre, mais humblement et peu à peu. 

Etant un jour de Sabbat dans la Synagogue avec 
quelques Juifs (1), Jésus se leva pour lire dans le 
livre du prophète Isaïe, et il tomba à l’endroit où se 
trouvaient ces paroles : (2) L’Esprit du Seigneur est 
sur moi , c’est pourquoi j’ai été consacré par son onction, 
et il m’a envoyé prêcher l’Evangile aux pauvres . Alors, 
après avoir fermé le livre, il dit: Les paroles que 
vous venez d’entendre reçoivent aujourd'hui leur accom¬ 
plissement. Voyez donc .avec quelle humilité Jésus, 
remplissant les fonctiobs de lecteur, d’uu air calme 


(I) Luc; I.— (S)IsaI. 61. 


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142 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

et doux, lit et explique l’Ecriture à ceux qui Ten- 
tourent. Remarquez avec quelle humilité il se fait 
çonnaltre en disant : Ce qui est écrit dans ce livre s'ac¬ 
complit aujourd'hui; c'est-à-dire , je suis celui dont 
parle Isaïe. Et la puissance de ses paroles, son air 
humble et gracieux attiraient à lui tous les regards; 
car Jésus fut le plus aimable comme le plus éloquent 
des enfants des hommes. Et lé prophète avait fait 
connaître cette douWe prééminence par ces paroles : 
(1 ) Ole plus beau des enfants des hommes! la grâce est 
répandue sur vos lèvres ! 


CHAPITRE XIX. 

De la vocation des disciples. 

Alors le Seigneur Jésus commença à appeler ses 
disciples et à montrer toute sa sollicitude pour le sa¬ 
lut des hommes, sans rien perdre de son humilité. Et 
il appela Pierre et André en trois différentes fois (2). 
La première, comme nous l’avons dit précédemment, 
lorsque Jésus était près du Jourdain et qu’alors ces 
deux disciples eurent quelque connaissance de ce 
qu’il était (a). La seconde, aur la barque, lors de la 
pèche dont parle ^aint Luc. Car, à l’instant, ils sui¬ 
virent Jésus avec l’iatention de retourner à ce qu’ils 
possédaient ; cependant ils commençèrent dès lors à 


(I) P«. 44. — (2) Joann 4. - ( 3 ) Luc. 5. 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XIX. 143 

s’instruire de sa doctrine. La troisième fois, enfin, 
sur la barque dont parle saint Matthieu, lorsque 
Jésus leur dit(l) : Sufvez-moi, je vous ferai •pécheurs 
d’hommes. Sur quoi ils laissèrent leurs filets et le sui¬ 
virent. Il appela aussi Jacques et Jean, aux deux der¬ 
nières fois déjà citées, et on fait mention de ceux-ci 
aux mêmes endroits où il est parlé de Pierre et 
d'André. Saint Jérôme rapporte que Jean fut aussi 
appelé au moment des noces de Cana (2). On n’en 
voit rien pourtant dans l’Evangile. Jésus appela en¬ 
suite (3) Philippe en disant : Suivez-moi ;.puis (4) Mat¬ 
thieu le Publicain. Mais on ignore comment il appela 
les autres disciples. 

Considérez Notre-Seigneur dans les vocations pré¬ 
cédentes et dans sea rapports avec les Disciples; ob¬ 
servez avec quelle bonté il les appelle ; quelle affa¬ 
bilité, quelle familiarité, quels égards il leur mon¬ 
tre ; par' quels moyens intérieurs et extérieurs il les 
attire ; comment encore il les conduit chez sa Mère, 
et avec quelle intimité il va les visiter chez eux. 
Jésus leur donnait les enseignements, le3 instruc¬ 
tions et les soins particuliers qu’une mère a coutume 
de prodiguer à son fils unique. Saint Pierre racon¬ 
tait, dit-on, que, lorsque Jésus prenait quelque part 
son repos avec ses disciples, il se levait la nuit et 
qu’il recouvrait ceux d’entre eux qu’il trouvait dé¬ 
couverts, tant son amour était tendre ! Car il savait 
à quoi il les destinait ; et, quoiqu’ils fussent de con¬ 
dition obscure et de basse extraction, il voulait en 


(I) Matth. — (8) Heronym. pr*f. in Joann. — (3) Joan. #. — 
(*) Matth. 9. 


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144 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

faire les princes de ce monde et leur conlier la con¬ 
duite de cette guerre spirituelle que les fidèles al¬ 
laient bientôt avoir à soutenir. Et, au nom de Dieu, 
remarquez quels furent les commencements de l’E¬ 
glise. Car Notre-Seigneur ne voulut appeler ni les 
sages, ni les puissants de ce monde, afin qu’on n’at¬ 
tribuât pas à leur mérite la gloire de leurs œuvres; 
mais celte gloire il l’a réservée pour lui-môme, et 
notre rédemption fut uniquement l’ouvrage de sa 
bonté, de sa puissance et de sa sagesse. 


CHAPITRE XX. 

L’eau changée en'vin aux noces de Cana. 

Quoique, selon ce que dit Le Maître dans VHis¬ 
toire scolastique , on rie sache pas positivement quel 
était l’épôux des noces de Cana en Galilée, nous pou¬ 
vons cependant supposer que ce fut saint Jean l’E¬ 
vangéliste, comme on le voit dans le prologue sur 
saint Jean, où saint Jérôme semble l’affirmer. Ce ne 
fut pas comme étrangère que Marie fut invitée à ces 
noces, mais parce qu’elle l’emportait sur ses sœurs 
par son éminence, sa dignité et son âge. Elle faisait 
chez sa sœur ce qu’elle eût fait dans sa propre mai¬ 
son, elle présidait au festin des noces, elle réglait 
tous les apprêts; c’est ce que nous pouvons conclure 
de trois circonstances. D’abord, de ce qu’au sujet des 
noces, il est dit de Marie qu’elle était là; de Jésus et 


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145 


IV e PARTIE. — MERCREDI, CHÀP. XX. 

de ses disciples, qu’ils y étaient invités, ce qu’il faut 
entendre aussi de toutes les personnes qui se trou - 
vaient en ce lieu. Marie de Saloméfc, sa sœur, femme 
de Zébédée, étant donc allée la trouver à Nazareth, 
située à environ quatre milles de Cana, lui dit qu’elle 
voulait faire les noces de Jean, son fils ; Marie partit 
avec elle quelques jours auparavant pour faire les 
préparatifs ; de sorte qu’elle était déjà là quand les 
conviés y vinrent. Secondement, on peut tirer la 
môme conclûsion de ce que Marie s’aperçut que le 
vin manquait, d’où il résulte qu’elle n’était pas là 
comme l’une des personnes invitées, mais comme 
chargée de tout diriger, et voilà pourquoi elle vit 
que le vin manquait. En effet, si elle eût été à table 
avec les convives, peuf-on supposer que celle que 
l’on appelle la Mère très-pure, se fût placée près de 
son Fils au milieu des hommes ; et, si l’on veut qu’elle 
eût été parmi les femmes, pourquoi aurait-elle re¬ 
marqué plutôt qu’une autre que le vin manquait? Et 
si elle y eût fait attention, aurait-elle quitté là table 
pour aller trouver son Fils? Inconvenances de toutes 
parts. Et, d’ailleurs, il est vraisemblable qu’elle no¬ 
tait point à table avec les conviés, parce qu’on sait 
qu'elle était très-disposée à servir les autres. Troi¬ 
sièmement, enfin, la preuve que Marie présidait an 
feslin se tire encore de l’ordre qu’elle donna à ceux 
qui servaient d’aller trouver son Fils et de faire tout 
ce qu’il leur prescrirait. On veut donc que Marie 
commandait et qu’elle réglait tout ce qui était rela¬ 
tif au festin des noces, et voilà d’où vient l’inquié¬ 
tude où elle fut d’y voir manquer quelque chose. 

Suivant ces explications, voyez donc Notre Sei- 

10 


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14G MÉOITATJOKS SliH LA VIE DE N.-S. J.-Cl 

gneur Jésus-Christ confondu, comme uu homme or¬ 
dinaire, avec les autres convives, assis à la dernière 
place, et, par conséquent, loin des personnes les plus 
honorables, comme on le voit dans l’Evangile. Bien 
différent des orgueilleux, il ne recherchait pas les 
premières places dans les festins, Celui qui devait 
dire un jour (l) : • Lorsque vous serez invités à des 
noces, mettez-vous à la dernière place; » et Ton sait 
que Jésus donnait toujours l’exémple avant la leçon. 

Voyez aussi Marie prévenante, active, attentive à 
tout ce qu’elle doit faire, donnant à ceux qui ser¬ 
vent ce qu’il faut porter aux convives et leur indi¬ 
quant la place où il convient de le mettre. Et lors¬ 
que, vers la fin du repas, les gens de service vinrent 
lui dire : Nous n’avons plus de vin à leur donner, 
Marie leur répondit : Je vous en ferai avoir, atten¬ 
dez un mçment. Puis allant trouver son Fils humble¬ 
ment placé, comme je l’ai dit, au bout de la table, 
près de la porte de la chambre, elle lui dit (2) : Mon 
Fils, ils manquant de vin ; notre sœur est pauvre et 
je ne sais comment nous pourrons en avoir; Jésus 
répondit ; Femme, qu'y a-t-il entre vous et moi? 

Cette réponse paraît dure, mais elle est faite pour 
notre instruction, suivant saint Bernard, qui, à ce 
sujet, s’exprime ainsi (3): a Qu’y a-t-il, Seigneur, 
» entre vous et elle? N’est-ce pas ce qu’il y a entre 
» un fils et sa mère? Vous demandez ce qui lui ap- 
» partient en vous, et vous êtes le fruit béni de son 
» sein immaculé? N’est-ce pas elle qui vous a conçu 
» et enfanté avec une pureté si admirable? N est-ce 


(I) Luc, 14. — (2) Joann. S. — (3) Serra. 2, in Dom. ♦ post Epiph. 

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IV e PARTIE. — MERCREDI , CHAP. XX. 147 

* pas elle dont les entrailles sacrées vous ont ren- 
» fermé pendant neuf mois? dont le sein virginal 
» vous a allaité? N’est-ce pas avec elle qu’à l'âge de 

* douze ans vous êtes revenu de Jérusalem? N’est-ce 
» pas à elle que yous étiez soumis? Maintenant, Sei- 
» gneur, pourquoi donc l’affliger en lui demandant 
» ce qu’il y avait entre elle et vous? Certes, elle avait 
» avec vous de grands et de nombreux rapports. 
r Mais je conçois aujourd’hui que ce ne fut ni par 
» impatience, ni par l’intention de déconcerter sa 
» tendre et timide confiance, que vous avez dit ; 
». Qu’y art-il entre vous et moi? puisque vous vous 
» empressez de faire sans aucun délai ce que votre 
» Mère vous suggéra par les gens de service qui s’a- 
» dressèrent à vous de sa part. Mais, je vous le de- 
» demande, mes frères, pourquoi Jésus avait-il com- 
» mencé par une telle réponse? C’était pour nous 
», apprendre qu’après nous être consacrés au service 
» de Dieu, nous devons nous dégager de toute in- 
*> quiète sollicitude à l’égard de nos parents selon la 
» la chair, de peur que ces liaisons ne soient un 
» obstacle à nos exercices spirituels. Car, tant que 
» nous sommes dans le monde, nous nous devons 
» incontestablement à nos parents ; mais, après nous 
» être quittés nous-mêmes, nous sommes bien plus 
» quittes encore de toute sollicitude à leur égard. Et 
» à ce propos nous lisons (dans la vie des Pères du 
» désert) qu’un ermite, visité par l‘un de ses frères 
» selon la chair, qui venait lui demander quelque 
» service, lui dit d'aller trouver un autre de leur 
» frère depuis longtemps décédé ; sur quoi, le visi- 
» teur, plein d'étonnement, ayant répondu que ce 


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148 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» frère était mort, Termite répliqua que lui-méme 
» était égalemerit mort. Le Seigneur nous apprend 
» donc admirablement ici que nous devons toujours 
p préférer ce que la religion exige de nous, aux 
» sollicitudes que réclament nos parents selon la 
» chair, lorsqu’il répondit à sa Mère, et à une telle 
p Mère : Femme, qu'y a-t-il entre vous et moi? C’est 
» ainsi que dans une autre circonstance, quelqu’un 
» étant venu lui dire que sa Mère et ses frères étaient 
» là dehors pour lui parler, il répondit (l) : Qui est 
p ma mère , et qui sont mes frères ? Où en sont main- 
» tenant ceux qui, si vainement et si peu chrétien- 
p Bernent, entretiennent au sujet de leurs parents 
p selon la chair des inquiétudes aussi multipliées 
p que s'ils vivaient encore au milieu d’eux ? » Ainsi 
parle saint Bernard. 

Marie, que cette réponse n'avait pas déconcertée, 
mais qui conservait toujours la môme confiance en 
la bonté de Jésus, revint à ceux qui servaient et leur 
dit : Allez trouver mon Fils, et faites ce qu'il vous 
dira. Ils y allèrent et ils emplirent d'eau les urnes sui¬ 
vant l'ordre que Notre-Seigneur leur en donna. Puis il 
' leur dit f Puisez maintenant et portez au Maître 
d'hàtel. 

Mais ici, observez d’abord la prudence de Notre- 
Seigneur qui envoie de cette eau changée en vin, 
avant tout, à la personne la plus recommandable. 
Observez, en second lieu, que Jésus n’était pas près 
du Maître d’hôtel, puisqu’il disait de la lui porter 
comme à une personne éloignée de lui. Mais comme 


(I) Matth. 13.] 


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IV e PARTIEv — MERCREDI, CHAP. XX. 149 

ce Maître d'hôtel occupait une place honorable, nous 
en pouvons conclure que Notre-Seigneur ne voulut 
point s'asseoir près de lui et que plutôt il préféra la 
dernière place. Les serviteurs donnèrent donc du 
vin au Maître d'hôtel et aux autres convives, faisant 
connaître le miracle, parce qu’ils savaient com¬ 
ment il venait jde s’opérer ; et ses disciples crurent 
en lui . 

Après le repas, Notre-Seigneur prit saint Jean à 
l’écart et lui dit : « Laissez là votre épouse et suiYez- 
moi, car je vous destine à des noces plus sublimes. » 
Saint Jean le suivit à l’instant. Notre-Seigneur en as¬ 
sistant aux noces de Cana approuve donc le mariage 
selon la chair comme étant institué de Dieu. Mais, en 
invitant Saint Jean à laisser là son épouse, il fait 
clairement connaître la supériorité de l’union spiri¬ 
tuelle sur l’union corporelle. Jésus se retira donc, 
résolu de s’occuper publiquement et ouvertement 
de tout ce qui était relatif au salut des hommes. Mais, 
avant toutes choses, il voulut recouduire sa Mère 
dans sa maison de Nazareth; car il était convenable 
de donner une telle escorte à une telle Mère. Il partit 
donc avec elle, saint Jean, et les autres disciples ; ils 
allèrent à CapharnàUm peu éloignée de Nazareth, où 
ils arrivèrent quelques jours après. Suivez-les. en 
esprit sur la route, voyez cheminer ensemble et le 
Fils et la Mère ; ils marchent humblement, à pied ; 
mais quel amour les unit! O que ces deux voyageurs 
sont grands ! on n’en vit jamais de semblables sur la 
terre..Observez aussi les disciples, suivant avec res¬ 
pect leur Maître, et recueillant ses paroles. Car Jésus 
n’était jamais oisif, mais il faisait toujours quelque 


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160 MÉDITATIONS SUR LA VJE DE N.-S. J.-C. 


bien, soit par ses paroles, soit par ses actions; nul 
ne pouvait s’ennuyer dans une telle compagnie. 


CHAPITRE XXI. 

Sermon de Notre-Seigneur sur la montagne. — II parle 
d’abord de la patrvreté. 

Jésus, ayant rassemblé ses disciples hors de la 
foule qui le suivait/monta avec eux sur le mont 
Tliabor, à deux milles ctè Nazareth, pour les péné¬ 
trer de sa céleste doctrine. Car il convenait d’in¬ 
struire, avant tous les autres, et plus que tous les 
autres, ceux qu’il voulait établir les Maîtres et les 
guides de tout le monde. Il leur donna donc alors de 
nombreuses instructions. Ce sermon fut aussi abon¬ 
dant que magnifique, et il ne faut pas s’en étonner 
puisqu’il sortit de la bouche du Seigneur même. 
Jésus leur parla des béatitudes, de la prière, du jeûne, 
de l’aumônè, et leur donna sur plusieurs autres cho¬ 
ses relatives aux vertus, des instructions que vous 
pourrez trouver dans l'Évangile (1). Lisez ce discours 
avec attention, lisez-le souvent et n’oubliez jamais 
les enseignements qu’il contient; car ils sont très- 
propres à vous élever à la plus haute spiritualité. 
Toutefois je n’entrerai pas maintenant dans ces dé¬ 
tails qui pourraient nous mener trop loin, et qui, 

(I) Mftith. 5, 6, 7. 


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151 


IV e PARTE. — MERCREDI, CHAP. *X!. 

d’ailleurs, ne semblent pas toujours bien propres à 
devenir des sujets de méditations. Cependant, pour 
votre instruction, je me propose, à l’occasion, d’en 
rapporter quelques-uns, et d’y joindre des moralités 
et des citations des saints. 

Je me borne donc à remarquer ici que Notre-Sei- 
gneur commence cediscours par la pauvreté, donnant 
à entendre par là que la pauvreté est le premier fonde¬ 
ment de la vie spirituelle. Car, lorsque l’on est ap¬ 
pesanti sous le poids des choses temporelles, on est 
incapable de suivre Jésus-Christ le modèle de la pau¬ 
vreté. Et celui qui attache son coeur à ces biens pas¬ 
sagers cesse d'être libre etdevient esclave. Voilà pour¬ 
quoi Jésus-Christ dit : Bienheureux les pauvres d’es¬ 
prit. En effet, on devient volontairement l’esclave de 
l’objet auquel le cœur s’attache avec passion. « Car, 
selon saint Augustin (l), nos affections sont pour 
l’âme une espèce de poids qui l’entraîne partout où 
elles se portent elles-mêmes. Et par conséquent, il 
ne faut aimer absolument rien que Dieu, rien que 
pour Dieu. >» C’est donc avec raison qu’on appelle 
bienheureux le pauvre qui, pour Dieu, méprise tout 
le reste; puisqu’il est déjà presqu’enliêrement uni à 
son Dieu. Voici sur ce sujet les paroles de saint Ber¬ 
nard (2) « : La pauvreté peut, en quelque sorte, être 
» comparée à une aile puissante qui nous enlève 
» d’un vol rapide dans le Royaume des deux! Car 
» aux autres vertus Notre-Seigneur fait de3 pro- 
» messes pour l’avenir ; mais à la pauvreté il donne 
» immédiatement, plutôt qu’il ne promet. Aussi dit- 


(I) Confess. lib. 13, cap. 9. — (2) Serin. 4, de Ad. Dom. 


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1.02 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» il des pauvres au temps présent : Que le Royaume 
» des deux est à eux . » Saint Bernard ajoute en¬ 
suite : a Certains pauvresse nous voyons, ne mon- 
» treraient pas tant de tristesse et de découragement 
)> s’ils avaient le véritable esprit de la pauvreté, puis- 
» qu'ils sont déjà rois et même rois du ciel. Mais 
» il y en a qui ne consentent à être pauvres qu’au- 
» tant qu’il ne leur manque rien, ils n’aiment la pau- 
» vreté qu’à condition qu’ils ne souffriront aucune 
» privation. d Saint Bernard dit encore autre part (t) : 
« Et moi aussi, je l’affirme hardiment après Jé- 
» sus-Christ : Lorsque j'aurai été élevé de terre j’at - 
» tirerai tout à moi . Car ce n’est pas une témérité de 
» m’attribuer les paroles de Celui qui est devenu 
p mon frère, dont je porte la ressemblance. Or, s’il 
» en est ainsi, que les riches de ce siècle, en enten- 
» dant ces paroles : Bienheureux les pauvres d’esprit, 
» parce que le Royaume des deux est à eux , ne s’i- 
» maginent pas que les frères de Jésus-Christ ne pos- 
» sèdent que les biens célestes ; ils possèdent aussi 
» la terre ; et quoique dénués de tout, ils possèdent 
» réellement tout, parce qu'ils ne demandent point 
» l’aumône comme des misérables, mais comme des 
» maîtres qui y ont droit, d’autant plus maîtres, en 
» effet, de tous les biens, qu’ils eu sont moins avides. 
» En un mot, l’homme fidèle possède tous les biens, 
» oui, tous les biens; car pour lui les adversités 
» canine les prospérités sont également utiles et se 
» tournent en bien. Ainsi l’avare, véritable mendiant, 
» est affamé des biens de la terre ; l’homme fidèle, 


(!) Serin. 21, sup. Cant. 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CHAP, XXI. 16S 

» comme un maître superbe, les dédaigne ; le pre- 
» mier mendie tout en possédant, le second conserve 
» en méprisant. Demandez à l’un de ces hommes dont 
» le cœur insatiable soupire après les richesses tem- 
» porelles, si, à son avis, ceux qui, en vendant tout 
*> ce qu’ils ont pour le donner aux pauvres, achètent 
» le Royaume des cieux au prix des biens de là terre > 
» agissent prudemment ou non; il répondra très-cer- 
» tainement qu’ils sont fort sages. Deinandez-lui 
» donc pourquoi il ne fait pas ce qu’il approuve? Je 
» ne le puis, répondra- t-il. Pourquoi ne le peut-il 
» pas? Parce que l’avarice qui le domine, l’en empé- 
» che; parce qu’il est son esclave; parce que les biens 
» qu'il paraît posséder ne sont pas à lui et qu’il n’en 
» est pas même Je maître. S’ils sont vraiment à vous, 
» employez-les à votre profit, et servez-vous-en pour 
» acheter le Royaume des cieux. Que si cela vous est 
» impossible, je dis que vous êtes l’esclave et non 
v le maître de votre argent, que vous en ôtes le gar- 
» dien et non le possesseur. » Tout cela est de saint 
Bernard. 

Mais revenons au sujet de notre méditation. Voyez 
donc et considérez Notre-Seigneur Jésus-Christ hum¬ 
blement assis à terre sur cette montagne. 11 est au 
milieu de ses disciples, il s’y tient comme l'un d’entre 
eux; observez aussi avec quelle affection, quelle 
bonté, quelle grâce et quel succès il leur adresse la 
parole et les porte à la pratique des vertus dont nous 
venons de parler; et, comme je vous l’ai dit ci-dessus 
dans les considérations générales, ne perdez pas un 
moment de vue l’air et l’expression de son visage. 
Remarquez dans les disciples la respectueuse humi- 


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154 MÉDITATIONS SUR LÀ VIE DE N.-S. J.-C. 

ïité, Fextrême attention avec lesquelles ils le con¬ 
templent, ils écoutent ses admirables instructions et 
les gravent dans leur mémoire ; voyez avec quelles 
délices ils recueillent ses paroles et jouissent de sa 
présence. Mais en considérant tout cela, réjouissez- 
vous aussi, ma -chère fille, regardant Jésus comme 
s’il vous adressait la parole, vous approchant des dis¬ 
ciples, si l’on vous y invite, et demeurant au mi¬ 
lieu d’eux autant que le Seigneur vous le permettra. 
Yoÿez encore, après le discours, Notre-Seigneur des¬ 
cendant de la montagne accompagné de ses disciples, 
causant familièrement avec eux, même en continuant 
' sa route ; voyez cette troupe d’hommes simples, qui 
viennent tous après lui, sans ordre et comme des pous¬ 
sins qui suivent leur mère ; cbacurf d’eux tâche de 
s’approcher le plus près possible afin de mieux en¬ 
tendre ; voyez enfin avec quel amour les peuples s’em¬ 
pressent de courir au-devant de lui, de lui présenter 
leurs malades à guérir ; et Jésus les guérissait tous. 


CHAPITRE XXII. 

[ Jésus guérit le serviteur d’un Cenienier et le ûls 
d’un officier. 

Il y avait à Capharnaüm un Centurion, ou chef de 
cent soldats, qui, ayant un serviteur malade, fit avec 
une grande plénitude de foi prier Jésus de le guérir. 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XXIÏ. 155 

L’humble Maître répondit : (1) Tirai et je le guérirai. 
Ce qu’ayant appris, le Centurion fenvoya k dire à Jé¬ 
sus : (2) Seigneur , je ne suis pas digne de vous rece¬ 
voir dans ma maison , mais dites seulement une parole 
et mon serviteur sera guéri. Or, Jésus, donnant des élo¬ 
ges à sa foi, n’alla pas plus loin et guérit le serviteur 
absent. 

Jésus était encore dans la môme ville lorsqu’un 
Commandant ou Officier supérieur l’alla trouver en 
personne pour le prier de Venir chez lui guérir son 
fils qui était malade (3). Jésus refusa de le suivre et 
pourtant il guérit son fils. Remarquez ici le mérite 
de là foi dans le Centurion, l'humilité de Notre-Sei- 
gneur qui veut bien aller trouver un pauvre servi¬ 
teur,*et qui fuit la magnificence d’un grand de la 
terre. Comprenez aussi qu'il ne faut pas faire accep¬ 
tion de personnes. Car, dans cette circonstance, Jésus 
fit plus d'honneur au serviteur d’un simple Cente- 
nier, qu’au fils d’un Commandant. A son exemple, 
quand nous rendons quelques services, n’accordons 
rien à ce qui frappe les regards, rien aux exigences 
d’une pompe extérieure; ne considérons que l’inten¬ 
tion et les bonnes qualités de celui qui a besoin de 
nous, et servons les autres, non par pure complai¬ 
sance, mais par charité. 


(I) Matth. 8.— (2) Luc. 7. — (3) Jean, 4. 


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156 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 


CHAPITRE XXIII. 

Du Paralytique descendu par le toit aux pieds de Jésus 
qui le guérit. 

Dans la même ville de Capharnaüm, au moment 
où Notre-Seigneur instruisait le peuple dans une 
maison où s’étaient réunis un grand nombre de Pha¬ 
risiens et de Docteurs de la loi venus de tous les vil¬ 
lages de la Judée et de Jérusalem, quelques person¬ 
nes, portant un paralytique, s'efforcaient d’entrer 
pour que Jésus le guérît (1). Comme la foule les em¬ 
pêchait de pénétrer, ils montèrent sur le toit de la 
maison, et par ce moyen introduisirent le malade et 
le déposèrent aux pieds de Jésus. (2) Notre Seigneur , 
voyant leur foi, dit au paralytique : Vos péchés vous 
sont remis. Or les Pharisiens et les Docteurs, qui l’ob¬ 
servaient avec malignité, pensaient intérieurement 
qu’il blasphémait, parce que Dieu seul peut remettre 
les péchés, et que Jésus, qui n’était à leurs yeux 
qu'un pur homme, s’attribuait ce pouvoir. Notre-Sei¬ 
gneur, qui scrute les reins et les cœurs des hommes, 
leur dit, avec autant de bonté que d’humilité : (3) Pour¬ 
quoi vos cœurs conçoivent-ils ces mauvaises pensées? 
Puis il ajouta : Afin que vous sachiez que le Fils de 
l’homme a sur la terre le pouvoir de remettre les pé- 


(I) Luc. 5; Marc. S. — (2) Marc. ». — (3) Matth. ». 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CHÀP. XXIIf. 157 

chés , etc. — Il y a ici quatre choses à # remarquer ; 
premièrement, la pénétration d’esprit de Jésus-Christ 
qui découvrit leurs pensées. La seconde chose à re¬ 
marquer, c’est que les péchés sont la cause de nos 
infirmités, et que, quelquefois, il arrive que nous 
sommes délivrés des unes par l’absolution des autres* 
comme vous le verrez plus loin par le paralytique de 
la piscine (1) à qui Noire-Seigneur recommande de ne 
plus pécher, de peur qu’il ne lui arrive quelque chose 
de pire. Considérez, en troisième lieu, quel est le mé¬ 
rite de la foi, puisque celle de l’un peu être utile à un 
autre, comme vous l’avez vu ci-dessus dans la gué¬ 
rison du serviteur du Centenier, et comme vous pour¬ 
rez l’observer plus tard dans (2) la Chananéenne dont 
la foi mérita la guérison de sa fille. La même chose 
arrive encore tous les jours aux enfants qui reçoi¬ 
vent le baptême, puisque, s’ils viennent à mourir 
avant l’âge de discrétion, ils obtiennent, par les mé¬ 
rites de Jésus-Christ, la grâce du salut dont le gage 
leur avait été donné, sur la foi d’un autre; ce que je 
dis ici pour confondre certains hérétiques maudits 
de Dieu. Quatrièmement, quant aux réflexions que 
l’on peut faire en voyant Jésus assis au milieu de ses 
enuemis, répondant avec bonté à des hommes per¬ 
vers, et opérant un miracle à leur vue, je vous ren¬ 
voie aux considérations générales que je vous ai 
données ci-dessus. 

(I) Jean, a. — (î) Matth. 9. 


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158 MÉDITATIONS SUR LA VlE DE N.-S. J.^C. 


CHAPITRE XXIV. 

Guérison de la belle-mère de Simon. 

Jésus, étant encore dans la môme ville de Gaphar- 
natim, se retira dans la maison de Simon-Pierre, 
dont la belle-mère était retenue au lit par une forte 
fièvre (1). Or l’humble Jésus lui toucha familièrement 
la main, et la guérit si parfaitement qu’elle se leva 
aussitôt et le servit à table, ainsi que ses disciples. 
Mais l’Evangile ne dit pas ce qu’elle leur servit. Pen¬ 
sez donc que dans la maison d*un homme pauvre, on 
n’offrit à l’ami de la pauvreté et à ses disciples que 
quelques-uns de ces aliments communs que l’on peut 
apprêter en peu de temps. Considérez aussi Notre-Sei- 
gneur aidant lui-même à faire ces apprêts et surtout 
chez un de ses disciples. Yoyez-le entrer dans les 
plus humbles détails, s'occupant à mettre la table, à 
nettoyer les tapis et à faire d’autres choses sembla¬ 
bles. Car le Maître de l’humilité ne dédaignait pas ces 
soins, lui qui était venu pour servir les autres et non 
pour être servi. Après cela, il se plaçait familière¬ 
ment au milieu de la table et mangeait gaîment, sur¬ 
tout lorsque dans le repas il voyait briller la pauvreté 
qui lui était si chère. 

0) M&tth. 8; Marc. 4 ; Luc. 44. 


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IV e PARTIE, — MERCREDI, CHAP. XXV. 159 


CHAPITRE XXV. 

Sommeil de Jésus dans la barque. 

Jésus, étant entré dans une barque avec ses dis¬ 
ciples, appuya sa tête sur une espèce de coussin pour 
se reposer un moment; car il passait une grande 
partie de la nuit en prière, et consacrait presque tout 
le jour au travail de la prédication. Pendant son som¬ 
meil, une tempête s’étant élevée, ses disciples furent 
effrayés du péril, mais ils n’osaient le réveiller. Vain-. 
eus enfin par la crainte, ils le réveillèrent en lui di¬ 
sant : Seigneur , sauvez-nous , nous allons périr ( 1 ). 
Jésus , se levant , leur reprocha leur peu de foi, com¬ 
manda aux vents et à la mer , et il se fit un grand calme. 
Regardez et observez attentivement Jésus dans toutes 
ces circonstances ; suivez pour cela la règle générale 
de conduite que je vous ai indiquée ci-dessus. La ré¬ 
flexion que vous pouvez faire ici, c’est que, lorsque 
dans ce qui nous concerne, dans toutes nos affaires 
et surtout dans nos tribulations, Jésus parait se livrer 
au sommeil, il ne cesse pourtant point de veiller sur 
nous avec la plus grande attention. D’où il faut con¬ 
clure que nous devons constamment persévérer dans 
la foi, et n’hésiter dans aucune circonstance. 


(I Matth. 8 ; Marc. 4; Luc. 8. 


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160 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C, 


CHAPITRE XXYI. 

Le Seigneur ressuscite le fils d’une veuve. 

Un jour que Jésus allait entrer dans la ville de 
Naïm, il rencontra une foule de personnes qui con-. 
duisaient au tombeau un jeune homme, Ois d'une 
femme veuve. Emu de compassion, le bon Jésus tou¬ 
cha le cercueil, et ceux qui le portaient s’arrêtèrent; 
puis il dit : Jeune homme , levez-vous, je vous le com¬ 
mande (1). A l’instant le mort se leva et Jésus le ren¬ 
dit à sa mère. Tous les spectateurs furent saisis 
d’étonnement et de crainte, et bénirent le Seigneur. 

Pour les considérations, recourez à ce que je vous 
ai dit précédemment (chapitre xvui). 


CHAPITRE XXYII. 

Résurrection d’une jeune fille et guérison de Marthe. 

Jésus suivait un chef de la Synagogue qui était venu 
le prier de guérir sa tille. Dans la foule ùombreuse 
qui l’accompagnait, il y avait une femme gravement 


(») Luc. T. 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CttAP. XXVII. 161 

malâde que l’on croit avoir été Marthe, sœur de 
Marie-Madeleine. Elle disait en elle-même : Sije touche 
seulement le bord de son vêtement, je serai guérie (11. 
Elle s approcha donc avec crainte, le toucha et fut 
guérie à l’instant. Alors Jésus demanda qui l’avait 
touché? « Maître, répondit Pierre, la foule vous presse 
vous accable, et vous demandez qui vous a- touché’ » 
Observez ici la patience de Notre-Seigneur; çar il lui 
armait souvent d’étre pressé par la multitude de 
ceux qui voulaient s’approcher de lui. Mais dans 
cette circonstance, Jésus avait un motif pour s’ex 
primer ainsi; voilà pourquoi il ajouta : J'ai senti 
yu une vertu était sortie de moi. 

Alors Marthe publia le miracle. Ce ne fut point nar 
surprise, mais de son plein gré, que Jésus guérit 
cette femme qu'il devait- plus tard honorer d’une s 
grande familiarité. Et alors il lui dit : Votre foi vous 
a sauvée. Ce prodige fait connaître quel est le mérite 
de la foi; on y voit en outre que Jésus veut que ses 
miracles soient connus pour l’utilité de tous • mais 
qu autant qu’il était en lui, il les cachait par humi¬ 
lité puisqu’il attribuait à la foi de Marthe, le prodme 
opéré par sa puissance divine. Il y a encore ici une 
remarque très-importante à faire pour ceux quisom 
jaloux de conserver l’humilité. Voici en quels termes 
saint Bernard la présente (2) : . Un parfait servi “ur 

* de Dieu peut, à cause de la basse opinion qu’il a dé 

• lui-même être appelé la frange comme étant h 
» partie infime du vêtement de Jésus-Christ One 
» celui donc qui, parvenu à une telle perfection sa'it 


;l.) Malth. (3) Scr. «le* Modi« oramli. 


11 


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16? MÉDITATION SUR LA VfB DE fc-é* 

» que le Seigneur accorde à ses prières la guérison 
» des maladies ou d'autres semblables miracles, se 
» garde bien de s'élever à cause de ses œuvres » ou 
» de se les attribuer, parce que c'est le Seigneur et 
» non pas lui qui les a faites. Car ici, bien que 
» Marthe, eu portant la main au bord du vêtement 
» de Jésus, recouvrât, ainsi qu'elle l'avait espéré, la 
» santé par cet attouchement, ce ne fut pourtant 
» point de ce bord, mais de Jésus-Christ lui-méme 
» que sortit la yertu par laquelle elle fut guérie ; 
N » aussi dit-il à Marthe : J’ai senti qu'une vertu était 
» sortie de moi . » Remarquez bien ceci, et ne vous 
attribuez jamais rien de ce que vous pourrez faire de 
bon, parce que tout don parfait vient de Notre-Sei- 
gneur Jésus-Christ (1). Enfin Jésus arriva à la maison 
du chef de la synagogue; ayant trouvé sa fille morte* 
il la ressuscita. ü9 


CfiAMtRE XXVïtï. 

Oonvértfon de Madeleine, et réitérions à ce sqjfet. 

Jésus* qtâ observait avec uh tnêé-gïand Mb. M 
règles de la civilité (*), ayant un jour été ihVitë, pa* 
Simon le lépreux, à dîner chez lui, se rendit à soh 
invitation, ainsi qu’il lè faisait souvent, tant par po¬ 
litesse que par bonté, et par le zèle qu’il avait pouY 


(4) Luc. 8. — (8) Luc. 7. 


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m tARTIS. — MERCREDI, C*A*. XXVUt- lê* 

le salut des hommes en faveur desquels il était des¬ 
cendu du ciel; c’est ainsi que, mangeant et conver¬ 
sant avec eux, il les attirait tous à la charité ; un autre 
motif, c'était l’amour qu’il avait pour la pauvreté. 
Car il était lui-même très-pauvre, et il n’avait voulu 
ni pour lui, ni pour les siens, les biens de ce monde. 
Lors donc que Jésus, modèle parfait de l'humilité, 
recevait une invitation, il acceptait avec d’humbles 
actions de grâces, suivant que le temps et le lieu le 
lui permettaient. 

Or, instruite que Jésus mangeait chez Simon le lé¬ 
preux, Madeleine, qui, sans doute, avait souvent en¬ 
tendu ses prédications, et qui l’aimait ardemment, 
bien qu’elle ne lui eût encore donné aucun témoi¬ 
gnage public de ce sentiment, intérieurement touchée 
d’on vif repentir de ses péchés, le cœur embrasé 
d'amour, considérant d’ailleurs que le divin Maître 
pouvait seul lui accorder la grâce du salut, et ne 
voulant pas différer plus longtemps à la solliciter, 
Madeleine vint dans la salle du festin, et, passant de¬ 
vant les convives, la face inclinée, les yeux baissés 
vers la terre, elle ne s’arrêta que lorsqu’elle fut ar¬ 
rivée près de son Seigneur et de son bien-akné. fit 
alors, s’étant subitement jetée 4 ses pieds, pleine 
d’une profonde douleur et d’une extrême confusion 
à cause de ses péchés, prosternée et collant «on vi¬ 
sage sur les pieds de Jésus avec une certaine con¬ 
fiance, parce qu’elle l’aimait déjà intérieurement plus 
que toutes choses, elle éclata en B&nglots et répandit 
une grande abondance de larmes, disant secrètement 
en elle-même : « Mon adorable Maître, je crpis ferme¬ 
ment, je recommis et je confesse que vous êtes mou 


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164 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

Seigneur et mon Dieu. Mais j ai souvent et griève¬ 
ment offensé votre Majesté; mes péchés sont plus 
nombreux que les grains de sable de la mer ; néan¬ 
moins, quoiquinjuste et pécheresse, j’ai recours à 
votre miséricorde. Pleine de douleur et de componc¬ 
tion, je vous prie de me pardonuer ; je suis résolue 
de réparer mes fautes, et je me propose de ne plus 
jamais vous désobéir. Ne me refusez pas cette grâce, 
je vous en conjure, car je sais que vous êtes mon 
unique refuge, et je ne puis, je ne veux pas même 
en avoir un autre, parce que je vous aime seul plus 
que toutes choses. Ne me rejetez donc pas loin de 
vous, mais punissez-moi de mes péchés comme vous 
le voudrez; toutefois, j’implore votre miséricorde. » 

Pendant cette prière, les larmes abondantes qu’elle 
répandait arrosaient et lavaient les pieds de Jésus. 
Et cette circonstance peut ici vous faire connaître 
que Notre-Seigneur marchait sans chaussures. Alors, 
elle interrompt ses pleurs, elle considère son divin 
Maître, et, regardant comme une chose indigne que 
ses larmes eussent touché les pieds de Jésus, elle les 
essuya avec ses cheveux; avec ses cheveux, parce 
qu’elle n’avait sur elle rien de plus précieux pour les 
essuyer, et encore parce qu’elle voulait désormais 
consacrer à un saint et salutaire usage un ornement 
de sa vanité. En outre, pour ne pas se détacher des 
pieds de Jésus et pour satisfaire Fardeur toujours 
croissante de son amour, elle ne cessait de les couvrir 
de ses plus tendres baisers. Enfin, voyant que les 
pieds de Notre-Seigneur s’étaient salis en marchant, 
elle les parfumait d’une précieuse essence. 

Considérez attentivement cette pécheresse, et faites 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CHÀP. XXVIII. 165 

de sérieuses réflexions sur les démarches et sur la 
piété de cette femme qui fut si particulièrement 
chère à Notre-Seigneur et dont la conversion fut un 
si grand sujet de joie pour le ciel. Arrêtez aussi vos 
regards sur Notre-Seigneur Jésus-Christ ; voyez avec 
quelle bonté il la reçoit et avec quelle patience il 
supporte tout ce qu’il lui voit faire. U interrompt, il 
suspend son repas jusqu’à ce qu’elle ait achevé. Les 
convives s’arrêtent aussi, et cette nouveauté les 
étonne. Simon, dans son cœur, condamnait sévère¬ 
ment Jésus de ce qu’il se laissait toucher par une 
telle femme, comme s’il n’eût pas été un Prophète et 
n’eut pas connu celle qui lui baisait les pieds. Mais 
Jésus, voulant répondre à ses secrètes pensées, mon¬ 
tra qu’il était véritablement un Prophète, et le con¬ 
fondit par la parabole des deux débiteurs. Puis, pour 
faire voir manifestement que tout se réduit à la cha¬ 
rité , il dit : Beaucoup de pêchés lui sont pardmnés , 
parce qu'elle a beaucoup aimé. Ensuite il dit à Made¬ 
leine : Allez en paix. 

O douces et délicieuses paroles! avec quel bon¬ 
heur Madeleine les entendit, avec quelle joie elle se 
retira après les avoir entendues ! Dès lors, parfaite¬ 
ment convertie au Seigneur, elle passa le reste de 
ses jours dans la sainteté r la pratique de toutes les 
vertus, et resta constamment attachée â Jésus et à sa 
Mère. Réfléchissez donc avec soin sur tout cela, et 
tâchez d’imiter cette admirable charité qu’en cette 
circonstance Notre-Seigneur recommande si puissam¬ 
ment, surtout par ses paroles et par ses actions : car 
ôn voit ici clairement que la charité rétablit la paix 
entre Dieu et le pécheur. C’est ce qui fait dire à saint 


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*65 MÉDITATIONS SUR LA VIË DE N.-S.J--C. 

Pierre que (1) : la chanté couvre la multituâe'des péchés. 
Puis donc que la charité est la mère de toutes les 
vertus, et (Jue sans elle rien ne peut plaire à Dieu, 
afin de vous exciter à ne rien négliger pour acqué¬ 
rir une vertu qui vous rendra si agréable à Notre- 
Seigneur Jésus-Christ votre divin Epoux, je vais sur 
ce sujet produire quelques autorités que j’emprunte¬ 
rai à saint Bernard (2)': 

« Il faut s’attacher par-dessus tout à la charité» 
» vertu vraiment incomparable que le céleste Epoux 
- prenait tant de soin d’inculquer à sa nouvelle 
» Epouse, tantôt en disant (3) : On connaîtra que vous 
» êtes mes disciples , si vous vous aimez les uns les au - 
» très; tantôt par ces paroles : Je vous fais un com- 
» mandement nouveau ; c’est de vous aimer les uns les 
» autres ; et encore : Le commandement que je vous 
» donner c’est de vous aimer les uns les autres. Et dans 

• un autre endroit (4), eh demandant pour ses disci- 
» fAeüqu’ils fussent un entre eux, comme son père et hfi 
» sont une même chose . » Saint Bernard ajoute peu 
» après : Enfin, qu’y a-t-il de comparable à cette 
» vertu qui est préférée au martyre lui-même et à 
» une foi capable de transporter les moniagnes? 

• C’est pourquoi je vous dis (5) : Que votre paix 
» vienne de vous-même, et ne vous effrayez pas de 
» tout ce qui parait vous menacer au dehors, car 
» cela ne peut vous nuire. » Saint Bernard dit en¬ 
core (6) : « On mesure une àme sur la grandeur de 
« sa charité; ainsi, par exemple, une àme quia 
» beaucoup de charité, est grande ; celle qui en a 

(*) 4. Petr. 4. — (2) Serin. 29, sup. Cent. — (8) Joann. 49. — 
(4) Joann. 4S. — (5) Joann. 20. — (6) Serin. 97, sup. Cant. 


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IV« PARTI*. — MEttCRflDÏ, CHA^. XXVIII. 1W 

» pets, est petite ; celte qui n’en a point, n*est jrjeh 
» suivant celle parole de saint Paul (IJ : 9i jt n à at 
» fKrifct la thmite, je ne mis rten. Quelque faible que 
» soit ta charité d ! une personne qui se borne à nui- 
» mer que cpux qui Paiment et à ne saluer que pes 
» frères et ceux qui la saluent, je ne dis pas pour 
» cela què cette personne n’est rien, puisqu’en rai- 
» son de ce qu’elle donne et de ce qu’elle reçoit, elle 
» conserve du moins cette charité qui fait le lien de 
» la société. Or, comme dit Notre-Seigneur, que fait- 
» elle de plus que cela? En conséquence, je regarde- 

* rai, non comme grande et généreuse, mais comme 
» extrêmement étroite et petite, une àme dans la- 
» quelle se verrait si peu de charité. Mais si les ac- 
» croissemeuts et les progrès de cette âme sont tels 
» que, franchissant le cercle de cette charité étroite 
» et servile, elle étende avec une pleine liberté d’es- 
» prit les bornes d’une bonté parfaitement désinté- 
» ressée, jusqu’à vouloir embrasser tous les hommes 
» dans le vaste sein de sa bienveillance en aimant 
» son prochain comme elle-même, pourra-t-on bien 
» dire encore à une telle âme : Que faites-vous de 

• plus? puisqu’elle s’est déjà rendue si grande. On 
» peut dire d’un àme ainsi dilatée par la charité 
» qu’elle est immense, puisqu’elle renferme en eliç 
» tous les hommes, même ceux auxquels elle n’est 
» unie par aucun lien de la chair et du sang, ceux 
» vers lesquels elle n’est attirée par aucune espé- 
» rance de recueillir qudqu’avantage, ceux à qui 
» elle n’est redevable d’aucun service rendu, ceux 


(!) 4. Cor. IS. 


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168 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» enfin auxquels elle n’est liée par aucune autre 
» obligation que celle dont parle saint Paul, quand 
» il dit (1) : Ne demeurez redevable envers personne 
» que de Vamour qu*on se doit les uns aux autres . Mais 
» si, en outre, pieux ravisseur du royaume de la 
» charité, vous vous y ôtes, violemment introduit 
» de toutes parts pour le conquérir dans toute son 
» étendue, vous ne fermez jamais le fond de votre 
» cœur, même a vos ennemis, si vous faites du bien 
» même à ceux qui vous haïssent, si vous priez pour 
» ceux qui vous persécutent et vous calomnient, si 
» vous vous efforcez d’être pacifique avec ceux qui 
» détestent la paix, c’est alors que la grandeur, l’é- 
» lévation, la beauté de votre âme égalent la gran- 
» deur, l’éLévation, la beauté du ciel lui-même; c’est 
* alors que s’accomplit pour votre âme cette parole 
« de David (2) : Vous avez étendu le ciel comme un 
» pavillon , et dans ce ciel d’une grandeur, d’une élé- 
» vation, d’une beauté admirables, le Très-Haut, 

» l'immense, le Dieu de gloire daigne déjà, non- 
» seulement habiter, mais se promener au large. » 
Tout ceci est de saint Bernard. 

Vous avez vu combien il est utile et nécessaire d’a¬ 
voir la charité sans laquellé il est aboslument im¬ 
possible de plaire à Dieu, et avec laquelle il est indu¬ 
bitable que tout le monde peut lui plaire; appliquez- 
vous donc de tout votre cœur, de tout votre esprit et 
de toutes vos forces à acquérir cette vertu qui vous 
fera supporter de bon cœur pour Dieu et pour le pro¬ 
chain toutes les peines et toutes les adversités de la vie. 


(4) Rom. 43.— (2)Ps. 99. 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XXIX. 169 


CHAPITRE XXIX. 

Saint Jean envoie ses disciples à Jésus. 

Jean-Bapliste, glorieux Soldat, illustre Précurseur 
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu’Hérode avait fait 
charger de fers et mettre en prison parce que, dans 
l’intérêt de la justice, il avait osé lui reprocher d’a¬ 
voir épousé la femme de son frère encore vivant, 
Jean-Baptiste, voulant inspirer à ses disciples le dé¬ 
sir de suivre Jésus, imagina dé les lui envoyer, afin 
qu’en entendant ses paroles, en voyant ses miracles, 
ils fussent embrasés de son amour et se déterminas¬ 
sent à marcher à sa suite. Ils allèrent donc le trou¬ 
ver et lui dirent de la part de Jean : (1) Êtes-vous celui 
qui doit venir , ou faut-il en attendre un autre? Notre- 
Seigneur était alors en présence d’une foule nom.- 
breuse. Observez bien de quel air paisible il reçut 
les envoyés de saint Jean, et avec quelle prudence il 
satisfit à leur demande, d’abord par ses œuvres, puis 
par ses paroles. En effet, il guérit devant eux des 
sourds, des muets, des aveugles, lit encore beaucoup 
d’autres miracles, se mit à prêcher le peuple; puis il 
leur dit entre autres choses : Allez et rapportez 
à Jean ce que vous avez vu et ce que vous avez entendu. 
Ils s'en allèrent donc et rendirent de tout cela un 

(l)Malth. u. 


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170 MÉDITATIONS SUB LA VIE DE tf.-S. J.-C. 

compte exact â Jean qui fut ravi d’entendre tout ce 
qu’ils lui dirent. Or, ces disciples après la mort de 
Jean, s’attachèrent inébranlablement à Jésus. 

Après leur départ, Notre-Seigneur fit devant le 
peuple un grand éloge de Jean-Baptiste, en disant 
qu’il était plus qu’un prophète, le plus grand des en¬ 
fants des hommes, et autres, choses ^ue vous trou¬ 
verez dans l’Evangile. Appliquez-vous donc, suivant 
la méthode que je vous ai marquée au chapitre dix- 
huitième, à considérer sans cesse Notre-Seigneur Jér 
sus-Christ pendant sa prédication et pendant qu’il 
opère les miracles dont je viens de vous parler. 


CHAPITRE XXX. 

Mort de Jean-Baptiste. 


. La mort de saint Jean-Baptiste peut ici nous offrir 
le sujet d’une méditation. L’infâme Hérode et ^exé¬ 
crable adultère à laquelle il s’était uni, étant peut- 
être convenus ensemble de faire mourir Jean-Bap¬ 
tiste pour qu’il ne leur reprochât plus les crimes 
dont iis étaient coupables (i), il arriva qu’un jour 
de fête où la misérable fille d’Hérodiade se livrait à 
la danse, on lui présenta la tête du saint Précurseur 
qui périt ainsi dans sa prison. Voyèz avec quelle in¬ 
famie, par quel attentat, un si grand homme tomba 


(4) Matth. U ; Marc. 0. 


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IV» PARTIE. — MERCREDI, CHÀP. XXX. .171 

soüs les coups et par les ordres d’un tyran injuste et 
cruel. 0 Dieu, comment avez-vous permis un crime 
si exécrable? Peut-on concevoir que Ton ait livré à 
une telle mort Jean-Baptiste, dont la perfection et la 
' sainteté étaient si admirables qu’on l’avait pris pour 
le Christ même? Si donc vous voulez méditer comme 
il convient un si grand événement, après vous être 
fait une juste idée de l’énormité de l’attentat, pen¬ 
sez à la grandeur, au mérite éminent de la victime; 
et alors de quel étonnement ne serez-vous point frap¬ 
pée! Vous avez vu dans le chapitre précédent quel¬ 
les louanges Notre-Seigneur a données aux différen¬ 
tes vertus qui brillaient en ce grand Saint; écoutez 
maintenant en quels termes saint Bernard le loue 
dans un de ses serinons (1) : « L’Eglise romaine, la 
» mère et la maîtresse de toutes les Eglises, à laquelle 
» Notre Seigneur a dit en s’adressant au chef des 
» Apôtres : J’ai prié pour vous , Pierre, afin que votre 
» foi ne défaille point; l’Eglise romaine, après avoir 
» d’abord porté le nom de Sauveur, a été ensuite 
» dédiée et consacrée sous le vocable de saint Jean- 
» Baptiste (2). Car il était convenable d’élever l’ami 
» particulier de l’Epouse au lieu même où celle-ci 
-» était élevée à la suprématie. Pierre expire sur la 


(I) San*. deprtvileg. «met. Joaa.-Bapt. 

(3) Saint Bernard rappelle par cet parolet que la Basilique pa¬ 
triarcale de Latran, qui est la première Eglise du monde et la métro¬ 
pole de la catholicilé entière, a d’abord eu le titre du Sauveur et a 
reçu ensuite celui de saint Jean-Baptiste, qu’elle a conservé. C’est uu 
honneur pour le saint Précurseur «le voir ce temple, le plus illustre 
et le premier siège de l’univers, placé sous son invocation, de préfé¬ 
rence à celle des autres Saints, même des saints Apôtres Pierre et 
Paul. (Note de M, Henry de Riançay») 


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172 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» croix, Paul tombe sous le tranchant du glaive, et 
» néanmoins le saint Précurseur est plus honoré que 
» ces deux Apôtres. Rome est teinte du sang d’une 
» foule de Martyrs, et le premier rang est attribué au 
» bienheureux Patriarche ; saint Jean est le plus grand 
» partout, le plus distingué entre tous, et le plus 
>' admirable de tous. Qui fut si glorieusement an- 
» noncé? Qui, comme lui, fut, dans le sein de sa 
» mère, rempli du Saint-Esprit, ainsi que l'Evangile 
» le rapporte si spécialement? Qui, comme lui, 
» tressaillit de joie dans les entrailles maternelles ? 
» Quelle autre naissance que la sienne a été célé- 
» brée par l’Eglise de Dieu? Qui a tant aimé la soli- 
» tude? Qtti sut y vivre si admirablement? Quel 
» est le premier Prédicateur de la pénitence et du 
» Royaume des deux? Qui donna le Baptême au Roi 
» de gloire? A qui la sainte Trinité se révéla-t-elle 
» pour la première fois et si manifestement? A quel 
» autre Noire-Seigneur a-t-il rendu un si glorieux té- 
» moignage? Quel autre fut autant honoré par l’E- 
» glise? Jean est un Patriarche, ou plutôt c’est le 
» principe et la fin de tous les Patriarches. Jean est 
» un Prophète et plus même qu’un Prophète, car il a 
» montré du doigt celui dont il a anuoqcé la venue. 
» Jean est un Ange, mais il est choisi par préférence 
» entre tous les Anges, comme l'atteste Notre-Sei- 
* gneur, en disant : (l) Voici que j'envoie mon Ange, etc. 
_» Jean est un Apôtre, mais il est le premier, c’est le 
» prince des Apôtres, le premier envoyé de Dieu. Jean 
» estxm Evangéliste, mais il précède tous les autres, 


(1) Malach., 3. 


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IV® PARTIE. — MERCREDI, CHÀP. XXX. 173 

» c’est le Prédicateur du Royaume de Dieu. Jean est 
» vierge; que dis-je? c’est le miroir sans tache de la 
» virginité, le type de la pureté, le modèle de la chas- 
w teté. Jean est un martyr, mais c’est la lumière des 
» Martyrs ; de la naissance à la mort de Jésus-Christ, 

» c’est la forme invariable du martyre. C’est la Voix 
» qui crie dans le désert, le Précurseur du juge des 
» vivants et des morts, le Héraut du Verbe fait chair. 

» C’est Klie; il est le terme où finissent les obscurités 
» de la Loi et des Prophètes, c’est une lampe ardente 
» et lumineuse. Je ne parle pas de la place qu’il oc- 
» cupe parmi les neuf chœurs des Anges; elle est 
» si haute, qu’elle l’élève au premier rang de l’ordre 
» des Séraphins. » Ainsi s’exprime saint Bernard. 

Voici maintenant en quels termes saint Pierre- 
Chrysogone, Archevêque de Ravenne, fait l’éloge de 
saint Jean dans un de ses sermons (i) ; « Jean, dit-il, 
» est l’école de toutes les vertus, renseignement de 
» la vie, le modèle de la sainteté et la règle de la jus- 
» tice, elc. » Si donc vous examinez, d’un côté, la di¬ 
gnité et l’excellence de saint Jean, et de l’autre, la 
profonde scélératesse de ses meurtriers, il y aura là 
grand sujet de s’étonner et môme, si l'on peut parler 
ainsi, de murmurer contre Dieu. En effet, c’est à un 
tel homme, à un homme si recommandable que l’on 
envoie un misérable soldat pour lui couper la tête, 
comme on aurait fait à un meurtrier et à un scélérat 
de profession. Attachez donc des regards attendris et 
respectueux sur ce grand Saint; voyez commenfil 
se prépare à obéir aux ordres d’un vil et féroce as¬ 
ti) Petr. Chrysog. Serai, dé Décollât. 8. Joan.-Bapt. 


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174 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE 1*0* 

sassin, ayec quelle humilité il s’agenouille, rend gr⬠
ces à Dieu* place sa tête sur quelque bloc de bois ou 
de pierre, et avec quelle patience il reçoit tous les 
coups qui lui sont portés jusqu’à ce que la tête ait 
été séparée du corps. Voilà quelle fut laMin de saint 
Jean, l’ami et le parent de Notre-Seigneur Jésus-Christ 
et le plus illustre confident des secrets de Dieu. En 
vérité, nous devrions être remplis de confusion, nous 
qui sommes si peu patients dans toutes les peines de 
la vie. Saint Jean, l’innocence même, a souffert la 
mort, une si affreuse Aort, avec une invincible pa¬ 
tience; et nous qui sommes si ordinairement char¬ 
gés dé péchés et si dignes de la colère de Dieu, nous 
ne pouvons supporter, je ne dis pas seulement une 
légère injure, quelques désagréments, mais souvent 
même une parole. 

Notre-Seigneur Jésus-Christ était alors en Judée, 
mais dans une autre partie de ce royaume. Lorsque 
la nouvelle de la mort de Jean-Baptiste s’y fut ré¬ 
pandue, le Dieu de bonté pleura sur un tel athlète 
et sur un parent qui lui était si cher; ses disciples 
unirent leurs larmes avec les Siennes ; la sainte Vierge 
honora aussi de ses pleurs celui qu’elle avait reçu dans 
ses bras à sa naissance, et pour lequel elle eut tou¬ 
jours une si tendre affection. Jésus consolait sa Mère ; 
mais elle lui disait : « Mon Fils, pourquoi ne l’avea- 
vous pas protégé contre ceux qui voulaient lui don¬ 
ner une mort si affreuse? » Ma respectable Mère, ré¬ 
pondait Jésus, cette protection ne lui eût pas été 
avantageuse, car il est mort pour mon Père, pour la 
défense de ses justes droits, et bientôt il sera mis en 
possession de sa gloire. D'ailleurs, ce n’est point ainsi 


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IV» P4HTIE. — IERGHEM, CBAV. XXXI. îU 

que mon Père veut protéger les siens en ce monde, 
parce qu'ils ne doivent point y demeurer longtemps 
et que leur patrie n'est point sur la terre, mais dans 
les cieux. Jean est délivré des liens du corps et la 
mort ici-bas n’est point un malheur. L'ennemi a 
épuisé contre lui tous les traits de Ba fureur; mais 
Jean régnera éternellement avec mon Père. Gonso- 
iez-voüsdonc, ma tendre Mère, car sa.félicité ne peut 
désormais lui être ravie. » 

Quelques jours après, Jésus quitta le pays où il était, 
et retourna en Galilée. 

Quant à vous, ma fille, représentez-vous tout ce 
que je viens de vous dire, méditez-le pieusement et 
suivez Notre-Seigneur partout où il ira. 


CHAPITRE XXXI. 

Entretien de lésas avec la Samaritaine. 

(l) Lorsque Jésus revenait de la Judée dans la Ga« 
filée et passait par la Samarie, ayant parcouru une 
route qui, comme je vous Pai dit plusieurs fois, était 
de plus de dix*sept milles, il seseutit fatigué d'une si 
longue marche. Arrête*, de grâce, vos regards sur 
lui en ce moment; voyez quel est son accablement. 
II marche à pied, ü éprouve souvent la fatigue, toute 
sa vie fut pénible et laborieuse* U s'arrête donc et 


(4)^Jotn. 4. 


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76 MÉDITATIONS* SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

s’assied sur un puits pour se reposer. Mais ses disci¬ 
ples le quittent pour aller chercher quelque nourri¬ 
ture à la ville. Or, une femme nommée Lucie, vint 
au puits pour y puiser de l’eau. Alors Notre-Sei- 
gneur lui adressa la parole, traita avec cette femme 
des questions importantes et se manifesta à elle. 
Mais je ne me propose pas de rapporter ici l’entre¬ 
tien de Notre^Seigneur avec cette Samaritaine, ni de 
vous dire comment les disciples revinrent à leur di¬ 
vin Maître, comment les habitants de la ville, sur le 
récit de cette femme, vinrent au-devant de Jésus, 
comment il* les suivit, demeura quelque temps avec 
eux et les quitta; car tous ces détails se trouvent 
dans l’Évangile. Lisez-le et observez attentivement 
tout ce que fit Noire-Seigneur Jésus-Christ daus cette 
circonstance. Mais le récit évangélique contient plu¬ 
sieurs choses dont l’intérêt et l’importance sont di¬ 
gnes de votre attention. Remarquez, en premier lieu, 
l’humilité de Notre-Seigneur ; il supporte la familière 
confiance de ses disciples qui le laissent seul pen¬ 
dant qu’ils vont à la ville ; ensuite il parle humble¬ 
ment des choses les plus importantes avec une simple 
femme et s’entretient seul à seul avec elle comme 
avec un égal. Car, loin de la mépriser, il traitait 
devant elle ces hautes questions avec autant de su¬ 
blimité qu’il l’aurait pu faire en présence d’un nom¬ 
breux concours de savants du premier ordre. Ce 
n’est pas aiusi qu’en agissent le3 orgueilleux. S’ils 
regardent un petit nombre d’auditeurs comme indi¬ 
gnes d’entendre les paroles ampoulées qu’ils veulent 
répandre, à plus forte raison cfoiraient-ils les avoir 
perdues s’ils les débitaient devant uue seule per- 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XXXI. 177 

sonne. — Considérez, en second lieu, qu’à cette hu¬ 
milité, Notre Seigneur unit la pauvreté et la morti¬ 
fication. Vous en avez ici ia preuve dans latlémar- 
che que font les disciples pour aller à la ville cher¬ 
cher de la nourriture, dans leur retour et danà les 
instances qu’ils font à Jésus pour le déterminer à 
manger. Mais, en cette circonstance, où aurait-il 
pris son repas? sans doute, près du puits où il était, 
au bord de quelque ruisseau ou de quelque fontaine. 
Voyez donc comment il réparait ses forces épuisées 
par la faim ou par la lassitude. Et ne croyez pas que 
cela ne lui soit arrivé qu’une seule fois et par acci¬ 
dent; eette pauvreté, cette mortification étaient 
pour lui des habitudes. Ceci vous montre clairement 
que pendant ses courses évangéliques l'humble Jé¬ 
sus, l’ami de la pauvreté, s’éloignait souvent des 
villes et des habitations des hommes pour aller, dans 
ses fatigues et son accablement, prendre ses repas au 
bord d’un ruisseau ou de quelque fontaine; et là il 
n’y avait ni mets recherchés, ni vaisselle précieuse, 
ni vins délicats; on ne trouvait que de l’eau pure 
qui découlait de la source ou du ruisseau. Celui qui 
donnait à la vigne sa fécondité, le créateur des fou- 
taines et de tout ce qui vit au milieu des eaux, hum¬ 
blement assis sur la terre, n’avait, comme les pau¬ 
vres, d’autre nourriture que du pain. Observez, en 
troisième lieu, son application aux exercices de la 
vie spirituelle; car lorsque ses disciples l’engagent à 
manger, il leur dit : Pai à prendre une nourriture que 
vous ne connaissez pas : ma nourriture , c’est de faire la 
volonté de mon Père qui m’a . envoyé . Et il refusa de 
prendre aucun aliment, afin d’annoncer avant tout 

12 


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178 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

l’Évangile aux habitants de la ville qui venaient à 
lui» préférant ainsi leurs intérêts spirituels aux be : 
soins de son corps, quelque pressants qu'ils fussent 
alorfe* Gonsidérez donc avec attention tout ce que je 
viens de vous dire, et appliquez-vous à l’imitation de 
ses vertus. 


CHAPITRE XXXII. 

On vent précipiter Jésus-Christ du haut d’une montagne. 

Lorsque Jésus revint à Nazareth, les habitants de 
cette ville lui demandèrent quelques miracles (1); 
mais Jésus leur ayant fait entendre qu’ils étaient in¬ 
dignes de cette faveur, ils entrèrent en fureur et le 
Chassèrent hors de la ville. Le doux Jésus fuyait donc 
devant ces fnrieu* qui le poursuivaient avec achat* 
nemeht. Que vous en semble? Dans les transports- 
toujours croissants de la colère dont ils étaient en¬ 
flammés, Us en vinrent jusqu’à le conduire au som¬ 
met d’une montagne pour l’en précipiter; mais le 
Seigneur passant miraculeusement au milieu d’eux, 
se retira, car le moment où il voulait donner sa vie 
n’était pas encore venu. Les interprètes de l’Écriture 
disent» à cette occasion : Qu'il est rapporté que Jé¬ 
sus, échappé de leurs mains, étant descendu de la 
montagne pour se cacher dans un antre, le rocher 
s’affaissa comme s’il eût été de dre, offrant ainsi un 

(4) Saipt Lue, 4. 


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IV» PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XXXIII. I7ÿ 

eBpace suffisant pour le contenir, et que les plis de 
Bon vêtement y. demeurèrent comme mm te* y avait 
sculptes. 

Voyez donc Notre-Seigneor fhyant devant ces fe* 
neux, se cachant dans un antreç compatissez à tout 
ce qu’il souffre* et tâcha de l’imiter dans son hu* 
milité et dans sa patience. 


CHAPITRE XXXIII, 

Jésus guérit un homme dont la main était desséchée. 

Ün jour de sabbat, Jésus enseignait dans la svna- 
gogue. Il y avait là un bommè don t la main était 
desséchée. Jésus le fit venir au milieû de cèux qui 
i entouraient, en demandant à ces prétendus savants, 
(1) s'ilitait permis de faire une guérison le jour du sab¬ 
bat. Ils gardèrent le silence. Alors Jésus dit à celui dont 
la main avait été desséchée : Étendez votre main; et, 
à l’instant même, cet homme fut guéri. Notre-Seigneur 
fit plusieurs fois au jour du sabbat des miracles pour 
confondre les Juifs charnels qui ne s’appliquaient 
fiu’à la lettre de la loi que Dieu voulait -leur foire ofe- 
server selon l’esprit. Car ce n’était pas de la pratique 
du bien et des œuvres de la charité qu’ils devaient 
a abstenir le jour du sabbat- c’étaient 1e péché et 
les œuvres serviles qui leur étaient défendus. Et 

(I) Lue, « # 


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180 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

voilà pourquoi ils se scandalisaient lant de J^sus,pour¬ 
quoi ils conspiraient contre lui et pourquoi ils di¬ 
saient: Cet homme n'est pas de Dieu , puisqu'il n’observe 
point le sabbat. Mais ces reproches n’empêchaient 
pas Noire-Seigneur de faire des miracles ; il s’y ap¬ 
pliquait, au contraire, avec plus de zèle pour les 
tirer de leur erreur. Considérez-le dans les oeuvres 
dont nous venons de parler, et, à son exemple, ne 
cessez point de faire le bien quand même quelqu’un 
s’en scandaliserait mal à propos. Car il ne faut ja¬ 
mais abandonner une œuvre bonne en elle-même, 
nécessaire au salut du prochain et propre à l'édifier 
à cause du scandale qu'un autre peut en prendre. 
Mais une parfaite charité nous oblige à renoncer aux 
plus grands avantages corporels, si nous ne pouvons 
les obtenir qu’en scandalisant nos frères. Voilà pour¬ 
quoi saint Paul dit aux Romains : (1) Qu'il est bon 
de s'abstenir de manger de la chair , de boire du vin et * 
de rien faire qui puisse être pour le prochain une oc¬ 
casion de chute , de scandale ou d'affaiblissement. 


CHAPITRE XXXIV. 

De la multiplication des pains, et comment Jésus pourvoit 
aux besoins de ceux qui l’aiment. 

On voit dans l’Evangile que notre bon Maître mul- 


(I) Rom. U. 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CHAI*. XXXIV. 181 

tiplia, dans deux circonstances différentes, quelques 
pains pour en nourrir plusieurs milliers d'hommes. 
Comprenez ces deux prodiges en une seule médita¬ 
tion dans laquelle vous considérerez les paroles et 
les actions de Notre-Seigneur. Or voici ce qu’il dit 
alors : (1) J'ai compassion de ce peuple , car voilà trois 
jours qu'ils me suivent et ils n'ont rien à manger; si je 
les renvoie à jeun , ils tomberont de faiblesse en route, 
car plusieurs d’entre eux sont venus de for* loin. Puis il 
multiplia les pains, de sorte que tous furent abon¬ 
damment nourris. Faites donc ici plusieurs remarques 
importantes; appliquez-vous surtout à considérer la 
miséricorde de Jésus, sa bienveillance, sa bonté, 
son discernement et s a prudence. Je dis d’abord sa 
miséricorde. Ce fut elle qui le poussa à les secourir; 
et voilà pourquoi il dit : J'ai compassion de ce peuple. 
Car la terre est toute remplie de sa miséricorde (2). 

Je dis en second lieu sa bienveillance et sa bonté. 
Il en explique lui-méme les motifs en disant: Voilà 
trois jours qu'ils me suivent. Voyez l’excès de cette 
bienveillance et de cette bonté! Car, quoique vérita¬ 
blement la démarche de ce peuple fût un avantage 
pour lui seul et non pour Jésus, le divin Maître en 
parle comme d'un service qu’on lui aurait rendu. Et 
il en jugeait ainsi, puisqu’il dit dans une autre cir¬ 
constance (3) : qu'il trouve ses délices à demeurer avec 
les enfants des hommes, non parce que cette uniou 
avec eux lui est personnellement utile, mais parce 
qu’elle contribue puissamment à notre salut. Or, le 
Seigneur aime ceux qui le suivent et qui gardent ses 


(1) Matth. 15; Marc. 8; Juan. 6 . — ( 1 ) Ps. 32. — (3) Prov. S. 


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182 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

préceptes et ses conseils, et il ne cesse d’ouvrir la « 
main sur eux qu'après les avoir secourus de la ma¬ 
nière la plus avantageuse à leurs besoins. 

Troisièmement, Jésus montra son discernement et 
sa prudence en observant l'indigence et l'épuisement 
dè de peuple, et en prenant en considération que 
qttë)qûès*o&g pouvaient tomber de faiblesse et que 
d'autres étaient venus de foFt loin. Savoures donc 
les délicieuses parûtes de Jésus; ce qu’il fit pour ce 
peuple il taffait tous les jours spirituellement à notre 
égard. Car notre âme n’a de nourriture qu'autant 
qu'il lui en donne; elle tombe en défaillance dans 
mn pèlerinage s’il la renvoie affamée, et nous ne 
pouvons, sans lui, nous soutenir dans aucun exer¬ 
cice spirituel. Nous n’avons donc point sujet de nous 
élever lorsque nous recevons quelques consolations 
dé jà maki du Seigneur, ou lorsque nous recueillons 
quelques fruits de nos exercices spirituels, parce 
que cela vient de lui seul et non de nous. C’est pour¬ 
quoi, si vous y faites bien attention, vous verrez que 
plus les vrais serviteurs de Dieu sont parfaits, con¬ 
formes à leur divin Modèle, enrichis des faveurs tes 
plue distinguées, plus ils sont humbles, parce qu'ils 
se s’attribuent à eux-mêmes que leurs péchés et 
leurs défauts. Car plus on s’approche de Dieu, plus 
en a de lumières, et par conséquent mieux on con¬ 
naît sa grandeur et sa miséricorde; et ainsi on n’est 
pas exposé aux tentations de l’orgueil et de la vaine 
gloire qui proviennent de ^aveuglement que cause l’i¬ 
gnorance. En effet, celui* qui ferait une étude appro¬ 
fondie et acquerrait une parfaite connaissance de Dieu 
et de lui-même, ne pourrait avoir d’orgueil. Obser- 


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IV® PARTIE. — MERCREDI, CHÀP. XXXIV. 183 

vez aussi que c’est de bien loin que nous sommes 
venus à Dieu; et je parle ici spécialement de moi- 
même, ainsi que de ceux qui, comme moi, se sont 
tant éloignés de lui par leurs péchés. C’est pourquoi, 
lorsqu’on revient à Dieu, on peut toujours dire que 
l’on revient de loin. • 

Après avoir médité ce que dit Jésus-Christ, occu¬ 
pons-nous de ses actions. Considérez donc comment, 
après avoir pris les pains et rendu grâces & son Père, 
il les donna à ses disciples pour qu’ils les distri¬ 
buassent au peuple, et les multiplia de telle sorte 
entre leurs mains que tous en mangèrent autant qu’ils 
en voulurent, et que, pourtant T il resta un grand 
nombre de morceaux, Voyez aussi comment Jésus 
les regarde manger et partage leur satisfaction. Ob¬ 
servez encore l’admiration que ce miracle excite dans 
ceux qui en sont les témoins, avec quel ravissement 
ils en parlent entre eux, avec quelles actions de 
grâces ils se nourrissent de ce pain qui offre t non- 
seulement à tous, une nourriture corporelle, mais 
peut-être, du moins à quelques-uns, un aliment spi¬ 
rituel. Ne peut-on pas penser aussi que Notre-Dame 
était là pour offrir du pain aux femmes avec sa bien¬ 
veillance accoutumée et une douce satisfaction de 
réparer ainsi leurs forces épuisées. L’Ecriture n’en 
dit rien ; mais vous pouvez vous figurer cela et le 
méditer suivant que Dieu vous le suggérera- 


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184 MEDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 


CHAPITRE XXXV. 

Notre Seigneur fuit lorsqu'on veut le faire Roi. — Réflexions 
contre les honneurs du inonde. 

(l) Après que Notre-Seigneureut rassasié le peuple, 
comme nous venons de le dire dans le chapitre pré¬ 
cédent, ils voulurent le faire Roi. Car ils pensaient 
que nul mieux que lui ne pouvait pourvoir à tous 
leurs besoins, et que, sous un tel Roi, ils ne man¬ 
queraient de rien. Mais Notre-Seigneur, connaissant 
leur dessein, fuit loin d’eux sur une montagne, de 
sorte qu’ils ne surent pas ce qu’il était devenu et ne 
purent le trouver. Il eut donc de l’éloignement pour 
les hommes du monde; et remarquez que cet éloi¬ 
gnement ne fut pas simulé, mais très-sincère. En 
effet, pendaut qu’il faisait voyager ses disciples par 
la mer, il gravit la montagne, afin que, si le peuple 
allait le chercher parmi ses disciples, il ne pût l’y 
trouver. Cependant ceux-ci ne voulaient pas se sé¬ 
parer de lui, mais il leur commanda de monter sur 
leur barque et de passer à l’autre bord. Le désir 
qu’ils avaient de ne pas s’éloigner de leur Maître était 
louable, sans doute, mais il était contraire aux des- 
séins de Jésus. Voyez donc avec quelle répugnance ils 
le quittent, comment Notre-Seigneur les y oblige en 


(1) Joau. 6. 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XXXV. 185 

leur faisant connaître d'une manière formelle que 
sa volonté est qu’ils s’embarquent sans lui; voyez 
ensuite avec quelle humilité les disciples se sou* 
mettent, quelque dure, quelque pénible que soit 
pour eux cette obéissa ice. Et c’est ainsi que tous les 
jours Jésus en agit avec nous d’une manière spiri¬ 
tuelle. Car nous voudrions qu'il ne se retirât jamais 
de nous; mais il n’écoute point ces désirs de notre 
cœur : il s’en va, il revient quand il lui plaît et tou¬ 
jours pour notre plus grand bien. Or, je veux vous 
faire connaître ce que dit à ce sujet saint Bernard. 
Voici ses paroles (1) : « Lorsque, par des veilles, des 
» supplications, et une grande abondance de larmes, 
» on a cherché l'Epoux céleste, au moment où l’on 
» croit le tenir, il fuit tout à coup; et bientôt, s’ol- 
» frant à nous au milieu de nos poursuites et de nos 
» larmes, il se laisse surprendre, mais on ne peut le 
» retenir, et à l’instant il semble de nouveau s’échap- 
» per de nos mains ; et, si l’âme fidèle insiste par ses 
» prières et par ses larmes, il reviendra encore et 
r> (2) il ne trompera point les vœux que ses lèvres auront 
» exprimés. Mais à l’instant il disparaîtra de nouveau, 
» et elle le perdra entièrement de vue, à moins qu’elle 
» ne se remette encore à sa poursuite avec toute l’ar- 
» deür de ses désirs. Ainsi donc nous pouvons, dans 
» notre pèlerinage, goûter souvent les délices de la 
» présence du céleste Epoux, mais jamais dans leur 
» plénitude ; puisque, s’il nous réjouit par la dou~ 
» ceur de ses visites, il nous désole par l’amertume 
» de ses délaissements. Et ces pénibles alternatives, 


(I) Serm. 32, sup. Cant. —(2; Ps. 20. 


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186 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J>C* 

» l’âme bien-aimée devra les souffrir jusqu’au mo- 
» ment où, dégagée enfin de la pesante masse du 

> corps* elle puisse elle-même, portée sur les ailes 

> de ses désirs, parcourir d’un vol rapide les champs 
» de la contemplation et suivre, en toute liberté d’es- 
» prit, l'Epoux céleste partout où il ira. Et pourtant, 
» ces consolations si courtes ne seront goûtées, même 

* accidentellement, que par ces âmes qui, par une 
» grande piété, des désirs ardents et une affection 
» très-tendre, prouvent qu’elles sont de véritables 
» Epouses de Jésus-Christ, et méritent ainsi que, pour 
» les visiter, le Verbe éternel, en prenant la forme 
» d’Êpoux, se revête de tous ses charmes. » Saint 
Bernard dit dans un autre endroit : 

« (1) Peut-être Jésus s’est-il éloigné de ses disciples 
» afin de nous apprendre à le rappeler avec plus 
» d’empressement et à le retenir avec plus de force. 
» Car il feignait quelquefois de vouloir aller plus 
» loin, non qu’il en eut réellement l’intention, mais 
» il voulait se faire dire : (2) Demeurez avec nous , 
» parce qu’il est déjà tard . Or cette pieuse feinte, disons 
» mieux, cette conduite si avantageuse pour nous 
que l’on pouvait quelquefois remarquer dans les 
» actions corporelles du Verbe fait chair, le Saint- 
». Esprit ne cesse pas d’y recourir tous les jours, 
» d’une manière et avec une sollicitude toute parti- 
meulière en faveur des âmes qui lui sont dévouées. 
» U se montre en passant pour qu’on le retienne, il 

• s'éloigne pour qu’on le rappelle. S’il s’éloigne, c’est 
» par une sage dispensation de ses grâces; s’il re- 

(I) Serm. 64, sup. Gant. — (S) Lue. Si. 


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IV* PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XXXV. 18 ï 

» vient, c’est qu il veut toujours être avec nous. Sa 
» conduite dans l’un et l’autre cas e6t pleine de sa- 
» gesse, et ses motifs ne sont connus que de lui seul. 

» On ne peut donc nier maintenant que notre âme ne 
» soit sujette à ees alternatives de retour et d’étoigne- 
» ment du Verbe; et il nous les a annoncées lui-même 
» en disant : (I ) Je m'en vais , mais je reviendrai à vous. 

» Et aussi : (2) Encore un peu de temps vous ne me 
» verrez plus, et encore un peu de temps vous me rever- 
» rez. Un peu de temps sans vous, tendre Jésus, est-ce 
» donc si peu de chose? ün peu de temps loin devons, 

» n’est-ce pas une éternité ? Vous dites qu’il est court * 
» le temps où nous sommes privés de vous voir; toute- 
» fois. Seigneur, quelle que soit l’autorité de votre 
» parole, il me semble que ce temps est long et beau- 
» coup trop long. Mais il est vrai de direquece tempsde 
» privation est tout à la fois court et long, court eu 
» égard à nos mérites, et toujours long suivant nos 
» désirs. Le Prophète explique ceci en ces termes: 

» (3) S'il diffère un peu, attendez-le néanmoins avec une 
» pleine àssurance , car il arrivera très-certainement et 
» il ne tardera pas. Comment donc peut-on dire que 
» s’il diffère il ne tardera pas, sinon parce que ce 
» retour est beaucoup trop prompt pour nos mérites, 

» quoique pourtant il soit trop lent pour nos vœux. 

» Or l’âme fidèle, enlevée par ses vœux, entraînée 
» par ses désirs se dissimule ses imperfections, dé- 
» tourne ses yeux de la Majesté de Celui qu’elle ap- 
» pelle y et les fixe uniquement sur la félicité 
» après laquelle elle soupire, et, espérant tout de 

(4) Joan. 44. — (2) Joan. 44* — (?) Habaouc, 4. 


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188 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» son Sauveur, elle s’abandonne à lui avec une 
» entière confiance. Enfin, bannissant la honte et la 
» crainte, elle rappelle son divin Epoux et lui rede- 
» mande avec confiance ses délicieux embrasse- 
9 ments, prenant comme par le passé la liberté de 
» l’appeler, non son Seigneur, mais son Bien-aimé, 
» et de lui dire : (1) Revenez , mon Bien-aimé. * Saint 
» Bernard dit encore autre part: « (2) Le Verbe éter- 
» nel fait constamment éprouver de semblables vicis- 
» situdes aux personnes qui sont vraiment spiriluel- 
» les, ou plutôt qu’il veut rendre telles, et, qu’à cet 
» effet il soumet à ces alternatives, les visitant dès 
» le matin et les éprouvant bientôt après. » Tout 
cela est de saint Bernard. 

Vous voyez donc comment Notre-Seigneur Jésus- 
Christ visite et délaisse spirituellement les âmes, et la 
conduite qu’elles ont à tenir dans ces circonstances. 11 
faut alors solliciter son retour avec beaucoup d'in¬ 
stance; en attendant souffrir patiemment l’absence 
du céleste Epoux, et, à l’exemple des disciples qui, 
pour lui obéir, montent sans lui dans la barque, de¬ 
meurer ferme au milieu de la tempête et attendre 
de lui seul le secours et la délivrance. Mais revenons 
à Jésus-Christ. 

Ses disciples s’étantmisen mer, Jésus monta seul sur 
la montagne et échappa ainsi aux poursuites de ceux 
qui le cherchaient. Vous voyez avec quel soin et quelle 
prudence il se dérobe et se soustrait aux honneurs de 
la royauté. Il nous donne ici un grand exemple que 
nousdevons imiter. Car ce n’estpas pour lui, c’est pour 

(I) Cant. I. — (2) Serin. 17, sup. Cant. 


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IV e PARTIE. T- MERCREDI, CHAP. XXXV, 189 

nous qu’il prend ici lafuite.il savait, en effet, quelleest 
notre témérité, lorsque nous osons aspirer aux hon¬ 
neurs. Certes, je ne connais pas de filets plus dange¬ 
reux pour prendre les âmes, de fardeaux plus pesants 
pour les accabler, que les honneurs, soit ceux que 
donnent l’élévation et le pouvoir, soit ceux que procu¬ 
rent le talent et la science. Car celui qui se plaît dans 
les honneurs est indubitablement dans un grand pé¬ 
ril et sur le bord d’un précipice; disons plus, il est 
déjà tout froissé au fond d’un abîme,et je vais vous le 
prouver par plusieurs raisons convaincantes. La pre¬ 
mière, c’est que son cœur s’attache avec excès aux 
honneurs, et qu’il n’est plus occupé que du soin de 
les conserver ou de les augmenter. Or, selon saint Gré¬ 
goire : (î) « plus on s’attache aux choses de la terre, 
» plus l'amour divin s’affaiblit en nous.» La seconde, 
c’est qu’il cherche à se faire des amis faciles et com¬ 
plaisants, dont l’entremise et l’assistance puissent 
protéger et accroître la considération qu’il s’est ac¬ 
quise; d’où il arrive souvent qu’il sacrifie les inté¬ 
rêts de Dieu et ceux de sa propre conscience pour 
complaire à de tels amis et obtenir ainsi qu’ils se dé¬ 
vouent à son service. La troisième, c’est qu’il e3t ja¬ 
loux de ceux qui sont au-dessus de lui, et qu’il les 
décrie dans l’intention d’accroître sa considération 
personnelle, et il tombe ainsi dans la haine et dans 
l’envie. La quatrième, c’est qu’il se croit, et qu’il 
veut qu’on le croie digne d’être honoré, et tombe 
ainsi dans l’orgueil et la présomption. Or, suivant 
l’Apôtre (2) : Si quelqu'un croit être quelque chose , ilse 


(I) Grég. Hom. 30, in Evau. — (2) Gai. 0. 


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109 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

trompe lui-même, puisqu'on effet il n'est rien, fit Notre- 
Sejgneuc dit à ce sujet dans l’Evangile ( t) : Lorsqm 
vous aurez accompli tout ce qui vous est commandé^ de* 
tes : Nous sommes des serviteurs inutiles. Or ce langage 
est-il jamais celui d’un ambitieux? La cinquième, 
c’est qu'il n’agit plus selon l'esprit, mais selon la 
chair, parce qu’au lieu de s’élever et de s’attacher 
uniquement aux choses du ciel, soû coèur se dissipe 
et se partage en mille objets divers. La sixième et 
dernière raison, c’est que, dès qu’il commence à se 
passionner pour les honneurs, il y prend un tel goût 
que rien ne peut le rassasier : aussi tous les jours il 
eh Recherche de nouveaux et de plus grands ; et plus 
il en obtient, plus il en désire, parce qu’il croit ac¬ 
quérir sans cesse de nouveaux droits aux honneurs 
dont, è ses yeux et à ceux des autres, il lui semble 
qu’il est de plus en plus digne; et par là il tombe 
dans l’ambition, vice détestable, principe et cause 
de beaucoup d’autres vices. 

Màispôür combattre une si dangereuse inclination, 
ce n’est paè moi, c’est saint Bernard qu'il faut écou¬ 
ter. « ($) L’ambition, dit-il, est uû mal subtil, uù 
» poison secret, une peste cachée, la maîtresse de la 
» fourberie, la mère de l’hypocrisie; elle engendre 
» l’envie, elle produit tous les vices, enfante tous les 
» crimes, ronge toutes les Vertus, anéantit la sain- 
» tetè, aveugle le cœur, change le remède en un 
» mal dangereux, rend Pâme plus faible et plus lan- 
» güissanle pat les moyens méhiè employés pour lui 
» procurer la force et la vigueur. Et que d’hommea 

(I) Lue, 17. — (9) Serin. 6, tup. pealm* Qui habitai. 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XXXV. 191 

» misérablement vaincus par cette funeste passion, 
» ont été honteusement renversés, afin d'effrayer 
» par une cliute si rapide tous ceux qui ferment les 
». yeux sur les dangers du précipice que l’ambition, 
» semblable à un mineur, creuse en secret sous leurs 
» pas ! Mais à quelle cause peut-on attribuer le dé- 
» veloppement d’un si grand mal, si ce n’est à i’é- 
» garement de l’esprit et à l’oubli de la vérité? Or 
» qui peut dévoiler la trahison d’un ennemi si per- 
» fîde, et mettre au grand jour cette œuvre de ténè- 
» bres, si ce n’est la Vérité? C’est elle qui a dit : (1) 
» Que sert à l'homme de gagner l’univers t s'il vient à 
» se nuire et à perdre son âme ? La Vérité dit encore : 
« (2) Les puissants seront puissamment tourmentés. 
» C’est la vérité qui rappelle sans cesse à notre es- 
» prit que l’ambition ne fait goûter qu’une satisfiac- 
» tion frivole, qu’elle nous expose à un jugement 
» terrible, que ses jouissances sont courtes et qu’on 
» ignore à quelle fin elle nous conduit. Voilà pour- 
» quoi le démon ténia pour la troisième fois Notre. 
» Seigneur; il le fit par l’ambition, eu lui promettant 
» de lui donner tous les royaumes du momie, si, en 
» se prosternant devant lui, il consentait à l’adorer, 

» Vous Voyez donc que Satau n’offre aux ambitieux 
» d'autres moyens pour s'élever que de l’adorer; c’est 
» à trelte condition qu’il leur promet de les faire pat- 
» venir à ta gloire et aux honneursdu monde.* Saint 
Bernard dit ailleurs : (3) « Nous aspirons tous à mou- 
» ter, nous avons tous le désir de nous élever; car 
» nous sommes de nobles créatures, et nos âmes ont 

(I) Matth. q, — {3) Sap.6, — (3) Serm. 4, de Ascens. — 


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192 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» quelque grandeur; voilà pourquoi nous tendons à 
» ce qu’il y a de plus sublime. Mais malheur à nous 
» si nous imitons celui qui osa dire : (1) « Jem’assié- 
» rai sur la montagne du Testament, tout à côté de 
» l’Aquilon. » Que dis-tu, misérable, tout à côté de 
» l’Aquilon! Cette montagne est glacée, nous ne vou- 
» Ions pas t’y suivre. Tu n’as encore que le désir de 
» t’élever et déjà tu te flattes d’être parvenu à la 
» plus haute puissance. Or combien d’hommes, jus- 
» qu’à ce jour, ont ignominieusement et misérable- 
» ment marché sur tes traces ! Ou plutôt qu’il y en a 
» peu qui ne soient dominés par le désir de dominer 
» les autres ! Qui suivez-vous-là, malheureux, qui 
» suivez-vous là ? N’allez-vous pas gravir la monta- 
» gne au sommet de laquelle l’Ange rebelle fut 
» transformé en démon? Remarquez qu’après sa 
» chute, Satan fut dévoré par l’envie, et pour satis- 
» faire le désir qu’il avait de perdre l’homme, il lui 
» montra une autre montagne semblable à celle du 
» Testament, en disant : (2) Vous serez comr^e des 
» Dieux , vous aurez la science du bien et du mal. » Saint 
Bernard dit peu après : « Cette ambition du pouvoir 
» priva l’Ange rebelle de la félicité angélique ; le dé- 
» sir de savoir dépouilla aussi l’homme de la glo- 
» rieuse immortalité. Mais, je vous le demande, cora- 
» bien celui qui s’efforce de parvenir au faite des 
» honneurs aura-t-il de contradicteurs et de rivaux 
» empressés à le supplanter ; combien trouvera-t-il 
» d’obstacles, que de difficultés rencontrera- 1-il 
* dans sa marche? Et que serait-ce s’il venait à ob- 


(I) ls&I. 14. — (2) Gen. S. 


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1V« PARTIE-MERCREDI., CttAP. XXXV. 193 

» tenir l’objet de ses désirs! *(1) Les puissants, dit 
» l'Écriture, seront puissamment tourmentés . Il est donc 
» inutile de vous parler des sollicitudes et des anxié- 
» tés sans cesse renaissantes dont le pouvoir lui- 
» môme est la source. D’autres ont l’ambition d ac 
» quérir la science qui enfle le cœur. Quels travaux, 

» quelles inquiétudes pour leur esprit ! et cependant 
» une voix intérieure leur répète sans cesse : « Vos 
» efforts, dussent-ils abréger votre vie, ne vous fe- 
» ront jamais atteindre le but. » Leur regard devient 

* sombre toutes les fois qu’ils rencontrent un homme 
» auquel ils se croient inférieurs ou qu’ils pensent 
» que les autres leur préfèrent. Et qu’arrive-t-il 
» lorsqu’ils sont parvenus au comble de l’orgueil? 

» (2) Je réprouverai, dit le Seigneur, là science des sa- 
» vants, et je perdrai la sagesse des sages. Si la pro- 

* fondeur de l’abime où l'Ange a été précipité, si la 
» chute de l'homme nous ont saisis d’effroi, je pense 
» que vous avez déjà compris, sans que je m’arrête 
» à de plus longs détails, combien il nous importe île 
» nous éloigner des deux ihontagnes dont je viens de 
» parler. (3) Montagnes de Gelboè, que la rosée du ma - 
» tin, que les pluies salutaires ne tombent jamais sur 
» vous . Toutefois, qu’allons-nous faire? Monter de 
» cette sorte ne nous convient pas, et pourtant le 
» désir de nous élever nous presse. Qui nous ensei- 
» gnera à monter sans danger, si ce n’est Celui dont 
» il est dit (4) : « que le môme qui est descendu est 
» aussi monté? » C’était à Lui à nous montrer Ja 
» route par laquelle nous devons monter, de peur 


(I) Sap. 6.— (2) 4. Cor. 4. — (3)2. Reg» 4 — (4) Eph. 4. 

13 


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t $4 MÿppATjws sua 14 via de n.-s. j.-c. 

» que nous du suivissions les traces ou les conseils 
f du guide, disons mieux, du séducteur ie plus per- 

> fide. Or donc, comme il n’y avait personne qui pût 
» paon ter jusqu’à lui, le Très-Haut lui-même est des¬ 
cendu, et par oet abaissement volontaire, il nous a 
» indiqué un moyen doux et salutaire de nous éle- 
* ver. 11 est descendu des hauteurs de la puissance 
9 en se revêtant des infirmités de notre chair; il est 
» descendu des hauteurs de la science, puisqu’il a 
» plu à Dieu de sauver ceux qui croient par la folie 
9 de la prédication. Quoi de plus faible, en effet, que 
t ie tendre corps, que les membres délicats d’un en- 
9 faut? Que peut-on trouver de plus ignorant qu’un 
» enfant qui ne connaît que le sein de sa mère? Quoi 
9 de plus impuissant qu’un homme dont tous les 
9 membres sont doués à la croix, et dont, on peut 
i compter tous les os? Qui peut paraître plus insensé 
i que celui qui se livrait à la mort afin d’expier par 
t U des crimes dont il était innocent? Voyez corn- 

> bien, dans ce profond abaissement, il anéantit sa 
t puissance et sa sagesse! Mais en même temps il ne 
9 pouvait porter la bonté à un plus haut point d’é- 
9 lévation, ni donner une recommandation plus ex- 
9 presse de sa charité. Et il ne faut pas s’étonner que 
» le Christ se soit élevé en s’abaissant, puisque l’Ange 
9 et l’homme rebelles sont tombés en voulant s’éle- 
9 vef. » 

Saint Bernard dit encore dans un autre endroit : 
« (I) C’est pourquoi, mes bien-aimés, persévérez dans 
» La doctrine que vous avez embrassée, afin de par- 

ci) Serin. deXseen*. S. 


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IV* PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XXXV. 196 

• venir à la sublime perfection par le moyen de l’hu- 
» milité; car c’est là la voie qu’il faut prendre, et il n’y 
» en a pas d’autre que celle-là. Celui qui ne la sui 
i pas toçibe plutôt qu’il ne monte, parce qu’il n’y a 
» que l’humilité qui èlève et qui exalte ; il n’y a qu’elle 

> qui conduit à la vie. » Saint Bernard ajoute : • Q 
» perversité, ô ambition des enfants d’Adam! puisque, 
» trouvant tant de difficulté à monter et tant de faci* 
» iité à descendre, ils* sont si empressés à s’élever et 
» ont tant de peine à s’abaisser, toujours prêts àpour- 

> suivre les honneurs et les plus hautes fonctions du 
» ministère ecclésiastique dont les Anges eux-mêmes 

• devraient craindre de se charger. Et cependant, 
» Seigneur Jésus, à peine trouve-t-on pour marcher 
» à votre suite quelqu’un qui veuille se laisser con- 
» duire, ou du moins traîner dans la voie de vos 
» commandements. » Tout cela est de saint Bernard. 

Vous voyez, par ce qui précède, que vous ne pou¬ 
vez parvenir à la véritable gloire que par l’humilité, 
et que vous devez toujours fuir les faux honneurs 
du monde ; mais, parmi ces amateurs passionnés des 
sciences et des honneurs, quelques-uns peut-être se 
font,pour excuser leur ambition, un prétexte du 
salut des âmes qu’ils $e llattent ainsi de gagner plus 
facilement à Dieu. Ecoutez là réponse que leur fait 
saint Bernard ( 1 ) : « Plaise à Dieu, dit-il, que ceux 
» qui entrent ainsi dans la carrière des honneurs, 
» s’acquittent, s’il était possible, de leurs fonctions 
» avec autant de fidélité qu’ils ont mis de confiance 
» à s’y iiîgérer. Toutefois, il est difficile, peut-être 

(4) Sarm. ad Cleric. 


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496 MÉDITATIONS SUR LÀ VIE DE N.-S. J.-C. 

» même impossible, de voir le doux fruit de la cha- 
» rité sortir de la racine amère de l'ambition. » Tout 
ceci est encore de saint Bernard. 

Or, pour parvenir à cet indispensable mépris des 
honneurs, il faut toute la perfection d’une vertu 
suréminente. Car, comme le dit saint Chrysostôme : 
« Il est aussi difficile de faire un bon usage des hon- 
» neurs, que d’habiter avec unç jeune fille d’une ex- 
» trême beauté en s’imposant l’obligation de ne jeter 
» jamais sur elle un regard impur. Il est doDG indu- 
» bitable qu’un homme parvenu au pouvoir ou à la 
» gloireabesoind’unegrande force d’âme pour n’user 
» de ces avantages que lorsque la nécessité 4 l’exige. » 


CHAPITRE XXXVI. 

Commei* Notre-Seigneur pria sur la montagne, et après eu 
être descendu marcha sur la mer. — Considérations sur 
la prière. 

Comme vous venez de le voir, Notre-Seigneur 
Jésus-Christ commanda à ses disciples d’entrer dans 
une barque, et monta seul sur la montagne (1). Ache¬ 
vons de dire ce que fit Notre-Seigneur après la mul¬ 
tiplication des pains, parce que cela fait suile au mi¬ 
racle , et que les choses rapportées dans ce chapitre 
cl dans le précédent ont eu lieu simultanément. 
Toutefois, je les ai séparées pour vous les faire mieux 
saisir et pour vous développer plus clairement les 

(4) Marc. 6 ; Joau. 47 ; Malili. U. 


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IV® PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XXXVI. 197 

moralités qu'on en peut tirer. Après donc que les 
disciples se furent embarqués, Jésus se retira sur la 
montagne, où il demeura en prières jusqu’à la qua¬ 
trième veille de la nuit, c’est-à-dire jusqu’au mo¬ 
ment où les trois quarts de la nuit étant écoulés, il 
n’en restait plus que la quatrième partie. Vous voyez 
par là que Notre-Seigneur passait les nuits en priè¬ 
res ; et on lit en plusieurs endroits de l’Evangile qu’il 
s’est souvent appliqué à l’oraison. Considérez donc 
comment il prie et s’humilie devant son Père, i 
cherche la solitude, il s'y rend seul, il se mortifie en 
y passant de longues heures. (I) Pasteur fidèle, il in¬ 
tercède pour ses brebis; comme notre avocat, et 
notre médiateur auprès du Père, c’est pour nous qu’il 
prie et non pour lui-même. Il prie encore pour nous 
donner l’exemple de la prière. Aussi en avait-il sou¬ 
vent fait à ses disciples un précepte qu’il confirma 
par sa conduite. Car il leur disait qu'il faut toujours 
prier et ne jamais se lasser ; leur apprenant, (2) par 
la parabole du juge et de la veuve rapportée en saint 
Luc, que la prière persévérante et même importune 
obtient tout ce que l’on demande. Il les encourageait 
aussi à espérer qu’ils obtiendraient tout ce qu’ils de¬ 
manderaient en leur disant : (3) Demandez et vous 
recevrez; leur proposant à ce sujet une autre compa¬ 
raison, celle d’un homme qui, vaincu par l’importu¬ 
nité d’un ami, lui prête le pain dont il avait be¬ 
soin ( 4 ), comme on le voit dans le même saint Lue. 
Et par là Jésus voulait nous faire connaître toute la 
puissance de la prière. 


(I) I. Joann. II. — (S) Luc. 18. — (3) Luc. 18. — (4) Luc. H. 

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Mfc WÉfllTArWWS 8ÜR LA VIE DE N.-SU I.-C. 

En effet, rien de pins Inestimable, rien de plus ef¬ 
ficace pour obtenir ce qui nous est utile et pour dé¬ 
tourner de nous tout ce qui pourrait nous nuire. Si 
tous v ouïes donc supporter patiemment l’adversité, 
soyes un homme de prière. Si vous voulez surmon¬ 
ter toutes les tentations et les tribulations, soyez un 
homme de prière. Si vous voulez détruire vos mau¬ 
vais penchants, soyez un homme de prière. Si vous 
voulez découvrir les ruses de Satan et échapper à 
ses embûches, soyez un homme de prière. 8i vous 
voulez servir Dieu avec joie et marcher à grands pas 
dans la voie des peines et des afflictions, soyez un 
homme de prière. Si vous voulez pratiquer les exer¬ 
cices de la vie spirituelle et résister à tous les désirs 
de la chair, soyez un homme de prière. Si vous vou¬ 
lez arrêter les vaines pensées qui, comme des mou¬ 
ches, vous importunent sans cesse, soyez un homme 
de prière. Si vous voulez nourrir votre âme de 
bonnes pensées, de saints désirs, -d’une pieuse fer¬ 
veur, d’une tendre piété, soyez un homme de prière. 
Si vous voulez que votre cœur s’affermisse avec au¬ 
tant de courage que de constance dans la résolution 
de plaire à Dieu en toutes choses, soyez un homme de 
prière. Enfin, si-vous voulez déraciner en vous tous 
les vices et y faire fructifier toutes les vertus, soyez 
un homme de prière. C’est, en effet, dans la prière 
que l’on reçoit Fonction du Saint-Esprit qui nous in¬ 
struit de toutes choses. J’ajoute que, pour s’élever à 
la contemplation et jouir des embrassements de l’E¬ 
poux céleste, il faut aussi être un homme de prière. 
Car c’est dans l’exercice môme de la prière que l’on 
se trouve conduit jusqu’à cette contemplation, jusqu’à 


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IV» RARTtÉ. — MËRfiREDI, CHAR. XXXY1. ÏW 

ces extases qui sont nn avant-goût des délices cé¬ 
lestes. Vous voyes toute la puissance, toute la vertu 
de la prière. Sans palier des témoignages de l’Ecri¬ 
ture, une preuve très-forte qui confirme ce que je 
viens de dire, c’est que nous voyons et entendons 
dire tous les jours que des personnes fort simples et 
fort ignorantes obtiennent par la vertu de la prière 
toutes les grâces dont nous avons parlé ci-deSSÜS et 
plusieurs autres faveurs encore plus importantes. 

La prière doit donc être fort habituelle il tous Cèui 
qui veulent imiter Jésus-Christ et particulièrement à 
tous les Religieux qui ont plus de temps à consacrer 
à ce saint exercice. C’est pourquoi je vous conjure, 
et, autant que je le puis, je vous recommande ex¬ 
pressément de faire de la prière votre exercice prin¬ 
cipal, et, sauf les obligations indispensables, de né 
vous attacher qu’à la prière, parce que rien ne doit 
vous être plus agréable que de demeurer avec No- 
tre-Seigneur, avantage que la prière seule peut nous 
procurer. Mais, pour vous déterminer à Cèlte pra¬ 
tique par l’avis d’un meilleur conseiller, écoutes ce 
que dit saint Bernard avec tant d’onction SUT ce Su¬ 
jet. Voilà ses paroles : « (l) Ceux qui s’exercent fté- 
» quemment à l’oraison ont éprouvé ce que je Vais 
» dire. 11 arrive souvent que l’on s’approche dè l’ati- 
» tel, avec tiédeur et sécheresse ; on s’applique à là 
» prière, on y persévère, et bientôt la grâce se ié- 
» pand en nous, le cœur se dilate, il est tout inondé 
» des eaux de la piété, dont la douceur est eotilpa- 
> rabte à celle du lait; et, si l’ott tente d’en éxpfi- 


(4) fiera, tap. Cinft* fi. - 


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200 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» mer quelques gouttes, elles ne tarderont pas à cou- 
» 1er avec abondance. » Saint Bernard dit encore 
dans son cinquième sermon sur le premier dimanche 
de carême (1) : « Toutes les fois que je parle de la 
» prière, il me semble entendre dans mon propre 
» cœur ce murmure de la raison humaine : Comment 
» se fait-il que, ne cessant jamais de prier, aucun de 
» nous n’ait jamais expérimenté quel est le fruit de 
» la prière? Tels nous sommes Venus à la prière, tels 
» nous paraissons nous en retirer ; personne ne nous 
» a répondu, personne ne nous a rien donné. Maisfiez- 
» yous au jugement qu’en porte la foi, et non à votre 
» expérience ; caria foi ne nous trompe jamais et i'ex- 

* périenceest sujette à l’erreur. Or en quoi consiste la 
» certitude delà foi, sinon dans cette promesse du Fils 
» de Dieu : (2) Tout ce que vous demanderez dans la prière, 

» woyezque vous Vobtiendrez, et vousl*obtiendrez en effet. 
» Qu’aucun de yous, mes frères, ne s’avise de faire 
» peu de cas de la prière. Car je vous assure que 

* Celui auquel nous l’adressons, l’estime beaucoup. 
» Avant môme qu’elle soit échappée de nos lèvres, il 
» la fait écrire dans son livre. Et nous pouvons comp- 
» ter avec certitude qu’il arrivera l’une de ces deux 
» choses : ou nous recevrons ce que nous demandons, 
» ou Dieu nous donnera ce qu’il sait nous être plus 
» utile encore. Car nous ne savons pas ce qu’il nous 

* convient de demander , mais il a pitié de notre 
» ignorance, et, recevant avec bonté notre prière, il 
» nous refuse tout ce qui ne nous est pas absolument 
» nécessaire, ou qu’il ne faut pas nous accorder si- 


(I) Bern. Serai. 5. de Quad. — (*) Marc. II. 


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IV® PARTIE. — MERCREDI, CffAP. XXXVI. 201 

tôt; toutefois, notre prière ne demeure pas infruc¬ 
tueuse. "Rien de plus certain, si, suivant le conseil 
du Psalmiste, nous mettons nos délices dans le Sei¬ 
gneur. David en effet dit : (1) Mettez vos délices dans 
le Seigneur , et il exaucera tous les désirs de votre 
coeur . » Saint Bernard ajoute peu après : « Mais re¬ 
marquez qu’il appelle désirs du cœur^ceux qui sont 
ratifiés au tribunal de la raison. Ainsi, au lieu de 
vous plaindre, remerciez Dieu de tout votre cœur, 
puisqu’il veille avec tant de soin à vos intérêts que 
toutes les fois que, par ignorance, vous lui deman¬ 
dez des choses inutiles, il vous les refuse et vous 
donne en échange ce qui peut vous être le plus 
avantageux. C’est ainsi qu’un père, selon la chair, 
donne volontiers à son fils le pain qu’il lui de¬ 
mande; mais si l’enfant veut avoir un couteau, le 
père le jugeant inutile, le lui refuse, aimant mieux 
couper lui-même le pain qu’il lui a donné. Or, je 
crois que notre cœur n’a que trois demandes à 
faire, et je ne comprends pas ce qu’un vrai Chré¬ 
tien peut désirer de plus. Deux de ces demandes 
regardent le temps présent : ce sont les biens de 
notre corps et ceux de notre âme ; la troisième a 
pour objet le bonheur de la vie éternelle. Et ne 
vous étonnez point de m’entendre dire qu’il faut 
demander à Dieu les biens du corps, parce que c’est 
de lui que nous viennent et tous les biens du corps 
et tous ceux de l’âme. Il faut donc lui demander 
et espérer qu’il nous accordera tout ce qui peut 
• nous soutenir dans la fidélité à son service. Cepeo- 

(hPs s«. 


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MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.HS. J.-C. 

> dant, à l’égard des besoins de Pâme, qui sont la 
» grâce et l’acquisition des vertus, il faut, pour les 
» obtenir, les demander avec plus de ferveur et d’as- 
» siduité. Ainsi nous devons demander avec toute la 
» piété et toute l’ardeur dont nous sommes capables.* 

» la vie éternelle dans laquelle notre corps et notre 
» âme jouiront indubitablement d’une félicité par- 
» faite. » 

Saint Bernard dit ensuite : « Lors donc que vous 
» demandez des choses temporelles, bornez-vous aux 
» choses nécessaires; lorsque vous demandez les 
» vertus de rame, faites-le avec une grande pureté 
» d’intention, ne cherchant que le bon plaisir de 
» Dieu ; lorsque votis demandez les biens de la vie 
» éternelle, priez avec beaucoup d’humilité, n’atten- 
» dant rien que de la miséricorde de Dieu. » Saint 
» Bernard dit encore : (1) « Celui qui veut prier doit 
» observer et le lieu et le temps. Le temps le plus 
» commode et le plus convenable est celui des Fêtes, 
» et surtout le moment de la nuit où le sommeil dé 
» tout ce qui respire est indiqué par un silence uni- 
» vérsel ; c’est alors indubitablement que la prière 
» s exhale et plus libre et plus pure. (î) Levez^vous 
» donc dam les premières veilles de la nuit, et que votre 
» cœur, comme une eau limpide, s’épanche sous les 
» yeux du Seigneur votre Dieu. Avec quelle con- 
» tiance la prière s’élève pendant là nuit, lorsqu’on 
» n’a pour témoin que Dieu et l’Ange saint qui la 
» reçoit pour la présenter sur l’autel du Giell Que de 
» charmes, que de lumières l’embellissent ! Elle res- 


(!) Serai* S6, top. Cent — (2) Thren. i, 5. 

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IV» PARTIE. — MERCREDI, CHAR* XXXVÏ. WR 

» semble à une vierge dont la chaste pudeur a coloré 
» le front. Qu’elle est calme et paisible! aucune voix, 

» aucun bruit ne vient l’interrompre. Enfin, qu'elle 

* est pure èt sincère! la poussière des sollicitudes de 
» la terre ne ternit point son éclat; sans témoin, elle 
» n’est point exposée à la tentation des lquanges ou 
» de la flatterie. Voilà pourquoi l’Epouse des sacrés 
» Cantiques cherchait, avec autant de pudeur que 
» de discrétion, le secret de la solitude et de la nuit 
» afin d’y prier, c’est-à-dire d’y chercher le Verbe 
» éternel. C’est en effet une même chose. On prie 
» donc mal quand on cherche, en priant, autre chose 
» que le Verbe, ou quelque chose que l’on ne recher- 
» che pas pour le Verbe, parce qu’il renferme tous 
» les biens. Nous trouvons en lui des remèdes pour 
» toutes nos plaies, des secours pour tous nos be- 
» soins, des soulagements pour toutes nos misères, 
» la plénitude de tous les biens, enfin tout ce qu’il 
» convient, tout ce qu’il est avantageux, tout ce 
» qu'il est indispensable à chacun de recevoir ou de 
» posséder. C’est donc à tort que nous demandons au 
» Verbe autre chose que lui, puisqu’il est lui-même 

* toutes-choses ; car, bien que dans nos besoins, nous 
» paraissions demander plus familièrement les Dieu s 
» temporels, si, comme il convient, c’est à cause du 
» Verbe que nous les demandons, ce ne sont pas cer- 
» tainement ces biens que nous cherchons, mais plu- 
» tôt celui en vue de qui nous les sollicitons. » Là 
finit saint Bernard. 

Vous venez d’entendre les belles paroles du grand 
contemplatif saint Bernard qui a si souvent expéri¬ 
menté la douceur de la prière ; méditez-les à votre 


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204 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

aise, afin de les mieux gaûter. Or, si j’insère et rap¬ 
porte volontiers ses paroles dans cet ouvrage, ce* 
n’est pas seulement parce qu’elles élèvent l’esprit et 
pénètrent le cœur, mais c'est qu’elles sont pleines de 
charme et très-propres à exciter au service de Dieu. 
Car saint Bernard joignait à la plus grande éloquence 
la plénitude de l’Esprit de sagesse et la sainteté la 
plus éminente. 3e désire que vous l’imitiez et que 
vous mettiez en pratique ses avis et ses leçons. C’est 
dans cette vue que je le cite si souvent. 

Mais revenons à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Pen¬ 
dant qu'il priait sur la montagne, ses disciples sur la 
mer étaient foçt affligés et dans la plus grande 
anxiété, car le vent leur était contraire et leur bar¬ 
que était agitée par les flots et par la tempête. Fixez 
donc vos regards sur eux, ayez-en compassion, ils 
sont pleins de trouble et d’angoisse. La tempête est 
venue fondre sur eux, ils sont au milieu de la nuit 
et privés de leur divin Maître. Cependant, à la qua¬ 
trième veille de la nuit, le Seigneur descendit de la 
montagne et s’approcha d’eux en marchant sur la 
mer. Considérez-le donc attentivement ici, je vous 
prie, et voyez comment, après les fatigues d’une 
longue veille et d’une prière prolongée, il descend 
seul et nu-pieds d’une montagne escarpée et peut- 
être raboteuse, et comment il s’avance sur les flots 
d'un pas aussi ferme que s’il eût marché sur la terre. 
La Créature reconnut donc son Créateur. Or,.(i) lors¬ 
que Jésus approchait de la barque , les disciples, frap¬ 
pés de terreur , poussèrent un cri , croyant que c 'était un 

(4)Matfh. 14 


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IV è PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XXXVI. 205 

fantôme ; mais leur bon Maître, ne voulant pas les 
laisser plus longtemps dans le trouble où il les voyait, 
les rassura par ces paroles : C'est moi , ne craignez 
rien . Alors Pierre, sur l’ordre que lui en donna Jésus, 
plein de confiance en la puissance de son divin Maî¬ 
tre, se mit aussi lui-même à marcher sur la mer ; 
puis, ayant chancelé, il commençait à enfoncer, mais 
le Seigneur lui tendit la main pour le soutenir sur 
les eaux. Or, à cette occasion, on lit dans la Glose : 
« Jésus fait nlarcher saint Pierre sur la mer pour 
montrer sa puissance divine ; il permet qu’il enfonce 
pour lui rappeler sa faiblesse, pour qu'il ne se croie 
pas égal à Dieu, pour le préserver de l’orgueil. » 

Cependant Notre-Seigneur entre dans la barque; à 
l'instant la tempête cesse et il se fait partout un grand 
calme. Les disciples le reçurent avec respect; ils fu¬ 
rent remplis de la joie la plus vive et ils demeurè¬ 
rent dans une grande paix. Observez bien Jésus et 
ses disciples dans toutes les circonstances qui pré¬ 
cèdent ; ces détails sont pleins d’intérêt et d’édifica¬ 
tion. Vous pouvez donc ici moralement considérer 
que Notre-Seigneur nous traite tous les jours spiri¬ 
tuellement comme il a traité ses Apôtres ; il- souffre, 
il permet que, dans ce monde, ses élus soient affli¬ 
gés tant intérieurement qu’extérieurement, châtiant 
ainsi tous ceux qu’il adopte pour ses enfants. Car, 
suivant l’Apôtre : (1) Tous ceux que Dieu excepte du 
châtiment sont des bâtards et non pas ses enfants . H 
nous est donc avantageux d’éprouver ici-bas des tri¬ 
bulations et des afflictions ; car elles nous instruisent 

(1) Hebr. 12. 


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206 MÉDITATIONS SUR LA YIB DE N«-S- I.-C. 

elles nous font Requérir des vertus, elles conservent 
celles que nous avons acquises, et, ce qui est plus 
important encore, elles nous méritent et nous font 
espérer les récompenses éternelles. Ainsi il ne faut 
ni ne nous en laisser abattre, ni les souffrir avec im¬ 
patience, mais plutôt les désirer et les aimer. Toute¬ 
fois, comme on ignore assez généralement la grande 
utilité des afflictions, que plusieurs les trouvent pe¬ 
santes et insupportables, pour votre instruction et 
pour vous exciter à soutenir ces épreuves avec pa¬ 
tience, je vais, suivant mon habitude, mettre sous 
vos yeux les paroles de saint Bernard. Les voici : 

« (1) La tribulation utile est celle qui produit l’é- 
» preuve et conduit à la gloire, selon ces paroles : 
» je suis avec lui dans la tribulation, etc. Rendons gr&- 
» ces au Père des miséricordes de ce qu’il est avec 
» nous dans l'affliction et qu’il nous console dans 
» toutes nos tribulations. Je le répète, c’est vraiment 
» une chose nécessaire que d’étre dans une tribula- 
» tion qui se tourne en gloire, qui se change en joie, 
» en une joie éternelle que personne ne pourra nous 
» ravir, en une joie abondante et multipliée, pleine 
» et parfaite. C’est une chose nécessaire que cette 
» nécessité elle-même qui nous méritera la couronne 
» de la gloire. Mes frères, ne dédaignons pas la tribu- 
» lation; cette semence paraît méprisable, mais elle 
» produira de grands fruits; cette semence est insi- 
» pide, elle est pleine d’amertume, c’est le grain de 
» sénevé de l’Evangile. Ne nous attachons point aux 
» qualités extérieures, mais à la vertu cachée de 

(4) Bem. Serm. 47, super psal. Qui habitat • 


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IV* PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XXXVI. 20? 

» cette semence ; car ce qui frappe les sens est tem- 
» porel, ce qui leur échappe est éternel. » Saint Ber¬ 
nard continue en ces termes : (I) « Je suis avec lui dans 
» la tribulation , dit le Seigneur ; je mettrai donc toute . 

* ma joie dans les afflictions. (2) Tout mon bonheur 
» est de m’attacher à Dieu, de m’y attacher et même 
» de mettre en lui toutes mes espérances, puisqu’il a 
» dit : Je le délivreras et je le comblerai de gloire . Je 

* suis avec lui dans la tribulation, (3) car mes délices, 

» dit-il ailleurs, sont d'être avec les enfimtr des hommes . 

» 11 est descendu du ciel pour s’approcher de ceux 

* dont le cœur est affligé, pour être avec nous dans 
» les calamités de cette vie. Mais viendra le moment 
» où nous serons emportés sur les nuées pour aller, 

» au milieu des airs, au-devant de Jésus-Christ; et 
» alors nous serons pour toujours avec le Seigneur, 

■ » si, en attendant, nous nous appliquons avec soin à 
» le retenir toujours au milieu de nous. Seigneur, il 
» est donc plus avantageux pour moi de souffrir avec 
» vous que d’occuper un trône sans vous, de nager 
» sans vous dans les délices et d’être glorifié sans 
» vous. (4) Le vase du potier s'éprouve au feu de la 
» fournaise, comme le juste à celui de la tribulation * 
» Pourquoi craindre, pourquoi hésiter, pourquoi fuir 
» à la vue de cette fournaise? L’épreuve est terrible, 
» il est vrai, mais le Seigneur est avec nous dans 
» la tribulation. Or, si Dieu est avec nous, qui sera 
» contre nous? Et pourtant, s’il nous délivre, qui 
» pourra nous arracher de ses mains toutes puis- 


(I) PmI. «0. — fl) Ps&l. 73. — (S) ProT. 8. —fl) Eccü. 37. 


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208 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» santés? Enfin si nous sommes glorifiés par lui, qui 
» pourra nous humilier? » 

Le môme saint Bernard dit ailleurs : « (1) Glori- 

* lions-nous donc non-seulement dans le temps de 
» l’espérance, mais aussi dans celui de la tribulation. 
» (2) Je prendrai plaisir , dit saint Paul, à me glorifia * 
» dans ma faiblesse , pour que la vei'tu de Jésus-Christ 
» demeure toujours en moi. Rien de plus désirable 
» qu’une telle faiblesse que compense si abondam- 
» ment la vertu de Jésus. Qui me donnera cet affai- 
» blissemènt ou plutôt cette défaillance, cet anéan- 
» tissement parfait, pour mériter d’être à jamais 
» inébranlable par la vertu du Seigneur des vertus? 
» Car la vertu se perfectionne dans l’infirmité, ce qui 
» a fait dire à l’Apôtre : « (3) Quand je suis infirme, 
y c'est alors que je suis fort et puissant. » Saint Ber- 
» nard dit encore autre part : « (4) L’Epouse des sacrés 
» cantiques ne dit pas de son Bien-Aimé que c’est un 
» faisceau, mais un bouquet de myrrhe, parce que 

* son amour lui fait regarder comme légères toutes 
» les fatigues et toutes ies peines qu’elle pourrait 
» avoir à redouter à son service. » Et en effet c’est 
» un bouquet, un fardeau léger, que cet (5) Enfant 
» qui nous est né. C’est un fardeau léger, car (6) les 
» souffrances'de la vie présente n'ont aucune proportion 
» avec cette gloire qui doit se manifester un jour pour 
» nous. » En effet, dit saint Paul, (7) ce que nous avons 
» à souffrir dans le temps présent est léger, ne dure 

* qu'un moment , et cette courte épreuve nous mente un 


;i, Rem. Serin. 25, super Cant. — (2) 2. Cor. 42.— (3) 2. Cor. 42. 
(4) Serin. *3, sup. Caut. — (5) lsaï. 9. — (5) Rata. 8. — (7) Paal. 90. 


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IV? PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XXXVI. 20.9 

» poids étemel de souveraine et incomparable gloire . 
» Ce qui donc maintenant n’est pas plus pesant 
» qu’un bouquet de myrrhe doit un jour nous acca- 
» bler d’un poids immense de gloire. Ce bouquet ne 
» représente t-il donc pas Celui qui a dit : Que son 
» joug est doux et son fardeau léger ? Ce n'est pas que 
» ce joug soit léger en lui-même (car l’âpreté des 
» souffrances, l’amertume de la mort ne sont pas peu 
» de chose); mais ce joug est léger pour celui qui 
» aime. » Saint Bernard dit aussi sur ce verset : 
(I) Mille ennemis tomberont à votre droite , etc. « (2) Si 
» nous considérons le grand corps de l’Eglise, nous 
» reconnaîtrons aisément que, parmi ses membres, 
» les hommes spirituels sont attaqués avec bien 
« plus de violence que les charnels; et ce désordre 
» doit être attribué à la malice superbe et jalouse de 
» Satan qui le porte à tourmenter avec plus de vio- 
» lence les plus parfaits, selon cette parole de l’Ecri- 
» ture : (3) Il lui faut une nourriture exquise. Telle 
» est la conduite de Satan ; et ce n’est pas sans une 
» dispensation particulière de la sagesse de Dieu, 
» qui ne permet pas que les plus imparfaits soient 
» tentés au-dessus de leurs forces, leur faisant môme 
» tirer beaucoup de fruits de la tentation, et qui 
* prépare ainsi aux plus parfaits de plus glorieux et 
» de plus nombreux triomphes. Car nous voyons 
» que l’ennemi du salut met beaucoup plus de soin, 
» emploie beaucoup plus de ruses à porter des coups 
» à notre droite, la plus noble partie de nous-mêmes. 


(I) Bern. super psalm. Qui habitat , 7. — (3> S. Cor. 14. — 
(S) Habac. 1. 

14 


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210 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

* qu’à notre gauche, qui lui est inférieure, s’appli- 
» quant ainsi beaucoup plus à la ruine de notre âme 
» qu’à celle de notre corps. » Saint Bernard dit plus 
bas : « fl faut opposer une vigoureuse résistance là 

* ofr le danger est plus pressant, où l’ennemi sem- 
» ble concentrer toutes ses* forces, où se doivent 
» terminer tous les combats dont l’issue nous pré- 
» pare, si nous sommes vaincus, la plus humiliante 
» captivité, et si nous sommes vainqueurs, le plus 
» glorieux triomphe. » Saint Bernard ajoute : «Enfin, 

» telle est la bonté et la miséricorde de Dieu envers 
» ses serviteurs, telle est sa conduite à l’égard dç ses 
» Elus que, tandis qu’il semble négliger le soin de 
» leur gauche ou de leur corps, il ne cesse d'assister 
» leur droite ou leur âme par tous les soins d’une 

* protection particulière; ce qu'attestent le pro- 
» phète quand il dit : (1) Je marchais toujours en la 
» présence du Seigneur, car il est à ma droite'afin 
» que rien ne puisse m’ébranler. » Saint Bernard dit 
peu après : « 0 bon Jésus ! soyez toujours à mescô- 
» tés, tenez-moi toujours par la main droite ! car j’ai 
» la confiance et môme la certitude que, si je ne 
» suis esclave d’aucune iniquité, aucune adversité 
» n*est à craindre pour moi. Que l’on me frappe, 
» que Ton m’écrase, que l’on m’outrage,, que l’on me 
» couvre d’opprobres, j’expose de bon cœur à tou» 

* les coups mon corps ou mon côté gauche, pourvu 
» que vous soyez toujours mon défenseur, pourvu 
» que vous couvriez toujours de votre protection 
» ma main droite, figure de mon âme (2)1 » — Le 

(I) P«. 15. — (|) $enn. 65, gup. Ctnt. 


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IV* PARTIE. — MERCREDI, CHÀP. XXXVI. 511 

même saint Bernard dit ailleurs : « B y a pour l’âme 
» une différence entre céder à l'empire de la force 
» et se laisser conduire par la sagesse; entre agir en 
» tout avec énergie et faire le bien à cause de la dou- 
» ceur qu’on y goûte. Bt en effet, bien que l’énergie 
» s’allie toujours avec la sagesse, et la douceur avec 
» la force, cependant pour donner à chaque expres- 
» aion son véritable sens, reconnaissons que la force 
» c’est l’énergie de l’âme, et la sagesse le calme de 
» l’esprit, toujours accompagné d’une certaine dou- 
» ceur spirituelle. Il me semble que l’apétre saint 
» Paul avait en vue la sagesse, lorsqu’après plusieurs 
» exhortations relatives à la vertu il ajoute, en ce 
» qui concerne la sagesse, qu'elle est dans la douceur 

* du Saint-Esprit Ainsi, résister courageusement, 
» repousser la violence avec énergie, ces actes qui 
» très-certainement caractérisent la force, -sont à 
» coup sûr fort honorables, mais Ils sont pénibles. 

• Car, défendre laborieusement votre honneur ou 
» bien en jouir en paix, ce n’est pas du tout la 
» môme chose; agir avec force ou recueillir les fruits 
» de cette vertu, ce sont deux choses fort différentes. 

» Tout ce qui est travail pour la force est jouissance 
> pour la sagesse, et tout ce que là sagesse dispose, 
» arrête et règle, la sagesse l’exécute. (!) Ecrivez 
» les régies de la sagesse au temps de votre repos , 
» dit le Sage. Or, quand le Sage se repose, fl travaille 
» encore, et plus il paraît inoccupé, plus il s’exerce 
» à sa manière. D’un autre côté, l’exercice donnant 
» à la force un plus vit éclat, celle-ci obtient d’au- 

(l)Eceh. 88. 


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212 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» tant plus d'estime qu’elle se montre plus active. 
» Dire que la sagesse n’est autre chose que l’amour 
» de la force ou de la vertu, c'est à mon avis, en 
» donner la véritable définition. Car, là où est Ta* 
» ipour, il n’y a plus peine, il n’y a qu’agréable sa- 
» veur. Peut-être môme que sagesse ou savoir dérive 
» de saveur, comme si elle unissait à la force un as- 
» saisonnement et donnait une certaine saveur à cette 
» vertu, qui, par elle-même, semblerait en quelque 
» sorte insipide et rebutante. Et je pense que l’on ne 
» pourrait blâmer celui qui, pour définir la sagesse, 
» dirait que c’est le goût ou la saveur du bien, » Le 
même auteur dit plus bas : « Ainsi, supporter cou¬ 
rageusement les tribulations, c'est le propre de la 
» force ; la sagesse seule peut les souffrir avec joie*. 
» La force affermît le cœur et sait attendre Dieu ; 
» il n’appartient qu’à la sagesse de (1) voir et de 
» goûter combien le Seigneur est doux. Et comme 
> pour manifester plus clairement l’une et l'autre 
9 disposition par les qualités naturelles, la modéra- 
9 tion fait connaître la sagesse, la constance est l'in- 
9 dice de la force. ,Ce n’est pas sans raison que nous 
9 parlons de la sagesse après la force, puisque celle- 
9 ci peut être considérée comme un fondement iné- 
9 branlable sur lequel la sagesse établit sa de- 
9 meure. » « (2) Heureux, dit encore le même Père, 
9 celui qui dans ses afflictions rapporte tout aux rè- 
9 gles de la justice, de sorte que Famour du Fils de 
9 Dieu lui faisant accepter ce qu'il souffre, son cœur 

(I) Psal. 89. — (9) Serm. de pass. Dom. in ferià 4 hebdom. pa¬ 
poue. 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CBAP. XXXVI. 213 

» ne laisse échapper aucun murmure, ses lèvres ue 
» prononcent que des actions de grâces et des canti- 
» ques de louanges. Celui qui s’élève à cette hauteur, 

» voilà l’hômme dont il est dit qu’il emporte avec 
» lui son lit et se retire dans sa maison. Notre lit c’est 
b notre chair dans laquelle la tiédeur nous tenait 
b mollement ensevelis lorsque nous étions assujettis 
b à ses désirs et à ses convoitises. Nous emportons 
b avec nous ce lit, si nous soumettons la chair à l’es- 
» prit. » Enfin saint Bernard dit encore : 

« (l) Le Saint-Esprit multiplie admirablement ses 
b opérations, puisque Dieu l’inspire aux enfants des 
b hommes de tant de manières différentes que nul ne 
b peut se soustraire à ses brûlantes ardeurs. En effet, 
b il leur est donné pour leurs besoins, pour opérer 
» des miracles, faire leur salut, les secourir, ïescon- 
» 8oler, anipaer et soutenir leur ferveur. J’ai dit 
» qu’il est donné pour tous* les besoins de la vie, 
» parce qu’il répand sur les bons et sur les méchants, 

* sur ceux qui le méritent aussi bien que sur ceux 
» qui en sont indignes, les biens communs à tousavec 
b une telle profusion qu’il semble ne garder aucune 
b règle de discrétion. C’est être bien ingrat que de 
b méconnaître la bonté du Saint-Esprit dans l’effusion 
» de ces grâces générales. J’ai dit pour faire des mi- 
» racles, dans les merveilles et les prodiges, dans les 
b divers actes de puissance surnaturelle qu’il opère 

* par toutes sortes de personnes. C’est lui qui re- 
» nouvelle les miracles des temps anciens, afin que la 
» foi de ceux que nous n’avons pas vus soit conür- 


(I) Serra. 3. de Peotec. 


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3*4 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J--C. 

9 mée par les prodiges dont nous sommes les té- 
» moins. Mais aussi, comme le Saint-Esprit accorde 
» cette grâce à plusieurs personnes qui n'en recueil- 
» lent souvent pour eux-mêmes aucune utilité par- 
9 iiculière, je dis en troisième lieu que le Saint-Es- 
» prit nous est donné pour notre salut, ce qui arrive 
» lorsque nous revenons à Dieu de tout notre cœur. 

» Le S ain t-Esprit nous est encore donné pour nou6 se- 
9 courir, lorsque dans tous nos combats il vient à 
» l'aide de notre faiblesse. De plus, lorsqu’il nous rend 
t intérieurement témoignage que nous sommes les 

> enfants deDieu, il nous est donné pour notre conso- 

> laiion. Enfin, il est donné pour animer et soutenir 
» la ferveur lorsque, répandant avec impétuosité son 
9 souffle divin dans les âmes les plus parfaites, il y 
i allume un si vaste incendie de charité que nous 
9 nous glorifions non-seulement en l’espérance que 
9 nous donne la qualité d’enfants de Dieu, mais en- 

> core en toutes nos tribulations, voyant dans les af- 
9 fronts un titre de gloire, dans lès opprobres un 
9 motif de joie, dans les mépris le gage de notre 
» grandeur future. Si je ne me trompe, la grâce qui 
9 est nécessaire au salut, nous a également été ac- 
» cordée à tous; il n’en est pas de même de l’esprit 
» de ferveur; car il y en a peu qui en soient remplis, 
9 peu qui se montrent jaloux de l’acquérir. Nous 
» nous contentons du peu que nous en avons, sans 
i faire aucun effort pour parvenir à cette liberté des 
t enfants de Dieu, sans même soupirer après un état 

> si désirable. » Tout ceci est de saint Bernard. 

Vous voyez par quels nombreux et puissants mo¬ 
tifs cet éloquent auteur essaie de nous montrer oom- 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XXXYIU 2i$ 

bien les tribulations nous sont utiles. Ne vous éton¬ 
nez donc pas en voyant que Notre-Seigneur Jésus- 
Christ permet à la tempête de tourmenter ses 
disciples qui lui étaient si chers ; car il savait les 
avantages qu’ils pouvaient retirer de cette épreuve. 
L’Evangile rapporte bien que la barque qui les por¬ 
tait fut souvent et de diverses manières agitée par 
les flots et par les vents contraires, mais on n’y lit 
point qu’elle fut jamais submergée. Après ces ob¬ 
servations,, apprenez donc à affermir et à régler les 
sentiments de votre cœur, afin que lorsqu’il vous ar¬ 
rivera d’éprouver quelques malheurs ou quelques 
déplaisirs, vous demeuriez dans la patience et dans 
la joie, et que vous vous appliquiez à marcher si fi¬ 
dèlement dans la voie du Saint-Esprit que, toute 
remplie de la ferveur qui vient de lui, vous alliez jus¬ 
qu’à désirer de souffrir pour l’amour de Jésus qui, 
par sa vie et celle de ses fidèles serviteurs, vous en¬ 
seigne à le suivre dans une voie si parfaite. 


CHAPITRE XXXVH. 

La Chananéenne. — Avec quelle fidélité noua gommes ser¬ 
vis par nos Anges gardiens. — Citation remarquable. 

(1) Pendant que Notre-Seigneur parcourait péni¬ 
blement les villes et les bourgades, prêchant le 

(I) llattb. 15. 


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216 MÉ0ITATÎONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

royaume de Dieu et guérissant les malades, une 
femme Chananéenne (c’est-à-dire du pays de Cha- 
naan, habité par les gentils et non par les Juifs), 
s'approcha de lui, le conjurant de guérir sa fille qui 
était tourmentée par le démon. Car elle croyait que 
Jésus pouvait opérer ce miracle. Et quoique Notre- 
Seigneur ne parût pas l’écouter, elle ne persévérait 
pas moins à implorer sa miséricorde par ses cris et 
par des instances si pressantes que les disciples priè¬ 
rent leur divin Maître de l’écouter. Jésus ayant ré¬ 
pondu qu’il ne fallait pas donner aux chiens le pain 
des enfants, cette femme dit ensuite en s’humiliant, 
que, comme on fait aux chiens, on pouvait du moins 
lui donner quelques miettes; et par là elle mérita 
d’obtenir l’effet de sa demande. Regardez doncNotre- 
Seigneur et ses disciples, appliquez-vous à observer 
Jésus dans ce qui précède suivant les considéra¬ 
tions générales indiquées ci-dessus au chapitre xvm. 
Remarquez aussi avec non moins d’attlention les 
vertus qui éclatèrent en cette femme, appliquez-vous 
à profiter particulièrement des trois suivantes. La pre¬ 
mière fut une grânde foi qui lui lit espérer que Jésus- 
Christ étendrait jusqu’à sa fille le secours qu’elle de¬ 
mandait pour elle-même; aussi le Seigneur la Loua- 
t-il de sa foi. La seconde vertu fut la persévérance 
dans la prière; et non-seulement la persévérance, 
^mais l’importunité, importunité que Jésus souffre et 
même qu’il provoque, comme vous avez pu vous en 
convaincre dans le chapitre précédent. La troisième 
vertu fut une profonde humilité qui lui fit reconnaî¬ 
tre qu’elle n’était pas au-dessus d’un vil animal, 
qu’elle ne méritait point d’étre mise au nombre des 


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iv e Partie. — mercredi, chap. xxxvii. 217 

enfants, pas môme d’avoir un pain tout entier, se 
contentant d’en recevoir quelques miettes. D’où il 
faut conclure que ce fut parce qu’elle s’humilia beau¬ 
coup qu’elle obtint ce qu’elle demandait. Que si, 
à son exemple, dans une prière persévérante, sortie 
du fond d’un cœur pur, droit et fidèle, vous recon¬ 
naissez avec humilité devant votre Dieu que vous 
ôtes indigne de tous ses bienfaits, soyez assurée que 
voiis obtiendrez tout ce que vous demanderez. Et de 
môme que les Apôtres prièrent Jésus pour la Chana- 
néenne, votre bon Ange priera aussi pour vous et 
présentera vos supplications au Seigneur. 

Or écoutèz ce que dit saint Bernard à ce sujet : 
« ( 1 )Toutes les fois qu’une âme, qui soupire fréquem* 
» ment pour son Dieu t qui lui adresse une prière conti- 
* nuelle et qui s’afflige par le désir qu’elle a de le possé- 
» der, a la consolation de recevoir une miséricordieuse 
» visite de celui qu’elle recherche avec tantd’empres- 
» sement, il me semble que sa propre expérience doit 
» lui faire dire avec Jérémie : ( 2 ) Seigneur, vous êtes 
» plein de bonté pour ceux qui vous recherchent et mettent 
» en vous leur espéi'ance . Mais avec quels transports 
» l’Ange de cette âme, l’un de ceux qui sont spécia- 
» lement chargés d’accompaguer l’Epoux, témoin et 
» ministre de cette mystérieuse entrevue, avec quels 
» transports, dis-je, l’Ange de cette âme s’unit-il à 
» sa joie et à ses délices, et se tournant vers lô Sei- 
» gneur, s’écrie-t-il : ( 3 ) Je vous rends grâces, ô Dieu 
» de majesté, de ce que vous avez comblé les désirs de 
» son cœur, et de ce que vous n'avez pas trompé les 


(1) Barn. Serm. 3<> super Cant. — (2) Thren. 3. — (3) Ps. 20. 

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MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» voeux que ses lèvres vous ont adressés. C’est le même 
» Ange qui, comme un gardien fidèle, poursuit cette 
» âme et la presse en tout lieu par ses avertissements, 
» ses inspirations et ses fréquentes sollicitations, lui 
» répétant sans cesse : (i) Mettez vos délices dans le 
» Seigneur et il remplira tous les désirs de votre coeur. 
» Et encore : Attendez le Seigneur, et marchez fidèle - 
» ment dans ses voies. Et encore : (2) S'il diffère sa ve - 
» nue, ne vous lassez pas de l'attendre, parce qu'il vien- 
» dra indubitablement et qu'il ne tardera pas à vous 
» consoler. Puis s’adressant au Seigneur : ( 3 ) Comme 
» le cerf altéré, dit-il , désire les eaux des fontaines, 
» ainsi cette âme soupire après vous, 6 mon Dieu! ( 4 ) 
» Elle vous d désiré pendant la nuit, et son cœur, rem- 
» pli de votre esprit, se tourne vers vous dès le point du 
» jour. Et encore : ( 5 ) Ses mains se sont élevées vers 
» vous durant tout le jour ; accordez-lui ce qu'elle de - 
» mande, car elle ne cesse de crier après vous ; laissez - 
» vous un peu fléchir et soyez-lui propice . (6) Abaissez 
» sur elle vos regards du haut des deux; voyez sa dou- 
» leur et daignez la visiter dans son affliction. L’Ange, 
» témoin fidèle, confident sans envie de ce mutuel 
» amour, ne cherche point sa gloire, mais unique- 
» ment celle du Seigneur; il partage ses soins entre 
» l’Epoux et l’Epdüse; il présente les vœux de l’une 
» et lui rapporte les dons de son bien-aimé ; il anime 
» l’Epouse, il désarme l’Epoux. Quelquefois aussi, 
» quoique rarement, il les met en présence l’un de 
» l’autre, soit en élevant l’ârae jusqu’à son bien- 


(I) Pb. S6. - (2) Ha bac. 2. — (S) Pf. 41. — (4) Isal. 26. - 
(6) Pg. 87. — (6) Pg. 89. 


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IV PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XXXVII. 219 

> aimé, soit en abaissant l'Epoux jusqu’à son Epouse. 

» Domestique de la maison de Dieu, connu dans ie 
« palais du Père céleste dont* il contemple tous les 
* jours la face, il ne craint pas d’éprouver un refus. » 
Voilà ce que dit saint Bernard. 

Vous voyez avec quelle fidélité nous sommes se¬ 
courus par nos Anges gardiens. Mais cette remarque 
me fournit une occasion de vous parler de ces Es¬ 
prits célestes. Je veux vous convaincre qu’il faut 
avoir pour eux le plus grand respect, que c’est pour 
nous une grapde obligation de leur adresser tous les 
jours nos louanges, nos hommages, nos actions de 
grâces, etqu’enfin, puisqu’ils sont toujours prés de 
nous, nous ne devons, en leur présence, rien penser, 
dire ou faire d’illicite ou de déshonnête. Saint Ber¬ 
nard nous donne à cette occasion d’excellents avis 
dans un sermon qu’il a fait sur un verset du psaume 
Qui habitat : (l) Il a ordonné à ses Anges de vous gar¬ 
der en toutes vos voies . Voici comment il s’exprime : 
« Quel respect, quel dévouement, quelle confiance 

• doivent vous inspirer ces paroles! Respect pour 
» leur présence, dévouement à cause de leur bien- 
» veillance, confiance en leur protection. Veillez avec 
» soin sur vos actions, puisque, suivant l’ordre qui 

• leur en a été donné, les Anges vous accompagnent 
» dans toutes vos voies. En public, comme en secret, 
» soyez plein de respect pour votre bon Ange, et ne 
» vous permettez pas en sa présence ce que vous 

• n’oseriez faire devant moi. » Saint Bernard dit un 
peu plus loin : « Ils vous sont donc présents, ils sont 


(1) Serai, sup. psalm. Qui habitat, 12. 

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22Ô MÉDIATIONS SUft LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» avec vous et ils n’y sont que pour vous; ils sont là 
» pour vous protéger,, pour vous servir. (1) Que ren - 
» drez-vous au Seigneur pour tous 'tes bienfaits dont il 
» vous comble ? A lui seul l’honneur et la gloire. Pour- 
» quoi à lui seul? Parce qu’il a préposé ses Anges à 
» notre garde et que (2) tout don parfait ne vient que 
» de lui. Mais, quoique Dieu ait commandé aux Anges 
» de nous servir, la charité avec laquelle ils obéissent 
» à cet ordre et les secours qu’ils nous donnent dans 
» de si grandes nécessités, ne nous permettent pas 
» non plus d’étre ingrats envers eux : ayons donc 
» beaucoup de dévotion et de reconnaissance pour 
» des gardiens si fidèles; répondons à l’amour qu’ils 
» ont pour nous ; honorons-les autant que nous le 
» pouvons et que nous le devons. » Là ünit saint 
Bernard. 

Tout ce que nous venons de dire doit vous faire 
connaître quel respect nous devons avoir pour les 
saints Anges, les services qu’ils nous rendent et en 
môme temps l’efücacité de la prière. Appliquez-vous 
donc à celle-ci et rendez à ceux-là tous les hom¬ 
mages dont vous ôtes capable. 


(Ij Pi. <15. — (*) Jâc.i. 


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IV® PARTIE. — MERCREDI, CHÀP. XXXVIII. 221 


CHAPITRE XXXVIII. 

Comment quelques-uns se scandalisèrent des paroles de 
Notre-Seigneur. 

Ne vous étonnez point si nos paroles et nos actions 
les plus irrépréhensibles et les plus louables sont 
quelquefois une occasion de scandale , puisque cela 
est plus d’une fois arrivé à Notre-Seigneur lui-même, 
qui ne pouvait faillir en aucune chose. (1) Car les 
pharisiens lui ayant une fois demandé pourquoi ses 
disciples ne lavaient point leurs mains avant que de 
manger, Notre-Seigneur, dans une réponse sévère, 
Leur reprocha de s’appliquer à purifier plutôt l’exté¬ 
rieur que l’intérieur. Ces paroles les scandalisèrent, 
mais Jésus ne s’en inquiéta point. Une autre fois 
Jésus, dans une instruction qu’il faisait au milieu de 
la synagogue, ayant prononcé des paroles d’une 
haute spiritualité, quelques-uns de ses disciples, en¬ 
core trop charnels pour en comprendre le sens, s’é¬ 
loignèrent et cessèrent de le suivre. Sur quoi Jésus, 
s’adressant à ses douze Apôtres, leur dit : (2) Et vous, 
voulez-vous aussi me quitter? Alors Pierrè répondit 
tant pour lui que pour les autres : Seigneur , à qui 
irions-nous ? Vous avez les 'paroles de la vie étemelle . 
Considérez, dans ces deux circonstances et dans les 


(4) Mattb. 45; Marc, 7. — (S) Joan. 6. 


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222 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. -J.-C. 

autres semblables événements de la vie de Jésus, 
avec quelle autorité il parlait et il enseignait la vérité, 
sans s’inquiéter du scandale que les méchants et les 
insensés pouvaient prendre de ses paroles. Remar¬ 
quez en premier lieu que la crainte de scandaliser, 
les autres ne doit jamais nous faire abandonner la 
vertu de justice.. Secondement, que nous devons 
prendre plus soin de garder la pureté intérieure que 
les bienséances extérieur ls; ce qui nous est recom¬ 
mandé plus expressément dans l’Evangile de saint 
Luc (1), où il est dit que nous devons Vivre d'une 
manière assez spirituelle pour que les discoure de 
Notre-Seigneur ne nous semblent point aussi étranges 
qu’ils le parurent à ses disciples qui, entendant ces 
paroles de leur divin Maître rapportées par saint 
Jean : ( 2 ) Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, 
n’en purent supporter la hauteur et se retirèrent. 
Mais reconnaissons plutôt qu’elles sont les parole» 
de la Vie éternelle, afin de marcher sur ses traces 
avec ses disciples. 


CHAPITRE XXXIX. 

Récompenses promises à ceux qui quittent tout. 

Simon-Pierre, sage et fidèle disciple de Jésus, lui 
ayant demandé quelle récompense était réservée à lui 


(i) Luc. 4. — (t) Joftu. 6. 


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TV® PARTIE. — MERCREDI, CIIÀP. XXXIX. 223 

et anx autres Apôtres, Notre-Seigneur répondit entre 
autres choses (l), que quiconque renoncerait pour lui 
à tous les intérêts temporels, recevrait en échange le 
centuple dans ce monde et la vie éternelle dans Tau- 
tre. Comprenez bien la grandeur de cette récom¬ 
pense, entrez dans de saints transports de joie, ren¬ 
dez grâces à Dieu et bénissez-le de tout votre cœur 
de ce qu’il vous propose de faire avec lui un négoce 
dans lequel vons avez à gagner, de la main à la 
main, cent pour un et en outre la vie éternelle. 
Mais ce centuple doit s’entendre non des biens du 
corps, mais de ceux de l’âme; tels que les consola¬ 
tions intérieures et les vertus dont nous acquérons 
pïntôt la pratique que la science. Quand, en effet, 
une âme s’attache à la pauvreté, se laisse attirer aux 
charmes de lâ chasteté, de la patience et des autres 
vertus, et met ses délices à les pratiquer, ne vous 
semble-t-il pas qu’elle a reçu le centuple de ce 
qu'elle a donné ? Et si elle s’élève plus haut encore, 
si elle est visitée par l'Epoux céleste, si elle est glo¬ 
rifiée par sa présence, ne reçoit-elle pas alors mille 
fois plus que tout ce qu’elle abandonne, quelles que 
soient la grandeur et la nature de ce sacrifice. Re¬ 
marquez l’infaillibilité de la parole sortie de la bou¬ 
che de Celui qui est la Vérité môme. Car, loin de 
manquer de donner à l’âme qui lui est dévouée le 
centuple en ce monde, il le lui accorde non-seule¬ 
ment une fois, mais plusieurs fois, mais très-sou¬ 
vent, lui inspirant ainsi des sentiments si généreux 
que, pour pouvoir gagner Jésus-Christ, son céleste 

(i) Mâtth. ». 


bÿ Google 



224 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

Epoux, elle regarde comme de la boue et tout ce 
qu’elle abandonne, et même le monde entier. Mais, 
pour vous faire mieux concevoir ce que c’est que ce 
centuple, écoutez ce qu’en dit saint Bernard : 

« (1) Si quelqu’un encore attaché au monde vient 
» nous dire ici : Montrez-moi ce centuple qu’on nous 
» promet, et je quitte tout de bon cœur ; je lui répon- 
» drai : A quoi bon vous t le montrer? La foi ne peut 
» rien sur un homme qui ne connaît d’autres preu- 
» ves que celles que lui fournit la raison humaine. 

» L’homme qui vous montrerait ce centuple vous 
» inspirera-t-il plus de confiance que la Vérité qui 
» vous le promet? Vos recherches investigatrices 
» sont impuissantes. Croyez et vous comprendrez. 

» C’est une manne cachée promise au vainqueur 
» dans l’Apocalypse de saint Jean; c’est uu nom” 
» nouveau que nul ne connaît hors celui qui le re- 
» çoit. » Le même auteur dit un peu plus bjas : 

« Lorsque tout se tourne en bien pour nous, ne pos- 
» sédons-nous pas toutes choses? N’est-ce pas avoir 
» le centuple de toutes choses que d’être rempli du 
» Saint-Esprit, que d’avoir Jésus-Christ dans son 
» cœur ? Disous-mieux, la visite de l’Esprit consola- 
» teur et la présence, de Jésus-Christ sont bien plus 
» encore que le centuple promis. O mon Dieu, de 
» quelles innombrables délices vous favorisez secrè- 
» tement ceux qui vous craignent, et vous comblez 
» ceux qui mettent en vous toute leur espérance(2) ! 

» Voyez en quels termes i’àme sainte exhale le sou- 

(I) S. Bernard, in Declam. super. Bcce nos reliq. omnia , ex 
Matth. 9. — (2) Ps. 30. 


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IV 6 PÀRÏIE. — MERCREDI) CHAP. XXXIX. 22ô 

» venir reconnaissant de ces abondantes douceurs, et 
» comme elle multiplie les expressions pour peindre 
» ses sentiments. Quelles innombrables délices, dit- 
» elle ! Or, ce centuple comprend l’adoption des en- 
» fants de Dieu, la liberté, les prémices du Saint- 
» Esprit, les délices de la charité, la joie d’une bonne 
» conscience, enfin le Royaume de Dieu au milieu de 
» nous. Il n’y a pas là, sans doute, nourriture et 
» breuvage pour le corps, mais on y trouve la jus- 
» tice, la paix, la joie dans le Saint-Esprit. Oui, la 
» joie, non-seulement dans l’espérance de la gloire 
» éternelle, mais même dans les tribulations. Voilà 
» cet (I) incendie dont Jésus-Christ a voulu que nos 
» cœurs fussent violemment embrasés. Voilà ce qui 
» inspira ù saint André la force d'embrasser la 
» Croix, à saint Laurent le courage de braver ses 
» bourreaux, à saint Etienne mourant, la générosité 
» de prier à genoux pour ceux qui le lapidaient. Voilà 
» cette paix que Jésus-Christ a laissée à ses servi- 
» teurs en leur donnant la sienne, puisque(2) ce don 
» et cette paix sont pour les Elus de Dieu; c’est-à- 
t * dire la paix qui vient du Père, et le don de la gloire 
» future qui surpasse tout ce que l’homme peut con- 
» cevoir ou sentir, et à laquelle on ne peut com- 
» parer rien de tout ce qu’il y a de plus agréable 
» et de plus désirable dans le inonde. Voilà cette 
» grâce de dévotion, et cette onction qui appre nd 
» toutes choses, celte onction connue de ceux 
» qui l’ont expérimentée, inconnue à ceux qui ne 
» l’ont jamais sentie, ignorée de tous, excepté de 

(I) Luc. 12. — (2) Sap. 3. 

15 


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2H MÉDCTATieHS SUR LA VIK DE N.-S. L--C- 

» ceux qui l’ont reçue. » U finit saint Bernard. 

Soyez donc, comme je l’ai dit plus haut, dans la 
juin, dans l'allégresse, et rendes grâces 4 Dieu qui 
vous a appelée 4 recevoir ce centuple ; enfin entre* 
souvent 4aas ce paradis de délices dont i exercice 
matin de 14 prière peut seul vous mettre en posses¬ 
sion. 


CHAPITRE XL. 

Notrt-Sfelgnéor demande à eee disciple* ce «pie l'on 
disait de-lai. 


Msus étant venu aux environs de Gésarée de Phi- 
lippes demanda 4 ses disciples ce que l’on disait de 
lai, t* en même temps ce qu’ils croyaient eux-mê¬ 
mes «ur ce sujet et sur plusieurs autres choses. 
Quelques>■ uns lui dirent: (l) les uns pensent, etc. 
Mois Pierre prenant la parole dit pour lui et, pour les 
tnttws • v Seigneur, vous êtes le Christ, le Fils du Dieu 
, vivant. . Jésus lui répondit : Fous êtes Pierre, etc. 
Et alors il lui donna pour lin et ses successeurs les 
dêfé du Royaume des deux et le pouvoir de lier et 
«Ve délier loules choses sur la terre. Considérez donc 
Notre-Seigneur et ses disciples suivant la méthode 
générale indiquée d-dessus, et observez que ce 
même Pierre tout 4 l'heure élevé si haut par Jésus, 

(t> lutta.». 


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IV* PARTIE* — MERCREDI, CHAR. X*4~ 22V 

peu après il l’appelle Satan, parce que cet Apôtre, 
écoutant trop rattachement naturel qu’il avait pour 
sob Maître, voulait le ^dissuader de se livrer au* 
tourments de sa Passion. A l’exemple dç Jiotre-Seir 
gneur, regardez aussi comme vos plus dangereux 
ennemis tous ceux qui, pour soulager votre corps, 
voudraient vous faire renoncer aux avantages et à 
la pratique des exercices spirituels. 


CHAPITRE XLI. 

Transfiguration de Notre-Seigneur sur la montagne 
- do Tbabor. 


(1) Jésus ayant pris avec* lui trois de ses disciples, 
monta sur le Thabor et se transfigura en leur pré¬ 
sence, s’offrant à leurs regards dans l’éclat de sa 
gloire. Moïse et Elie apparurent en même temps, s’en¬ 
tretenant avec Jésus des douleurs qu’il devait en¬ 
durer dans sa Passion. « Seigneur, lui disaient-ils, 
il n’est pas nécessaire que vous subissiez la mort, 
car une seule goutte de votre sang suffirait pour ra¬ 
cheter le monde. » Mais Jésus répondait : (2) Le bon 
Pasteur dôme sa vie pour ses brebis ; c’est donc ainsi 
que je dois agir. Le Saint-Esprit se manifesta alors 
sous la forme d’une nuée lumineuse, et on entendit 
sortir de cette nuée la voix du Père qui disait : C’est ici 

(I) Mattlt. 47. — (3) Joao. 40. 


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Û1É MÉDITATIONS SUR LA VlE DE N.-S. J.-C. 


mon fils bien-aimé , dans lequel j'ai mis toute mon affec¬ 
tion, écoutez-le. Alors les disciples tombèrent la face con¬ 
tre terre , et lorsque Jésus les toucha , ils ne virent plus 
que lui seul . Considérez donc avec beaucoup d’atten¬ 
tion toutes les circonstances de ce prodige, comme si 
vous en étiez le témoin, car elles sont admirables. 


CHAPITRE XLII. 

Jésus chasse du Temple les vendeurs et les acheteurs. 

(1) Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans deux cir¬ 
constances différentes, chassa du temple les ache¬ 
teurs et les vendeurs, et ces deux actions d’éclat sont 
mises au nombre de ses plus grands miracles. (2) En 
effet, on voit ici fuir devant lui les mômes hommes 
qui, jusque là, ne lui avaient montré que du mé¬ 
pris; quoiqu’ils fussent en grand nombre, ils n’op¬ 
posèrent aucune résistance, et Jésus seul, armé de 
quelques cordes, suffit pour les chasser tous; et sans 
doute il n’obtint ce succès qu’en faisant éclater sur 
son front quelques traits de sa terrible majesté. En¬ 
flammé d’un zèle véhément, il les chassa ainsi, parce 
qu’ils déshonoraient son Père dans le lieu même où 
l’on doit particulièrement l’honorer. Considérez-le 
attentivement et partagez la douloureuse compas¬ 
sion dont son cœur est rempli. Mais tremblez en 

(I) Jeao,!. — (2)Malth. 2. 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CH AP. XLIII. 2J9 

même temps; car, étant, par une grâce particulière 
et infinie de Dieu, consacrés à le servir dans son 
temple, si, au lieu de nous appliquer, ainsi que nous 
le devons, à chanter ses louanges, nous nous lais¬ 
sons, comme ceux dont il est ici question, engager 
dans les affaires du siècle, nous pouvons et nous de¬ 
vons, à juste titre, craindre que, dans son indigna¬ 
tion, il ne nous rejette loin de lui. Vouiez-vous donc 
vous épargner les tourments que vous ferait éprou¬ 
ver une semblable crainte? Gardez-vous d’oser, sous 
aucun prétexte, prendre la moindre part soit aux 
sollicitudes, soit aux intérêts de ce monde. Gardez- 
vous aussi des ouvrages de pure curiosité qui pren¬ 
nent un temps que nous devons employer à servir 
le Seigneur, et qui ont quelques rapports avec les 
pompes du siècle. 


CHAPITRE XLIII. 

De la Piscine probatique, et en outre qu’il ne faut pas juger 
témérairement ses frères. 

( 1)11 y avait à Jérusalem un réservoir d’eau où l’on 
venait laver les brebis destinées aux sacrifices. On 
assure qu’on y avait pris le bois qui servit à la Croix 
de Jésus. A certains temps, après que l'Ange en avait 
une seule fois agité les eaux , celui qui y descendait le 


(4) Joan, 5. 


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380 MÉDITATIONS SUR LA TIE DE N.-fc. J.-C. 

premier était guéri, quelle que fût ta maladie. Aussi 
voyait-on continuellement sur ses bords un grand 
nombre d’infirmes. Or, t7 y cwat* là un malade étendu 
sur son lit, qui, depuis trente-huit am, était paralytique. 
Jésus le guérit donc un jour de sabbat. Voyez Jésus 
s’approchant humblement de ce malade et lui par¬ 
lant arec sa bonté accoutumée. 

Or, fi y a ici trois remarques à faire : première¬ 
ment, comme Notre-Seigneur demanda à ce malade 
s’il voulait être guéri, de même aussi il ne nous sau¬ 
vera pas sans notre consentement, d’où il suit que 
les pécheurs sont inexcusables lorsqu’ils résistent à 
sa yolonté et qu’ils refusent ta gr&ce du salut; puis¬ 
que, suivant saint Augustin : (1) « Celui qui nous a 
t créés sans nous, ne nous sauvera pas sans nous. » 
Secondement, nous devons craindre de faire une re¬ 
chute, car, si nous retombons après avoir été guéris 
par le Seigneur, notre ingratitude nous méritera un 
châtiment plus sévère, ainsi que le Seigneur le fit en¬ 
tendre au paralytique, en lui disant : Allez, ne péchez 
plus à l’avenir , de peur qu’il ne vous arrive quelque 
chose de pire. La troisième remarque, c’est que tout 
nuit aux méchants, comme tout profite aux justes. Hn 
effet, lorsque le paralytique, emportant son lit après 
sa guérison, entendait dire aux Juifs que cela ne 
pouvait se faire le jour du sabbat, il leur répondit : 
Celui qui m’a guéri m’a dit : Emportez votre lit. Les 
'Juifs ne lui demandèrent pas quel est celui qui vous 
a guéri? de sorte qu'ils s’attachaient plus à ce qu’ils 
pouvaient blâmer qu’â ce qui pouvait mériter leurs 

(I) August. de Terb. Apost. senn. 45. 


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Il* PARTIE. — MERCREDI, CMAP. XLUL ftl 

éloges. C’est ainsi que le» homme» charnels forment 
souvent, sur ce qu’il» voient, de» jugements ht}UBtea y 
et trouvent presque partout une occasion de se nuire; 
pour les hommes qui Tirent selon l’Esprit, ils rap¬ 
portent tout à la gloire de Dieu, la prospérité comme 
l’adversité ; et comme ils sont persuadés que tout oe 
qui arrive est pour le mieux, perce que Dieu fait 
•bien toutes choses et ne permet rien sans raison, ils 
prennent tout en bonne part, selon ce qu'enseigne 
saint Bernard en ce» termes : (1) « Gardet-vans d*ob- 
» server curieusement ou de juger témérairement la 
» conduite de votre prochain. Ne portez pas de sembla- 
» blés jugements, lors même que voue apercevriez en 
» lui quelque chose de mal, mais plutôt excuse» l’in- 
» tentïon; si l’action est inexcusable, attribues*!» à 
» l’ignorance, à la surprise, à quelqu’accident im- 
• prévj. Que si le mal est si évident qu’il soit im- 
» possible de le dissimuler, en tâchant de voua per- 
» suader que l’épreuve était trop forte, d tea-vous 
» àvous-même : à que» m’aurait réduit cette ten* 
» tation si elle eût exercé sur moi-môme un tel em- 
» pire? » Ainsi s’exprime saint Bernard. Quant aux 
avantage» que les hommes qui vivent selon l’Esprit 
recueillent de toutes choses, môme de leurs propres 
fautes, des péchés d’autrui, des événements les plus 
fâcheux, même encore des œuvres du démon ; voilà 
ce qu’en dit le même saint Bernard : (3) « Qu sait 
» que les brutes et les êtres sans raison, quoiqu’inca- 
» pables de parvenir aux biens spirituels, rendent, 
» par leurs services corporels et temporels, l'acqui- 

(I) Serin. 40, top. Cent — (1) Bers. Serin. 5, sup* Cent. 


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232 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» sition de ce3 mêmes biens plus facile à ceux qui 
» savent faire tourner au profit de l’Eternité la jouis- 
» sauce des biens de ce monde dont ils usent comme 
» n’en usant pas. » Saint bernard ajoute plus loin : 
« S’il y a quelques animaux dont on ne peut commo- 
» dément faire usage, s’il y en a de nuisibles ou 
» même de dangereux, il est constant qu’ils sont 
» temporellement utiles à la santé et à la conserva- 

* tion des hommes; de plus, les corps de ces ani- 
» maux peuvent contribuer au bien spirituel de ceux 
» que Dieu, suivant ses desseins, a appelés à la sain- 
» teté; et si ce n’est par la nourriture qu’ils leur four- 
» Dissent, on parles services qu’ils leur rendent, c’est 
» indubitablement en élevant sans cesse leur esprit 
» jusqu’à celui qui doit toujours être présent à une 
» créature intelligente, donnant ainsi à l'instruction 
» de tous un avancement à l’aide duquel (1) les per- 
» fections invisibles de Dieu deviennent visibles par 
» la connaissance que les créatures nous en donnent; 
» car le démon et ses satellites, ayant sans cesse de 
» mauvaises intentions,sont perpétuellement animés 
» du désir de vous perdre ; mais si vous êtes zélés à 
» faire le bien, ils ne peuvent vous nuire; disons plus, 
» ils vous sopt utiles, et malgré eux ils coopèrent à 
» l’avantage des hommes de bien. » Saint Bernard 
dit plus loin : « Il y a, en effet, des êtres qui font 
? le bien sans le vouloir, ce sont les hommes mé- 

* chants ou les mauvais Anges ; et il est évident que 

* ce bien qui est fait par eux ne l’est pas pour eux, 
» puisque nul ne peut profiter du bien qu’il fait 


(I) Rom. I. 


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IV e PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XLIII. 233 

» malgré lui. Dieu ne leur a donc confié que la dis- 
* pensatfon de ce bien, et je ne sais pourquoi nous 
» sommes plus flattés et plus reconnaissants du bien 
» qui nous est fait par un mauvais dispensateur. 
» Voilà donc pourquoi Dieu se sert des méchants pour 
» faire du bien aux bons ; car il n’a nul besoin d’eux 
» pour répandre ses bienfaits. » Saint Bernard dit 
encore : (1) « Gendre et poussière, pourquoi vous 
» enorgueillir? Le Seigneur a rejeté les Anges eux- 
» mômes, tant leur orgueil était abominable à ses 
» yeux. Que leur réprobation serve donc à notre 
.» amendement; c’est pour cela qu’il est écrit : (2) 
» Que le mal fait par le démon lui-même tourne à mon 
» avantage et que je purifie mes mains dans le sang du 
» plus grand des pécheurs ! Mais, dites-vous, comment 
» cela se fera-t-il? Le voici. L’orgueil du démon a été 
» frappé par la malédiction la plus horrible et la plus 

» formidable.Si Dieu a ainsi traité l’Ange rebelle, 

» à quoi dois-je m'attendre, cendre et poussière? 

» L’Ange s’est gonflé d’orgueil dans le ciel et moi sur 
» le fumier. Qui oserait dire que l’orgueil n’est pas plus 
» supportable dans un riche que dans un pauvre? Mal- 
» heur donc à moi! si un Ange du premier ordre a 
» été châtié avec tant de sévérité, que n’ai-je pas à 
» craindre, créature chétive, misérable, et cependant 
vsi orgueilleuse ! » C’est ainsi que saint Bernard, en 
parlant de l’Eglise qui devint l’Epouse de Jésus-Christ, 
après s’être souillée dans les voies de l’iniquité, puis¬ 
que, au grand scandale de la synagogue qui lui en 
faisait un reproche, elle était en grande partie com- 


(I) Bern. Serra. 54, sup. Cant. — (3) Ps. 57. 


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234 MÉDITATIONS SüR LÀ VIE DE Ïf.-S. I.-G. 

posée de nations idolâtres ; c'est ainsi que saint Ber¬ 
nard sait profiter de cette circonstance lorsqu’il dit : 
(1) « C’est à elle que beaucoup de péchés sont par- 
» donnés, c’est elle aussi qui a plus d’amour, de 
» sorte qu’elle fait tourner à son avantage les re- 
» proches mêmes que sa rivale lui adresse pour la 
» perdre. C’est là ce qui la rend plus douce dans ses 
» réprimandes, plus patiente dans l’adversité, plus 
* ardente dans sa charité, plus prudente danssapré- 
» voyance, plus humble dans la connaissance qu’elle 
»a d’elle-même, plus résignée dans ses disgrâces, 
» plus soumise dans son obéissance, plus empressée 
» et plus fidèle dans ses actions de grâces. » Voilà cé 
que dit saint Bernard* 

Voyez comment ceux dont la vie est spirituelle 
prennent tout en bonne part et profitent de tout. Vi¬ 
vez donc comme eux et tout se changera en bien 
pour vous. J’ajoute que ces considérations vous pro¬ 
cureront aussi, dans les tribulations et les tentations, 
la patience et la paix de l’àme. En effet, il n'y a per¬ 
sonne qui, par la pratique habituelle d’un semblable 
exercice, ne puisse s'établir dans une tranquillité 
d’esprit si parfaite que rien ne serait presque jamais 
capable de lui causer le moindre trouble, et que 
même il y aurait lieu de lui appliquer ces paroles de 
la sagesse : (2) Quoi qu'il arrive au Juste, il n'en sera 
jamais affligé . 

(I) Bern. Serai. U, sup. C&nt. — (1) Pro?* 11 


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IV* PARTIE. — «TERCREW, CHAR XLrr. JS5 


CHAPITRE XL1Y, 

Les disciples de Jésus arrachent quelques épis; et à cette 
occasion considérations sur la pauvreté. 

» 

(!) Un jour de sabbat, les disciples de Notré-Sei- 
gneur Jésus-Christ, pressés par la faim et n’ayant rien 
à manger, traversèrent des champs couverts de mois¬ 
sons et arrachèrent quelques épis dont ils mangèrent 
les grains après les avoir roulés dans les mains. Mais 
ils en furent repris par les pharisiens qui leur dirent 
que cela n’était pas permis le jour du sabbat. No- 
tre-Seigueur les justifiait sur ce point, et faisait sou¬ 
vent lui-même, à pareil jour, des choses qui parais¬ 
saient défendues, ainsi que je l’ai remarqué plus 
haut en parlant de la guérison d’un homme dont la 
main était desséchée. Pour vous, ma fille, arrêtez 
vos regards sur les disciples, et compatissez à l'ex¬ 
trême nécessité où ils sont réduits, bien qu’ils l’ac¬ 
ceptent avec joie, par amour pour la pauvreté que 
leur Seigneur et leur Maître leur avait recommandée 
comme la première de toutes les vertus et de toutes 
les béatitudes. Mais comment imaginer que les disci¬ 
ples de Jésus, ces princes du monde, se trouvent, en 
présence du Créateur de toutes choses, réduits à une 
pauvreté si extrême qu’ils n’aient pour se nourrir 

(I) Matth. f|. 


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236 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C- 

que la pâture des animaux! Jésus les considérait 
avec une vive compassion, parce qu’il les aimait 
tendrement; mais, en même temps, il les voyait 
avec complaisance soumis à une épreuve qu’il savait 
être si méritoire pour eux, et si avantageuse pour 
nous à qui elle devait offrir un exemple dont nous 
pouvons profiter pour l’exercice de plusieurs vertus; 
car rien n’est ptus propre à faire admirablement 
briller à nos yeux la sainte pauvreté, à nous appren¬ 
dre à mépriser les pompes du monde, à nous dégoû¬ 
ter de la somptuosité et de la délicatesse dans la 
préparation des aliments, et à affaiblir entièrement 
en nous la gourmandise avec ses excès, ses honteu¬ 
ses recherches et ses insatiables désirs. Redoublez 
donc ici d’attention, et, après un tel exemple, atta¬ 
chez-vous de tout votre cœur à une vertu qui a brillé 
d'un si vif éclat en Notre-Seigueur, en sa sainte Mère, 
en ceux que j’ai déjà appelés les princes du monde 
et en tous ceux qui se sont appliqués avec plus de 
perfection à marcher sur leurs traces. Mais compre¬ 
nez bien de quelle pauvreté il est ici question. Car 
je n’ignore pas que, vivant dans un monastère, vous 
avez fait vœu de pauvreté et que vous ne pouvez 
rien posséder ; rendez-en grâces à Dieu et soyez in- 
violablement fidèle à vos promesses. Mais je désire 
que vous portiez cette vertu à une plus haute perfec¬ 
tion qui ne diffère en rien de votre profession, et 
sans l’intelligence de laquelle, j’ose le dire, votre 
profession elle-même ne serait qu’un mot vide de 
sens. 

Je veux donc parler de cette pauvreté qui a sa 
racine dans le cœur ; car c'est dans l’âme, et non à 


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IV 6 'PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XLIV. 237 

l’éxtérieur, qu’il faut mettre les vertus. Or, vous se¬ 
rez un modèle parfait de pauvreté si vos sentiments 
s’accordent avec votre profession. Car, si vous 
souffrez extérieurement la privation de certaines 
choses, parce que, peut-être, vous n’en avez pas 
autant que le voudrait votre sensualité, tandis que 
vous les convoitez intérieurement et qu’avec un 
plein consentement vous souhaitez d’en avoir au 
delà de vos besoins, vous ne vivez pas dans la pau¬ 
vreté, mais dans l’indigence; parce qp’une telle 
pauvreté ne peut être considérée comme une vertu 
et n’a droit à aucune récompense; ce n’est qu’une 
disette forcée et sans aucun mérite. En effet, il suf¬ 
fit de consentir à la concupiscence pour perdre tout 
mérite et pour tomber dans tous les désordres, et, 
avec une telle pauvreté, ne vous flattez pas de pou¬ 
voir jamais vous élever à un haut degré d’oraison 
ou à la contemplation ; n’espérez pas obtenir jamais 
le centuple promis comme une récompense. Car 
comment un cœur appesanti par le poids des désirs 
terrestres pourra-t-il s’élever aux choses du ciel? Et 
comment une âme qui s’est souillée dans la boue et 
dans la fange pourrait-elle s’approcher de la pureté 
de Dieu et des choses célestes avec des affections 
terrestres et grossières. 

Attachez-vous donc du fond du cœur à la pau¬ 
vreté, regardez-)a comme votre mère, que sa beauté 
vous ravisse; mettez en elle seule toutes vos délices, 
.que rien au monde ne soit capable de vous porter à en 
violer les règles; n’ayez rien et ne souhaitez d’avoir 
absolument rien au delà du nécessaire. Et si vous 
me demandez en quoi consiste ce nécessaire? Je 


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238 MÉMTATIOJiS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

vous répoudrai que plus votre amour pour la pau¬ 
vreté sera parfait, mieux yous jugerez de ce qui est 
vraiment nécessaire. Car ce qui est vraiment néces¬ 
saire, c’est ce dont on ne peut se passer. Voyez donc 
quelles sont les choses dont vous pouvez aisément 
vous passer, et quant aux autres, gardez-vous de 
les posséder, de les rechercher, de vous les procurer 
et môme de les recevoir de la maiu.de ceux qui vou¬ 
draient vous les donner spontanément. Toutefois, 
quelque étroites que soient les bornes dans lesquel¬ 
les vous vous renfermiez, vous ne parviendrez ja¬ 
mais A imiter parfaitement Notre-Seigneur dans sa 
pauvreté, et il me semble que tous les efforts que 
nous ferons pour l’égaler en ce point seront toujours 
impuissants. Pour justiüer en peu de mots ce que j’a¬ 
vance, négligeant d’alléguer qu’il est Dieu, le Maître 
de tous les biens, le Seigneur de toutes choses,, le 
modèle de toute perfection et le reste, je me borne 
à un unique et solide argument, et je dis : Jésus- 
Christ a accepté non-seulement tous les besoins, 
mais toutes les humiliations de la pauvreté. Car la 
pauvreté que nous avons embrassée .volontairement 
et par amour de Dieu est, à juste titre, considérée 
comme une vertu ; aussi, loin de nous avilir, elle 
nous honoré aux yeux même des pervers. Mais h 
n’en fut pas ainsi de la pauvreté de Jésus; car on ne 
savait pas ce qu’il était et l’on ignorait que son indi¬ 
gence était volontaire; or la pauvreté, quand on la 
subit par nécessité, est un opproBre et nous exposç 
au mépris. Et comme tout le monde savait que Jésus 
n’avait ni domicile, ni propriété, ni aucunes choses 
semblables, il n’en paraissait que plus méprisable 


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IV* PARTIE. — MERCREW, CHAR. XMV. 2S9 

encore. En effet, les pauvres de cette espèce sont 
foulés aux pieds de tout le monde, et, quelque in¬ 
struits, quelque judicieux qu’ils soient, ils n’inspi¬ 
rent aucune confiance; s’ils sont d’une naissance il¬ 
lustre, ils n’en sont pas moins raillés et méprisés ; 
disons plus encore, leur noblesse, leurs lumières, 
leur probité, tout ce qui passe pour vertu aux yeux 
des hommes ne semble plus exister en eux, car 
iis sont presque universellement rejetés sans égard 
sât aux droits d’une ancienne amitié, soit aux 
liens du sang), comme il n’arrive que trop sou¬ 
vent, puisqu’on refuse de reconnaître tous ceux qui 
sont en cet état pour ses amis ou pour ses proches. 

Vous voyez donc bien que vous ne sauriez jamais 
ni imiter, ni encore moins égaler Jésus-Christ dans 
la profonde abjection de pauvreté et d’humilité où il 
a daigné s’abaisser. Ainsi il ne faut pas mépriser les 
pauvres qui sont dans le monde; ce sont dés images 
vivan tek de Jésus-Christ même. Par conséquent rien 
de plus désirable que la vertu de pauvreté, pour nous 
surtout qui nous sommes engagés à la pratiquer. 
Appliquez-vous donc, par tous ces motifs, à en ob¬ 
server les règles avec tout le respect et le dévoue¬ 
ment dont vous êtes capable. * 

Mais, si vous voulez aussi entendre saint Bernard 
sur ce sujet, voici ses paroles : « (1) Imitons autant 
» qu'il nous est possible celui qui a tant aimé la pau- 
» vreté que, pouvant disposer de l’univers entier* 
» il n’eut cependant point où reposer sa tête. Aussi 
» voyons-nous que les disciples qui le suivaient, pres- 

(4) Seroi. 4, de Adfe&U 


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240 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N>S. J.-C. 

» sés par la faim alors qu'ils passaient par un champ 
» de blé, furent réduits à rouler quelques épis dans 
» leurs mains. » 

Le même auteur dit autre part : « Pourquoi notre 
» Sauveur lui-même, maître souverain de tous les 
» trésors du monde, consacre-t-il, en sa personne, la 
» sainte pauvreté? ou du moins, pourquoi cette pau- 
» vreté est-elle décrite si soigneusement par l’Ange 
> aux bergers? Voilà, leur dit-il, à quel signe vous le 
» reconnaîtrez ; vous trouverez un Enfant enveloppé de 
» langes . Vos langes sont donnés comme un signe, ô 
» Seigneur Jésus; mais ce signe, pourquoi tant de 
» gens l’ont-ils contredit jusquîà ce jour? Il nous a 
» donné l'exemple, afin que nous le suivions. Dans la 
» lutte, la cuirasse de fer est sans doute plus utile 
» qu’une robe de lin, quoique la première soit un 
» fardeau et que la seconde soit une marque d’hon- 
» neur... C'est vraiment une chose choquante, une 
» chose révoltante de voir la soif des richesses dévo- 
» rer un vermisseau pour lequel le Dieu de majesté, 
» le Seigneur des armées a daigné embrasser la pau- 
» vreté... Ce n’est point la pauvreté, c’est l’amour 
» de la pauvreté qui est regardé comme une vertu... 
» Soyez l’ami des pauvres et vous serez l’ami du Roi 
» des rois; aimez la pauvreté et vous régnerez un 
» jour dans les cieux ; car le royaume des cieux ap- 
» partient aux pauvres. Heureux celui qui ne court 
» point après des biens dont la possession est un far- 
» ileau, l’amour une souillure, la perte un supplice. >• 
Ainsi parle saint Bernard. 

Vous voyez donc, par l’exemple des Apôtres, par 
les extraiis précédents des ouvrages de saint Bernard 


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IV* PARTIE. — MERCREDI; CHÀP. XLIV. 241 

et par ceux que nous avons produits en parlant de 
la naissance de Jésus-Christ et de son sermon sur la 
montagne, avec quelle ardeur vous devez vous ap¬ 
pliquer à la pauvreté comme à la plus excellente des 
vertus. 

Mais que dirons-nous de l’abstinence? Que dirons- 
nous de la vertu opposée à la gourmandise, de la so¬ 
briété qui brille dans le fait que nous méditons? Sans 
doute il est hors de mon sujet principal de traiter de 
ces vertus, surtout à cause des nombreuses citations 
que j’aurai à produire. Mais, comme vous n’avez pas 
l’expérience de ces choses, qu'il vous serait difficile 
d’en acquérir la connaissance, parce que vous n’avez 
pas les livres où vous pourriez la puiser, je vais, pour 
votre utilité, v.ous en parler avec tout le zèle dont je 
suis capable, afin que, à l’aide de ce secours, ayant 
au moins la connaissance de ce qu’il y a de plus es¬ 
sentiel dans ces vertus, vous puissiez imiter Celui qui 
en est le modèle et le maître, Jésus-Christ, dont la 
vie est l’objet principal de nos méditations. 

Sachez donc, quant à la gourmandise, qu’il faut 
lui résister avec persévérance, la combattre sans re¬ 
lâche et surtout en éviter toutes les occasions. C’est 
ainsi qu’en ont agi les saints Pères elles Maîtres de 
la vie spirituelle. Ecoutez ce que saint Bernard dit de 
ce vice : 

« (i) Comment l’homme, cette noble créature, 
» l’homme destiné à jouir du bonheur éternel et de 
» la gloire du grand Dieu qui l’a créé par son souffle, 
» formé à son image, racheté de son sang, favorisé 

(l)Serm. âd cleric, c. 41. 

16 

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24Ê MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.rS. J.-C. 

» du don de la foi, adopté par le Saint-Esprit, com- 
» ment l’homme est-il assez pusillanime, assez vil, 
» assez misérable pour ne pas rougir de la déplo- 
» rable servitude où le retient la corruption des sens 
» corporels? Il est vraiment bien juste, qu’après 
» avoir . abandonné le céleste Epoux pour courir 
vaprès les indignes objets de sa convoitise, il ne 
» puisse pas môme les atteindre.... Peine vérita- 
» blement insensée! puisqu’elle aboutit à entretenir 
» la femme stérile qui n’enfante pas, au préjudice de 
% la veuve qu’on laisse dans l'indigence; à négliger 
» le soin de son âme, pour satisfaire les désirs déré- 
» glés de la chair ; à engraisser et à entretenir un 
» cadavre en putréfaction qui bientôt doit indubita- 
» blement devenir la proie des vers. * Ainsi parle 
saint Bernard. 

Vous voyez donc avec quel soin il faut se garder 
de ta gourmandise. Cependant on peut accorder au 
corps ce qu’exigent ses besoins et sa santé. Ce qui 
fait dire au môme saint Bernard : (1) « De tous les 
» biens qu'on peut procurer au corps, le seul que 
» nous lui devons, c’est la santé. Or, il n’y a rien de 
> plus à lui donner ou à chercher pour lui, mais il 
» faut l’arrêter, l’enchaîner dans ces limites, puis- 
» qu’il n’est bon à rien et qu’il est destiné à la mort. 
» Que si l’on sacrifie les intérêts de la santé à ceux 
» de la volupté, loin d’être naturelle, cette préfé- 
» rence est contre la nature qui fait alliance avec la 
» mort lorsqu’elle s’assujettit à la volupté. C’est ainsi 
» qu’une foule d’hommes se sont laissés aller, ou, 

(1) Serrn. Bern. de triplici gen. bon. et vig. super cogiUt. 


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IV» PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XUV. 143 

• pour mieux dire, se sont honteusement abandon- 
» ués à un si brutal emportement que, préférant 
> leurs plaisirs à leur santé, ils se livrent avec excès 
» à des débauches de table dont, ils ne l’ignorent 
» pas, les douleurs les plus vives et les plus cuisantes 
» seront bienlôt les tristes conséquences. Or, comme 
» la santé est nécessaire 4 notre corps, ainsi la pureté 
» est nécessaire 4 notre cœur ; parce que , lorsque 
» son œil se trouble, il cesse de voir Dieu et que le 
» cœur de l’homme est fait pour contempler son 

• Créateur. Si donc on doit veiller avec soin à là oon- 
» servation de la santé du corps, il faut, pour conwr- 
» ver la pureté du cœur, employer une vigilance 
» d’autant plus grande, qu’il est constant que cette 
» partie de nous-mêmes l’emporte eu dignité sur 

• l’autre. 

» Cette réserve 4 l’égard des aliments m’inspire 
» quelque défiance; cependant, lorsqu’elle nous est 

• prescrite par les médecins, nous ne rejetons point 
» ces précautions nécessaires 4 la santé du corps, 

» parce que personne n’est ennemi de sou corps (l). » 
Ainsi parle saint Bernard. 

Toutefois, il ne faut pas se soigner avec scrupule, 
trop de précaution et au delà du besoin. Ainsi, quand 
il n’y a habituellement en nous aucun motif qui nous 
autorise à suivre notre goût ou nos répugnances dans 
le choix des aliments, nous ne devons ni tenir au 
choix, ni consulter en rien la nature. 

Sur quoi le même saint Bernard nous dit : (2) « Ne 
» voyez-vous pas que le divin Maitre foudroie de ses 


(I) Serai, liera. 60 super Caot. — (g) Serai. Sera. 30 super Cut. 


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244 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» anathèmes cette prudence de la chair qui conduit 
«l’homme ou à satisfaire ses passions par des excès, 

» ou même à désirer plus qu’il ne convient à la bonne 
» santé du corps? Mais à quoi bon s’abstenir de tous 
» les plaisirs, si tous les jours on recherche avec tant 
» de soin la différence des complexions et les divers 
» aliments qui leur conviennent? On dit : les légumes 
» donnent des vents, le fromage pèse sur l’estomac, 

» le lait fait mal à la tête, l’eau pure ne convient pas 
» à la poitrine, les choux nourrissent la mélancolie, 

» les porreaux enflamment la bile, les poissons pris 
» dans un étang ou dans une eau bourbeuse ne con- 
» viennent pas à mon tempérament. Gomment se fait- 
» il que l’on puisse à peine trouver de quoi vous 
'« nourrir dans un si grand nombre de rivières, de 
» campagnes, de jardins ou de celliers. Considérez, 

» je vous prie, que vous êtes moine, et non pas mé- 
» decin, et que vous ne serez pas jugé sur votre tem- 
» pérament, mais sur les devoirs de votre profession ; 

» épargnez-vous d’abord, je vous en conjure, des 
» inquiétudes; épargnez ensuite des peines à ceux 
» qui vous servent et des dépenses à Votre couvent; 

» épargnez la conscience, je ne dis pas la vôtre, mais 
» la conscience des autres, de celuf, par exemple, 

» qui, assis près de vous et mangeant de tout ce 
» qu’on lui présente, murmure intérieurement d’un 
» jeûne si extraordinaire; car il ^Joit se scandaliser 
- ou de vos fâcheuses préventions, ou de la dureté 
» qu’il impute peut-être à celui qui est chargé de 
» pourvoir à vos besoins... C’est en vain qee quel- 
» ques-uns cherchent à se justifier en citant saint- 


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245 


IV e PARUE. — MERCREDI, CHAP. XLIV. 

» Paul, qui enjoignait (l) k son disciple de ne pas con- 
» tinuer à boire de l'eau , mais d'user d’un peu de 
» vin, à cause de son estomac et de ses fréquentes 
» maladies. Je prie ces raisonneurs de remarquer 
» d’abord que l'Apôtre se refusait à lui-même une 
» semblable concession, et en même temps, que son 
» disciple ne l’avait nullement sollicitée ; en second 
» lieu, que l’injonction n’était pas faite à un moine, 
» mais à un Evêque, dont la conservation était très- 
» nécessaire à l’Eglise naissante. Cet Evêque était 
» Timothée. Montrez-moi un second Timothée, et je 
» m’engage, si vous l’exigez, k lui donner de l’or pour 
» sa nourriture et du baume pour sa boisson. J)u 
» reste, par pitié pour vous, vous ne voulez pasd’autre 
» guide que vous-mêmes; mais cette conduite, je 
» l’avoue, m’inspire de la défiance et me fait craindre 
» que, sous le nom et les apparences d’un sage dis- 
» cernement, vous ne soyez ici dupes de la prudence 
» de la chair. Quoi qu’il en soit* si, pour boire du vin, 
» il vous plaît de vous appuyer sur l’autorité de l’A- 
» pôtre, je vous conseille de ne pas oublier le mot : 
» peu, modico , qu’il a joint à cette concession. » Tout 
cela est de saint Bernard. 

Vous voyez donc, par les citations qui précèdent, 
que, si l’on peut prendre un soin raisonnable de la 
santé du'corps, il faut se garder d’une trop minu¬ 
tieuse attention dans le choix des aliments. 

Mais que dirons-nous de l’abstinence? Ce n’est pas 
moi qui vais vous en parler; c’est encore.saint Ber¬ 
nard. Voici comment il s’exprime : (2) « L’esprit et 

(I) I. Tiin. 5. — (2) Béni. Serai. 3 de Asceus. 


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34« MEDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» la ehair, le zèle ardent et la tiédeur sont inconci- 
> Uables, puisque la tiédeur en particulier provoque 
9 les vomissements de Notre-Seigneur. En effet, si 
s les Apôtres, trop attachés encore à rhumanité de 
» leur divin Maître qui, à la vérité était sainte, puis- 
» qu’eUe était unie au Saint des saints, ne purent 
» être remplis du Saint-Esprit avant que Jésus ne se 
9 séparât d’eux, comment vous, qui êtes attaché et 

• comme collé à un corps infâme et tout rempli de 
» tant de désirs impurs, pourriez-vous vous flatter 
» de recevoir cet Esprit d’une pureté infinie, sans 
» avoir même essayé de renoncer à toutes ces misé- 

• rabtee consolations de la chair? il faut l’avouer, 
» votre coeur d’abord sera plein de tristesse ; mais si 
» vous persévérez, cette tristesse se changera en 
» joie. Car alors vos affections seront purifiées et 
» votre-volonté sera rectifiée, ou plutôt serarenouve- 
» lée, de sorte que vous vous porterez avec beaucoup 
9 d’empressement et de joie à faire tout ce qui d’a- 

• bord voua paraissait difficile et même impossible. 
» (I) Ferons-nous un reproche à eaint Paul en le 

9 voyant châtier son corps et le réduire en servi- 
» tude? (a) Je m’abstiendrai donc du vin, parce qu’il 
» enfante les passions les plus désordonnées, ou, si 
9 j’ai quelques infirmités, j’en prendrai péu, suivant 


(t>Bern. Serm. 66, super Cant. — Nota. Ce passage est traduit 
sur le texte rectifié de saint Bernard que yoici ; « Num redarguimus 
Paulmn, qtibd eastigat corpus suum et in servitulem redigii ? Abeti- 
nebo à vino, quia iu vino luxuria est : aut si intimais sum, modico 
tttar, juxta eonsilium Pauli. Abstinebo à camibus... » En général 
il est bon de recourir au texte de saiut Bernard assez souvent incor¬ 
rectement cité dans l’édition des œuvres de saint Bonaventure. 

(S) Epfa. S. 


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IMPARTIE. — MERCREDI, CHAP. XLIVv 247 

» le conseil de l’Apôtre. Je m'abstiendrai de la 

> viande, de peur qu'en nourrissant trop bien la 

• chair, je ne nourrisse en même temps les vices de 
» la chair. J’aurai soin de mesurer le pain tnèmê que 
» je prendrai, de peur qu’après avoir surchargé mon 
» estomac, la prière elle-même ne me soit à charge, 
» et aussi pour que le Prophète ne puisse me repro- 
» cher de manger mon pain jusqu’à satiété (1). 

• (2) Le vin et la fleur de farine, le vin doux et les 
» mets délicats servent au corps et nullement à l’es- 
» prit. Ce n’est pas l’âme, c’est le corps que l’on en- 
» graisse avec des fritures ; le poivre, le gingembre, 
» le cumin, la sauge et tant d’autres assaisonnements 
» semblables flattent notre palais, mais enflamment 
» nos passions. La faim et quelques grains de sel, 
i voilà les seuls* assaisonnements nécessaires à un 

• homme prudent et sobre. C’est pour ceux qui 
» mangent avant d’avoir faim qu’il faut préparer des 
» mélanges variés de je ne sais quelles substances 

> étrangères qui raniment le goût, provoquent la 
» gourmandise, et stimulent l’appétit... 

• Aussitôt que l’âme a commencé à se reformer à 
» l’image et à la ressemblance de Dieu, alors aussi la 
» chair, reprenant une jeunesse nouvelle, essaie vo- 
» fontairement d’opérer en elle une semblable réfor- 
» mation. Car, malgré ses répugnances naturelles, 

• elle commence à aimer tout ce qui fait les délices 
» de l’esprit. De plus, à la vue des nombreuses fai- 
» blesses qui sont en elle la suite et le châtiment du 
» péché, soupirant ardemment après son Dieu, elle 

(4) Jer. U. — (S) Ikra. Ep. ad Robert. 


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^8 MÉDITATIONS SLR LA VlË DK N.-S. L-C. 

» s’élance quelquefois au-devant de celui qu'elle a 
» pris pour son guide. Car alors les délices ne nous 
» sont point ravies, mais elles passent de la chair à 
» l’esprit et des sens à la conscience. Le pain de son, 
» l’eau pure, les herbes potagères, les légumes sans 
» apprêts ne sont certainement pas des choses agréa- 
» blés; mais ce qui est vraiment délectable, c’est de 
» pouvoir, et même avec actions de grâces, satis- 
» faire ainsi aux besoins bien réglés de la nature, 
» par amour de Jésus-Christ et par le désir de goûter 
» les consolations intérieures. Combien y a-t-il de 
» pauvresquise contentent de ces aliments, ou même 
» de quelques-uns d’entre eux? Rien assurément ne 
» nous serait plus facile, ni même plus doux que de 
» vivre selon la nature, si l’amour de Dieu assaison- 
» nait toutes nos actions, si notre -folie n’y mettait 
» point d’obstacles ; guérissons-nous, et à l’instant la 
» nature se contentera des choses naturelles. C’est 
» en vivant ainsi, c'est par le travail qu’un cultiva- 
» leur endurcit ses nerfs et fortifie ses membres; tels 
» sont les elfets d'un continuel exercice. Laissez ce 
» cultivateur sans action, il perd ses forces. L’babi- 
» tude vient de la volonté, l’exercice de l’habitude; 
» l’exercice donne des forces en toute espèce de tra- 
» vail. » Ainsi parle saint Bernard (1). 


(1) Celte doctrine de saint Bernard paraîtra peut-être exagérée 
surtout à une époque où le relâchement tend singulièrement à s'in- 
trodui e dans la société chrétienne ; au point de se soustraire peu à 
peu aux abstineuces et aux jeunes prescrits par les lois de l’Eglise. 
Toutefois, les principes et les raisons allégués par saint Bernard n’en 
subsistent pas moins entourés de tout l’éclat de la vérité qui en jail¬ 
lit. 11 est vrai que ce grand saint, ainsi que saint Bonaventure, s’a¬ 
dressent à des religieux et à des religieuses appartenant à des ordres 


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249 


IV e PARTIE. — MERCREDI, CfiAP. XLlV. 

Ces citations prouvent clairement que l’abstinence, 
si recommandable d’ailleurs, est tout à fait indis¬ 
pensable. Et, en effet, les anciens Pères, ainsi que 
saint François et votre fondatrice, sainte Claire, l’ont 
très-étroitement observée, comme on peut le voir 
dans leurs vies. Il paraît cependant, suivant le môme 
saint Bernard, qu’il faut modérer l’abstinence en trois 
cas. D’abord, lorsqu’on la ferait contre la volonté du 
supérieur; car il n’est, en aucun cas, permis d agir 
ainsi. Secondement, lorsqu’on la faisant, on scanda¬ 
liserait notablement ses frères; car, dans les exer 
cices spirituels, il vaut mieux se conformer, par cha¬ 
rité, à la manière de vivre de la communauté que de 
scandaliser un seul de ses frères, en s’élevant au- 
dessus de la vie commune, pour pratiquer une absti¬ 
nence plus austère. Le troisième cas où il faut re¬ 
noncer à l’abstinence, c’est lorsque le corps n’en 
pourrait soutenir la rigueur; car une mortification 
indiscrète doit être regardée, non comme une vertu, 
mais comme un vice. Aussi saint Bernard dit-il aux 
hommes de ce caractère : (1) 

« Vous ne voulez pas vous contenter de la vie com- 
» mune ; il ne vous suffit pas de vous soumettre à la 
» règle, dans ce qu’elle prescrit à l'égard du jeûne, 
» des veilles solennelles, de la discipline, des véte- 
» raents et de la nourriture ; vous préférez la singu- 


fort austères ; mais nous devons faire observer que ces religieux et 
ces religieuses n’avaient pourtant pas à combattre des ennemis plus 
redoutables que les nôtres, ni un ciel différent à gagner. 11 restera 
donc toujours vrai, que ce que nous accorderons à notre corps au 
delà du nécessaire, le sera toujoui s aux dépens de notre àme. 

(Note de l'Editeur .) 

(1) Serm. 19, super Cant. 


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250 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» larité à l’ordre. Vous nous aviez autrefois confié le 
» soin de vous conduire, pourquoi donc vous mêlez- 
» vous encore de vous-mêmes? En effet, ce n’est plus 
» maintenant à nous que vous obéissez, mais à cette 
» volonté propre qui, j'en appelle à votre conscience, 
» vous a rendus coupables de tant d’offenses contre 
» Dieu? C’est elle qui vous apprend à accabler ainsi 
» la nature, à ne pas vous soumettre à la raison, à 
» ne tenir aucun compte des conseils ou des exem- 
t pies des anciens, à méconnaître notre autorité (i)... 
» Ne savez-vous pas que souvent l’Auge de Satan se 
» transforme en Ange de lumière (2)? Dieu est la sa- 
» gesse même, et l’amour qu’il exige doit être aussi 
» tendre que sage. Voilà pourquoi l’Apôtre (3; nous 
» recommande de rendre à Dieu un culte raisonnable. 

» Autrement, si vous négligez de vous instruire, votre 
» zèle deviendra bientôt la dupe de l’esprit d’erreur, 
j* et cet insidieux ennemi n’a pas de moyen plus ef- 
» ficace, pour détruire la charité dans une âme, que 
» de la porter, autant qu’il le peut, à agir sans pru- 
» dence et sans raison. 

* (4) O honte ! on voit les choses ies plus inutiles 
» recherchées avec une importune avidité par ceux 
» qui d’abord avaient obstinément rejeté ies plus né- 


(4) Nous nous sommes servi, pour la traduction de cette phrase et 
des deux précédentes, non du texte reproduit par saint Bonaventure, 
mais de celui pris dans les œuvres même de saint Bernard (édition 
MahiUon et Uortensius.) 11 faut donc : 4o au lieu de : Quid rursum 
de vobis nos iutromittitis... 2o au lieu de : 111a vos naturæ docel 
non parère , rationi non acquiescere, non obtemperare servorum 
consilio vel exemple; lire : quid rursum de vobis vos intromittitis ; 
parcere au lieu de parère. — Seniorum et non servorum. — Rec¬ 
tifications fort importantes pour le sens. 

(2) a. Cor. 40. - (3) Rom. 4*. — (4) Serpi. 33, sup. Cant. 


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IV» PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XL1V. 251 

» cessaires. Et pourtant, si ces entêtés s’obstinent, 
» avec une invincible persévérance, à continuer leurs 
» indiscrètes abstinences et à scandaliser par la cho- 
» quante singularité de leur conduite ceux avec qui 
*» ils doivent vivre sous une même règle et sous un 
» même toit, je ne sais vraiment s’ils peuvent se per- 
» suader qu'ils ont encore conservé la piété, lorsqu’ils 
» semblent ainsi l’avoir rejetée bien loin d’eux. 

» Que ceux donc qui, se confiant en leur propre 
» sagesse, ont pris en eux-mêmes la résolution de 
» ne suivre aucun conseil, de n’obéir à^iucun ordre, 
» voientce qu’ils ont à répondre, non pas à moi, mais 
» à Celui qui a dit que : Résister, c'est se rendre en 
* quelque sorte coupable de magie, et désobéir, est une 
» espèce d'idolâtrie . Mais il avait commencé par 
» dire : (1) Que l'obéissance vaut mieux que le sacrifice, 
9 et la soumission plus que l'offrande des béliers les plus 
» gras ; c’est-à-dire l’abstinence des opiniâtres (2). * 

» Que faut-il penser de ce qui, dansoette maison, 
» nous cause des inquiétudes si vives et si fréquentes? 
» Je veux parler de cette singulière et scrupuleuse 
» abstinence par laquelle quelques-uns d’entre nous 
» sont, tout à la fois, incommodes à tous leurs frères 
» et incommodés par eux. Comment ne voit-on pas 
» qu’une désunion si universelle doit troubler la 
» conscience de celui qui s’en rend coupable et occa- 
» sionne, autant que possible, la ruine de cette 
» grande vigne que la main du Seigneur a plantée, 

» je veux dire la ruine de l’unanimité qui règne entre 
» vous (3) : Malheur à l'homme par qui le scandale ar- 


(I) i. Reg. 15. — {%) Senû. 65, super Cant - (8) Matth. 18. ■ 


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252 MÉDITATIONS sur la vie de n.-s. j.-c. 

» rive! Celui, dit le Seigneur, qui aura scandalisé 
, l‘un de ces petits (le reste de la citation est bien dur 
» et bien terrihle) ; mais avec quelle rigueur ne mé- 
» rite pas d’être traité celui qui scandalise un si grand 
» nombre de saints personnages? Quel qu’il soit, il 
.» doit assurément s’attendre à un jugement très- 
» sévère. » 

« (1) Ceux qui sont favorisés de la grâce d’une 
» haute piété, ont encore à redouter le danger et le 
» plus grand de tous de la part du Démon du midi (2). 
» Car alors Satan se transforme en Ange de lumière: 
» Celui donc qui remplit tous ses devoirs avec tant 
» de délectation n’a qu’une chose à craindre ; c’est, 
» en suivant son goût, d’accabler son corps par des 
» exercices immodérés et d’être bientôt forcé, au 
» grand préjudice de ses exercices spirituels, de ne 
» plus s’occuper que du soin d’un corps trop affaibli. 
» Ainsi pour éviter les chutes, celui qui court dans 
» les voies de la sainteté doit s’éclairer du flambeau 
. de la discrétion qui indubitablement est la mère 
» de toutes les vertus et la consommation de toute 
» perfection. C’est elle qui enseigne clairement à ne 
» rien faire de plus ni de moins qu il ne faut. 
» Comme la Circoncision à laquelle l’Enfant Jésus 
> fut soumis le huitième jour de sa naissance, la 
. » discrétion ne retranche ni trop, ni trop peu (3). 
» Car l’indiscrétion par ses excès, comme la tiédeur 
» par ses restrictions, ne se borne pas à retrancher 
» ce qu’il y a de trop dans les bonnes œuvres, elle 

(I) Serin. 3, de Cire. Dom. — (4) 4. Cor. 13. — (3) 11 «t bon de 
recourir encore ici au texte de saint Bernard. 


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IV® PARTIE. — MERCREDf, CHAP. XLIV. 253 

» en détruit môme le fruit. Au jour de la Circonci- 
» sion, on donne donc à l’Enfant le nom de Sauveur; 
» et je n’hésite point à dire que quiconque l’appelle 
» ainsi opère son propre salut. Jusqu’à ce jour, les 
» Anges confidents des secrets de Dieu ont pu pro- 
» noncer ce nom ; mais maintenant je puis, pour la 
» première fois, invoquer avec confiance le nom de 
» Jésus. Or, comme rien n’est plus rare en ce monde 
» qu’une telle discrétion, je vous conseille, mes frè- 
» res, de remplacer cette vertu par celle de l’obéis- 
» sance, afin de ne rien faire de plus, rien de moins, 
» rien autre chose que ce qui vous aura été com- 
» mandé. » 

« (1) Il y a des travaux, des veilles et d’autres 
» choses semblables auxquels il faut exercer le 
» corps, qui servent plus qu’ils ne nuisent aux exer- 
« cices spirituels, si on en use raisonnablement et 
» avec discrétion. Mais, si quelqu’un s’y livre avec 
» un tet excès d’indiscrétion que, soit par la fatigue 
» de l’esprit, soit par l’abattement du corps, il y 
» trouve un obstacle aux exercices spirituels, un tel 
» homme dérobe à son corps les avantages qu’il 
» pouvait recueillir des bonnes œuvres, à son esprit 
» la ferveur, au prochain le bon exemple, à Dieu 
» l’horineur qui lui est dû; c’est un sacrilège, et il 
•répondra au Seigneur de toutes ces injustices. Ce 
» n’est pas que l’on ne puisse trouver, comme l’en- 
» tend l’Apôtre, qu’il est, môme humainement, avan- 
» tageux, convenable et juste de fatiguer quelque- 
» fois au service de Dieu une tête que, si souvent 


(I) Ep, ad frat,, de monte Dei. cap. 44. 


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254 MÉDITATIONS SUR IA VIE DE N.-S. J.-C. 

» autrefois, ou avait condamnée aux. plus pénibles 
» travaux, pour acquérir la vaine estime du monde, 
» et d’affamer, par des jeûnes rigoureux, un estomac 
» qu’on a livré à tous les excès de l’intempérance. 
» Mais pourtant il faut en toutes choses une mesure. 
» Il est bon quelquefois d’affliger le corps, mais il ne 
» faut pas l’exténuer entièrement ; car les exercices 
» corporels ont par eux - mêmes ^peu de valeur, 
» mais (1) la piété est utile à tout. Or, en vue de ce 
» peu d’avantage jque nous pouvons obtenir, et non 
» pour satisfaire la concupiscence, il faut avoir soin 
» de son corps. Mais agissez alors avec prudence et 
» avec une certaine sévérité spirituelle, afin que, 
» soit dans la manière d’administrer ces soins, soit 
» dans leur nature, soit dans leur multiplicité, on ne 
» puisse rien trouver d’inconvenant à un serviteur 
» de Dieu. » Voilà ce que dit saint Bernard. 

Mais, pour vous faire mieux connaître les règles 
de la discrétion, écoutez un abrégé des recomman¬ 
dations que le même auteur fait à ce sujet (2) : « Sans 
» la ferveur de la charité, la vertu de discrétion est 
» languissante, et une ferveur véhémente qui n’pst 
» pas tempérée par la discrétion, emporte au delà 
» des bornes. Bienheureux donc celui qui réunit 
» l’une et l’autre, de telle sorte que la ferveur sou- 
» tienne la discrétion et que la discrétion modère la 
» ferveur. 

» (3) Car c’est la discrétion qui établit l’ordre dans 
» la vertu; lVrdre à son tour Ja règle,l’embellit et 
» môme eu assure la perpétuité. Aussi le Prophète a- 


(*) Tim. 4. — (2) Serin. 33, sup. Cant. — (3) Serin. 43, sup. Gant. 


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IY e PARTIE. — MERCREDI, CHAP. XUV. 255 

» t-il dit (3) :Les jours se succèdent invariablement dans 
» Yordre que vous leur avez fixé ; et par jour/ il faut 
» entendre la vertu, La discrétion est donc moins une 
» vertu que la. modératrice et la conductrice des ver- 
tus, la règle des affections et la maîtresse des 
* mœurs. Sans elle la vertu se change en vice et les 
» sentiments les plus naturels troublent toutes lee 
» lois et opèrent môme la ruine entière de la na- 
» ture. » Tout cela est de saint Bernard. 

Les citations précédentes ont dû vous faire com¬ 
prendre jusqu’à quel point l’exemple des disciples 
condamne la superfluité et la gourmandise. Mais je 
ne vous ai pas encore fait remarquer combien cet 
exemple réprouve la pompe du monde. Sans entrer 
ici dans les développements de cette matière, je ne 
veux pourtant point la passer sous silence. Toute¬ 
fois, je pense qu’il suffit de vous dire maintenant 
que l’exemple des disciples semble reproduire à nos 
yeux l’heureuse simplicité du premier âge du monde 
où les hommes, pour se nourrir, se contentaient du 
fruit des arbres, de la racine de quelques plantes et 
dé l’eau pure des fontaines. Si donc il en était encore 
ainsi aujourd’hui, nous n’aurions besoin ni de mou¬ 
lins, ni de fours, ni d’ustensiles, ni d’appareils de 
ménage, ni de ces meubles variés et somptueux qui 
impliquent le genre humain dans d’inextricables 
embarras. 

(I) p». us. 


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6 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 


CINQUIÈME PARTIE. 

(JBBDI.) 


CHAPITRE XII. 

Des différentes fonctions de Marthe et de Marie ; et en même 
temps de la contemplation, laquelle se divise en deux 
parties. 

Notre-Seigneur Jésus-Christ, étant une fois allé à 
Béthanie visiter Marthe et Marie, ces deux sœurs, 
qui l’aimaient tendrement, le reçurent avec beau¬ 
coup de respect et de satisfaction. Marthe, sœur de 
Marie, se mit avec empressement à préparer un re¬ 
pas convenable au divin Maître et à ses disciples. 
Mais Marie vint s’asseoir aux pieds de Jésus, et pen¬ 
dant que Notre-Seigneur, qui ne voulait pas rester 
oisif, faisait, suivant son usage, entendre les paroles 
de la vie éternelle, Marie, fixant sur lui ses yeux et 
ses oreilles, prenait à l’écouter un plaisir inexpri¬ 
mable dont rien n’était capable de la distraire. Mar¬ 
the vit avec peine la conduite de sa sœur ; et elle 
pria le Seigneur d’ordonner à Marie de partager les 
soins auxquels elle se livrait; mais Jésus fut d’un autre 
avis et dit que Marie avait choisi la meilleure part. 
Alors Marie,-qui savourait dans une douce quiétude 


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247 


V e PARTIE* — JEUDI, CHAP. XLV. 

la parole de Dieu, comme tirée du sommeil à la voix 
de sa sœur, craignit d'avoir déplu à Jésus par sou 
inaction, baissa la tête et garda le silence. Mais, ras¬ 
surée par la réponse de Notre-Seigneur, elle-demeura 
à ses pieds daus un repos plus délicieux encore. En¬ 
suite, voyant que le repas était disposé et que Jésus 
avait cessé de parler, elle se lève promptement, 
prépare de l'eau pour lui laver les mains, et, sans s'é¬ 
loigner un moment de lui, lui rend tous les services 
dont elle est capable. Observez avec attention l’en¬ 
trée de Jésus chez ces deux sœurs, l’extrême joie 
qu’elles ont de le recevoir et les autres circonstances 
que nous venons de décrire, car elles sont toutes 
pleines d’intérêt. 

Mais il faut que vous sachiez que, selon les saints, 
Marthe et Marie sont ici la frguTe de deux sortes de 
vie; l’active et la contemplative. Ce sujet exigerait de 
longs développements ; mais comme je pense que des 
détails trop étendus sur cette matière ne vous con¬ 
viennent point, je me contenterai de vous en écrire 
quelque chose; d’abord parce que saint Bernard 
traite largement cette question en plusieurs endroits 
de ses ouvrages, et qu’en outre rien ne peut être 
plus utile, plus édifiant, plus nécessaire pour vous 
que la lecture de ce qu’il en dit. Car nous vivons 
toujours de l’une ou de l’autre de ces deux vies dont 
je viens de parler, et souvent nous ignorons de 
quelle manière nous devons nous y conduire; igno¬ 
rance fort dangereuse et fort dommageable, surtout 
pour ceux qui vivent en religion. Or Marthe est la 
figure de la vie active. Mais cette vie, selon ce qu’en 
dit saint Bernard, se divise en deux parties. Dans la 

17 


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2$t MÉBimiefe m umDfc 1Æ 

première, on travaille à se corriger, à réprimer ses 
défont* et à te -former 4 toutes les vertus, d’abord 
pour ton propre intérêt, et ensuite pour l’utilité du 
prochain, par l'exercice des actes de justice et des 
oeuvres de piété et de charité. U seconde partie de 
la vie aetive consiste à consacrer principalement pour 
l’utilité du-prochain, mais non sans accroître beau¬ 
coup son propre mérite, toi» ses soins à diriger, à 
instruire les autres, 4 contribuer au salut des âmes, 
ainsi que le font les Prélats, les Prédicateurs et an¬ 
tres personnes semblables. 

U fout placer la vie contemplative entre ces deux 
parties de la vie active, en procédant ainsi qu'il suit : 
premièrement, que l’on s’exerce, que l’on s’appli¬ 
que 4 l’oraison, à la lecture dos saints livrée, aux 
bonnes œuvres, à se rendre utile et serviable dans tes 
rapports que Ton a avec les autres, soit par là ré¬ 
forme de ses défauts, soit par l’acquisition des vertus. 
En second heu, que l’on goûte le repos dans la con¬ 
templation, en cherchant la solitude de l'Ame, en ne 
s'occupant* autant que possible* que de Dieu seul* Su 
troisième lieu, lorsque, au moyen des dette, exercice* 
précédents, les vertus chrétiennes et ht vraie sagesse 
auront pénétré, éclairé et embrasé le coeur, que Fou 
s'applique au salut des autres; ü faut donc d’abord, 
comme je Fai déjà indiqué dans la première partie 
dé la vie active, corriger, purifier et fortifier l’âme 
par l’exercice de toutes les vertes; ensuite, dattS là vie 
contemplative, oa se réforme, on s'éclaire et l’on s’in¬ 
struit; après cela, on peut sans témérité songer aux 
intérêts des autres et y contribuer selon ses moyens. 
Mais, pour justifier l’ordre dont nous venons de par- 


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T* MSTOk — IEÜOI, {HtK.HMt SI# 

1er, nous allons «Hier diverses autorités, en établis» 
saut d’abord que la première partie de la via active 
doit précéder la vie contemplative. 


CHAPITRE XLYI. 

La yfe active doit précéder la vie coMettplattve. 

Vofei, en effet, comment s’exprime saint Bernard: 
«(il Lorsque Jésus entra dans le bourg de Béthanie, 

* il fut reçu par deui soeurs, Marthe et Marie, c’eet-è* 

> dire l'action et l’intelligence. Hais Jésus en venant 
» à elles, donne à chacune ta grâce qui M contient 
» davantage, la force et la sagesse; la force a l’ac» 
» lion, la sagesse à l'intelligence. Et voilà pourquoi 

* l’Apôtre te présente dans ses prédications comme 
» la force et font à la fois la sagesse de Dieu. Mais 
» pourquoi, à sou entrée, Marthe le reçoit-elle en 
» s’empressant beaucoup et en te servant, tandis 
» que Marie, se plaçant à ses pieds, rient en quelque 

* sorte tout son cœur suspendu aux paroles qui sor- 

* tent de la bouche de son divin hôte, si ce n’etf 
» pour noos faire comprendre que l’action doit pré- 
» céder la contemplation ? Car il fout incontestable* 
» ment que tout homme qui désire parvenir a lln- 

> telligence des choses de Dieu, commence par 
» s’exercer avec soin à la pratique des bonnes œu» 

(4) Serm. a, d« Assumpt. 


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260 MÉDIÎÀflONS SUR LA VIE DÉ N.-S. J.-C. 

» vres, suivant ces paroles de l’Eeritiire : (l) Mon fils, 
» si vous désirez la sagesse, observez la justice, et Dieu 
» comblera vos désirs; et ailleurs : (2) J'ai compris par 
» vos ordonnances, etc.; et (:*) Purifiant leurs cœurs 
» par la foi . ... Par quelle foi? par cette foi qui opère 

» par la charité. 

» (4; Peut-être que vous soupirez après le repos dé- 
» licieux que Tou goûte dans la contemplation, et 
» vous avez raison; seulement n'oubliez pas les fleurs 
» dont on lit que la couche de l'Epouse était cou- 
» verte. A son exemple, ayez donc soin vous-même de 
» parfumer la vètre des fleurs de toutes les bonnes ceu- 
» vres et de faire précéder votre saint repos par l’exer- 
» cice des vertus,comme le fruit est , précédé par la 
» fleur. Autrement, si vous voulez vous livrer au som- 
» meil avant,que d’avoir travaillé, vous désirez uu 
» repos trop voluptueux; vous dédaignez la fécondité 
» de Lia, pour vous enivrer uniquement des doux em- 
» brassements de Rachel. Mais c’est renverser l’or- 
».dre que d’exiger la récompense avant que de l’a- 
» voir méritée, et de prendre sa nourriture avant 
» que d’avoir travaillé, puisque, selon l'Apôtre : 
» (5) Celui qui ne travaille pas, ne doit pas manger . 
» J'ai compris par vos ordonnances., dit David, aliu de 
• vous faire connaître que les délices de la contem- 
» plation sont une récompense qui n’est accordée 
» qu’aux fidèles observateurs des commandements. 

» Gardez-vous donc bien de croire que l’attrait parti- 
» eu lier que vous sentez, pour le repos de la con- 


(I) Eccle. 4. — (2) P». 418. — (3) Oct. 45.J— ( 4 ) Sermi 46, siip 
Cant. — (6) 2. Thetsal. 3. 


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261 


V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. XLVI. 

» templation, puisse jamais vous autoriser à retran- 
» cher la moindre chose soit au devoir de la sainte 
» obéissance, soit aux traditions de nos pères. Sans 
» cela, l’Epoux céleste ne viendra pas partager votre 
» couche, surtout si, an lieu des fleurs de l’obéis- 
« sance dont elle devrait être couverte, il n’y voit 
» que les herbes vénéneuses et les orties de la déso- 
» béissaace. 

< Dans ce cas, il fermera l’oreille à vos prières et 
» ne se rendra point à vos demandes. Car Celui qui 
» aima l’obéissance jusqu’à la préférer à sa propre 
» vie, ne se livrera jamais à l'homme qui ne pratir 
» que point cette vertu. Mais l’inutile repos de votre 
» contemplation ne déplait pas moins à Celui qui, 
» parlant par avance du temps où, après s’être exilé 
» du ciel et du séjour de la parfaite tranquillité, il 
» viendrait sur la terre travailler à notre salut, disait 
» par son frophète : (1) J'aitravaillé en attendant.,. Je 
» ne puis revenir de l’étonnement où me jette la té- 
» mérité de quelques-uns d’entre nos frères qui, 
» après nous avoir troublés par leur singularité, ir- 
» rités par leur impatience, scandalisés par leur dés- 
» obéissance, n’en ont pas moins l’audace d’inviter, 
» par les plus instantes prières, le Dieu de toute pu- 
» reté à venir se reposer dans le lit impur de leur 
» conscience. Mais voilà ce que leur dit le Seigneur 
» par Isaïe : (2) Lorsque vous élèverez vos mains vers 
» moi , je détournerai mes regards ; vous multiplierez 
» en vain ix>s prières , je ne les écouterai pas. Quoi Houe ! 
> votre couche, au lieu du parfum des fleurs, n’ex-* 


(I) Jerem. 6. — {%) laaï. i. 


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Stl MÊMfAflOtfS SUR LA VIE DR N.-S. J.-C. 

» hile qu’une odeur infecte, et vous y attire* le Roi 

* de gloire? Est-ce pour l’y faire reposer ou Ipour 
» Foutrager que vous en agisse* ainsi? 

» Continue* donc à étendre pendant tout le jour 
» vos mains vers le Seigneur, vous qui durant tout 

* le jour importune* vos frères, attaque* l’unanimité 
» et rompes l’union fraternelle. Mais, dites-vous, que 
» voulez-vous que je fasse ? Ce que je veux, c'est 
» que, avant tout, vous purgiez votre conscience de 
» toutes les souillures que la haine, la dispute, le 
» murmure et la jalousie y ont amassées, et que vous 
» vous hâtiez d'expulser entièrement du fond de 
» votre cœur tout ce que vous savez être un obsta- 
» cle à la paix fraternelle ou à l’obéissance que vous 
» devez â vos supérieurs. Répandez autour de vous les 
» fleurs de toutes sortes de bannes œuvres et des plus 
» louables sentiments, environnez-vous d'une atmos- 
» phère embaumée par l'odeur de toutes les vertus, 

* c'est-à-dire de toutes sortes de vérité, de justice, 

* de sainteté, d’amabilité et de bonne renommée, 
» soit en vertu, soit en louables exemples; qne ce 
» soient là vos pensées et vos exercices habituels. 
» De cette manière, vous appellerez sans crainte à 
» vous l’Epoux de votre âme; car, dès qu’il sera en- 

* tré en vous, vous pourrez dire comme l’Epouse 
» des Cantiques : Notre couche est embaumée , puis- 
» que votre conscience exhalera l’odeur de la piété, 
» de la paix, de la douceur, de la justice, de i’obéis- 
» sauce, de l'humilité.» Ainsi s’exprime saint Bernard. 

On voit par ce qui précède comment cette partie 
de la vie active que saint Bernard a appelée la pre¬ 
mière doit précéder la vie contemplative. 


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T* PART». -» IEBBI, CB A». 3B.TH. Ml 


CHAPITRE XRYII, 

De la prédication ; puis de sept choses auxquelles il tyit 
s'exercer avant que d'enseigner les autres 

fl Vagit maintenant de voir comment la vie con¬ 
templative précède Vactive dans sa seconde partie, et 
se trouve ainsi placée entre 1er deux parties de la 
vie active. 

Or voici ce que dit saint Bernard à ce sujet j « (!)II 
» yudeux écueils à éviter; ou de dissiper ce qui 
» nous a été donné pour nous-mêmes, ou de retenir 
» injustement ce qui ne nous a été donné que pour le 
» répandre. Incontestablement vous retenez ieltàen 
» d'autrui lors, par exemple, qu’étant rempli de ver- 
» tus et manifestement enrichi des dons de la science 
» et de l'éloquence, la timidité, la nonchalance, une 
» humilité sans discernement vous font enchaîner, 
» dans un silence inutile et même condamnable, une 
» langue éloquente qui pourrait faire entendre des 
» vérités utiles à beaucoup de personnes ; certes, 
» vous méritez tous lés anathème?, puisque vous 
» tenez caché au milieu des peuples ce qui doit ser- 
» vir à leur subsistance. D’un autre côté, vous êtes 
» un prodigue, vous travaillez à votre ruine, si, n f é- 
» tant encore qu’à demi rempli des dons de Dieu, 


g) S*. Cwt. 


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264 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» vous vous hâtez de les répandre sur les autres, 
» avant que d’être parvenu à une entière plénitude, 
• violant ainsi la loi qui vous défend de labourer avec 
» un jeune taureau , et de tondre Vagneau qui vient de 
» naître . Il est clair que vous vous ôtez à vous-même 
» la vie et la santé que vous donnez à un autre, lors- 
» que, dépourvu de bonnes intentions, vous vous 
» laissez enfler par le vent de la vaine gloire, infec- 
» ter par le poison d’une cupidité toute charnelle, et 
» étouffer par l’enflure mortelle de l'abcès qui vous 
» dévore. Ainsi, si vous êtes sage, montrez-vous 
» plutôt semblable au réservoir qu’à l’aqueduc. Car 
» celui-ci verse presqu’aussitôt ce qu’il vient de re- 
» cevoir; l’autre, au jcontraire, ne répand rien avant 
» que d’être rempli,; de sorte que, sans s’appauvrir, 
» il donne son superflu, connaissant bien les malé- 
» dictions prononcées contre celui qui fend sa condi- 
» tioih moins bonne. 

» Pour vous, mon frère, dont la santé spirituelle 
» n'est pas encore assez affermie, dont la chanté est 
» encore nulle, ou si faible et si fragile qu’elle fléchit 
» au moindre souffle, se confie à toutes sortes d’es- 
» prit, se laisse emporter à tout vent de doctrine ; 
» vous aussi, vous plus spécialement encore dont la 
» charité est si excessive que vous allez au-delà 
» même du commandement qui vous prescrit d'ai- 
» mer votre prochain comme vous-même, et en 
» même temps si médiocre que, malgré le même 
» commandement, la vapeur s’évapore, la crainte 
» l'affaiblit, le chagrin la trouble, l'avarice la com- 
» prime, l’ambition l’exalte, les soupçons l’inquiè- 
» tent, les injures la tourmentent, les sollicitudes de 


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266 


V* PARTIE. — JEÛDI, CftAP. XLYII. 

» la vie la détruisent, les honneurs la gonflent, l’en- 
vie la desséche ; vous, dis-je, qui devez avoir une 
» si parfaite connaissance de vos propres infirmités, 
» comment, dites-moi, êtes-vous assez insensé pour 
» aspirer, .ou pour consentir à vous charger du soin 
» de guérir celle de vos frères? mais écoutez les con- 
» seils d’une prudente et vigilante charité : (1) Je 
» n'entends pas, dit l'Apôtre , que les autres soient sou - 
» logés et que vous soyez surchargé , mais que tout soit 
» réduit à régalité. (2) Point d’excès dans la justice... 
» Bornez-vous à aimer votre prochain comme vous- 
» même, voilà en quoi consiste l’égalité. 

» Travaillez d’abord à vous remplir vous-même, 
» vous répandrez ensuite de votre abondance. La 
» douee et prudente charité apporte ordinairement 
» l’abondance et ne s’épuise jamais. (3) Mon fils, dit 
» Salomon, ne vous répandez pas comme Veau. (4) Et, 
» suivant l’Apôtre, nous devons faire une sérieuse 
» attention aux choses que nous avons entendues, 
» pour ne pas ressembler à l’eau qui s’écoule et se 
» perd. Quoi donc ! croyez^vous être plus saintj que 

• l’Apôtre, plus sage que Salomon?... Mais appre¬ 
nez à quelles importantes opérations il faut re- 
> courir pour notre salut, de comhien de dons, de 
» quelles précieuses qualités nous devons être rem- 
» plis avant que de penser à répandre notre superflu 

• sur les autres... 

» De même que le médecin s’approche d’un pauvre* 
» blessé^insi le Saint-Ésprit s’approche de l’âme; et 
» quelle est celle qu’il ne trouve blessée par le glaive 


(I) t. Cor. 8 . — (2) Eccles. 7.-(8) Prov. 8. — (*) Hebr. S. 


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tt* MÉDITATIONS SUR U YIÏ DE Kv-g. J.*C. 

* de l’ennemi du salut ? Or, que doit hm «Tant tout 
» le céleste médecin? Sans doute, amputer la tumeur 

* ou l’ulcère qui peut-être surmonte la plaie et peut 

* eu empêcher la guérison. Que le fer d’une w com- 
» ponction tranche donc l’ulcère d’une habitude in- 

1 vétérée. La douleur est cruelle, il faut l'avouer ; 
t appliquons^ pour l’adoucir le baume de la dévûr 

2 tion, je veux dire la joie qui fait concevoir l’eepér 
? rance du pardon ; cette espérance est un fruit pré 
> deux de la victoire remportée sur soi-même, après 
» que l’on a triomphé du péché. Déjà le malade rend 
» grâces à Dieu et s'écrie : (1) Seigneur, vous aves 
» rompu mes hem : je vous offrirai un sacrifiée de 
» louange. On recourt ensuite à un remède puissant, 
» à la pénitence ; à des fomentations faites avec un 
» mélange composé de jeûnes, de veilles, de prié* 
» res et autres exercices ordinaires aux pénitents. 
» Pour supporter la fatigue du traitement, on sou- 
» tiendra te malade par une nourriture fortifiante, 

* je veux dire par quelque bonne œuvre. Or, que 
» cela soit un aliment, Jésus*Christ nous rapprend 
a quand il dit : (2) Ma nourriture est de faire la vo~ 
a lontt de mon Père . On unira donc aux œuvres de la 
a pénitence celtes de la piété qui fortifie. (3) U.Au- 
t mène, dit Tobie, nous remplit de eenfianœ auprès de 

* JHeUt Mais on ne peut manger sans boire. Or le 
» breuvage qu’il faut combiner avec la nourriture 
» des bonnes œuyres, c’est la prière qui, dans la 
a conscience, comme dans un estomac spiriÿel, sert 
a de véhicule au bien que l'on a fait et le porte jus* 

(4) P*. W.— (S) Joan. 4. - (1) ToMe, 4. 


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V* PARTIE. — JEUDI, CRA». XLVII. M7 

» qu’à Dieu. (Test dm* le prière que l’on savoure ce 
» vin qui réjouit le cœur de l'homme, ce vin qui 
» enivre l'âme et lui fait oublier tous les plaisirs 
» de la chair, humecte intérieurement une oon* 
» science trop aride, extrait de la substance des bon- 
» nea œuvres un suc qu’il fait passer dans quelques- 
» uns des membres de l'âme, corroborant la foi, 
t confortant l'espérance, fortifiant et réglant la cha- 
* rité, donnant aux mœurs leur dernière pertec- 
» lion. 

* Le malade étant nourri, désaltéré, que peut-il 
9 faire de mieux, après les fatigues d'un travail ac- 
» tif, que de s'abandonner au repos de la contempla- 
9 tion 1 11 sommeille alors, et Biey s'offre à lui dans 
9 un rêve; car maintenant on ne peut le voir que 
« comme en un mir$r, en énigme, et non point face à 
», face. Durant cette extase, il se sent embrasé d'amour 
» pour celui qu'il a touché presqu'insensiblement, 
» qui s'est moins découvert qu'il ne s'est fait soup- 
» çonner dans une rapide apparition à peu près sem- 
» blable à la lueur d'une petite étincelle qui passe; 
» alors il s’écrie : (t) Mon âme vous a désiré pendant 
» la nuit, et du fond de mes entrailles , mon esprit a 
» crié vers vous. Cet amour enllamme le cœur ; il 
» convient à l’ami de l’Epoux, il doit dévorer le ser* 
« viteur sage et prudent que le Seigneur a chargé du 
» soin de sa famille. Cet amour remplit, embrase, 
» bouillonne, ne craint pas de se répandre; il inonde, 
» renverse tout; c'est lui qui fait dire à saint Paul ; 
» (2) Qui est faible sans que je m'affaiblisse avec lui? 

( )Ps. 155. — (Î) S.Cor. U. 


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268 MÉDITATIONS SÜR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» Qui est scandalisé sans que je brûle? C’est à cet 
» amour qu’il appartient de prêcher, de produire 
» des fruits de grâces, de faire de nouveaux prodiges 
» et d’opérer les plus admirables changements. La 
» vanité ne peut s’introduire dans un cœur entière- 
» ment rempli par la charité. Car. (!) la charité, 
» lorsqu’elle est parfaite, est en môme temps la plé- 
» nitude de la loi et celle du cœur. Enfin Dieu est Gha- 
» rité, et rien de tout ce qui existe ne peut remplir 
» une créature formée à l’image de Dieu que ce Dieu- 
» Charité qui seul est plus grand qu’elle. Celui qui 
*> ne la possède pas encore eourt les plus grands 
» dangers , lorsqu’on l’élève aux postes éminents, 
» quelles que soient d’ailleurs les autres vertus qui 
» semblent le fortifier. (2) Quand, dit saint Paul, il 
» posséderait toutes les sciences, qtiand il aurait donné 
» tous ses biens aux pauvres , et qu'il aurait livré son 
» corps pour être brûlé, tout cela lui serait inutile sans 
» la charité . » 

« Avant donc que d’oser répandre de notre abon- 
» dance, voilà ce qui doit nous rempür nous-mêmes. 
» D’abord la componction, 2 0 la dévotion, 3° les tra- 
• vaux de la pénitence, 4 o les œuvres de piété, 5° l’a- 
» mour de la prière, 6° le calme de la contemplation,. 
» 7° l’abondance de la charité. Un seul et même 
» esprit fait en nous toutes ces choses, par une opé- 
» ration que Don appelle infusion, et il ne cesse de 
» les produire jusqu’au moment où la grâce d’une 
» autre opération, nommée effusion, nous soit, sans 
» aucun mélange et par conséquent sans aucun péril, 


(I) Rom. 13. — (2) l.Cor. 13. 


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V e PARTIE* — JEUDI, CHAP. XLVU. 269 

» accordée pour l’honneur et la gloire de Notre-Sei- 
» gneur Jésus-Christ.... 

« (l) La véritable et pure contemplation, après 
» avoir embrasé l’àme de l’amour divin, la remplit 
»> quelquefois d’un zèle et d’un désir si véhéments de 
» gagner à Dieu des cœurs qui brûlent pour lui des 
» mêmes ardeurs, qu’elle est disposée à quitter, sans 
» le moindre regret, le repos de la contemplation, 
» pour se livrer avec empressement à la prédication ; 
» qu'ensuite, parvenue au comble de ses vœux, elle 
« retourne en quelque façon sur ses pas, revient à 
» la contemplation avec une ardeur d’autant plus 
» grande qu’ont été plus abondants les fruits qu’elle 
» se souvient d’avoir recueillis pendant l'interruption 
» de cet exercice ; et qu’enfin ayant de nouveau 
» goûté les délices de la contemplation, l’âme re- 
» vient, avec plus de force et non moins de zèle 
« qu’auparavant, à la poursuite de ces jouissances 
» accoutumées. Au reste, durant ces alternatives, 
» l’âme est souvent troublée par de vives inquiétudes 
« et de violentes agitations ; elle craint, dans les di- 
» vers sentiments qui la portent tantôt vers un exer- 
» cice, tantôt vers un autre, de s’attacher, peut-être 
» plus qu’il ne convient, à l’un d’entre eux, et de 
» cette manière, de s’éloigner un peu, en chacun 
» d’eux, de la volonté de Dieu. Et ce sont peut-être 
» de semblables tourments qui faisaient dire au saint 
» homme Job : (2) Lorsque je me livre au sommeil , je dis : 
» Quand me lèverai-je? et m'étant levé : Attendrai-je 
» jusqu'au soir? Ce qui peut se traduire ainsi : Lorsque 


(I) Serai. 57, sup. Caut. — (2) Job, 7. 


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#0 MËDttAtions sur U Vœ db N.-S. j.-c. 

» je m’abandonne au repos, je me reproche de négli- 
» ger la vie active, et pendant l’action, je gémis d’a- 
» voir troublé mon repoB. Vous voyez les violentes 
» agitations de ce saint homme obligé de faire un 
» choix entre les avantages de l’action et les douceurs 
» delà contemplation ; et, quoique faisant toujours 
» de bonnes actions, se les reprocher à chaque in- 
» stant comme si elles étaient mauvaises, et recher- 
» cher sans cesse, en gémissant, le bon plaisir de 

• Dieu. Contre de semblables maux, on ne peut as- 
» surément trouver de remède et de refuge qu’en 
» adressant d'ardentes prières et de continuels gémis- 

• sements à Dieu, pour obtenir qu’il daigne nous 
» faire connaître incessamment en quoi , en quels 
» temps et jusqu’à quel point, nous devons nous 
> conformer à sa Volonté. » Voilà ce que dit saint 
Bernard. 

On volt donc, par ce qui précède, que la vie active 
se compose de deux parties, entre lesquelles se placé 
la vie contemplative; et par conséquent, on sait dé 
quelle manière et dans quel ordre il faut S’y con¬ 
duire. Il nous reste à les considérer chacune en par¬ 
ticulier. Mais quant à la troisième partie qui est la 
seconde de la vie active, laquelle a pour objet le sa¬ 
lut des âmes et Futilité du prochain, je n’ai point 
l’intention d’en traiter, parce que votre état n’exige 
pas'ces connaissances. 11 vous suffit de vous appli¬ 
quer uniquement à vous corriger de vos défauts, à 
vous remplir de toutes les vertus, afln qu’ayant tra¬ 
versé la première partie de la vie active, vous puis¬ 
siez vous donner entièrement à Dieu dans la contem¬ 
plation. 


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V» PARTIE. — JEtfM, CHAP. XLVtit. 2tl 


CHAPITRE XLVIII. . 

Des exercices de 1a vie active» 

Quoique je vous aie déjà fait connaître en partie en 
quoi consiste la vie active et surtout.par les extraits 
que je vous ai donnés du XLVi é sermon dè saint 
Bernard sur le Cantique des cantiques, j’ai pourtant 
encore à vous présenter plusieurs citations du même 
auteur, pour vous mettre en état de fuir avec plus 
de précaution tous les vices et d’acquérir la plénitude 
de toutes les vertus. 

(1) Saint Bernard dit sut le même sujet : a (2) Se- 
» mes pour vous dans ïa justice, moissonnez Vespérance 
3 de la vie étemelle ; et enfin, comme dit Osée : 
» Faites briller devant vous les îumiéreè de la science. 
» Le Prophète a mis la science la dernière, comme on 
» fait pour la peinture qui ne peut être mise sur le 
» vide; et voilà pourquoi ü parle avant tout des 
» deux premières vertus et les place au-dessous de 
» là dernière, comme le fond solide sur lequel il veut 
» peindre un tableau. Ainsi je pourrai m’appliquer 
» sans danger à la science, si j’obtiens, comme un 
» fruit précieux de mon espérance, l’assurance de la 
» vie éternelle. Vous avez donc semé pour vous dans 
» la justice, si, par une véritable connaissance de 

(I) Séria, 37, sup. Gant. — (S)Ow. 40. 


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272 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N,-S. J.-C. 

» vous-méme voas avez réveillé en vous la crainte 
» de Dieu, vous vous êtes humilié, vous avez versé des 
» larmes, répandu d’abondantes aumônes, vous vous 
» êtes assujetti aux œuvres de piété, si vous avez ma- 
» céré votre chair par les jeûnes et les veilles, si vous 
» ne vous êtes pas lassé de frapper votre poitrine et 
» de pousser des cris vers le ciel. Car c’est là assuré- 
» ment semer dans la justice. Les semences, ce 
» sont les bonnes œuvres, les bons désirs; les se- 
» mences, ce sont les larmes ; car, dit David : (I) Ils 
» allaient en pleurant , et répandaient ainsi leurs se - 
» mences. » 

Le même saint Bernard, empruntant le langage de 
l’Epouse des Cantiques qui, dans son entretien avec 
les amis de l’Epoux, réclame un baiser de son Bien- 
aimé, c’est-à-dire les plus pures délices de la contem¬ 
plation, lui fait dire : « (2) S’il me conserve encore 
» quelqu’affection, qu'il me donne un baiser de sa 
» bouche. Je ne suis pas ingrate, je réponds à son 
» amour... Depuis bien des années je mène, par sa 
» grâce, une vie pure etmortifiée, je m’applique aux 
» saintes lectures, je résiste à toutes les passions, je 
» persévère dans la prière, je suis en garde contre 
» toutes les tentations; je repasse toutes mes années 
» dans l’amertume de mon cœur ; il me semble que 
» je fais ce que jè peux pour vivre en paix avec mes 
» frères ; je suis soumise aux puissances supérieures, 
» réglant tous mes pas sur les ordres de Celui à qui 
» je dois obéissance. Je n’envie point le bien d’au- 
» trui, je nie suis donné moi-même avec tout ce 

(<) Ps. rn. ~ (i) Serin. 9, sup. Gant. 4 


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V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. XLVIII. 278 

» que je possède ; je mange mon pain à la sueur de 
» mon front; au reste, dans tout cela je n’âgis que 
» par habitude et nullement par attrait. Peut-être 
» m'acquitte-je à peu près de mes devoirs, toais, en 
» le faisant, mon âme est comme une terre aride et 
» desséchée. Afin donc que mon sacrifice lui soit 
» agréable, qu’il me donne, je l’en conjure, un bai¬ 
sser de sa bouché. » 

* (1) Pour vous, si /vous aimez à communiquer ù 
» vos frères des dons que vous avez reçus du Ciel, si 
» vous vous montrez toujours avec nous plein d’obli- 
» geance, d’affection, d’amabilité, de condescen- 
» dance, d’humilité, tout le taonde reconnaîtra que. 
» vous exhalez aussi l’odeur des parfums les plus dé- 
» licieux. Celui d’entre nous qui, non-seulement sup- 
» porte patiemment ses frères dans leurs misèrés spi- 
» rituelles et corporelles, mais qui, autant que cela 
» lui est permis et possible, les soulage par ses bons 
» offices, les fortifie par ses discours, les instruit et 
» les relève par ses conseils ; ou qui, ne pouvant en 
» agir ainsi, parce que la règle s’y oppose, implore 
* du moins par de ferventes et continuelles prières 
» le soulagement de toutes leurs infirmités; celui, 
» dis-je, qui se conduit ainsi avec nous répand assu- 
» rément parmi ses frères une bonne odeur, rôdeur 
» des parfums les plus exquis ; le baume coule de 
» ses lèvres. Dans une congrégation, chacun montre 
» du doigt un tel frère, en disant : (2) Voilà le vérita- 
» ble ami de ses frères et du peuple d'Israël. C’est lui 


(I) Serm. 12, sup. Cant. — (2) Malth. 45. 


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18 



274 MÉDITATIONS SUÉ PA V|g DE fl,4, 

» f ui pr%e sans cesse pour k peuple et pour toute la 
» Cité wtyte. 

* (i) Nous devons considérer comme nop maîtres 
» ceux qui, après avoir appris du souverain Maître 
» les voies de la vie éternelle, n'ont pas cessé de nous 

* tes indiquer jusqu'à ce jour. Or, que m’ont ensei- 
» gpé„ et que m’enseignent encore les Apôtres? Ce 
» n'est point à pêcher, à confectionner des tentes ou 
» à faire d'autres travaux semblables; ce n'est point 
» Y lire les ouvrages de Platon, à renverser les argu- 
» meute capitaux d'Aristote, à acquérir chaque jour 
» de nouvelles connaissances sans jamais parvenir à 
» celles de la vérité; ce qu'ils m'ont appris, c'est à 
» vivre. Croyez-vous que savoir vivra soit une si pe- 
» tite chose ? Certes, voHà une grande science ; disons 
» mieux, la première de toutes les sciences. Quicon- 
» que se laisse enfler par l’orgueil, squiller par la vo- 
» lupté, corrompre par d’autres poisons, ne vit point; 
» car cela n'est point vivre, c'est détruire sa vie, s’ap- 

* procher des portes de la mort. Selon moi une bonne 
» vie c’est de supporter le mal, 'de faire le bien et 
» de persévérer ainsi jusqu'à la mort. Ou dit ordi~ 
» rement que bien se nourrir c’est bien vivre. Mais 
» ici l'iniquité s'est mentie à ellèrmême ; : car il n’y a 
» que celui qui fait le bien qui vit bien. 

9 Pour vous, qui êtes dans une communauté, 'je 
» pense que vous vivez bien, si votre vie est réglée, 
» sociable humble; réglée à cause de vou6, sociable en 
- vue du prochain, humble en vue dp Dieu. Vie rér 
» glée quiconsiste à observer avec soin dans toutes ses 


0) Serai. 1,51 b teste SS. fetr. 4P|)U. 


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276 


V* PARTIS, w- IPURI, 

» actions ce que Ton doit à Dieuet ce que Ton doit au 
» prochain, évitant pour soi le péché et le scandale pour 
» ses frères. Vie sociable qui n’est autre chose qu’une 
» application continuelle à se faire aimer des autres 
» et à les aimer soi-même, à se mqptrer affectueux 
» et affable envers tout le monde, à supporter non- 
» seulement avec patience, mai? même de bon cœur 
» les infirmités spirituelles et corporelles de ses frè- 
» res. Vie humble dans laquelle, après avoir fait tpyt 
» ce qui précède, on s'étudie à chasser loin de ?pi 
» l’esprit de vanité qu’une telle conduite ne mapqqe 
» guère de produire; et, toutes les fois qu’on en e§| 
» tenté, à n’y donner aucun consentement, Qqaqt 
» aux maux que vous avez à supporter, conpne il y 
» en a dé trois espèces, vous avez trois précautions \ 
» prendre. Ces maux viennent de voqs, du proçbajp 
» ou de Dieu. Les premiers sont les austérités dç (a 
» pénitehce ; les seconds les persécutions suscitées par 
» la malignité des autres} les troisièmes, les fléaux 
» de la justice de Dieu. Dans les mortifications qqp 
» vous vous imposez à vous-même, faites de géné- 
» reux sacrifices; ce que vous avez à souffrir du 
» prochain, güpportez-le avec patience ; ce qui vous 
» vient de Dieu, acceptez-le sans fnurmurê qt méiye 
» avec actions de grâces. » Ainsi parlp saint Ber¬ 
nard. 

Voilà tout ce que, poyr le moment, j’ai à voqs dire 
sur les exercices de la première partie de vip 
active. 


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276 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S*. J.-C. 


CHAPITRÉ XUX. 

Des exercices de la vie contemplative. 

Nous avons maintenant à parler de la vie contem¬ 
plative. Voici ce qu’en dit saint Bernard : 

« (!) On voit, dans les sacrés Cantiques, que l’Epoux . 
» bien-aimé mit sa main gauche sur la tète de l’B- 
» pouse, afin delà faire reposer et s’endormir sur son 
» sein; et, dans cet état, comme un gardien fidèle, 

» il veille sur elle avec une sollicitude affectueuse, 

» afin que les plus petits bruits que ses compagnes 
» font entendre dans leurs diverses occupations, ne 
» viennent point troubler son sommeil. Je ne puis 
« contenir tes transports de ma joie, lorsque je vois 
» la Majesté suprême condescendre à s’abaisser jus- 
» qu’à notre néant avec une sympathie si tendre et 
» si familière, lorsque je contemple le Dieu dq ciel ne 
» dédaignant pas de s’unir, en qualité d’Epoux, à 
» l’âme fidèle pendant son exil' (2). Ainsi, je n’en 
» doute pas, le Ciel doit réaliser pour nous ce que 
• nous lisons ici-bas de sa félicité, et tout ce que 
» l’Ecriture en rapporte, notre âme un jour doit indu¬ 
is bitablement l’expérimenter; observons toutefois 


(4) Serra. 59 top. Gant. 

(*) 4" Nota. Le texte de saint Bernard (édition d’Hortensius et de 
Mabillon) porte ce qui suit : Sic, sic in ceelo, etc., et non, Si sic . 


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277 


V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. XLIX. 

» que dos livres saints manquent d’expressions, pour 
» nous donner une juste idée, non-seulement des 
» délices dont l’âme pourra alors être remplie, mais 
» même de celles qu ’elle peut déjàgoûter sur la terre. 
» Qu’est-ce que Dieu, je vous le demande, réserve 
» donc dans ce séjour à l’âme qu’il gratifie ou favo- 
» rise d’un commerce si intime, qu’elle sent, en 
» quelque sorte, que son.Dieu l’embrasse, que son 
» Dieu la presse contre son sein, que son Dieu la 
» garde avec vigilance, sollicitude et affection, de 
» peur que quelqu’un ne vienne la tirer de son som- 
» meil avant qu'elle ne veuille en sortir? Au reste, le 
» sommeil de l’Epouse diffère essentiellement de celui 
» du corps. Il y a plus, ce sommeil vital et vigilant 
» éclaire les sens intérieurs, éloigne la mort et nous 
» donne la vie éternelle. En effet, c’est un sommeil 

• qui n’assoupit point les sens, mais qui en ravit 
» l’usage. (Test encore une espèce de mort; (ce que 

* j'affirmerai ici sans hésiter), puisque l’Apôtre saint 
» Paul, faisant l’éloge de quelques hommes encore 
» vivants, leur dit : (1) Vous êtes morts et votre vie est 
» cachée en Dieu avec Jésus-Christ. Je puis donc aussi, 
*» sans absurdité, donner le nom de mort à cette 
» extase de l’Epouse qui, à la vérité, ne l’arrache 
» point à la vie, mais à tous les dangers de la vie, de 
» telle sorte qu’elle peut dire : (2) Mon âme est sem- 
» blable à Voiseau qui échappe au filet du chasseur. En 
» effet, dans cette vie, nous marchons environnés de 
» pièges, mais l’âme n’a plus à lés redduter toutes 


(4) Col. S. — (9) P». U. 2* Nota. Au lieu de . quæ Umen non 
vita, sed vitæ eripiatwr laqueis, il faut : qu* tamen non vit*, sed 
Tita eripiat laqueis. 


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#8 MÉMATÎOfoS SUft Là VIE Ôfe N.-S. J.-C. 

» lès fëfà qu’dUe ëst tavië à elié-mênie pdf quelques 

* sdifitëS ët Vêhémefitës pensées, pourvu toutefois 
é qué, dans Sdtt transport ét danê êoh ravissement, 

* elié s’élêVé beaucoup âü-dessüs deë pensées ôrdi- 

* nattes ét éditithüileS; Car C’est en yaiu qüë l'on tend 

* dëé piégés dévêtit ceux qui portent des âiles. Côm- 
v vàM% donc feëùtifait^on raiguilion de la Chair, quand 

* ofi fi’a pas tâôtrie le Sentiment de son existence? 
» Lorsque l’ftiüe est dégagée, Sinon de la Vie, dd îïioiûs 
i dtt sentiment dé la Vie, il est incontestable alors 

* qu’eue ne fêêsértt pàë don plus les tentations de ta 
» Vie. (8) QUi rftè âbhnèïa des tiitëè corïtihe déliés de la 

* éùlàihbè, ètje fn i êlè\)Êra{jüsÿu i 'û iHéu etj’y yoütefaiun 
» dente HpùsŸ One ne puis-je souvent mourir de dette 

* ftdtt pour échapper aiii filets de la mort éternelle, 
» ttië dégoûter deS mortelles douteurs d’üne Vie vo- 
i ItiptüeuSë, devenir insensible 8 l’êttraitdes passions, 
i à té soif btülàntè dé l’avarice, aux aiguillons de la 
i colère et de l'impatience, auX angoisses des noirs 
» sôücis et à l’ennui des sollicitudes de la vie! Que ne 
t pUis-je mourir de la mort des justes, pour échapper 

* à tous léé pièges dê ^injustice et à toutes les séduc- 

* tiens dé l’iniquité! Héureüse mort qui n’ôte point 

> la Vie, mais qui la change en Une meilleure ! Pré- 
» Ciéusé mort qüi, sans abattre le corps, éléve notre 
» âme ! Toutefois ce n’est là qu’une mort purement 

> hnmamè. Mais qUë né ttPest-il permis de mourir de 
» la mort .dés Anges, si Pon peut s’exprimer ainsi, 
» afin qu'oubliant entièrement les choses présentes, 

> mon àme se dégage non-seulement de tous les dé- 

(I) Pf, 54. 


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V* PAâTIE. — JEUDI, CHAP. ALIX. Ü9 

» sirs, mais même de toutes lés vailles images dés 
» choses viles et corporelles, et qu’elle puisse entré te- 
» nir un pur commerce avec les esprits célestes aux- 
» quels sa pureté la rend alors semblable. C'est à cette 

* espèce de mort quê convient uniquement et pJriû- 

* cipalement le nom de contemplation. Car, sé dé- 
i pouüîer pendant la vie de tout attacheméüi auX 
» Choses créées, voilà la Vertu humpine; mais se dé- 

* gager pendant la méditation de toute les pensèés dés 
» choses corporelles, c’est la pureté angélique. Toute- 

* fois Tune et loutre sont un don de Dieu, i’üùè et 

* l’autre sont une mort spirituelle, l’une et l’autre 
< Sont un ravissement au-dessus de soi-même; mais 

* observes que l'une ést fort éloignée de vous et que 
» l’autre en est très-rapprochée. Bienheureux Celui 
t qui peut dire : (1) î*ai fui loin de mes ennemie et Je 
» éuis demeuré dans lu solitude . 11 ne s'est arrêté dans 
» sa fuite qu’après s’être éloigné beaucoup, afin de 
» reposer en paix. Vous avez laissé loin de Vous toutes 

* les satisfactions des sens, afin de n’étre désormais 
» ni vaincu par les désirs de la chair, ni enchaîné 

* par ses attraits; c’est un progrès, c’est une sépâra- 

* tion; mais elle né scraentière et parfaite que lorsque 
» VOUS serez parvenu à vous élever, par la pureté de 

* L’esprit, au-dessus de tous les fantômes que le sou- 

* venir des objets terrestres fait voltiger sans CesSe 

* autour de vous. Jusque là Ue comptez sut aucune 

* tranquillité. Vous vous trompes, si vous croyez trou. 

* Ver auparavant le lieu de Votre repos, le secret de 
i ta solitude, la sérénité d’un beau jour, la demeure 

U) P*. W. 


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280 MÉDITATIONS SUIT LA VIE DE N«-£. J.-C. 

» de la paix. Mais donnez-moi un homme parvenu à 
» cette élévation, et je n’hésiterai pas à le reconnaître 
» pour un homme de paix, qui aura droit de dire 
» avec David: (1) Rentre, à mm âme , dans tm repos, 

* parce que le Seigneur ta comblée de ses bienfaits . 
» C’est là vraiment qu’il t’est permis de vivre dans la 
» solitude et d’habiter dans la lumière... Croyez donc 
» que c’est ici la solitude où l'Epouse s’est retirée à 
» l’écart, et que, charmée de la beauté de ce lieu, 
» elle repose délicieusement entre les bras de sou 
» Bien-aimé, c’est-à-dire qu’elle est ravie en esprit 
» pendant que l’Epoux a défendu aux jeunes vierges 
» de troubler son sommeil, jusqu’à ce qu'il lui plaise 
» d’en sortir. Et dans quels termes a-t-il fait cette 
» défense? Pour éloigner les compagnes de l’Epouse, 
» il ne se contente pas, comme de coutume, d’une 
» simple et légère invitation, mais, recourant à des 

* prières toutes nouvelles (2), il les conjure par les 
» chevreuils et les cerfs de la campagne. Or, il me 
» semble que les âmes saintes qui se sont détachées 
» des choses delà terre, et qu’en môme temps les 
» Anges qui sont avec Dieu sont assez conyenable- 
» ment représentés par ces deux espèces d’animaux, 

» surtout à cause de la pénétration de leur rëgard et 
» de la rapidité de leurs élancements. On sait, en 
» effet, que les Saints et les Anges jouisseut.de deux 
» facultés analogues, car il leur est aussi facile de 
» s’élever bien haut, que de pénétrer les plus pro- 
» fonds abîmes. Et, si l’Epoux dit que les chevreuils 

* et les cerfs vivent au milieu des champs, c’est évi- 

0) P». 114. — (2) Cant. 3. # 


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V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. XUX. 281 

» demment pour indiquer Isf liberté et l’indépen- 
» dance des excursions que Ton peut faire dans les 
» vastes plaines de la contemplation. Pourquoi donc 
» l’Epoux conjure-t-il les jeunes vierges par ces 
» animaux ? C'est assurément pour empêcher que 
» les folâtres compagnes de l’Epouse osent, sans un 
» grave motif, l’arracher à une société si respectable 
» dans laquelle elle entre indubitablement toutes les 
» fois qu’elle sort d’elle-méme par la contemplation. 

» Rien donc de plus propre à pénétrer de crainte ces 
» jeunes filles que la dignité de ceux à la société des- 
» quels on voit que l’Epouse peut être enlevée par 
» leur importunité. Et puisqu’on leur défend de 
» troubler le sommeil de l’Epouse jusqu’au moment 
» où il lui plaira d’en sortir, c’est, sans doute, parce 
» que-celle-ci peut, suivant qu’elle le jugera conve- 
« nablé, ou s’occuper d’elle-même, ou prendre soin 
» de ses compagnes. L’Epoux n’ignore pas l'amour 
» dont sa Bien-aimée brûle pour ses proches, il con- 
» naît avec quelle charité maternelle et particulière 
» elle veille aux intérêts de ses filles, il sait qu’aucnn 
» motif ne pourrait la déterminer à se dérober ou à 
» se refuser à leurs empressements, autant et toutes 
» les fois qu’elles auront besoin de s’approcher d’elle; 
» voilà pourquoi il a cru pouvoir, en toute sécurité, 

» lui confier la dispensation de ces soins. » Tout Gelsf 
est de saint Bernard. 



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MÉDITATIONS SUR LA V1È Dfc N.-S. i.-c. 


CHAPITRE L. 

Qu'il y à trois espècés de contemplation. 

Ôir, il faut vous dtTe qu’il y a trois espèces de con¬ 
templation; le6 deux principales sont pour les par¬ 
faits, là troisième espèce est poür les imparfaits. Les 
deux plus élevées sôtit la contemplation de Dieu et 
Celle de la Cour céleste, La troisième, à l'usage des 
commençants et des imparfaits, ést la contemplation 
de l’humanité de Jésus-Christ; c'est celle que jé me 
suis appliqué à vous faire connaître dans cet opus¬ 
cule. Commences donc par célle-ci, si vous désirez 
voüë élever aux deüx espèces supérieures ; sans cela, 
vous pourriez avoir plus de crainte que de désir de 
Vous éleVer si haut. Comprenez donc de quelle uti¬ 
lité est pour vous l'espèce de contemplation qui vous 
est enseignée dans ce petit ouvrage. En effet, ce 
n'éët qu’après qué vous vous y serez longtemps et 
assidûment exercée, que Vous pourrez espérer d’é- 
lever Vôtre esprit jusqu’à la contemplation des gran¬ 
deurs de Dieu. 

Au reste, voici comment saint Bernard s'exprime 
sur cette matière : « (1) Il y a incontestablement deux 
> espèces de contemplation : l’une regarde l'état, le 
» bonheur et la gloire de la cité céleste où la multi- 

(4) 8rtm, SS, super Gant 


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V* PARTIE. — JEUDI, CHÀP. L. $33 

* tude innombrable deS habitants du ciel passe al- 

* teTnatiVement de l’action au repos; l’autre consi- 
» dère la majesté, l’éternité et la divinité du Roi qui 
» les gouverne. L’uùe sé fait dans le trou de la mu- 

* paille, Vautre datls la fente du rocher. Mais, plus il 

* en Coûte pouf creuser les profondeurs de celui-ci, 

* plus est délicieux le miel que Ton parvient à ën ex- 
i trairë. Or, comme l’Eglise ne peut encore à présent 
» entreprendre de percer entièrement ce rocher, 

* (puisque tous* ceux qui la Composent ne sont pas 
il en état de connaître les mystères de la volonté di- 
» Vine, ou de pénétrer la profondeur des secrets de 
» Dieu), Voilà pourquoi oii nous enseigne à habiter 

* Uon-Seulement (I) dans les fentes du rocher, mais 
» même dans les trous de la muraille. L’Eglise de- 
» meure donc dans les profondeurs de ce rocher mys- 

* térieux par leâ parfaits qui trouvent dans la pureté 
» d’une.bonne conscience la hardiesse, et dans la pé- 
» nétration de l’intelligence la possibilité de découvrir 

* les secrets de la sagesse éternelle. C’est par le reste 

* des hommes que l'Eglise habite dans les trous de la 
»,.müraillè. Que ceux donc qui ne peuvent, ou qui 
» n'osent creuser par eux-mêmes dans la profondeur 
» du rocher, essaient de percer là muraille et se 
» contentent de contempler, du moins en esprit, la 
» gloire des Saints. Et, si quelqu’un ne peut s’élever 
» jusque là, proposez-lui de considérer Jésus et lé- 
> sus crucifié, afin que, sans effort et sans travail, il 

* puisse aussi fixer sa demeure dans les fentes du ro- 

* Cher. Les Juifs les ont ouvertes ; ce Chrétien, pour 

M cm. t, u. 


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284 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» devenir fidèle, profitera des travaux des infidèles. 
» Et, puisqu’on l’invite à pénétrer dans ces fentes 
» mystérieuses, il n’a point à craindre d’être re- 
» poussé. (I) Entrez dans la pierre, dit Isaïe, caçhez- 
» vous dans le creux de la terre , dérobez-vous ainsi aux 
» traits de la redoutable colère du Seigneur, à l'éclat de 
» sa glorieuse Majesté. 

» On offre ici, à l’âme encore malade et languissante, 
» le creux de la terre comme une retraite pour s’y 
» cacher jusqu'à ce que, rétablie i^ans la plénitude 
» de la santé et de la force, elle soit capable de se 
» creuser à elle-même dans la pierre quelques ou- 
» vertures à l’aide desquelles elle pénètre dans le 
» cœur du Verbe éternel, après qu’elle aura recou- 
» vré la pureté et la vigueur de l’esprit. Et si, par 
» cette retraite creusée dans la terre, nous enten- 
» dons Celui qui a dit : (2) Ils ont percé mes pieds et 
» mes mains , on ne peut plus douter de la guérison 
» de l’âme infirme qui y aura fixé sa demeure. En 
» effet, pour guérir les blessures de la conscience et 
» .pour rendre à l’esprit toute sa pénétration, quoi de 
» plus efficace que la méditation assidue des blessu- 
» res de Jésus-Christ? Toutefois jusqu’au moment ou 
» l’âme aura recouvré une pureté, une santé parfai- 
» tes, je ne vois pas moyen de lui faire dire avec l’E- 
» pouse des Cantiques : (3) Montrez-moi votre visage; 
* faites-moi entendre votre voix. Comment, en effet, 
» oser découvrir les traits de son visage, ou faire en- 
» tendre sa voix à l’âme à laquelle on prescrit de se 
» cacher? Qu'elle se cache’, dit le Prophète, dans le 


(I) Iwi. 2. — (2) Ps. 24. — (3) Cant. 2. 


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285 


V« PARTIE. — JEUDI, CHAP. L. 

» cireux de la terre. Et pourquoi? parce qu’elle a perdu 
9 sa beauté et qu’elle ne mérite pas qu’on la regarde. 
» Elle ne méritera d’obtenir un regard de l’Epoux 
» que lorsqu’elle sera digne elle-même de le voir. 
» Mais, lorsqu’après être demeurée dans le creux de 
» la terre, la guérison de l’œil intérieur sera assez 
9 avancée pour qu’ellë puisse contempler face à face 
9 la gloire de Dieu, alors seulement elle parlera avec 
» confiance de ce qui lui sera découvert; l’Epôux 
9 mettra ses délices à l’écouter et à fixer sur elle ses 
9 regards. 11 est impossible qu’une âme qui, dans la 
9 contemplation, peut s’illuminer de la splendeur 
9 môme de Dieu, ne soit point agréable à ses yeux. 
9 Car elle ne pourrait jouir d’une telle faveur, si elle 
9 n’était aussi elle-même toute pure, tou te lumineuse 
9 et comme transformée en la ressemblance de la 
» brillante clarté qu’elle contemple. S’il en était au- 
9 trement, l’aspect inaccoutumé d’une lumière qui 
9 contrasterait.d’une manière si choquante avec elle, 
» la ferait précipitamment reculer en arrière. Quand 
9 elle aura acquis assez de pureté pour mériter que 
9 la vérité pure se découvre à ses yeux, c’est alors 
9 que le céleste Epoux souhaitera lui-méme de la 
9 voir, c’est alors aussi qu’il désirera d’entendre sa 
9 voix. 9 Tel est le langage de saint Bernard. 

Vous voyez combien la méditation de la vie de 
Jésus-Christ vous est nécessaire; car, d’après les 
autorités que je viens de citer, si vous ne commen¬ 
cez à vous purifier par ce moyen, vous ne parvien¬ 
drez jamais (à vous élever à la connaissance des 
grandeurs de Dieu. Appliquez-vous donc soigneuse¬ 
ment et assidûment à .cet exercice. 


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28$ MÉDITATIONS SUR U VIE DE N«-S» J.-C. 

Vous ave? aussi remarqué qu ? il y a trois espèces 
de contemplations ; l’une (Je l’humanité de Jésus- 
Christ, l’autre de la Cour céleste, la troisième de 1 a 
divine Majesté. Mais il faut vous dire que chacune de 
ces contemplations peut procurer à l’âme deux sor¬ 
tes de ravissements; l’un de l'esprit, l’autre de l’af¬ 
fection, dont saint Bernard parle en ces termes (|) : 
« Puisque la bienheureuse contemplation nous fait 
» éprouver deux sortes d’extases, l’une dans |’es- 
» prit, l’autre dans l’affection, l’une eu lumière, 
» l’autre en ferveur, l’une en connaissance, l’autre 
» en dévotion, ces pieuses affections, cette charité 
» dont le cœur est embrasé, cette infusion d’une 
» tendre piété, et môme ce zèle véhément qui remr 
» plit tout l’esprit, n’ont pu être rapportés d’autre 
» part que de ces celliers mystérieux où le Seigneur 
• enivre ses bien-ainaés. » Voilà tout pe que saint Ber 
nard dit à ce sujet dans ce ?ermqn et dans les .autre?. 


CHAPITRE tl. 

De la contemplation de l'humanité d# Jésus-Christ. 

Saint Bernard, sur ce sujet, dit d’abord : * U y a 
» en nous deux choses qu’il faut purifier; J’entepde- 
» ment et l’affection : l’ehtendement afin qu’il puisse 
• concevoir ; i’afeptjpn, afin qu’elle soit capable du 

(4) Sam. 49, cap. Gant. 


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V* PARTIE. -T* JEUpi, GHAP# LJ. 2S7 

» vouloir* » Saint Bernard dit auparavant : « (|) L’es- 
» prit succombe, je voua assure, lorsqu’il s’occupe 
» d’une fouie de choses ap lieu de se recueillir exelu- 
» siveruent dans .Punique pensée qu’il peut oonce- 
» yoir de cette Cité où règne la concorde : quant aux 
» affeçtipns que la corruption de la nature soumet 
» à l’empire de diverses passions, il est impossible, 
» je ne di? pus seulement d’en réprimer les écarts, 
» mais même d’en modérer la violence jusqu’à ce 
» qu’on ait réduit la volonté à ne plus aspirer, à ne 
•» Plus fendre qu’à une seule chose. Mais Jésu^Ghrist 
» éçlaire l'entendement ; Jésus?Christ purifie les af- 
» fections. Car le Filp de Dieu n’est venu sur la terre, 
» et il n’y a fait de Si nombreux et de sj ‘grands 
» prodiges, que pour détourner notre esprit de toutes 
» les vanités de ce monde, que pour nous attacher, 
» sans cesse et toujours, avec un nouvel attrait, au 
» souvenir des merveilles qu’il a opérées. Il a vrai- 
» ment laissé à notre iotelligence oo champ immense 
» à parcourir, à nos réflexions un abîme sans fond à 
» sonder. Qui pourrait, en effet, se lasser de consi- 
» dérer avec quelle bonté le Maître de l’univers a 
» daigné nous prévenir, descendre jusqu’à nous, 
» venir à notre secours? Gomment un Pieu d’une si 
» haute majesté a bien voulu.mourir pour nous don- 
» ner la vie, servir pour nous faire régner, s’exiler 
» pour nous rpÂto notre patrie, et s’abaisser just 
» qu’aux fonctions les plus serviles, pour nous ren- 
» dre Maîtres de tout ce qu’il possède ? 

» (a) Qui fera luire la vérité au milieu des téuè- 

(«) tara. S, de AMêot. ftp*. - (f) S«rm, I, 4# À*»of, Ooft, 


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288 MÉDITATIONS SUR LA VîE DÉ N.-S. J.-C. 

» bres qui nous environnent? Qui nous apprendra 
» la charité dans ce siècle pervers, dans ce monde 
» entièrement soumis à l'esprit malin ? Vous compre- 
» nez que ce sera Celui qui éclaire l’esprit, qui em- 

* brase la volonté. Ce sera Jésus-Christ, si nous nous 
» convertissons à lui, afin d’obtenir qu’il soulève le 

* voile étendu sur nos coeurs. » ( 1 ) « Mon bien-aimé 
» est •pour moi comme un bouquet de myrrhe, je le tien - 
» drai constamment appliqué sur mon cœur (2). » 

» Et moi anssi, mes Frères, pour suppléer à tous 
» les mérites dont je me voyais dépourvu, je me suis 
» appliqué, dés les premiers moments de ma conver- 
» sion, à faire pour moi età placer sur mon cœur un 
> précieux bouquet composé de toutes les peines et 
» de toutes les amertumes de mon Sauveur, rassem- 
» blant d’abord les nécessités de sa première en- 
» fance, puis les travaux de ses prédications, les fa¬ 
tigues de ses voyages, les veilles de ses prières, 
» ses tentations dans le jeûne du désert, les pleurs 
*» que la compassion lui faisait répandre, les pièges 
» qu’on lui tendait pour le surprendre en ses dis- 
» cours ; enfin les dangers qu’il courait aü milieu de 
» quelques disciples perfides; les outrages, les cra- 
» chats, les soufflets, les dérisions, lés reproches, tes 
» clous et les autres semblables fleurs dont on sait 
» que le champ évangélique produit une sr grande 
» abondance pour le salut du genre humain. 

» C’est à méditer ces choses que j’ai fait consister 
» toute ma sagesse, toute la perfection de ma justice, 
» toute la plénitude de mon instruction ; c’est en 

(1) Cant. I. — (S) Serai. 43, sup. Cant. 


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V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. U. . 28» 

» cela que j’ai placé tous les trésors du salut, la- 
» bondancede tous les mérites; c’est à cette source 
» que je suis allé tantôt boire les eaux amères d’une 
» componction salutaire, tantôt goûter fonction des 
» plus douces consolations. Ces souvenirs de Jésus- 
»> Christ me relèvent dans l’adversité, me contien- 
» nent dans la pospérité, et, tandis qu’au milieu des 
» joies et des afflictions de la vie présente, je mV 
» vance en vainqueur dans la voie royale du salut, 
» ils assurent mon triomphe sur les ennemis dont je 
» suis environné, en repoussant les dangers qui me 
» menacent de toute part; ils me rassurent contre la 
» terreur .que m’inspire le Juge suprême de l’uni- 
» vers, en me montrant que Celui qui fait trembler 
» les puissances elles-mêmes, est plein de douceur 
» et d’humilité; en me faisant comprendre combien 
» est miséricordieux et môme combien est aimable 
» Celui qui est inaccessible aux Principautés et ter- 
» rible à tous les Rois de la terre. Aussi, toutes ces 
» circonstances de la vie de Jésus-Christ sont sou- 
» vent rappelées dans mes discours, vous ne l’igno- 
» rez pas ; sont toujours présentes à mon cœur. Dieu 
» en est témoin ; se trouvent habituellement sous 
» ma plume, mes écrits en font foi ; savoir Jésus et 
» Jésus crucifié , voilà ma plus intime, ma plus sublime 
» philosophie. » Tout cela est de saint Bernard. 

Je me borne à ce que je viens, de dire sur la con ¬ 
templation de la sainte hufhanité, parce que cét ou¬ 
vrage est entièrement consacré à ce genre d’exer¬ 
cice. Observez cependant, qu’il n’est pas nécessaire 
que la vie active précède cette espèce de contempla¬ 
tion, parce que celle-ci n’a pour objet que des rho- 

î» 


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§90 MÉDITATIONS Süfc LA VIE DE N.-S. J.-C* 

ses corporelles, à savoir les actions de Jêsüs-Christ 
considéré comme homme. Aussi nous la proposons 
comme un exercice qui doit être habituel et fami¬ 
lier non-seulement aux parfaits, mais même aux 
commençants, parce qu’elle est aussi propre que la 
vie active à nous purifier de nous vices, à nous rem¬ 
plir de vertus, et que par conséquent elle concourt 
avec la vie active à notre avancement spirituel. 
Ainsi, quand on dit que la vie active doit précéder 
la contemplative, cela n'est vrai qu’à l’égard des 
deux espèces de contemplation 'tes plus élevées, je 
veux dire celles de la Cour céleste et de la divine 
Majesté qui ne conviennent qu’aux plus parfaits. 
C’est pourquoi celle qui a pour objet l’humanité de 
Jésus-Christ, serait plus proprement et plus exac¬ 
tement appelée méditation que contemplation. Quant 
aux deux autres, étudions-les dans quelques ex¬ 
traits des ouvrages de saint Bernard. 


CHAPITRÉ LU. 

De la contemplation de la Cour céleste. 

Voici ce que ce grand serviteur de Dieu dit à ce 
sujet : (‘) « Nous pourrons tous, durant les jours de 
» cette vie mortelle, tantôt aller visiter les Patriar- 
» ches, tantôt rendre nos hommages aux Prophètes, 

(«) Serai* SI. 


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V* PARTIE. — JEUDI, CHAP. UI. 29i 

» nous mêler parfois au Sénat des Apôtres, et d’autres 
» fois au Chœur des Martyrs ; nous pourrons même, 
» selon que la dévotion nous y portera, visiter et consi- 
x dérer, successivement avec les plus pures délices 
x spirituelles, les différents ordres, les différentes de- 
» meures des Bienheureux, depuisledernier des Anges 

> jusqu’aux Chérubins et aux Séraphins. Nous nous 
■ passionnerons tous les jours davantage pour cet 
x exercice, selon que le Saint-Esprit voudra biea 
» nous l’inspirer ; si nous allons à lui et que nous 
» frappions à la porte, on nous l’ouvrira sans délai. 

• (1) Heureux celui qui médite constamment en 
» présence du .Seigneur, qui repasse sans cesse dans 

> son cœur, avec une exacte attention, tout ce que 
» la main de Dieu a préparé pour son éternelle fèli- 
» cité ! Quel fardeau pourrait paraître accablant à 
» celui qui pense sans cesse (2) que les afflictions de 
» celte vie n’ont aucune proportion avec la gloire 
x que nous attendons? Que pourra désirer, au mi- 
x lieu de ce siècle pervers, celui dont les yeux sont 
x constamment fixés sur les biens, * sur les récom- 
x penses éternelles que le Seigneur nous a préparés 
x dans la terre des vivants? 

x Qui me donnera de vous voir tous, vous élevant 
x au-dessus des choses de la terre, habiter en esprit 
x dans le ciel, et vouç y enivrer de cette joie et de 
x ces délices que le Seigneur nous y a préparées? 

» Y a-t-il rien de plus doux, y a-t-il même rien 
» d’aussi délicieux pour l’âme que de fixer sa de- 
x meure dans le séjour de la béatitude, lorsque le 

(I) Serai, 4, de Ascens. — (2) Rom. 8. 


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292 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N*-S* J.-O* 

» corps v peut encore être admis? Qui de vous, en 
» effet, considérant attentivement cette vie future, je 
» veux dire cette joie, ces plaisirs, cette félicité et 
» cette gloire des enfants de Dieu ; qui de vous, en- 
» core une fois, repassant intérieurement tous ces 
» souvenirs dans un esprit que n’agite aucun trouble 
» de la conscience, ne s’écrie à l’instant, au sein des 
* délices intérieures dont il est inondé : ( 1 ) Seigneur , 

» il m'est bon d’ètre ici , non pas sans doute dans ce 
» triste lieu d’exil, où me retiennent les liens du 
» corps, mais dans cette douce et salutaire pensée 
» de la patrie céleste où le cœur aime à s’égarer (2)? 
» Qui me donnera des ailes comme celles de la colombe , 

» pour y diriger mon vol et m'y reposer? 

» Je vous conjure, mes Frères, de ne pas laisser 
» appesantir vos cœurs par les sollicitudes de ce 
» monde; je vous conjure de les décharger de l’in- 
» supportable fardeau des pensées terrestres. Gravez 
» au fond de vos cœurs l’image non-seulement des 
» tabernacles qu’habitent les Patriarches et les Pro- 
» phètes, mais de toutes les innombrables demeures 
» de cette patrie céleste, à l’imitation de celui qui 
» parcourait le temple du Seigneur pour immoler 
» l’hostie de louange, entonnant de saints cantiques 
» et répétant ce psaume : ( 3 ) Que vos tabernacles me 
» sont chers , ô Dieu des vertus ! mon âme tombe en dé- 
» failkmce, elle soupire ardemment après le s parvis du 
» Seigneur? Parcourez aussi, mes Frères, le temple 
» du Seigneur avec de pieux sentiments de dévotion, 
» ou avec des hosties pacifiques ; visitez en esprit les 


(I) Matth. 47.— (V Ps. 54. — (3) Ps. 83. 


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293 


V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. LUI. 

» célestes parvis et les nombreuses demeures de la 
» maison de votre Père; prosternez humblement vos 
» cœurs devant le trône de Dieu et devant l’Agneau ; 
» adressez d’humbles,supplications à toupies chœurs 
» des Anges; saluez respectueusement la multitude 
» des Patriarches, les différents ordres des Prophètes 
» et le Sénat apostolique; contemplez l’éclat dont 
» brille la couronne de roses des Martyrs; admirez 
» les cœurs des Vierges d’où s’exhale le parfum 
» des lis, et ouvrez, autant que vous le pourrez, les 
y> oreilles de votre cœur à la délicieuse harmonie du 
» cantique nouveau. (1) Au souvenir de ces merveilles , 
» dit le Prophète, mon cœur tombe en défaillance lors - 
» que je me dis : Je passerai dans le tabernacle atlmi- 
» râble; je pénétrerai dans la maison de Dieu. » 

Voilà les paroles de saint Bernard; contentez-vous- 
en lorsque vous voudrez, par la contemplation, vous 
élever jusqu’à la patrie céleste. 


CHAPITRE LUI. 

De la contemplation de la divine majesté, et de quatre 
manières de faire cette contemplation. 

Mais venons à la contemplation la plus sublime, je 
veux dire à celle de la Majesté du Seigneur, jusqu’à 
laquelle je pense que peu de personnes peuvent s’é- 


(I) Ps. 41. 


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294 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

lever. Toutefois, lisons avec un profond respect ce 
qu’en dit saint Bernard, afin qu’après avoir été, pour 
ainsi dire, introduit par lui dans cette science, nous 
en puissions recueillir quelques consolations, si Dieu 
daigne agréer nos efforts. Parlant donc des compa¬ 
gnons de l’Epoux, ou plutôt des Anges qui promet¬ 
tent de lui faire des chaînes d’or marquetées d’ar¬ 
gent, saint Bernard dit : « (l) L’or, c’est l’éclat de la 
» divinité ; l’or, c’est la sagesse gui vient du Ciel. 
» Ces ouvriers célestes promettent, à raison des fonc- 

* tions qui leur sont attribuées, de confectionner, 
» avec cet or, certains ouvrages où brille en quelque 
» sorte l’empreinte de la vérité, et de les suspendre 
» aux oreilles de l’Epouse, c’est-à-dire d’en parer 
» intérieurement notre àme, ce qui ne me semble 
» être aütre chose que de retracer dans l’esprit eer- 
» tarines images au moyen desquelles on puisse faire 
» passer dans l’àme qui les contemple les plus purs 
i» sentiments de la sagesse divine, aün de lui mon- 
» trer, (2) du moins comme dans un miroir et en 
» énigme, ce qu’il ne lui est pas encore possible de 

* considérer face à face. Ce sont là des choses di- 
» vines, des choses tout à fait ignorées de ceux qui 
» n’en ont pas l’expérience, que nous venons d’ex- 
» primer en expliquant comment l’àme, renfermée 
» dans un corps mortel, l’état de foi subsistant en- 
» core pour elle* et avant que d’être illuminée par les 
» splendeurs de la divine essence, parvient quelque- 
» fois, par la contemplation, à réaliser par avance, 
» dans leur plénitude, ou du moins en partie, les 


(I) Sam. 41, rap. Gant. — (S) 4. Corinth. 48. 


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Y* PARTIE. — JEUDI, CHAR. }HI. 99* 

» effets que produira sur elle la vue de la pure vé- 
» rité ; dé telle sorte que celui d’entre nous à qui 
a cette laveur a été accordée d’en haut peut dire 
» avec l’Apôtre : (1) Je connais en partie; ou encore 
» avec le même : Nous connaissons en partie , nous 
» prop hétisons. en partie. Mais, lorsqu’une lumière sur- 
» naturelle vient tout à coup et avec la rapidité d’un 
» éclair traverser l’âme et la ravir, en extase , au 
» même instant* soit pour tempérer cette excessive 
» splendeur, soit pour aider à l’instruction dps au- 
» très, viennent, je ne sais d’oft, s'offrir â l’imagina- 
» tion certaines représentations d’objets matériels 
» parfaitement appropriées aux sentiments inspirés 
» alors par la grâce, lesquelles, se plaçant en quelque 
» sorte comme un nuage devant ce rayon de la vé- 
» rité trop pur et trop éblouissant, le rendent plus 
» supportable à l’âme elle-même et plus susceptible 
» d’être reçu par ceux à qui elle veut le coramuni- 
» quer. Toutefois je pense que ces images se forment 
» en nous par l’inspiration des^aints Anges, comme, 

» au contraire, on ne peut douter que les pouvais 
» Anges ne nous en suggèrent qui sont aussi diffé- 
» rentes que dangereuses. » 

* « (2) Heureuse l’âme qui s’est souvent appliquée à 
» se creuser une retraite dans la mitraille; mais plus 
» heureuse encore celle qui a su s’en creuser pue 
» dans la pierre. Certes U vous çst permis de creuser 
» même dans la pierre ; mais, pour y réussir, il faqt 
» un esprit plus pur, plus pénétrant, une volonté 
» beaucoup plus forte et môme un mérite plus émi- 


(4) 4. Corinth. fl. — (S) Serin. St,tu?. Caa$, 

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296 MÉDITATIONS SUR IA VIE DE N.-S. J.-C. 

» nent de sainteté. Et qui donc en est capable ? Assu- 
» rément celui qui a dit : (I) Au commencement était 
» le Verbe , le Verbe était en Dieu , et le Verbe était 
» Dieu. Ne vous semble-t-il pas que l’Apôtre a plongé 
» dans Tintérieur même du Verbe, et tiré, en quel- 
» que sorte du fond de son cœur, la moelle sacrée de 
» la plus profonde sagesse. 

» Mais plus il est difficile de pénétrer dans la 
» pierre, plus ce qu’on en extrait est suave et déli- 
» deux. Et ne vous effrayez par des menaces que 
» l’Ecriture fait (2) aux scrutateurs de la divine Ma - 
» jesté. Que votre œil soit pur et simple, cela suffit; 

» vous ne serez point opprimé par la gloire, mais 
» vous serez admis à la contempler, si vous cher- 

* chez la gloire de Dieu et non la vôtre. Autrement, 
» ce n’est plus la gloire de Dieu, c’est votre propre 
» gloiré qui vous accable de tout son poids, parce 
» qu’entrainé par celle-ci, vous ne pouvez plus éle- 
» ver jusqu’à celle-là une tête que la passion a cour- 
» bée vers la terre. Corrigez-vous et alors vous pé- 

* nétrerez dans les profondeurs de la pierre où sont 
» cachés tous les trésors de la sagesse et de la 
» science. Si vous n’êtes pas encore convaincu, voici 
» les paroles de Celui qui est liguré par la pierre, 
» écoutez-le : (3) L'homme qui agit en moi ne peut pé- 
» cher. (4) Qui me donnera les ailes de la colombe , et 
» je m'envolerai et je me reposerai ? L’homme doux et 
» simple goûte le repos là où le fourbe, l’orgueilleux 
» qui recherchent la vaine gloire, trouvent leur sup- 
» plice... Celui-là vit dans une paix profonde qui 


(1) Jaan. I. — (8) Prov. *5. — (3) Eccl. SI. — (I) Pg. M. 


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297 


V® PARTIE. — JEUDI; CH AP. LIII. 

» s’applique à scruter non la majesté; mais la vo- 
» Ion té de Dieu. A la vérité, il ose bien quelquefois 
» considérer cette majesté, mais c’est pour l’admirer 
» et non pour la scruter ; et lorsque parfois il lui 
» arrive d’être transporté en elle dans une extase, 
» c’est alors le doigt de Dieu qui daigne élever un 
» homme jusqu’à lui, et non un mortel téméraire 
» qui ose insolemment s’introduire dans le sanctuaire 
» inaccessible de Dieu. Puis donc que l’Apôtre ne fait 
» connaître (1) les circonstances de son ravissement 
» que pour s’en excuser comme d’une témérité, 
» quel homme pourrait, sans frémir, essayer, par 
» ses propres efforts, de scruter la divine Majesté, et 
» par une indiscrète contemplation, de violer un se- 
» cret si redoutable ? Aussi je pense qu’il.faut appeler 
» envahisseurs plutôt que scrutateurs de la divine 
» Majesté, non pas ceux qui sont ravis en elle, mais 
» ceux qui s’y précipitent témérairement. 11 n’y a 
» donc que ces derniers qui sont accablés sous le 
» poids de la gloire. 

» Ainsi rien de plus formidable que de scruter la 
» Majesté de Dieu, rien de plus sûr et de plus pieux 
» que de scruter sa volonté sainte. Pourquoi donc ne 
» pas m’appliquer, avec tout le soin dont je suis ca- 
» pable, à scruter les glorieux secrets de la volonté 
» divine à laquelle je sais que je dois me soumettre 
»'en toutes choses? Gloire bien douce, que celle qui 
» procède de la contemplation de la douceur de Dieu 
» lui-même, et des richesses de sa bonté et de son 
» infinie miséricorde. (2) Enfin, nous avons vu cette 


(4) S. Corinth. 42. — (2) Joan. 4. 


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298 MÉDITATIONS SUR U VIE DE N.-ê. J.-C. 

» gloire qui est la gloire du Filsvnique du Père, fin ef- 
» fet, tout ce qui nous a paru de sa gloire, dans cette 
» manifestation partielle, est vraiment paternel et 
» plein de douceur. Non, quelques efforts que je fasse 
» pour contempler cette gloire, j’en ressentirai bien 
» moius l’oppression que l’impression. Car, en la 
» contemplant sans voile, (1) nous sommes transfor- 
» més en la même image après nous y être rendus 
» conformes. Or, gardons-nous bien de la présomp- 
» tion qui nous ferait chercher notre conformité avec 
» Dieu dans la gloire de sa Majesté, plutôt que dans 
» la modeste soumission à sa volonté. Toute ma gloire 
» consiste à entendre un jour dire de moi : (2) J'ai 
» trouvé un homme selon mon cœur. Le cœur de l’E- 
» poux, c’est le cœur de son Père. Mais le cœur du 
» Père, qu’est-il lui-même? (3) Soyez miséricordieux, 

» dit l’Epoux , comme votre Père céleste est misérioor- 
» dieux . Ces charmes que l’Epoux désire de voir 
» lorsqu’il dit à l’Eglise : (4) Montrez-moi votre visage; 

» ces charmes, ce sont la piété et la douceur. L’Eglise 
» lève en toute confiance sa tête vers la Pierre, A la- 
» quelle elle est semblable, et le Psalmiste nous 
» dit : (5) Fixez lui vos regards et vous serez éclair 
» rés ; vos fronts ne seront pas couverts de honte . Après 
» cela, est-il à craindre de voir rejeter une Epouse 
» si humble par le modèle de l’humilité, une Epouse 
» ?i pieusé par le Saint des Saints, une Epouse si mo- 
» deste par la douceur même? Et, d’un autre côté, 
» les yeux purs de l’Epouse ne s’effrayeront pas plus 

(*)*. Corinth. 3 . _ (*) Reg. «S. — (3) Luc. •. - (4) Cauf. 


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T* PARTIE. — JEUDI, CHAP. LID. 299 

» de la pureté de la Pierre, que la vertu de la vertu, 
» que la lumière de la lumière. * 

^ » (1) Les deux sœurs de Lazare désignent les deux 
» manières de vivre des amis de la pauvreté. Les uns, 

* empressés comme Marthe, préparent deux mets à 
» Notre-Seigneur Jésus-Christ ; la réforme de leurs 
» actions unie au sel de la contrition, et les bonnes 
» œuvres assaisonnées par la dévotion ; mais les au- 

* très, qui, comme Marie, ne s’occupent que de Dieu, 
» perpétuellement appliqués à considérer ce que ce 
» grand Dieu est dans le monde, ce qu’il est dans les 
» hommes et dans les Anges, ce qu’il est en lui-même, 
» ce qu’il est dans les réprouvés, le contemplent 
» comme le Roi et le Modérateur de l’univers, comme 
» le Libérateur et l’unique soutien de l’homme, comme 

* les délices et la beauté des Anges, comme étant en 
» lui-même le principe et la fin de toutes choses, 
» comme la terreur et l’effroi des réprouvés ; ils le 
» voient admirable dans les créatures, digne de l’a- 
» mour des hommes et des désirs des Anges, incom- 
» préhensible en lui même, inflexible pour les ré- 
» prouvés. » Tout cela est de saint Bernard. 

Mais il y a quatre manières de s’exercer à cette 
contemplation de la divine Majesté. Voici ce qu’en dit 
le même saint Bernard : « (2) il y a quatre espèces, 
» de contemplation. La première et la principale con- 
» siste à admirer la divine Majesté ; elle' demande un 
» cœur pur dégagé de tous les vices, déchargé de 
» tous les péchés, afin de l’élever vers le Ciel et 

(I) Bern. in part, et var. sermonibus, serin. 4* — (9) Bera., lib. 
5, de Consid., cap. oit. 


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300 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» môme de le tenir quelquefois suspendu, durant 
» quelques moments, dans un état de ravissement et 
» d’admiration extatique. La seconde espèce de con- 
» templation est indispensable à la première, car elle 
» s’applique à la considération des jugements de Dieu. 
» Ce redoutable aspect, faisant éprouver à Pâme l’a- 
» gitation la plus violente, en bannit tous les vices, y 
» établit toutes les vertus, y fonde la sagesse, y en- 
» trelient l'humilité. Dans la troisième espèce, l’âme 
» se complaît, se repose dans le souvenir des bien¬ 
faits de Dieu, et cette considération, en lapréser- 
» vant de l’ingratitude, l’excite à l’amour de son 
» bienfaiteur. Dans la quatrième espèce, l’âme ou- 
» bJie le passé pour se reposer uniquement dans l’at- 
» tente des promesses qui lui sont faites; et cette 
» contemplation, qui n'est autre chose qu’une médi* 
» tation de l'Eternité (puisque ce qui nous est promis 
» est éternel), cette espèce de contemplation soutient 
» notre longanimité et fortifie aussi notre persévé.- 
» rance. » Ainsi parle saint Bernard. Je n’en dirai 
pas davantage maintenant sur la contemplation de la 
la Majesté de Dieu. 


. CHAPITRE LIV. 

De quelle manière on doit se conduire dans la vie active. — 
Citation importante de saint Bernard. 

Après avoir parlé des exercices relatifs tant à la 
première partie de la vie active qu’à la vie eontem- 


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V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. LIV. 301 

plative, et des différentes espèces de cette dernière 
vie, il nous reste à examiner par quels moyens nous 
pouvons plus facilement nous y introduire et l’ac¬ 
quérir plus efficacement. Vous devez donc savoir 
que la première partie de la vie active admet des 
rapports de société avec les autres hommes, comme 
la vie contemplative exige la retraite et la solitude. 
Or, ce qui dans la vie active doit nous porter à ce 
commerce avec les autres, c’est que par là on par¬ 
vient plus sûrement et plus tût au but que l’on se 
propose d’atteindre. Car, sous les Veux des autres, Ja 
honte que l’on éprouve d’être si riche en défauts et 
si pauvre en vertus conduit à acquérir les unes et à 
réformer les autres; ce qui n’arriverait point si l’on 
vivait dans la solitude, parce que l’on n’aürait jamais 
occasion de s’en apercevoir, qu’on n’y trouverait 
personne pour nous en avertir, personne devant qui 
on pût en rougir. Aussi, lorsqu’on vit eu congréga¬ 
tion,. profite-t-on beaucoup des corrections et des 
exemples d’autrui; en effet, on s’efforce d’éviter les 
défauts qui déplaisent et sont châtiés dans les uns, ét 
d’acquérir les vertus qui charment et sont louées 
dans les autres. Il faut donc aussi, tant que vous serez 
dans la vie active, vous appliquer à observer et à évi¬ 
ter avec soin vos défauts et ceux que vous remar¬ 
quez dans les autres, par les moyens que nous avons 
indiqués dans plusieurs chapitres précédents et par¬ 
ticulièrement dans celui qui traite de l’exercice de 
la vie active. Considérez-y attentivement ce que nous 
avons dit des vertus et des vices, pour régler votre 
vie sur ces conseils ; voyez commen l vous devez vous 
examiner vous-même, observer les vert us des autres, 


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302 MÉDITATIONS SUR LA VIE^DE N.-S. J.-C. 

les imiter, vous humilier et demeurer toujours dans 
la crainte, parce que vous n'avez pas de semblables 
vertus. 

Or, voici ce que saint Bernard enseigne àr ce sujet : 
« (1) Ce n'est pas sans cause que, depuis deux ou 
» trois jours, mon Ame est languissante ,mon esprit 
» hébété, et qu'une espèce de paresse spirituelle s'est 
» emparée de moi. J étais en assez bon train ; mais 
» tout-à-coup j’ai rencontré une pierre d'achoppe- 
» ment ; je l’ai heurtée et j’ai fait une chute. L’orgueil 
» s'est glissé dans mon cœur, et Dieu s'est retiré de 
» son serviteur avec indignation. Voilà d'où viennent 
» l’aridité spirituelle, l’indévotion que j'éprouve. 
» Comment mon cœur s'estril ainsi desséché? le voici 
n comme du lait caillé, comme une terre aride et sans 
» eau. Sa dureté est si grande que je n’en peux plus 
» tirer les larmes de la componction; je ne puis re- 
» trouver mes méditations ordinaires. Où est cette 
» ivresse ordinaire ? Où sont la tranquillité de l’àme, 
» la paix et la joie dans le Saint-Esprit? Tout cela est 
» perdu ; de là la paresse aux travaux des mains, 
» l'assoupissement dans les veilles, la disposition à 
m la colère * l'obstination dans les ressentiments, 
» moins d'exactitude au silence et à la tempérance, 
.» moins de zèle et de facilité pour la prédication.- 
» Hélas l toutes les montagnes qui m'environnent 
» sont visitées par le Seigneur, et il ne daigne pas 
» s’approcher de moi! Ne suis-je donc pas une des 
» collines que l’Epoux aime à franchir ? 

« Car, parmi mes frères, celui-ci se fait remarquer 


(4) Bern., Serin. 54, sup. Caut. 


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V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. LIV. 30$ 

» par sa mortification, celui-là par son admirable pa- 
» tience, l’un par une humilité et une douceur par- 
» faites, l’autre par beaucoup de charité et de com- 
» passion; j’en vois qui ont fréquemment des extases 
» dans la contemplation ; j'en vois quelques-uns qui, 

» par l’instance de leurs prières, frappent à la porte 
» du Ciel et se la font ouvrir; j’en vois d’autres qui 
» excellent dans la pratique de plusieurs autres ver- 
» tus; je les vois, dis-je, tous fervents, tous pieux, 

» n’ayant tous qu’un cœur et qu'une àme en Jésus- 
» Christ, tous pleins de grâces et comblés de dons 
» célestes, semblables à des montagnes vraiment spi- 
» rituelles que visite souvent le Seigneur et qui re- 
» çoivent l’Epoux toutes les fois qu’il daigne les fran- 
» chir. Pour moi, qui suis dépourvu de ces saintes 
•» dispositions, puis*je me croire autre chose que l’une 
» des montagnes de Gelboë que dédaigne, dans sa 
» colère et son indignation, ce Visiteur si plein de 
» bienveillance pour les autres? Cette réflexion, mes 
» frères, fait tomber l’air altier, attire la grâce, pré- 
» pare l’âme aux visites empressées de l’Epoux... Je 
» veux que vous ne vous épargniez point, mais que 
» vous vous fassiez des reproches à vous-mêmes 
» toutes les fois que vous remarquez en vous le re- 
» froidissement de la grâce et l’affaiblissement de la 
» vertu. Voilà ce que doit faire l’homme qui veille 
* avec soin sur lui-même, qui observe ses voies et 
» scs inclinations, et qui craint sans cesse que la pré- 
» somption ne se glisse dans toutes ses œuvres pour 
» les corrompre. J’ai appris de la Vérité même que, 
» pour mériter, conserver, recouvrer la grâce, rien 
» n’est plus efficace que de montrer en tout temps 


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304 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» devant Dieu, non pas une profonde science, mais 
» une crainte respectueuse. (1) Heureux l'homme qui 
» est toujours dans la crainte ! » 

t( (2) Apprenez à veiller sur vous-mêmes, à régler 
» votre vie et vos mœurs, à vous juger, à vous ac- 
» cuser vous-mêmes, souvent aussi à vous condam- 
» ner et à ne vous rien pardonner. Que la justice 
» s’asseye sur son tribunal et vous juge, que votre 
» conscience coupable y comparaisse et vous accuse. 
» Vous n’avez p3s d’ami plus affectionné, vous ne 
» trouverez pas de Juge plus équitable. Le matin, 
» faites l’examen de Januit qui vient de finir, et pre- 
» nez des précautions pour passer le jour qui com- 
» mence; le soir, rendez-vous compte du jour qui 
» vient de s’écouler et prévoyez ce que vous avez à 
» faire pendant la nuit qui s’approche. Ainsi retenus-, 
» il vous sera impossible de vous échapper ailleurs. 
» Attribuez à chaque moment du jour l’exercice qui 
» lui est propre, suivant la règle de la communauté; 
» les spirituels à l’heure fixée pour eux, les tempo- 
» rels* à l’heure qui leur est destinée. Qu ainsi votre 
» àme s’acquitte de tout ce qu’elle doit à Dieu et vo- 
» tre corps d$ ce qu’il doit à l’àme, afin que si, eu 
» égard à la manière, au lieu et au temps déterminés 
» pour ces exercices, il se glisse quelqu’omission, 
» négligence ou imperfection, elles ne restent point 
» impunies, ou sans compensation. 

« (3) Je vous laisse à penser quelle est t 'mon admi- 
» ration, ma cordiale vénération, ma charitable affec- 


(I) Prov. 28. — (£) Ben». Epist. ad fratres de monte Dei. de vit. 
solit. — (3) Bern. serin. I de Allitud. et Humilit. cordis. 


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V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. LIV. 306 

)> tioo pour ceux d'entre nous qui, paraissant ne pan 
» connaître les frères avec lesquels ils vivent, en 
» choisissent entre tous, un, deux ou plusieurs en 
» qui ils remarquent une plus grande ferveur spiri- 
» tuelle, et, quoique peut-être plus parfaits que ces 
» modèles, les préfèrent pourtant à eux-mêmes et se 
» proposent sans cesse de les imiter dans leurs pieux 
» sentiments envers Dieu et dans leurs exercices spi- 
» rituels et corporels. 

» Malheur à moi ! me disait l'un d'entre nous ; car 
» j'ai vu, dans les exercices de la veille, un Moine 
» qui possédait trente vertus bien comptées dont je 
» ne puis trouver une seule en moi-même. Et peut- 
» être que ce Moine n’avait aucune vertu compara- 
» ble à cette humilité môme que produisait une si 
» religieuse émulation. Ainsi, que le fruit de ce dis- 
» cours soit de porter chacun de vous à observer at- 
» lentivement ce qu’il y a de plus parfait dans les 
» autres, parce que c’est en cela que consiste toute 
» l’humilité. Car, s’il vous semble qu'en certaines 
» choses vous êtes, par le secours de la grâce, supé- 
» rieur à l’un de vos frères, pour peu que Vous ayez 
» de zèle à l'imiter, vous pourrez, en beaucoup d’au- 
» très choses, vous juger bien inférieur à lui. Que 
» vous sert-il, en effet, d'être plus que lui capable 
» de travailler et de jeûner, s'il vous surpasse en 
» patience, vous précède en humilité et vous efface 
» en charité ? Que gagnez-vous à vous laisser sotte- 
» ment préoccuper toute la journée de l’idée des 
» avantages qui peuvent être en vous ? Cherchez plu- 
» lôl à connaître ce qui vous manque, car cela est 
» beaucoup plus utile. » Là Unit saint Bernard. 

20 


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306 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

Vous voyez combien il importe d’observer et de 
considérer non-seulement sa personne, rbais même 
celle des autres pour profiter des exemples qu’ils 
nous donnent par leur conduite. Exercez-vous donc 
beaucoup à cette étude tant que vous pratiquerez la 
vie active, sans violer jamais les règles de la charité, 
de l’humilité et de la piété. Mais surtout appliquez- 
vous à la méditation de la vie de Jésus-Christ et à 
l’oraison ; car l’une et l’autre vous feront admira- 
blement connaître les vices et les vertus ; l’une et 
l’autre, plus que tous les autres exercices, sont pro¬ 
pres à perfectionner la pureté du cœur vers laquelle 
vous devez tendre sans cesse de toutes vos forces, 
parce qu’elle renferme toutes les vertus, ainsi que je 
l’ai dit en parlant du jeûne de Notre-Seigneur. Et, si 
vous avez lu avec attention les citations que j’ai pro¬ 
duites en parlant de la contemplation, vous devez être 
convaincue que plus on désire de s’élever dans la 
contemplation, plus il faut avoir de pureté. Or, l’âme 
se puritie dans la méditation de la vie et surtout de 
la Passion de Jésus-Christ, comme vous l’avez vu ci- 
dessus dans les contemplations générales tirées du 
soixante-douzième sermon de saint Bernard sur le 
Cantique des Cantiques. Ou répure aussi dans l’orai¬ 
son qui a tant de rapport et de yessemblance avec la 
contemplation, et ce que la première n'obtient qu’a¬ 
vec de pénibles efforts, la seconde nous le fait goûter 
dans un délicieux repos. Mais en voilà assez sur la 
pratique de la vie active. 


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V* PARTIE. — JEUDI, ÇftyP, LY. 


307 


CHAPITRE LY. 

De quelle manière il faut m conduire dam la via 
contemplative. 

Quant à la conduite à tenir dans la vie contempla¬ 
tive, elle diffère, et diffère beaucoup, dp pelle que 
noue venons de tracer, En effet, le Contemplatif ne 
doit s'occuper que de Dieu et demeurer dpps la soli¬ 
tude, au moins spirituelle, dont pous ayons ci-des- 
sus parlé à l'occasion du jeûne de Nofre-Spigneur. 
Les intérêts publics ou privés np sont donc plus rien 
pour lui ; il n’y a plus riep de cqmmqn entre lui et 
ses proches, en ce qui concerne les obligptipps cor¬ 
porelles du temps; il ue tient à epx que ppr raison, 
par piété, par compassion. Il ne tient pas pou plus à 
lui-même. En un mot, il doit tout quitter, il doit être 
comme insensible et mort à toutes choses, afjq de 
pouvoir se donner tout à Qieu, à moins que lp néces¬ 
sité ne le retienne malgré; lui. Car c’est dpps le re¬ 
cueillement qu’il apprendra cette science, comme 
nous 1’avons dit précédemment dans le chapitre de 
lu contemplation tiré du xc e sermon dp spipt Bernard 
sur le Cantique des Cap tiques. ^ faut, tqptes fQi§ 
qu’on le provoquera i agif ou $ parler, qp’il s’eq 
abstienne à l’exemple de Marie, et que, comme eHe, 
il laisse le Seigneur répondre et faire, abandonnait, 
comme il le doit, toutes choses à la conduite [de sa 
providence. 


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308 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

Mais écoutez sur ce sujet ce que dit saint Bernard 
avec son éloquence accoutumée. Voici comment il 
s’exprime : a (1) Marthe, par son activité, est le mo- 
» dèle de la vie active la plus parfaite. Marie nousof- 
» fre une image sensible de la vie contemplative, 
» quand, assise aux pieds de Jésus, elle garde un 
» profond silence, ne répond pas môme lorsqu’on 
» l’interpelle, mais s’applique, avec toute l’attention 
» dont elle est capable, à Ja parole de Dieii, et, dé- 
» daignant tout le reste, pour recevoir avidement au 
» fond de son cœur la grâce de l’instruction divine 
» qu’elle préfère à toutes choses, paraît comme in- 
» sensible au dehors, tandis que, dans un ravisse- 
» ment intérieur, elle s’enivre de bonheur dans la 
» délicieuse contemplation du Seigneur son Dieu.... 
» Ne soyons pas surpris lorsque nous entendons un 
» homme actif et laborieux murmurer contre l’un de 
* ses frères qu’il voit inoccupé, puisque nous lisons 
» dans l’Evangile que Marthe en a agi de même envers 
» Marie. Mais on ne trouve nulle part que Marie ait 
» murmuré contre Marthe de ce qu’elle refusait de 
» s’associer à ses pieux exercices. Et en effet Marthe 
» ne pouvait s’occuper à la fois de deux choses, se li- 
» vrer aux soins extérieurs et satisfaire aux désirs 
» de sagesse qui la pressaient intérieurement. Car il 
» est dit de la Sagesse elle-môme : (2) Qu'elle ne peut 
» être acquise par celui qui est accablé d’affaires et d'oc - 
» cupations . Aussi Marie reste-elle assise et immobile, 
» sans vouloir interrompre son paisible silence, pour 
» ne pas perdre les ravissantes douceurs qu’elle 


(1) S. Ber., serai. 5,de Assupipt. B. M. V. — (2) Eccl. 38. 


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V* PARTIE. — JEUDI, CHAP. LV. 309 

» goûte dans la contemplation, surtout en enten- 
» dant intérieurement le Maître qui lui dit : (1) ilepo- 
» sezrtxms et goûtez combien le Seigneur est doux. 

» (2) Auriez-vous jamais pensé que des paroles de 
» murmure se feraient entendre dans le sein d'une 
» famille qui a l'honneur de recevoir Jésus-Christ? 
» Heureuse pourtant la maison, heureuse la congré- 
» gation où se trouve une autre Marthe pour se plain- 
» dre d'une autre Marie! Mais, au contraire, si Marie 
» imitait la conduite de Marthe, rien ne serait plus 
» condamnable. Et d'ailleurs lit-on quelque part que 
» Marie se soit plainte que sa sœur la laisse seule va- 
» quer à la contemplation^ Non, non ; celui qui va- 
» que au service de Dieu ne peut jamais aspirer à 
» la vie agitée des frères convers. Que Marthe donc 
» croie toujours de plus en plus à son insuffisance et 
» à son incapacité, et qu'elle souhaite de voir les au- 
* très plutôt qu’elle chargés du ministère qui lui est 
» imposé. Mais admirez le privilège accordé à Marie 
» d’avoir, qn toutes circonstances, un tel Avocat 
» pour la défendre. En effet le Pharisien s’indigne, sa 
» sœur porte des plaintes, les disciples eux-mêmes 
» font entendre des murmures contre elle; partout 
» Marie garde le silence et Jésus parle en sa faveur... 

» Que Marie donc s’applique uniquement à la contem- 
» plation, et qu’elle goûte combien le Seigneur est 
» doux. Que son unique occupation soit de demeurer 
» pieusement et paisiblement aux pieds de Jésus, ne 
» perdant jamais de vue la présence, recueillant les 
» paroles de Celui dont l’air est plein de charme et 


(4) Ps. 53.— (3) Serin. 3, de Assumpt. 


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èiO MÉDITATIONS SUÜ La VIE ÙÊ N.-5. J.-C. 

* les frôles pleines de suavité. (3) Car la grâce est 

h Répandue sur ses lèvres; c'est le plus beau des enfants 
» sa gloire Surpasse toüte la gloire des 

» Anges. Réjoüissefc-vous, Marie, et rende* grâces à 

* Dieu, vous avez choisi la meilleure part . Car bienheu- 
» rettx tts yeux qui voient ce que vous voyez, bienheu - 

rieuses les oreilles qui méritent d'entendre ce que vous 
r entendez. Bienheureuse vous-même de comprendre 

* m bien les inspirations que la voix de Dieu mur- 

* nuire à l’oreille qui l’écoute dans un silence où il 

* fesï si bon à l’hoimnè d’attendre son Seigneur. 
s Sôyei simple, sans détour, sans dissimulation. Grai- 
» gfièz même les occupations trop nombreuses, afin 

* de pouvoir vous entretenir avec Celui dont la: voix 
s est Si douce et les traits si ravissants. Ne craignez 

* qu'une chose, c’est d’abonder dans votre propre 
» sens et de prétendre à des connaissances qu’il ne 
» vous convient pas d’avoir, de peur qu’en cherchant 
» (a lumière, vous ne soyez, par les prestiges du Dé- 
» mon du midi, précipitée dans un abjme de ténè- 

* bres. » tout ceci est de saint Bernard. 

Vous avez vu que le contemplatif doit renoncer gé¬ 
néralement à tous les travaux et à tous les exercices 
corporels, lesquels sont tout à fait opposés au repos 
dont il à besoin et l’un des plus grands obstacles à 
la cohtemplâtion. Car ces occupations l’embarrassent 
de différentes manières, non-seulement pendant qu’il 
s’y livre, mais encore après qu’il les a quittées; et 
d'abord, ën remplissant son esprit de trouble et d’in- 
quiétuRe, tant sur ee qu’il a (bit que sur ce qui lui 

(l)Psal. 44. 


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311 


V e PARTIE. — JEUDI, CHÀP. LVI. 

reste à faire* et en y laissant ensuite mille imagina¬ 
tions* mille idées fantastiques qui nuisent considéra¬ 
blement à la contemplation. 


CHAPITRE LYI. 

De quatre obstacles à la contemplation. 

Maintenant, examinons ce qui peut mettre obsta¬ 
cle à la contemplation. Ces obstacles, au nombre 
de quatre, sont signalés par saint Bernard en ces 
termes : 

« (1) S’il se trouve parmi nous un bomme qui ait 
» eu pendant quelques moments le bonheur de pé- 
» nétrer si avant dans les secrets de Dieu et de se 
a tenir si bien caché dans son sanctuaire, que rien 
» au monde n’ait pu l’en arraeber ou l’y troubler, ni 
» le besoin des sens, ni quelques soucis rongeurs, 
» ni une faute capable d’exciter le remords, ni (ce 
» qu'il est certainement encore plus difficile de re- 
» pousser) les fantômes sans cesse renaissants des 
» images corporelles, cet homme, lorsqu’il aura 
v quitté le Ciel pour revenir parmi nous, pourra as- 
» surément se glorifier et dire : Le Roi a traité mon 
» Ame comme son Epouse et Va fait entrer dans sa wu- 
j> ehe nuptiale . » Là finit saint Bernard. 


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(4) Serm. SS. super Cant 



&12 méditations sir là vie de n.-s. j.-c. 

Il dit d’abord que le premier obstacle est le besoiu 
des sens, c’est-à-dire la nécessité corporelle. L’âme 
en effet est si intimement unie au corps qu’elle ne 
saurait se plaire à la contemplation, lorsque le corps 
éprouve dans l’une de ses parties, ou dans l’un de ses 
sens, quelque douleur notable. Aussi, pendant la ma¬ 
ladie, on ne peut se livrer à la contemplation à moins 
d’une grâce spéciale de Dieu. Il en est de même lors¬ 
qu’on se sent pressé par l’excès de la faim, de la 
soif, du froid ou,de quelqu’autre nécessité corpo¬ 
relle. 

Saint Bernard regarde comme un second obstacle 
le souci rongeur, c’est-à-dire l’inquiétude que don¬ 
nent les soins et les occupations diverses ; ce qui est 
suffisamment démontré par les citations que nous 
avons faites peu auparavant. Le même Auteur, fai¬ 
sant connaître plus en détail les divers obstacles qui 
s’opposent à la contemplation, remarque entre, au¬ 
tres choses que, « comme un peu de poussière jetée 
» dans l’œil du corps nuit à la vue, ainsi le soin dés 
» choses de la terre trouble l'œil de l'intelligence et 
» le rend incapable de contempler la lumière véri- 
» table. » 

11 dit que le troisième obstacle à la contemplation 
est une faute qui excite le remords, c’est-à-dire le 
péché ; et cela peut arriver de deux manières : d’a¬ 
bord, lorsque le péché est encore dans le cœur ; 
deuxièmement, lorsqu’après avoir été commis et dé¬ 
truit par la contrition et la confession, le souvenir 
en revient à la mémoire ; car, dans ces deux cas, on 
ne peut se livrer à la contemplation, ainsi que saint 
Bernard le déclare dans le môme sermon, où il dit 


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313 


V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. LVl. 

entre autres choses : (1) « Que comme les ténèbres 
» nous privent de l’usage de la vue corporelle, de 
» même le péché empêche l’âme d’agir, en la rem- 
» plissant de ténèbres, et qu'alors la contemplatiou 
» devient impossible, puisqu’elle exige la pureté et 
» la perfection de l’âme. De môme, ajoute-t-il, que, 
» lorsqu’un peu de sang ou d’humeur épaisse s’é- 
» panchent sur l’œil, la vue en est obscurcie ; » 
ainsi, lorsque le souvenir du péché revient à la mé¬ 
moire, il étend en quelque sorte sur l’âme un nuage 
épais qui l’empêche de rien voir ; d'où il résulte 
qu’il faut, pendant la contemplation, se bien garder 
de penser à ses péchés. C’est assurément pour nous 
un devoir de nous regarder en tout temps comme 
des pécheurs ; mais, au moment de la contempla¬ 
tion, il faut s'abstenir de reporter sa pensée d’une 
manière distincte sur tel ou tel péché. Et voici ce que 
le même saint Bernard dit à ce sujet : (2) « Les pé- 
» cheurs qui, après des efforts longs et persévérants, 
» secondés par la grâce, sont parvenus à faire des 
» progrès consolants dans la voie de la perfection, 
» sont dés images sensibles de Marie dans sa con- 
» templation ; puisque, comme elle, présumant que 
» Dieu leur a déjà pardonné tous leurs péchés, ils 
» s’inquiètent bien moins d’en rappeler intérieure- 
» ment le triste souvenir, que de méditer nuit et 
» jour la loi de Dieu et d’y mettre leurs délices sans 
» jamais s’en lasser ; et que, quelquefois aussi con- 
» templant sans voile, avec une ineffable joie, la 
» gloire de leur divin Epoux, ils sont transformés en 


(I) Serai. 3, Ue Assunipl. — (2) Serai. 57, super Oaul. 


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*14 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N .-S. J.-C. 

» sa ressemblance, en passant de clarté en clarté, 
» par rilluminatioQ de l’esprit de Dieu. » Ainsi parle 
saint Bernard. 

Il dit enfin que les fantômes des images corporelles 
sont à la contemplation tin quatrième obstacle en¬ 
core plus difficile à vaincre que ceux dont nous 
avons parlé ci-dessus. Voilà pourquoi il recommande 
si fortement la solitude contre les périls de cet état. 
11 faut en effet que le contemplatif soit muet, sourd 
et aveugle, de sorte qu’en regardant il ne voie pas, 
qu’en écoutant il n’entende pas et qu’il n’aime point 
à pailér ; c’est-à-dire qu’il soit si détaché des cho¬ 
ses qui passent, et si parfaitement uni à Dieu, 
que tout ce qu’il entend, tout ce qu’il voit, tout ce 
qu’il dit, loin de ralentir sa course, la lui fasse pré¬ 
cipiter. Que si parfois la nécessité l'oblige à agir 
autrement, il doit avoir grand soin de laisser loin de 
lui toutes les images qui, par la porte des sens, en¬ 
trent ordinairement dans notre âme. D’où il résulte 
que l’on ne doit pas, dans la vie contemplative, s’ap¬ 
pliquer, comme dans la vie active, à observer la 
conduite des autres, pour ne pas s’exposer à rem¬ 
porter delà quelques fantômes importuns. Vous de¬ 
vez donc bien plutôt, comme je vous l’ai déjà con¬ 
seillé plusieurs fois, renoncer à tout entretien avec 
les hommes du monde, quels que soient les liens qui 
vous unissent à eux. Si quelquefois aussi l’obéis¬ 
sance, la nécessité, la condescendance, la récréa¬ 
tion vous imposent l’obligation de vous livrer à quel¬ 
que travail ou à quelqu’occupation, acquittez-vous- 
en avec soin; mais prenez garde que la volonté pro¬ 
pre ou la délectation ne vous y attachent de telle 


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V* PARTIE. — JEUDI, CHAP. LVI. $15 

sorte, que les itnages qui vous en resteraient ne vous 
troublent ensuite, lorsqu'il faudra voûs occuper de 
Dieu. 

Ecoutez à ce sujet saint Bernard. (!) « Livrons- 

* nous au travail des mains que l’on a coutume de 
*> nous prescrire, moins parce qu’il fixe agréable- 

* ment l’esprit pendant quelque temps, que parce 
*> qu’il conserve et ranime notre goût pour les exer- 
» cices spirituels ; que notre esprit se délasse mo- 
» mentanément dans ce travail sans s*y relâcher 
d jamais qu'il s’en dégage dès qu’il lui paraîtra 

nécessaire de revenir à lui-même, qu’il le quitte 
» à l’instant sans effort, sans opposition ni récrimi- 
» nation de la volonté propre, sans conserver aucune 
» impression de la délectation que le cœur y a pu 
» goûter, aucun vestige des fantômes que l’imaginà- 
y> tion y a pu concevoir ; (2) Car l'homme n'a pas été 
» créé pour la femme , mais la [femme pour l'homme . 
*> Les exercices spirituels ne sont pas faits pour les 
» corporels, mais les corporels pour les spirituels. 
» C'est pourquoi, de même qu'au moment de la 
» création il a été donné et uni à l’homme un aide 
» semblable à lui, tiré de sa propre substance, ainsi, 
» pour s’élever à l’exercice spirituel, les exercices 
» du corps offrent, on ne peut le méconnaître, un 

* aide indispensable ; cependant tous ne semblent 
» pas également propres à procurer cet avantage , 

* mais seulement ceux qui paraissent avoir plus de 
» rapport et d’analogie avec l’exercice spirituel ; par 

(I) Epiai, ad fratrea de Mente Dei, de Vit. sol. ch* g, 8 S. — 
(S) Si Corinth. n. 


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316 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J. -G. 

» exemple, de méditer pour son édification ce que 
» l’on écrit, ou d’écrire ce que l’on vient de lire. 
» Quant aux exercices et aux travaux du dehors, en 
» dissipant les sens, ils épuisent souvent l'esprit, à 
» moins que l’excès de fatigue qui résulte des tra- 
» vaux champêtres, ne fasse ressentir au corps un 
» accablement qui «conduise à la contrition et à l’hu- 
» milité du cœur. Car l’affliction où nous jette l’ex- 
» trème lassitude du corps, excite souvent en nous 
» les plus vifs sentiments de piété. Mais un esprit 
» grave et prudent se prépare à tous Les travaux et, 
» au lieu de s’y dissiper, il y trouve un plus grand 
» recueillement ; il parvient au terme de toute per- 
» fection, parce qu’il cdnsidère toujours bien moins 
» l’œuvre qu’il fait, que l’intention qui la lui fait 
» faire. » Ainsi parle saint Bernard. 

Vous voyez, ma tille, avec quel soin il faut éviter de 
tropappliquer sonespritaux travaux manuels.En effet, 
je sais par expérience combien les pénibles inquié¬ 
tudes qu’on en remporte nuisent à la contemplation. 
Mais j’ai assez parlé des obstacles à la contemplation. 
Tout cela peut clairement vous faire connaître à 
quels dangers nous expose l’inextricable curiosité 
qui, en infectant toute notre âme, la remplit d’in¬ 
quiétudes et de souillures; vous y pouvez voir en¬ 
core ce que nous avons à craindre de la cupidité et 
de la multiplicité des biens, et en conclure combien 
est précieuse la sainte pauvreté qui permet à l’âme 
de se présenter toujours libre et pure aux yeux du 
Seigneur. Au reste, ne vous troublez pas de ce que 
je vous ai dit ci-dessus, que le contemplatif n’a plus 
rien de commun avec ses proches ; car il est tout 


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317 


V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. LYH. 

à Dieu et plus rempli de son amour qu’on ne l'est 
dans la vie active ; mais, dans celle-ci, on a plus 
d’amour du prochain que dans l’autre. 

Saint Bernard dit à ce sujet : (1) « Je prétends que 
» Dieu, par la grâce qu’il met en nous, nous rend 
» semblables quelquefois au figuier, d'autres fois à 
» la vigne. Ceux dont les mœurs sont plus douces 
» sont des images du figuier ; les plus fervents re- 
» présentent la vigne. Si quelqu'un parmi nous mon- 
» tre un esprit de concorde et de fraternité, s’il ne 
» se contente pas de vivre en paix avec ses frères, 
» mais si, avec une inexprimable douceur, il se 
» prête à tout pour rendre à chacun d’eux tous les 
» services de la charité, n’est-il pas bien convenable 
» que je le compare au figuier? 

» Maintenant, on peut comparer à la vigne ceux 
• d’entre nous qui, montrent plus de sévérité que 
» d indulgence, qui agissant en tout dans un esprit 
» de rigorisme, sont pleins de zèlepour la discipline, 
» reprennent les vices avec aigreur et peuvent très- 
» justement s’approprier ces paroles : (2) Seigneur , 
» n'ai je pas haï tous ceux qui vous haïssent ? N'ai-je 
» pas séché \de douleur à la vue de vos ennemis ? ou 
» bien : (3) Le zélé de votre maison me dévore . Pour 
» moi, il me semble que l’amour du prochain éclate 
» davantage dans les premiers, et l’amour de Dieu 
» dans les autres. » Ainsi parle saint Bernard. 

Vous voyez que les contemplatifs, plus particuliè¬ 
rement embrasés de zèle pour le Seigneur, ont plus 
d’amour de Dieu que ceux qui se bornent aux exer- 


(1) Serin. 60,sup.Cant. — (i)Ps. 138. — (3) Ps. 63. 


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3'8 MÉDITATIONS St(R LA VIE DE N.-S. J.-C. 

cices de la vie active. Toutefois comprenez bien ce 
que je dis et n’exagérez rien ; car le contemplatif 
n’est jamais sans charité pour le prochain,mais ils’at- 
tache principalement à Dieu, secondairement au pro¬ 
chain; cette distinction admet elle-même une borne. 
En effet, il n’y a qu’un homme encore novice et sans 
expérience qui, dans la vie contemplative, imagine 
de se donner à Dieu dans toute la .rigueur du terme 
et de demeurer dans une parfaite solitude'de l’esprit 
et môme du corps, si cela lui est possible, parce qu’il 
croit devoir négliger les intérêts de Dieu, les siens 
et ceux du prochain, par amour de Dieu, puisque 
la solitude exige naturellement cette inaction, sur¬ 
tout lorsqu’on y est favorisé des visites et de la fa¬ 
miliarité du céleste Epoux dont, par une autre con¬ 
duite, on pourrait être quelquefois privé. Mais lors¬ 
qu’un long exercice nous élève à la perfection de la 
vie contemplative, alors on s’embrase d’un zèle 
plus ardent pour Dieu et le salut des âmes, comme 
vous l’avez vu par l’extrait du xviii® sermon de saint 
Bernard sur le Cantique des Cantiques, que je vous 
ai donné ci-dessus dans le chapitre où j'ai expliqué 
comment la vie contemplative doit précéder la se¬ 
conde partie de la vie active. Mais, lorsque la néces¬ 
sité l'exige, un contemplatif, quelque novice qu’il 
soit, doit s'arracher au repos de la solitude par cha¬ 
rité pourjses frères. 

Ce qui fait dire à saint Bernard : » (1) Qui peut 
» douter enfin que celui qui prie ne s’entretienne 
» avec Dieu? Or, combien de fois la charité nous 


(1) Serin. 60, «up. Cant. 


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Y 6 PARTIE. — JEUDI, CHAP. LVII. 3(9 

» oblige-t-elle à suspendre ou à quitter cet exercice 
» pour ceux qui ont besoin de notre secours ou de 
» nos conseils ? Combien de fois la piété nous con- 
» traint-elle d’abandonner un pieux repos pour le 
» tumulte des affaires? Combien dé fois une con- 
» science éclairée conseille-t-elle d’interrompre la 
» lecture pour le pénible travail des mains? Com- 
» bien de fois, pour remplir des soins purement 
» temporels, nous croyons-nous môme autorisés à 
» surseoir la célébration des messes les plus solen- 
nelles ? L’ordre est renversé, il est vra; mais la né 
» cessité contraint la loi. » 


CHAPITRE LVII. 

La vie contemplative l'emporte sur la vie active. 

Après vous avoir moatré, par le précédent extrait 
du lx* sermon de saint Bernard sur le Cantique des 
Cantiques, que ceux qui pratiquent la vie contem¬ 
plative ont plus d'amour de Dieu que ceux qui se li¬ 
vrent à la vie active, il est évident que la première 
l’emporte sur la seconde. 

Saint Bernard le prouve en ces termes : « (1) Mais, 
» mes frères, que siguifîent ces paroles : Marie a 
» choisi la meilleure part ? Si elle a eu raison de pen- 
» ser que les soins trop empressés de Marthe ne va- 

<i) Sara. s t d« Afsumyt. 


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320 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» lent pas le repos de contemplation qu’elle avait 
» choisi, que ferons-nous de ce proverbe dirigé, ce 
» semble, contre elle : (1) Un homme qui fait le mal , 
» vaut mieux qu'une femme qui fait le bien? Que signi- 
» tient ces paroles de Jésus-Christ : (2) Si quelqu'un 
» me sert , mon Père l'honorer a? Et ces autres paroles : 

» (3) Le plus grand parmi vous sera le serviteur de 
» tms? Enfin quel étrange adoucissement aux pei- 
» ues de Marthe que de blâmer sa conduite en don- 
» nant tant d’éloges à celle de sa sœur? De deux cho- 
» ses l’une : Je pense, ou que Marie est louée d’avoir 
>» pris la part que nous devons tous choisir nous- 
» mômes, autant qu’il nous est possible de le faire, 
» ou qu’assurément elle est irréprochable ; qu’elle 
» n’avait laissé pencher la balance de son jugement 
» ni vers l’une ni vers l’autre part, mais qu’elle était 
» disposée à accepter celle que lui indiquerait la vo- 
» lonté de son divin Maître. En effet, quoi de plus 
» parfait que d’imiter le fidèle David?.(4) Il n’osait 
» entrer ni sortir qu’au commandement de son sou- 
» vcrain Maître. Entin il lui disait, non-seulement une 
» fois, mais deux fois de suite : .(5) Mon coeur est prêt 
» à se consacrer soit à votre service, soit à celui du 
» prochain. Certes voilà cette meilleure part qui ne 
» peut nous être enlevée; voilà la plus excellente 
» disposition qui ne change jamais, quelqu’ordre 
» qui lui soit donné. Car, dit saint Paul ; Celui qui a 
» rempli les obligations de sa charge , a droit à un grade 
» plus avancé; une place plus élevée encore est duc, 
» sans doute, à celui qui s'acquitte fidèlement de ses 


(I) Eccl. 42. - (2) Joan. 12. - (3) Matth. *0. - \4) Reg. i x 22 
— (5) Ps. 56. 


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321 


V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. LVII. 

» obligations envers Dieu ; mais celui quisatisfait par- 
» faitemenl aux unes et aux autres mérite le pre- 
» micr rang. Il me reste encore un doute au sujet de 
» Marthe, si pourtant il est permis d’élever un soup- 
» çon contre elle. Lorsq l’elle réclame le concours de 
» sa sœur, ne semble-t-elle pas l’accuser d’oisiveté? 
» Mais il faut être bien charnel et bien ignorant des 
» choses spirituelles, pour blâmer une âme contem- 
» plative .de se livrer à la contemplation. Que l’on sa- 
» che donc que c’est là la meilleure part, celle qui de- 
» meure éternellement. Car ne semble-t-il pas qu’il y 
» ait pour une âme quelque stupidité à se persuader 

* que, sans aucune expérience de la divine con- 
» templalion, elle pourrait être admise dans ce 
» séjour oii cet exercice est l’unique occupation de 

* tous, l’unique . soin de tous, l’unique vie de 
» tous (1) ? 

» Dans l’intention, que nous avons appelée la 
» figure de l’âme, deux choses sont nécessairement 
» requises, le but et le motif, c'est-à-dire, ce que 
» l’on veut et pourquoi on le veut. Ces deux choses 
» font connaître la beauté ou la difformité de l'âme. 

» Or, S’appliquer à autre chose qu’à Dieu, mais le 
» faire en {vue de Dieu, ce n’est pas le repos de Ma-- 
» rie, c’est l’active occupation de Marthe. Dieu me 
» garde de dire qu’il y ait quelque difformité dans 
»] celles qui ressemblent à Marthe. Je n’affirme pas 
» pourtant que ces âmes soient parvenues à une 
» beauté parfaite, car Marthe s’inquiète et se trouble 
» encorejde beaucoup de choses, et il est impossible 

(I) Bern., Serin. M, tup. Cent. 

21 


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322 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S, J.-C. 

» qu'au milieu de ces terrestres occupations, elle 
» ne reçoive pas un peu de poussière. Mais elle 
> pourra bientôt ét facilement la secouer pendant la 
» contemplation, soit par la pureté d’intention, soit 
» par le témoignage de sa conscience devant Dieu. 

* Ainsi chercher Dieu seul et le chercher pour lui 
» seul, c’est assurément, dans les deux parties dont 
» se compose en quelque sorte la face de l'intention, 
» avoir deux moitiés d’une beauté ravissante, et voilà 

* le mérite particulier et spécial de l’Epouse qui, par 
» un privilège singulier, a incontestablement droit de 
». s’entendre dire: Vosjouesont la beauté de la tourterelle. 

» (1) La solitude et la réclusion sont des noms de 
» malheur. Or, la cellule ne doit jamais être une ré- 
» clusion forcée, mais un lieu de paix; une porte 
» dose n’est pas une cachette, mais une retraite. Eu 
» effet, celui qui a Dieu avec lui n’est jamais moins 
» seul, que quand il est seul. Car alors le contente- 
» ment qu’il goûte est plein et entier ; alors il est 
» tout à lui-même ; il jouit d'avoir Dieu dans son 
» cœur et d’être tout en Dieu. Alors à la lumière de 
» la yérité, dans la sérénité d’un cœur innocent, la 
» conscience se déroule à ses propres yeux dans 
» toute sa pureté, et elle se répand en elle-même 

* par un souvenir affectueux de son Dieu ; alors l’en¬ 
tendement est éclairé et l’on jouit selon Dieu auquel 

* on s’attache comme au bien véritable, ou bien on 
» répand dos larmes sur les fautes inséparables de la 
» fragilité humaine. C’est pourquoi, conformément à 
» la résolution que vous «ver prise d’habiter daàs 


(«) Epist. ad fratres de monte Dé!, de Vità sol. 


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y PARTIE. — JEUDI, CHÀP. LVII. 323 

» les deux plutôt que dans vos cellules, après vous 
» être séparés de. tout ce qu’il y a dans le monde, 
» vous vous ôtes entièrement renfermés avec Dieu. 
» S’occuper de Dieu ,* ce n’est pas tà une vie d’oisi- 
» veté, c’est au contraire la plus grande des occu- 
» pations. » Tout cela est de saint Bernard. 

Les témoignages que nous venons de produire 
prouvent la supériorité de la vie contemplative sur 
la vie active, et cette preuve est encore fortifiée par 
plusieurs autres autorités citées dans cet ouvrage, 
particulièrement par un extrait du xxxu e sermon de 
saint Bernard sur le Cantique des cantiques inséré 
dans un des chapitres précédents, où il est parlé de 
la fùite de Jésus, quand on voulait le faire roi. Main¬ 
tenant, laquelle de ces deux espèces de vie est la 
plus méritoire? Dieu seul lésait. Quant à moi, je se¬ 
rais disposé à croire que plus on a d’amour, plus on 
a de mérite ; or il semble que céux qui se livrent à 
la vie contemplative sont pénétrés d’un plus grand 
amour de Dieu ; et en effet, quoi de plus grand que 
de confempler Dieu, de jouir de Dieu, de s’entrete¬ 
nir avec Dieu et de connaître sa volonté, occupa¬ 
tions spéciales de la vie contemplative? C’est vrai¬ 
ment là, tout imparfait et tout rare qu'il est, un 
avant-goût des récompenses de la patrie céleste. Et 
tous les saints paraissent convaincus que la vie con¬ 
templative est plus méritoire que la vie active. Quoi 
qu’il en soit, Dieu ne rejette ni l’une ni l’autre de 
ces deux vies. Et comme les membres d’un seul 
corps ne font pas tous la même action, il faut aussi 
que nous tous, qui sommes les divers membres du 
corps de l’Bgfise, nous sevrions le Seigneur de diffé- 


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324 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.tS. • 
rentes manières, (I) cor tous n’ont pas le même esprit; 
les uns reçoivent le don de la sagesse , etc. 

Que chacun donc s’attache à l’emploi où Dieu l’a 
appelé ; que celui qui a de l’aptitude pour la médita¬ 
tion s’applique exclusivement à cet exercice; que 
celui, au contraire, qui a de l’attrait pour les œuvres 
de charité, s’exerce uniquement à ces œuvres. Car, 
si le Seigneur dit de Marie qu’elle a choisi la meil¬ 
leure part, on voit aussi qu’après s’être assuré de 
l’amour que Pierre avait pour lui, (2) il lui recom¬ 
mande ses brebis et insiste trois fois sur cette re¬ 
commandation. 

Et c’est dans ce sens qu’il faut entendre les pa¬ 
roles suivantes de saint Bernard « (3) Que Marthe 
» reçoive donc le Seigneuç dans sa maison, puisque 
, c’est à elle que la conduite de la maison a été con- 
» fiée. Que tous ceux qui, suivant leurs différents 
» emplois, sont appelés à partager, les soins de Mar- 
» the, reçoivent aussi Jésus-Christ, logent Jésus- 
» Christ, secourent Jésus-Christ dans ses membres; 
» celui-ci en soulageant les infirmes, celui-là en as- 
> sistant les pauvres, cet autre en donnant l’hospi- 
, talité aux étrangers et aux voyageurs. Mais aussi, 
» qu’au milieu des sollicitudes indispensables à ceux 
, qui se livrent à l'agitation de fonctions si diverses, 
• Marie s’applique au repos de la contemplation, et 
» qu’elle goûte combien le Seigneur est doux. » 
Tout ceci est de saint Bernard. 

Pour vous, ma fille, puisque l’état que vous ave* 
«mbrassé vous oblige à la vie contemplative, exer- 

w Cerinlh. M. — <*) Joan. *. - (3> Serin. J, de Anumpt. 


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V® PARTIE. — JEUDI, CIIÀP. LVIH. 325 

cez-vous-y donc de toutes vos forces, mais faites-la 
précéder par la vie active ordinaire, qui est le plus 
sûr moyen de parvenir à l’autre. Réjouissez-vous et 
rendez grâces à Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, en 
vous appelant à lui, vous réserve la part qu’il déclare 
être la meilleure. 


CHAPITRE LVIH. 

Trois motifs déterminent à revenir de la vie contemplative 
à la vie active. — On prouve ensuite que la Foi sans les 
œuvres est morte. 

Quoique nous ayons plusieurs fois dit ci-dessus 
qu’il faut, dans la vie contemplative, s’attacher à 
Dieu seul et négliger tout le reste, comprenez bien 
que cela est vrai en général et non sans exception. 
Car trois motifs autorisent parfois à quitter pendant 
quelque temps les délices de la contemplation pour 
rentrer dans la vie active. On le peut en premier lieu, 
pour gagner des âmes à Dieu, comme je l’ai établi 
lorsque, par des citations de passages extraits des 
xviii® et lxii® sèrmons de saint Bernard sur le Canti¬ 
que des cantiques, j’ai montré que la vie contempla¬ 
tive devait précéder la seconde partie de la vie ac¬ 
tive. 

Saint Bernard, sur ces paroles : Levez-vous, ma 
Bien-aimée, mon Epouse, et venez, dit aussi : (1) « L’E- 


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(1) Serin. 61, sup. Canl. 



336 MÉDITATIONS SUR LA VIE DEN.-S- J.C. 

» poux fiait connaître l’excès de sa tendresse en mul- 
» tâpUant les expressions affectueuses. Car cette ré- 
» pétition est le langage de l’amour, et les solUeita- 
» lions réitérées qu’il fait à saBiea-aimée de venir 
» travailler aux vignes montrent toute sa sollicitude 
» pour le saint des âmes. Car vous savex que nos 
» âmes sont comparées à des vignes. Mais, s’il m’en 
» souvient bien, il n’a dans aucune autre partie du 
» Cantique, prononcé le nom d’Epouse qu’au mo- 
» ment où il lui propose d’aller aux vignes et de 
» s'approcher du vin de la charité. » Ges paroles sont 
de saint Bernard. 

Or l’Epouse, qui connaît le désir que le zèle du sa¬ 
lut des âmes inspire à son Epoux, le quitte pour un 
temps, c’est-à-dire autant qu’il est nécessaire pour 
travailler à cette œuvre, puis elle revient à la con¬ 
templation. 

La nécessité d’un devoir pressant est un second 
motif d’interrompre 1a contemplation. C’est ainsi 
qu’un supérieur quitte la contemplation toutes les 
fois qu’il est nécessaire de pourvoir aux besoins de 
ceux qui lui sont confiés. Sur quoi le même saint 
Bernard, parlant de lui-même à ses moines, qui le 
dérangeaient parfois excessivement, leur dit : « (1) 11 
» est assez rare que ceux qui viennent me visiter me 
» laissent une heure de repos. Je m'arrête donc plu- 
» tôt que de paraître donner aux faibles un exemple 
» d'impatience. Ce sont des serviteurs-de Dieu qui 
«croient en lui comme de petits enfants; je ne 
» veux les scandaliser en rien. Je renonce à mes 


(1) Serin. 52, sup. Cant. 


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V # PARTIE. — «UW, CHAP. LVHI. 317 

t> droits; qu’ils disposent de moi comme il leur plaira; 
♦> je ne désire que leur salut. Ils m’épargneront dc& 
« craintes s'ils ne m’ont pas épargné les importuni- 

• tés, et j’aurai un jour d’autant moins d’inquiétude 
« qu’ils auront moins craint de m’inquiéter par l’ex~ 

• position de leurs besoins! Je condescendrai à leurs 
» désirs autant qu’il me sera possible, et je servirai 
*> Dieu en eux jusqu’à mon dernier soupir avec la 
» charité la plus sincère. Sans chercher en rien ce 

• qui me plaît ou ce qui m’est utile, rien ne me pa- 

• raîtra plus avantageux que ce qui l’est à beau- 
» coup d’autres. Tout, ce-que je demande, c'est 

• que mon ministère leur soit agréable et utile, et 

• qu’ainsi, au dernier jour, ils me fassent trouver 
» miséricorde aux yeux de leur Père qui est dans le 
«» ciel. » 

Voici comment s’exprime le même saint Bernard 
sur les deux motifs qui, comme nous venons de le 
dire, autorisent à quitter la contemplation : « (l) Je 
» vous parle ici de ce que j’ai expérimenté mot* 
« même. Si quelquefois j ai reconnu que meSeon- 
♦> seils avaient été profitables à quelques-uns d’en- 
» tre vous, j’avoue • qu’ai ors je n’ai pas regretté 
» d’avoir préféré la prédication à ma propre tranquil- 
» lité et au repos de la contemplation. Lors, en effet, 

» qu’après vous avoir adressé la parole, je vois, par 
» exemple, un fcommedevenir doux,un orgueilleux 
» pratiquer l’humilité, un pusillanime montrer de la 
» résolution; lorsque j’aperçois que ceux d’entre vous 
» qui sont doux, humbles et fermes ont fait des pro- 


«qSim.aVfup. Cant. 


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328 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» grès dans Ja vertu qui leur est propre et sont de- 
» venus meilleurs qu’ils n’étaient; quand surtout je 
» remarque que ceux qui sont devenus lièdes et 

• languissants, après s’être assoupis. ou endormis 
» dans leurs exercices spirituels, paraissent tout à 

* coup réchauffés et réveillés à la parole enflammée 
» du Seigneur; quand, enfin, ceux qui, après s’être 
» éloignés de la source des eaux vives de la sagesse, 

» s’étaient creusé des citernes de volonté propre in- 
» capables de contenir les eaux, et dont les cœurs 
» arides, qu'aucune onction de piété ne venait ja- 
» mais rafraîchir, murmtiraient, accablés sous le 
» poids de l’obéissance qui leur était prescrite; quand, 

» dis-je, tous ceux-là montrent, par leur bonne vo* 

» lonté et leur dévouement en toutes circonstances, 

» que la rosée de la parole sainte et cette pluie que 
» le Seigneur a bien voulu mettre en réserve pour 
» son peuple, les ont ranimés dan3 la pratique de 
» l’obéissance ; quand je me vois environné de toutes 
» ces fleurs et de tous ces fruits de votre piété j je 
» vous le redis ici, je n’éprouve au fond du cœur au- 
» cune peine d’avoir interrompu l’exercice de la plus 
> agréable contemplation, je Souffre patiemment 
» qu’on m’arrache aux embrassements de la stérile 
» Kachel, pour obtenir de la fécondité de Lia les 
» fruits abondants de votre perfection. Certes, je 
» ne regretterai nullement d’avoir quitté le repos de 
» la contemplation pour Le travail de la prédication, 
» toutes les fois que je verrai germer en vous la se- 
» mence que j’aurai déposée dans vos cœurs, et par 
» elles se développer et se perfectionner de jour en 
» jour les fruits de votre justice. Car il y a déjàlong- 


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PARTIR. — JEUDI, CHAI». LVIIf. 329 

» temps que (1) la charité, qui ne cherche •point ses in - 
» têrèts , m’a sans peine fait prendre la résolution de 
» ne préférer jamais à ce qui peut vous être utile 
» aucune des choses qui me sont le plus agréables. 
> J’ai, à cause de vous, regardé comme une perte, 
» la prière, la lecture, l’écriture, la méditation 
» et généralement tout ce qui passe pour un profit 
» dans l’exercice spirituel. » Tout ceci est de saint 
Bernard. 

On peut quitter la contemplation par un troisième 
motif, lorsque l’Epoux, ainsi qu’il le fait si souvent, 
s’étant retiré de notre âme, la prive par là de ses 
consolations ordinaires ; car, comme vous l’avez vu 
chapitre xxxv, où il est parlé de la fuite de Jésus 
lorsque le peuple voulut le faire roi, l’Epoux vient à 
nous et se retire, selon qu'il lui plait. Lçrs donc qu’il 
s’éloigne, notre âme languit par le désir qu’elle a de 
le retrouver, et elle s’efforce de le rappeler à elle, 
répétant avec l'Epouse des cantiques: (2) Revenez , 
mon Bien-aimé. Et ; s’il refuse d’écouter sa voix, elle 
appelle à son secours les compagnons de l’Epoux, 
c’est-à-dire les Anges; elle dit'aux filles de Jérusa¬ 
lem : (3) Lorsque vous verrez mon Bien-aimé , dites-lui, 
je vous en conjure , que je lanyvis d'amour pour lui. 
Mais s'il résiste à toutes ces instances, l’âme qui com¬ 
prend la volonté de son céleste Epoux revient à la 
vie active, afin de produire quelques fruits qu’elle 
puisse présenter à l’Epoux. Car celui qui s’exerce à 
la vie contemplative ne doit jamais rester oisif. Alors 
l’Epouse s’écrie : (4) Ranimez-moi donc par le parfum 

(I) 1. Cor. 13.— (S) Cant. 2. — (3) Gant. 5. - (4) Cant. SL 


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330 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

des fleurs, soutenez-moi par la saveur des fruits , cor 
mon cœur blessé par l'amour tombe en défaillance . 

Ace sujet saint Bernard s'explique ainsi : * (!) Par 
» la fleur, il faut, dit-il, entendre la foi; par le fruit, 

> il faut entendre les,œuvres. Et je pense que cette 

> explication ne vous paraîtra point sans justesse, si 
» vous considérez que, comme la fleur précède né- 
» cessairement le fruit, il faut aussi que la foi pré- 
» cède les bonnes œuvres. D’ailleurs, (2) sans la foi, 
» ü est impossible de plaire à Dieu , suivant ce qu’af- 
» firme saint Paul et qu’il inculque plus clairement 
» encore quand il dit que : (3) tout ce que Von ne fait 
» pas selon la foi est pêché . De sorte que, comme il 
» n’y a pointde fruits sans la fleur, (4) il n’y a pas de 
9 bonnes œuvres sans la foi. Mais aussi la foi péritsans 
» lesœuvres, comme c’est en vain que la fleur s’épa- 
» ttouit, si elle n’est bientôt remplacée par des 
» fruits. Les bonnes œuvres inspirées par une foi 
» sincère sont donc la consolation de l’âme conte»- 
» plative, toutes les fois que, comme il arrive si sou- 
» vent, les lumières de la contemplation lui sont 
» soustraites. En effet, qui est-ce qui, pendant cette 
» vie, peut jouir, je ne dis pas constamment, mais 
» même pendant un long temps, de la lumière de la 
» contemplation? Mais, ainsi que je l’ai déjà dit, 
» toutes lesiois que l’âme descend des hauteurs de la 
» contemplation, elle doit reprendre les exercices 
» de la vie active, afin de pouvoir retourner plus 
* aisément de cette dernière vie à la première avec 


(I) Serin. 81, super Cant. — (S) Hebr. II. » (3) Rom. 14. — 
(4) Jac. *. 


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3tf 


V® PARTIE. — JEUDI; CfiAP. LVHI. 

t laquelle elle a autant de ressemblance et de 
» rapports qu'en ont entre elles deux sœurs qui 
» vivent sous le même toit ; et en effet, Marthe est 
» sœur de Marie. Et c'est ainsi quei précipitée des 
» brillantes clartés de la contemplation, l’Âme ne 
» s'enfonce ni dans les ténèbres du péché, ni dans 
» un lâche repos, mais va se réfugier dans la lu- 
» mière des bonnes œuvres. Et, pour vous con- 
» vaincre que ces bonnes œuvres sont aussi la lu- 
» mière, entendez Notre-Seigneur dire à ses Apôtres: 

» (t) Que votre lumière brille devant les hommes; ce 
» qui indubitablement s’applique aux bonnes œuvres 
» qui peuvent être vues par les hommes. » Tout cela 
est de saint Bernard. 

Voilà donc trois causes qui font abandonner les 
délices de la vie contemplative, pour rentrer, quoi- 
qu'à regret, mais par une disposition particulière de 
Dieu, dans la vie active. Et quelle que soit celle de 
ces causes qui nous détermine à en agir ainsi, il ne 
faut le faire que.pour un temps et revenir bientôt à 
la contemplation, ainsi que vous l’avez pu voir, par 
les citations que j’ai empruntées de saint Bernard. 
D’où il résulte que la vie contemplative est préférable 
à l'active. 

Nous avons donc, grâce à Dieu, terminé ce que 
nous avions à dire sur la contemplation. Ce traité 
est étendu et d’une extrême importance; vous pour¬ 
rez vous y instruire non-seulement de ce qui con¬ 
cerne la contemplation, mais de beaucoup d'autres 
choses et même de presque tout ce qui est nécessaire 

(I) Mttlh. S. 


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382 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S* J.-C. 

•à la pratique de l’exercice spirituel. Àppliquez-vous-y 
donc avec soin, attachez-vous aux avis qu’il contient, 
mettez-les soigneusement en pratique, et ne vous 
imaginez pas trouver ici tout ce que saint Bernard a 
dit sur cette matière, toutefôisjce que j’y ai renfer¬ 
mé peut vous suffire. 


CHAPITRE LIX. 

Gomment Notre-Seigneur, sous la parabole des vignerons 
qui mettent à mort le ûls de leur maître, annonce aux 
Juifs que l'Eglise sera transférée aux Gentils. 

Notre divin Maître et Rédempteur, plein de zèle 
pour le salut des âmes en faveur desquelles il venait 
se sacrifier lui-même, s’efforcait de toutes manières 
de les attirer à lui et de les arracher des mains de 
leurs ennemis. C’est pourquoi il adressait au pleuple 
des paroles tantôt douces et humbles, tantôt amères 
et dures; parfois il recourait aux paraboles et aux 
comparaisons; quelquefois aux signes et aux prodi¬ 
ges; d’autres fois aux menaces et à la terreur : en¬ 
fin il variait les moyens et les remèdes propres à 
opérer le salut, suivant qu’il le jugeait convenable, 
eu égard au lieu, au temps et à la diversité de ses 
auditeurs. Mais dans cette Circonstance, parlant aux 
princes des prêtres et aux pharisiens, il usa contre 
eux de paroles sévères et leur proposa une parabole 
terrible, dans laquelle les droits de la justice et de 


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333 


V e PART E. — JEUDI, CHAP. LIX. 

la vérité étaient si évidents qu'ils furent forcés de 
prononcer eux-mêmes leur propre condamnation. 
Cette parabole était celle des vignerons qui, après 
avoir mis à mort les serviteurs que # le maître avait 
envoyés à sa vigne pour en recueillir le fruit, tuèrent 
aussi le Fils du Père de famille. Jésus ayant demandé 
comment le Maître de la vigne devait traiter ces vi¬ 
gnerons, les princes de3 prêtres et les pharisiens ré¬ 
pondirent : « (1) 11 perdra ces méchants comme ils le 
méritent, et il louera sa vigne à d’autres vignerons. » 
Jésus, confirmant leur jugement, en tira contre eux 
cette conclusion : le royaume de Dieu, c’est-à-dire 
l’Eglise, vous sera ôté et sera donné à un peuple qui 
en produira les fruits ; ce peuple, ce sont.les gentils, 
desquels nous faisons partie, nous et l’Eglise univer¬ 
selle. 

Il leur rappela aussi la parabole de la pierre angu¬ 
laire qui le figurait lui-même, et qui devait écraser 
les Juifs. Et alors, comprenant que la parabole les 
regardait, au lieu de se corriger, ils ne firent que 
s’irriter davantage contre Jésus, parce que la malice 
de leur cœur les avait aveuglés. Maintenant consi¬ 
dérez Jésus qui s’assied au milieu des pharisiens avec 
beaucoup d’humilité, mais.qui pourtant leur adresse 
des paroles pleines d’autorité, et leur découvre, avec 
autant de puissance que d’énergie, le sort qui les 
* attendait. 

{<) Matth. SI. 


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1*4 MÉDITATIONS SUR LA TIE DE N.-S. J.-C. 


CHAPITRE IX 

Comment les Juifs essayèrent de surprendre Jésus dans ses 
discours. 

Si Notre-Seigneur Jésus-Christ ne négligeait aucun 
moyen pour opérer le salut des Juifs, ceux-ci, au 
contraire, tentaient de toutes les manières de te dé¬ 
crier et de le faire mourir. Ils formèrent doncie 
projet de le surprendre; mais ils ne purent réussir 
dans leur tentative. Les pharisiens délibérèrent de 
lui enyoyer de leurs disciples avec quelques affidés 
dHérode, pour lui demander si l’on était libre de 
payer ou de^efuser le tribut à César; Ils voulaient 
par là le rendre odieux, soit à César, soit à la na¬ 
tion juive; pensant que sa réponse, quelle qu’elle 
fût, se tournerait contre lui. Mais celui qui scrute 
les cœurs, découvrant leur malice, leur dit : (t) Qtrti 
fallait rend™ à Dieu ce qui était à Dieu et à César ce 
qui était à César, les qualifiant d’hypocrites qui ca¬ 
chaient ht fourberie de leur cœur sous des paroles 
artificieuses. Ceux-ci donc, trompés dans leur espé¬ 
rance, se retirèrent couverts de confusion. 

Considérez attentivement Jésus, suivant la méthode 
générale indiquée ci-dessus, et observez en même 
temps la défense qu’il fait ici de frauder en rien les 

(t) liatth. 23. 


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Y* PARTIE. — JEUÔI, CHAT. LXf. 985 

droite 4e dos supérieurs et de nos maîtres dam l’ordre 
temporel. Concluez*en que l’on pèche et que l’on 
yioie la loi, lorsqu'on refuse d'acquitter les droits de 
péage, de gabelle, les dîmes et les autres charges que 
les supérieure temporels imposent arec justice et 
équité à tous leurs sujets. 


CHAPITRE LXI. 

Guérison deFaveugle de Jéricho; diverses réflexions à ce sujet. 

Le Dieu de bonté qui, pour nous sauver, daigna, 
dans son excessive charité, descendre du sein de son 
Père, sachant que le temps de sa Passion approchait, 
se proposa d'aller à Jérusalem pour la souffrir ; il en 
prédit alors divinement toutes Les circonstances, mais 
ses disciples ne le comprirent point. Lors donc qu'il 
était près de Jéricho, un aveugle mendiant, assis au 
bord de la route, ayant appris de la foule qui précé¬ 
dait Jésus qu’il allait passer par là; se mit à hnplorér 
à grands cris sa miséricorde. Et, quoiqu'on le reprit 
de sa téiçérité, il ne montrait pas plus de réserve, et 
ne cessait de crier. Notre-Seigneur Jésus - Christ, 
voyant sa foi et sa ferveur, le fit approcher et lui dit : 
Que voulez-vous que je vous fasse? O paroles pleines 
de douceur! Que voulez-vous que je vous fasse? 
(1) Sei&neur, dit l'aveugle, faites que je voie. Le bon 


(I) Luc. 18. 


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336 MÉDITATIONS SUE LA VIE DE N .-S. J.-C. 

Jésus lui accorda cette grâce en disant : Voyez. Et à 
l’instant cet homme recouvra la vue. 

Arrêtez donc vos regards sur Notre - Seigneur 
Jésus-Christ, et observez avec soin toute sa bonté ; 
considérez ce que peuvent la foi et la prière; et re¬ 
marquez que l’importunité de la prière, loin de dé¬ 
plaire à Dieu, lui est, au contraire, très-agréable. 
Vous avez pu faire ci-dessus la même remarque au 
sujet ( 1 ) de la Chananéenne. Jésus-Christ lui-même en¬ 
seigne aussi qu’il faut toujours prier et ne jamais se 
lasser, en proposant la parabole d f un Juge forcé, par 
l’importunité d’une veuve, de lui accorder ce qu’elle 
lui demandait. Dans un aptre endroit, Jésus prouve 
la même chose par la (2) parabole d’un homme qui, 
importuné la nuit par l’un de ses amis, lui prêta 
le pain qu’il demandait. Ainsi Notre-Seigneur est 
disposé à accorder à ceux qui persévèrent dans la 
prière toutes les demandes justes et légitimes qu’ils 
adressent à Dieu, puisqu’il dit à tous ; Que voulez- 
vous que je vous fasse , et qu’il le fait? Disons mieux, 
il fait souvent plus qu’on ne lui demande et plus 
même que l’homme n’oserait demander, comme vous 
pouvez le remarquer dans la conduite qu’il tint à 
l’égard de Zacbée, dont,nous allons bientôt parler. 
Regardez donc comme parfaitement certain que vous 
obtiendrez tout ce que vous aurez demandé au Sei- 
gaeur avec, foi et persévérance. Vous ne devez pas 
avoir plus de honte que n’en .eurent l’aveugle, la 
Chananéenne (3)etZachée, qui ne craignirent point de 
solliciter des grâces et furent exaucés. 11 né faut pas 

(I) Lac. 18. — (2) Luc. II. — (8) Luc. 19. 


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V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. LXI. 337 

non plus rougir de servir Dieu, de renoncer au péché 
et de demander les grâces qui nous sont nécessaires. 
En effet, la honte et la confusion sont quelquefois la 
marqué d’une haute vertu et quelquefois d’un grand 
désordre. 

Sur quoi saint Bernard s’exprime en ces termes.: 
« ( 1 ) Il y a une honte qui conduit au péché, et il y en a 
» une autre qui attire la gloire. (2) La bonne honte 
» n’est autre chose que la confusion du péché que 
» l’on a commis ou que Pon a la conviction de corn- 
• » mettre actuellement. Or, même en l'absence de 
» tout témoin mortel, votre respect pour la présence 

de Dieu est d’autant plus grand que vous êtes con- 
» vaincu que sa pureté l’emporte sur celle de l hom- 
» me, et que la gravité de l’offense que le pécheur 
» fait à Dieu est proportionnée à la distance qu’il y 
» a entre Dieu et le péché ; une telle.honte, à coup sûr, 
» éloigne de nous le déshonneur et nous attire la 
» gloire, puisqu’elle produit l’un de ces deux effets, 
» ou de nous préserver du péché, ou, lorsque nous 
» l’avons commis, de le châtier par la pénitence et 
» de l’effacer par la confession; en effet (3), le témoi- 
» gnage de notre conscience fait toute notre gloire. 
» Mais, si quelqu’un rougit d’avouer ce qu’il regrette 
» intérieurement d’avoir fait, cette honte le conduit au 
» péché et déshonore sa conscience^ puisqu’une sotte 
» confusion, en lui.fermant la bouche, retient sur ses 
» lèvres le mal que la componction s’efforce de faire 
» sortir du fond de son cœur. 

<1) In lib. de Laude novæ Mililiæ, sive ad militeft Temp. cap. 12. 
(3) Eccli. 4, 25. —. Nota. Poür ces trois passages, voyez l’édilion 
de saint Bernard, par Mabillon. — (3) 2. Cor. I. 


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32 



338 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

* (j) O honte déraisonnable, ennemie du salut» 
» coûtraire à toutes les lois de l’honneur et de l’hon- 
» nêtetéL... Est-il donc honteux d'être vaincu par le 
» Seigneur? Y a-t-il de l’opprobre à s'humilier sous 
» la main toute-puissantê du Très-Haut?... Singulier 
» genre de victoire qui élève le vaincu en le renver- 
» sant aux pieds de la divine Majesté; suprême degré 
» d’honneur et de gloire où Ton ne monte qu’en 
» s’abaissant sous l'autorité de l’Eglise notre Mère (2). 
» 0 perversité 1 On ne rougit pas de se souiller et l’on 
» ahonfce de se purifier de ses souillures. Rougir d’a- 
» voir péché ou de commettre le péché, voilà la con- 
» fusion qui, selon la sagesse, attire sur nous la 
» gloire; et en effet cette gloire est infaillible, puis- 
» qu’alors la honte nous rend toute celle que le péché 
» nous avait ravie, 

>* (3) Je ne pense pas que nos moeurs offrent rien de 
» plus gracieux que la pudeur. Elle est indubitable- 
» ment l’ornement de tous les âges; mais c’est dans 
» la tendre jeunesse que le charme* de cette délicate 
» vertu brille d’un éclat plus vif et plus enchanteur. 
» Quoi de {dus aimable qu’un jeune homme qui u 
» conservé la pudeur 1 De quels charmes, de quel 
» éclat cette perle précieuse embellit la vie et le front 
» d’un jeune adolescent! Quel gage moins incertain 
» et plus assuré des plus consolantes espérances., 
* quel indice des plus heureuses dispositions ! La 
» pudeur devient pour lui comme un üreia 4e disci- 


(4) Ep. 4JMS. ad Eustach. — ( 2 ) Nota. Pour .ces irais passages, 
voyes P édition de saint Bernard par Mabillon. — (3) Serin. SVsop. 
Cant. 


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339 


V e PAttTlE. — JEUDI, CHÀP. LXI. 

» pline qui, dans la saison la plus dangereuse de la 
» vie, maîtrisant d'humiliantes passions, en modère 
» les mouvements et les actes les plus légers, en né- 
» prime même les plus violents écarts, (lj Quelle 
» vertu que celle qui nous lait fuir ainsi les discours 
» déshonnêtes et nous fera plus tard éviter toutes les 
» paroles contraires à la pureté? C’est la sœur de la 
» continence. C’est l’indice lé plus évident de la sim- 
» plicité de la colombe, et par conséquent aussi de 
» l’innocence. C’est la lampe de l’àine chaste qui 
» brille sans cesse afin que rien de honteux ou d’in- 
» décent ne tente de s’y fixer sans que la lumière ne 
» le découvre à l’instant à tous les regards. C'est la 
» surveillante des vices, la protectrice de la pureté 
» native, la gloire spéciale de la conscience, la gar- 
» dienne de la réputation, l’ornement de la vie, le 
» siège de la force, les prémices de tou tes les vertus, 
» l’honneur de la nature et la marque incontestable 
» de toute sorte d’honnéteté. Quelle grâce, quels 
» charmes se répandent ordinairement sur un visage 
» coloré par l’incarnat que la pudeur y fait monter 
» quelquefois! La pudeur est si naturelle au cœur 
» de l’homme, que ceux qui ne rougissent pas de 
» faire le mal, rougissent pourtant d’être découverts, 
» puisqu’ils cachent avec soin ces œuvres de ténèbres 
» qu’ils n’oseraient montrer au grand jour. Or, quoi 
» de plus favorable que le secret à celui qui a sujet 
» de rougir? Enfin, on recommande à celui qui veut 
» prier de ee retirer dans sa chambre, pour y trou- 
« ver la grâce du secret. C'est en effet une précaution 

(I) Vide Bernard. 


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340 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» sans laquelle tous ceux qui .prient s’exposent à se 
» voir enlever, par la louange des hommes, le fruit 
» et l’effet de la prière, (i) Mais quoi de plus propre à 
» la pudeur que de se soustraire à la louange et d'é- 
» viter l'ostentation? Quoi de plus déplacé, et surtout 
» dans un jeune homme, que de faire parade de 
» sainteté? La meilleure recommandation de la prière 
» c’est la confusion qui la précède. « Ainsi parle saint 
Berpard. 

Les réflexions que nous venons de faire au sujet 
de l’aveugle dont il est parlé au commencement de 
ce chapitre, peuvent s’étendre à deux autres aveugles 
auxquels Notre-Seigneur ouvrit les yeux presque 
dans le même temps. (2) Car il rendit la vue à ceux- 
ci en-sortant de Jéricho, et c’était en y entrant qu’il 
avait guéri l’autre. SaintMalthieu etsaintMarc parlent 
de ces deux aveugles; saint Marc cite même le nom 
de l’un d’eux. Tous trois poussent le même cri, et tous 
trois obtiennent même réponse et même guérison. 


CHAPITRE LXII. 

Comment Notre-Seigneur entra dans la maison de Zachée. 

Notre-Seigneur Jésus-Christ, étant entré à Jéricho, 
en parcourait les rues. (3) Zacliée, chef des publi- 
cains, instruit de cet événement, désirant vivement 


(I) Vide Bernard. — (9) Mallh. 90; Marc. 40. — (3) Luc. t. 


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V® PARTIE. — JEUDI, CHÀP. LXII. 341 

de connaître Jésus, courut au-devant de lui pour le 
voir, et, n'y pouvant réussir à cause de la multitude 
du peuple et de l’exiguïté de sa taille, il monta sur 
un sycomore, afin de pouvoir au Moins l’apercevoir. 
Mais Jésus qui connaissait et agréait la foi et le désir 
de cet homme, lui dit : Zachée , hâtez-vous de descen¬ 
dre; car c'est chez vous que je veux loger aujourd'hui. 
Zachée descendit aussitôt, le reçut avec beaucoup de 
joie et de respect et lui fit préparer un grand festin. 
Admirez la générosité de Jésus; il surpassa tous les 
désirs de Zachée; il se donna lui-même, ce que Zachée 
n’aurait jamais osé demander. Vous voyez ici un 
grand exemple du pouvoir de la prière. Car le désir, 
voilà le cri qui se fait mieux entendre de Dieu, voilà 
la prière la plus éloquente. C’est ce qui fait dire au 
Prophète : (1) Le Seigneur a exaucé le désir de ses pau¬ 
vres ; il a entendu la préparation de leur cœur. Le Sei¬ 
gneur dit aussi à Moïse : (2) Pourquoi criez-vous vers 
moi? lorsque Moïse n’ouvrait pas la bouche et ne 
priait que du cœur. 

Considérez Jésus assis et mangeant avec ces pé¬ 
cheurs. Il se mit près de Zachée au milieu de la table, 
et plaça au bout l’un des convives pour lui fair^hon- 
neur ; il leur adressait familièrement la parole pour 
les attirer tous à lui. Voyez aussi les disciples commu¬ 
niquant avec ces mêmes pécheurs, s’entretenant avec 
eux, les encourageant à la pratique des bonnes œu¬ 
vres, et tout cela de bon cœur et de bonne grâce, parce 
qu'ils savaient que c’était la volonté de leur Maître, 
et qu’ils désiraient le salut de ces pécheurs. 

(I) Ps. 9. — (2) Exod, 44. 


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342 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 


CHAPITRE LXIÏI. 

Guérison de l’aveugle-né. 

Lorsque Notre-Seigneur allait à Jérusalem, il aper¬ 
çut un aveugle de naissance qui, dit-Qn, S’appelait 
Cœlidonius ; et l’humble Jésus, (1) s'ètant incliné vers 
la terre , fit de la boue avec sa salive , en oignit les yeux 
de Vaveugle et lui dit d'aller se laver à la piscine de Si - 
loe. L’aveugle obéit, se lave les yeux et recouvre la 
vue. Ge miracle, soigneusement examiné par les en¬ 
nemis du divin Maître, tourna à leur confusion. Lisez: 
dans l’Evangile l’histoire aussi étendue qu’intéres¬ 
sante de ce prodige ; mais, dans tout cela, appliquez- 
vous à observer les actions de Notre-Seigneur, en 
suivant la méthode générale que je vous ai tracée, et 
considérez quelle fut la reconnaissance de cet aveugle 
quijjméme avant que d’avoir vu Jésus, prit si coura¬ 
geusement et si constamment son parti devant les 
princes et les magistrats des Juifs, sans les ménager 
dans aucune de ses paroles. La reconnaissance est 
une vertu très-recommandable et très-agréable aux 
yeux de Dieu; mais rien ne lui déplaît plus que Fin- 
gratitude. 

Voici sur cette matière les paroles de saint Ber- 

(4) ’un. . 


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V» PARTIE. — JEUDI, CHAP. LXIY. 313 

nard : « (t) Ne manquez pas de rendre grâces àcha- 
» que bienfait que tous recevez. Observez avec at- 
» tention tous ceux qui vous sont accordés, afin de 
» ne recevoir aucun des dons de Dieu sans lui té- 
» moigner la juste reconnaissance que méritent les 
» plus médiocres et même les plus petites grâces, 
» aussi bien que les plus signalées. Enfin, on nous 
» recommande de ramasser les miettes de pain, de peur 

* qu'elles ne se perdent, ce qui signifie que naïfs ne 
i devons jamais oublier les. plus petits bienfaits. 
» N’est-ce pas perdre ses dons que de les prodiguer 
» à un ingrat? L’ingratitude nuit â notre âme, détroit 
» les mérites acquis, anéantit les vertus, nous prive 

• de tous les biens. C’est un vent brûlant qui sèche 
» toutes les eaux de la piété, la rosée de la miséri- 
» corde, et tarit la source des grâces. » Ainsi s'ex¬ 
prima saint Bernard. 


CHAPITRE LXIY. 

Comment Notre-Seigneur s'enfuit du Temple et se cacha 
lorsque les Juifs voulurent le lapider. 

Nous allons bientôt entrer dans les mystères des 
souffrances de Notre-Seigneur ; je ferai donc désor¬ 
mais très-peu de citations, afin de pouvoir m’étendre 

(I) Serin. 51, super Cant- 


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344 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

plus longuement sur tous les détails relatifs à la Pas¬ 
sion ët aux événements qui l’ont précédée. Or, un 
jour que Notre-Seigneur Jésus-Christ prêchait dans 
le temple et disait entre autres choses : (t) Si quel¬ 
qu'un garde ma parole, il ne mourra jamais , les Juifs 
lui ayant répondu : Vous êtes donc plus grand que 
notre père Abraham qui est mort ? Jésus leur dit : J'étais 
avant qu’Abraham fut au monde . Les Juifs, prenant 
de Ces paroles occasion de l'accuser d’avoir dit une 
chose impossible à çroire, ou même un mensonge, 
prirent des pierres pour le lapider. Mais il se déroba 
à leurs yeux et sortit du temple ; car l’heure de sa 
Passion n’était pas encore venue. 

Considérez avec une vive affliction quels outrages 
le souverain Maître du monde reçoit ici de ses plus 
indignes serviteurs, et comment, pour se soustraire 
à leur fureur, il est forcé de se cacher dans quel- 
qu’endroit du temple, derrière quelque colonne, ou 
au milieu de quelques personnes. Voyez-le, ainsi que 
ses disciples, se retirant tristement, la tête baissée, 
comme des hommes faibles et pusillanimes. 


CHAPITRE LXY. 

Comment on voulut une seconde fois lapider Jésus. 

Une autre fois, le jour fle la Dédicace, c’est-à-dire 
de la consécration du temple, pendant que Jésus se . 

(I) Joui. s. 


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345 


V e PARTIE, — JEUDI, CHAP. LXV. 

promenait dans la galerie de Salomon, ces loups ra. 
vissants, poussés par une fureur infernale, se ras¬ 
semblèrent autour de lui et lui dirent en grinçant les 
dents : (1) lusques à quand nous tiendrez-vousl'esprit en 
suspens? Si vous êtes le Christ , dites-le ouvertement. 
Mais le doux Agneau répondit avec humilité : Je vous 
T ai dit, et vous ne" me croyez pas. Les œuvres que je fais 
au nom de mon Père rendent témoignage de moi . 

Au nom de Dieu, considérez ici Jésus et tout ce qui 
vase passer. Le divin Maître leur parle avec humilité; 
ses ennemis, semblables à des chiens qui aboient, 
poussent contre lui des cris furieux , ils l’envelop¬ 
pent de toutes parts; enfin, ne pouvant dissimuler 
plus longtemps la rage dont leur cœur est possédé, 
ils prennent des pierres pour les lui jeter. Cependant 
Notre-Seigneur Jésus-Christ, continuant de leur par¬ 
ler avec la même douceur, leur dit : J'ai fait devant 
vous plusieurs bonnes œuvres , pour laquelle me lapidez- 
vous? Mais ceux-ci répondirent entre autres choses : 
Parce que, n'étant qu'un homme, vous voulez vous faire 
passer pour un Dieu . 

Admirez l’excès de leur extravagance. Ils désiraient 
sa voir si c’était le Christ, et quand Jésus justifie de 
ce titre par ses paroles et ses œuvres, ils veulent le 
lapider. Or, ils sont sans excuse, car ils pouvaient 
facilement, ils devaient même croire que Notre-Sei¬ 
gneur Jésus-Christ était le Fils de Dieu. 'Mais, comme 
son heure n’était pas encore venue, il s’échappa de 
leurs mains et se retira au delà du Jourdain, au même 
lieu où Jean avait autrefois baptisé. Ce lieu, situé à 


y Google 


(4)Joan. 40. 



346 MÉDITATIONS SCR LA VIE DE E.-5. J.-C. 

dix-huit milles de Jérusalem, servit de retraite à Jésus 
et à ses disciples. Yoyez donc ceux-ci, tout affligés, 
s’y retirer avec leur divin Maître; et compatissez, 
autant que vous le pourrez, à la douleur qui les ac¬ 
cable. 


CHAPITRE LXYI. 

Résurrection de Lazare. 

Ce miracle, par sa célébrité et son importance t offre 
la matière d'une profonde et pieuse méditation. Oc- 
cupez-vous-en donc avec autant d'attention que si 
vous étiez réellement présente à tout ce qui s’est dit 
et fait dans cette circonstance, et entretenez-vous, 
non-seulement avec Notre-Seigneur et avec ses dis¬ 
ciples, mais encore avec cette sainte famille si dé¬ 
vouée à Jésus et si chère à son cœur ; je veux dire 
avec Lazare, Marthe et Marie. Lazare était gravement 
malade ; ses soçurs,dont je viens de parler, qui étaient 
fort connues de Noire-Seigneur, envoyèrent quel¬ 
qu'un vers Lui dans le lieu où il s’était retiré, c’est- 
à-dire au delà du Jourdain, ainsi que nous l’avons 
indiqué dans le chapitre précédent, et loi firent 
dire : (l) Notre frère Lazare que vous aimez est malade. 
Et elles n’ajoutèrent rien à ces paroles, soit parce 

(I) Joui. II. 


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V e PARTIE. — JEUDI * CHAP. LXVI. 347 

qu'elles devaient suffire à quelqu'un qui leur était si 
attaché et qui comprenait si bien toutes choses, soit 
parce qu'elles craignaient de faire revenir Notre- 
Seigneur près" d’elles, dans un moment où elles sa- 
vaient que les chefs de la nation juive lui tendaient 
des pièges et désiraient de le faire mourir. Mais Jésus. 
Christ', ayant appris cette nouvelle, garda Le silence 
pendant deux jours, après quoi il dit à ses disciples 
entre autres choses : Lazare est mort , et je me réjouis 
pour Vamour de vous de ce que je rïétais pas là. 

Voyez avec quelle admirable bonté, quelle charité, 
quelle prudence Jésus se conduit avec ses disciples, 
lis manquaient encore de force et de courage» et 
Notre-Seigneur se proposait d’y remédier. Il retourne 
donc avec eux, et les conduit auprèsLde Béthanie. Dés 
que Marthe en est instruite, elle va à sa rencontre et 
dit en se prosternant à ses pieds : Seigneur, si vous 
eussiez été ici , mon frère ne serait pas mort. Mais Notre- 
Seigneur lui dit que son frère ressusciterait, et alors 
ils s’entretinrent ensemble sur la résurrection. En ¬ 
suite Jésus l’envoie à Marie, pour laquelle il avait 
Une affection particulière. Marie se lève à l’instant, 
court promptement trouver Jésus, se prosterne et lui 
tient le même langage que sa sœur. Mais Notre-Sel- 
gneur, voyant combien celle qui lui était si chère 
était affligée et désolée de la mort de son frère, et 
combien elle répandait de larmes, ne put lui-méme 
retenir les siennes. Jésus pleura donc en ce moment. 
Arrêtez ici vos regards sur lui, sur les sœurs de La¬ 
zare et môme sur les disciples. Vous pensez bien qu’ils 
répandirent aussi des pleurs. Après quelques moments 
consacrés à la douleur par tous ceux qui étaient là. 


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348 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

Jésus dit : Où Vavez-vous mis? Il ne l’ignorait pas, 
mais, par cette question, il voulait se conformer au 
langage ordinaire des hommes. Les deux sœurs ré¬ 
pondent alors : Seigneur, venez et voyez ; et elles le 
conduisent au tombeau» Notre-Seigneur y va donc, 
entre Marthe et Marie, qu'il consolait et fortifiait en 
chemin. Au.reste, sa présence suffisait pour les con¬ 
soler. Car elles en étaient si.fortement occupées, 
qu’elles paraissaient avoir oublié et leur douleur et 
toutes' les choses de ce monde. 

Pendant qu’ils s’avançaient ainsi tous les trois en¬ 
semble sur la route, Madeleine disait à Jésus : « Sei¬ 
gneur, que vous est-il arrivé depuis que vous vous 
êtes éloigné de nous ? Votre retraite m’a profondé¬ 
ment affligée, mais, dès que j’ai su votre retour, j’en 
ai ressenti une-grande joie ; toutefois, j’ai craint et 
je crains beaucoup encore. Car vous n’ignorez pas 
les complots que les princes des prêtres et les anciens 
du peuple forment contre vous, et voilà pourquoi 
nous n’avons osé d’abord vous envoyer prier de re¬ 
venir près de nous. Je me réjouis de votre retour, 
mais je Vous en conjure, au nom de Dieu, défiez-vous 
des pièges que l’on vous tend. » Jésus répondait : 
* Rassurez-vous, mon Père y pourvoira. » Et, tout 
en s'entrétenant ainsi, ils arrivèrent au sépulcre. 
Alors Jésus fit ôter la pierre qui en fermait l’entrée. 
Mais Marthe s’y opposait eh disant : (1) Seigneur , il 
sent déjà mauvais, car il y a quatre jours qu'il est là. 
O Dieu ! qùel amour ces deux sœurs avaient pour 
Notre-Seigneur l Elles ne voulaient point lui faire 


(1) Joan. 11. 


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V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. LXVII. 349 

respirer la mauvaise odeur d’un cadavre en putré¬ 
faction. Néanmoins, sans s’arrêter à cela, ou plutôt à 
cause de cela même, Jésus fit ôter la pierre. Gela fait, 
Notre-Seigneur lève les yeux au ciel, en disant : 
( 1 ) Mon Père, je vous rends grâces de ce que vous m'a¬ 
vez exaucé. Pour moi, je sais bien que vous m'exaucez 
toujours ; mais je dis ceci pour ceux qui m'environnent, 
afin qu'ils croient que c'est vous qui m'avez envoyé. 
Contemplez Jésus pendant qu’il fait cette prière, et 
admirez son zèle pour le salut des âmes. Après qu’il 
eut ainsi prié, Notre-Seigneur cria d'une voix forte : 
Lazare, sortez dehors. Aussitôt Lazare ressuscite et 
s’élance hors du tombeau, encore tout enveloppé des 
bandelettes dont on l'avait lié avant de l’y déposer. 
Mais les disciples brisèrent ces liens, sur l’ordre que 
Jésus leur en donna. Ainsi dégagé, Lazare et ses deux 
sœurs, s’étant prosternés aux pieds de Jésus, luil*en- 
• dirent grâces d’un si grand bienfait et le conduisirent 
à leur maison. Tous ceux qui étaient là et qui virent 
ce prodige en furent saisis de stupeur et d’admira¬ 
tion, et le bruit s’en répandit si vite en tous lieux, 
qu’une foule innombrable.accourait de Jérusalem et 
de toutes les autres parties de la Judée pour voir 
Lazare. Mais les princes des prêtres, que ce miracle 
confondait, ne songèrent plus dès lors qu'à faire mou¬ 
rir Jésus. 

(i) Joau. 44. 


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350 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 


CHAPITRE LXVII. 

Jésus maudit un figuier. 

Quoique la malédiction du figuier et la présenta¬ 
tion de la femme adultère à Jésus dans le temple ne 
soient rapportées dans l’histoire évangélique qu’après 
que Notre-Seigneur, monté sur un âuon, fut entré à 
Jérusalem, jai cru cependant devoir les placer avant 
cette entrée, parce qu'après il me semble qu’il n’y a 
rien de mieux à faire que de parler de la Cène, de la 
Passion et de toutes les circonstances qui s’y ratta¬ 
chent. 

(1) Un jour donc que Jésus, allant à Jérusalem, se 
sentait pressé par la faim, il vit un figuier orné d’un 
feuillage magnifique; s’en étant approché, et n’y 
trouvant point de fruit, il le maudit. Au même ins¬ 
tant le figuier sécha, au grand étonnement de ses 
disciples. 

Considérez donc ici Jésus et ses disciples, selon la 
méthode générale que je vous ai indiquée ci-dessus. 
Remarquez aussi ce qu’il y a de mystérieux dans 
cette action du Sauveur, car il savait bien que ce 
n’était pas la saison des figues. En effet, cet arbre au 
feuillage verdoyant peut être considéré comme la 
figure de ces hommes si féc o nds en paroles et si sté- 

(I) Mali h. Il ; Marc. 41. 


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V? PARTIE. — JEUU, CHÂP. LXVIKI. Si 1 

riles en bonnes œuvres, ou môme de ces hypocrites 
et de ces fourbes qui ont à l'extérieur] une belle ap¬ 
parence, mais qui au dedans sont yides de mérites et 
ne rapportent aucun fruit. 


CHAPITRE LXYffl. 

De la femme surprise en adultère. 

Les princes des prêtres et les pharisiens, dans leur 
malice exécrable, avaient toujours les yeux ouverts 
sur les démarches de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et 
recouraient infatigablement à la ruse et à la fourbe¬ 
rie pour le perdre et le rendre odieux au peuple ; mais 
tous les traits qu’ils lançaient retournaient sur eux- 
mêmes. (l) Une femme donc, ayant été surprise en 
adultère, et devant, selon la loi, être lapidée, iis la 
lui présentèrent dans le temple et lui demandèrent 
ce qu’il en fallait faire, comme s’ils eussent voulu 
rembarrasser en le plaçant entre ces deux écueils, ou 
de passer pour un homme cruel et sans miséricorde, 
s'il demandait rexéciition de la loi ; ou pour un 
homme injuste, s’il conseillait de la violer. Mais le 
Mqltre de la sagesse, découvrant le piège qui lui était 
tendu et sachant l’éviter, se pencha humblement 
vers la terre pour y tracer du bout du* doigt quel¬ 
ques caractères. (2) Les interprètes disent qu’il y 


{i) Joau. S. — (2) Gloss, sup. Juan. 8. 


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352 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N -S. J -C. 

écrivit les péchés de ses ennemis. En effet, ces carac¬ 
tères étaient si merveilleux, qu’ils faisaient connaître 
à chacun d’eux les péchés dont ils étaient coupables. 
Or, Notre-Seigneur se relève et leur dit : Que celui 
d'enttà vous qui est sans péché lui jette la première 
pierre . Puis il s'inclina de nouveau par bonté pour ses 
envieux et ses ennemis qu’il ne voulait pas couvrir 
de confusion. Mais tous se retirèrent et virent ainsi 
s’évanouir leurs desseins astucieux. Alors Jésus 
congédia la femme, après lui avoir recommandé de 
ne plus pécher à l’avenir. Faites donc une sérieuse 
attention aux actions et aux paroles de Notre-Sei- 
gneur que nous venons de rapporter.- 


CHAPITRE LXIX. 

Conspiration des Juifs contre Jésus et sa fuite dans la 
ville d'Ephrem. 

Lç temps approchant où Jésus avait résolu de nous 
racheter par l’effusion de son propre sang, Satan 
arma ses satellites contre lui et excita dans leurs 
cœurs le désir ardent de le mettre à mort, désir que 
les miracles de Notre-Seigneur et surtout la résur¬ 
rection de Lazare, enflammaient d’autant plus que 
ces prodiges éiafent pour eux un plus grand sujet de 
jalousie. Ne pouvant donc plus longtemps contenir 
leur fureur (1), les princes des prêtres et les phari- 

(I) Joan. H. 


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353 


V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. LXIX.. 

siens tinrent un conseil dans lequel, après avoir en¬ 
tendu la prophétie de Gaïphe, ils résolurent de mettre 
à mort l'agneau le plus innocent. 

O détestable résolution! O exécrables conducteurs 
<lu peuple, abominables conseillers! Que faites-vous, * 
misérables? Quel excès de fureur vous transporte? 
Quel est votre projet? Quel motif avez-vous de met¬ 
tre à mort le Seigneur votre Dieu? Celui que vous 
méconnaissez si indignement n’est-il pas au milieu 
de vous, n’entend-il pas tout ce que vous dites? et 
ne scrutc-t-il pas les reins et les cœurs? Mais vos dé¬ 
sirs seront accomplis; son Père l’a livré entre vos 
mains, il sera' mis .à mort par vous et non pour vous. 
En effet, par sa mort et par sa résurrection, il sau¬ 
vera son peuple, et vous mourrez dans votre péché. 

Ce que le conseil avait décidé fut bientôt connu. 
Mais Notre-Seigneur dont la sagesse était extrême, ne 
voulant pas enchaîner leur haine, et voyant aussi que 
tout n’était pas encore accompli, se retira tout près 
du désert, dans la ville d’Ephrem. Et ce fut ainsi que 
notre humble maître se détermina à fuir devant ses 
plus indignes esclaves. Considérez donc de quelle fu¬ 
reur ces scélérats sont agités dans leur conseil abo¬ 
minable. Voyez aussi Notre-Seigneur Jésus-Christ se 
retirait avec ses disciples comme auraient pu faire 
des hommes impuissants et méprisables. 

Que pensez-vous que Madeleine ait dit de cette 
fuite? Mais aussi quels étaient les sentiments de la 
Mère de Jésus en le voyant s’éloigner ainsi d’elle, 
parce que, disait-on, les Juifs voulaient le mettre à 
mort? Vous pouvez penser ici que iViarie et ses sœurs 
restèrent alors avec Madeleine, et que Notre-Seigneur 

28 


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B >4 MÊDPIWnONS SÜRLA *IE DE N.-5. J.-C. 

les consola bientôt par la promesse de son prompt 
retour. 


CHAPITRE LXX. 

Retour de Jésus à Béthanie, où Marie-Madeleine lui oignit 
les pieds. 

Nous avons vu, dans ce qui précède, Jésus prati¬ 
quer la prudence en prenant le parti de fuir, nous 
apprenant, par sa conduite, qu’en certains tempB et 
en certaines circonstances, nous devons, par pru¬ 
dence, nouB soustraire à la fureur de ceux qui nous 
persécutent. Maintenant, nous le voyons exercer la 
vertu de force en revenant, à l’approche du temps 
marqué par son Père, s’offrir spontanément à la mort 
et se livrer entre les mains de ses ennemis ; et, comme 
il avait autrefois montré sa tempérance en ftiyant la 
gloire, lorsque le peuple voulut le faire roi, par une 
conduite contraire, il manifesta sa justice, en permet¬ 
tant au peuple qui venait à lui avec des branches 
d arbies, du Lui rendre les honneurs dns à la royauté, 
honneurs toutefois auxquels il. no se prêta qu’avec 
beaucoup de modestie,, puisque, ainsi que l'observe 
ici saint Bernard, il les reçut monté sur un ânon. 
(1) « Ce fut donc pour notre instruction que le Maître 
» de toutes les vertus pratiqua la prudence, k force, 

(I) ft erm . S ta rtnrre Moi» 


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y PARTIE. — JEUDI, CHAP. LXX. 3fr5 

» la tatnpérance et la justice. On appelle ces vertus 
» cardinales et principales, parce qu’elles sont la 
v source de toutes les autres vertus morales. Gar- 
» dons-nous donc de taxer ici Notre-Seigneur de W~ 
» zarrerie et d’inconstance; n’en accusons pas non 
» plus ceux qui, suivant les différentes circonstances 
» où ils se trouvent, s’exercent à la pratique des dit- 
» férentes vertus. » 

(1) La veille du jour que nous appelons le dimanche 
des Rameaux, Notre-8eigneur revint donc à Béthanie, 
qui n’est éloignée de Jérusalem que d'environ deux 
milles; et là on lui apprêta à souper dans la maison 
de Simon le Lépreux. Lazare, Marthe et Marie s’y 
trouvèrent aussi, peut-être parce qu’ils étaient pa¬ 
rents de Simon ou du moins très-liés avec loi. (î> Ce 
fut alors que Marie répandit sur Jésus une livre d’un 
parfum précieux dont elle oignit sa têtef-et ses pieds. 
Ce qu’en une autre circonstance elle avait fait dans le 
môme lieu par un sentiment de contrition, elle le ré¬ 
pétait alors par piété. Car elle aimait Jésus plus que 
toutes choses, et elle n'épargnait aucun soin pour lui 
prouver son respectueux amour. Son aetkm excita 
les murmures du traître Judas. Mais Notre-Seigneur 
parla en sa faveur et la défendit comme il l’avait 
-déjà feit. Cependant le perfide s'en Indigna, et ce fut 
Pun des motife qui le portèrent' à trahir son maître, 
qu’il vendît le mercredi suivant, pour trente deniers. 

Voyezdone Nbtre-Seigneur mangeant avecsesamis 
et demeurant avee eux pendant ce peu de jours, 
<fest-4-di?e jusqu'au moment de sa passion. Ce fnt 


(I)Marc, II.-(S) Joan. 12. 


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3ô6 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N--S. J.-C. 

pourtant dans la maison de Lazare qu’il fit un plus 
long séjour; car c’était près de lui et de ses sœurs 
que Jésus se réfugiait le plus ordinairement ; c’était 
là qu'avec ses disciples, il mangeait tous les jours; 
là, qu’avec eux il reposait toute* les nuits. C'était 
là aussi qu’habitait Marie avec ses sœurs, et tous 
avaient pour elle la plus* profonde vénération, sur¬ 
tout Madeleine qui l’accompagnait partout et ne s'é¬ 
loignait jamais d’elle. Arrêtez aussi vos regards sur 
Marie elle-même, qui, toujours inquiète, toujours 
alarmée de ce qui pouvait arriver à son Fils bien- 
aimé, ne le quittait pas un seul moment. Et lorsque 
Notre-Seigneur, répondant aux murmures de Juda 
contre Madeleine, dit pour la justifier ; (l) Cette femme 
n*a répandu ce parfum sur mon corps qu’en vue de ma 
sépulture, ne pensez-vous pas que cette parole a dû 
percer comme un glaive le cœur de sa Mère ? Car 
pouvait-il annoncer plus expressément sa mort pro¬ 
chaine? 

Tous ceux qui étaient là furent également effrayés, 
et dans le trouble de leurs pensées, ils s’entrete¬ 
naient ensemble d'un côté et de l’autre, ccmme ont 
coutume de le faire tes personnes qui se trouvent 
dans des circonstances pénibles et difficiles. Et leurs 
craintes s’augmentaient encore quand Jésus allait à 
Jérusalem, ce qu'il faisait tous les jours. Car depuis 
ce jour de «abbal jusqu’au jour où il fit la Cène, 
il adressa aux Juifs plusieurs discours et fit publi¬ 
quement à Jérusalem plusieurs actions que je passe 
ici sous silence, ne me proposant de rapporter que 

(«) Matth. «6. 


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V e PARITE. — JEUDI, CHAP. LXXÎ. 357 

son entrée sur un ànon, afln de concentrer sur Jésus 
seul toutes nos pensées et toutes nos méditations. En 
effet, nous voilà parvenus aivmoment de sa passion. 
Recueillez tout votre esprit, ne le laissez pas égaler 
par des pensées étrangères, afin de vous occuper en 
toute liberté, tant des mystères qui précèdent que 
de la passion elle-même, de vous y appliquer atten¬ 
tivement; et, en attendant, entretenez-vous familiè¬ 
rement à Béthanie avec tous ceux dont nous venons 
de parler. 


CHAPITRE LXXI. 

Jésus monté sur un âaon fait son entrée à Jérusalem. — 
Motifs pour lesquels Jésus a trois fois répandu des 
larmes. 

Les mystères se multipliaient ; Jésus accomplissait 
toutes les Ecritures ; et, les temps approchant, il brû¬ 
lait d’opérer le salut du monde, en livrant son corps 
à tous les tourments de la passion. Dès le matin 
donc du jour suivant, c’est-à-dire le dimanche, il se 
prépara à faire le voyage de Jérusalem d’une manière 
nouvelle et extraordinaire, mais selon que les pro¬ 
phètes l’avaient prédit longtemps d’avance. Et au 
moment où il allait se mettre en route, sa Mère, ne 
pouvant se défendre d’une tendre émotion, essayait 
de le retenir en lui disant : « Où voulez-vous aller, 
mon Fils? Vous savez quïls ont conspiré contre vous; 


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366 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-R. J.-C. 

pourquoi vous mettez-vous entre leurs mains? Res¬ 
tez ici, je vous en prie. » Les disciples ne pouvaient 
non plus consentir à \p laisser partir, et faisaient 
aussi tous leurs efforts pour l'en empêcher. « Maître, 
disait Madeleine, pour Dieu, ne nous quittez pas. 
Vous savez qu’ils veulent vous faire mourir. Si vous 
vous mettez entre leurs mains, ils vous saisiront au? 
jourd’hui et auront ainsi ce qu’ils désirent. » 0 mon 
Dieu! combien ces cœurs aimaient Jésus! Combien 
tout ce qui pouvait lui nuire leur était pénible! Mais 
Celui qui était altéré du salut des hommes, ayant 
aulrement disposé les choses, leur disait : « La vo¬ 
lonté de mon Père est que je parte; ne me retenez 
pas davantage, et soyez sans crainte, car il nous dé¬ 
fendra, et nous reviendrons ce soir sans qu’il nous 
soit* arrivé aucun mal. » Il se mit donc en marche, 
et cette petite mais fidèle compagnie le suivit. 

Arrivé à Betphagé, petit bourg sitûé à moitié che¬ 
min de Jérusalem, il envoya deux de ses discippies 
dans un village voisin avec ordre de lui amener une 
ànesse et son ànon attachés dans un lieu public et 
consacrés à l’usage des pauvres. (I) Cela fait, Notre- 
Seigneur Jésus-Christ monta humblement sur l*â- 
nesse, puis sur l'ânon, que les disciples avaient cou¬ 
verts de leurs vêtements. Tel était l’équipage du 
Maître de l’univers; et, quoiqu’il méritât les plus 
grands honneurs, voilà de quelles montures et de 
quels caparaçons il se servit au jour de son triom¬ 
phe. 

Considérez-le maintenant avec attention, et voyez 


(!) Matth. SI; Marc. Il ; Luc. 10. 


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V 6 PARTIE; — JEUDI, CHAP. LXXI. 969 

comment, au milieu de sa gloire, il réprouve la 
pompe et les honneurs du monde* Car au lieu démè¬ 
nes et de selles enrichies d'or, au heu de caparaçons 
revêtus de soie, suivant les usages insensés du 
monde, des vêtements grossiers, deux petites cordes 
étaient les seuls ornemente de ces deux animaux qui 
portaient le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs. 
Aussitôt que le peuple fut instruit dé son arrivée, il 
courut en foule au-devant de lui, et Taccueillit 
comme un roi, faisant entendre des cris de joie et 
des acclamations, étendant avec ivresse sur la route 
des vêtements et des branches d'arbres. Mais au mi¬ 
lieu de cette joie universelle, Jésus émouvait un sen¬ 
timent pénible. (1 ) A ta vue de Jérusalem , il pleura 
*ur élle en disant : Ah! si tu savais , tu pleurerais 
aussi sur toi-même . 

Or, vous ne l’ignores pas, on lit dans T&vangile 
que Jésus a trois fois répandu des larmes : la pre¬ 
mière fois sur la mort de Lazare, c’est-à-dire sur la 
misère de l’homme ; la seconde fois dans celte cir¬ 
constance, c’est-à-dire sur notre aveuglement et no¬ 
tre ignorance. Car ce qui faisait couler ses pleurs 
sur Jérusalem, c’est qu’elle ne connaissait point le 
temps oû elle était visitée . La troisième fois, il pleura 
sur «a passion, ou plutôt sur les péchés et sur la 
malice des hommes, parce qu’il prévoyait que ses 
souffrances, qui suffisaient au salut du genre hu¬ 
main, ne seraient pas utiles à tous les hommes, puis¬ 
que les réprouvés, les cœurs endurcis et impéni¬ 
tents ne devaient point en profiter. Et c’est ce qui, 


; O) Luc. 19 . 


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360 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

dans l’Epitre aux Hébreux, fait dire à l’Apôtre par- 
lant de Jésus-Christ au temps de sa passion : (1) 
Qu'ayant poussé un grand cri et répandu des larmes, 
il fut exaucé par son Père à cause de l'humble respect 
qu'il avait pour lui. Le texte évangélique dit expres¬ 
sément que Jésus a pleuré trois fois, comme nous ve¬ 
nons de le dire ; mais -l’Eglise croit qu’il a encore 
pleuré dans d’autres circonstances, notamment dans 
sa première enfance; ce qu’elle exprime ainsi dans 
son cantique : (2) UEnfant-Dieu, resserré dans Vé- 
troite prison de sa crèche , pousse des cris plaintifs ; ce 
qu’il ne faisait que pour cacher au démon le mys¬ 
tère de l’Incarnation. 

Considérez-le donc aujourd’hui pleurant sur les 
habitants de Jérusalem ; car vous devriez unir vos 
larmes aux siennes ; ses pleurs sont abondants et 
intarissables, parce que ce n’est point en apparence, 
mais en réalité qu’il s'afflige du sort qui les attend. 
C’était sur le danger où ils étaient de se perdre éter¬ 
nellement qu’il pleurait avec tant d’amertume. Ils 
leur prédit aussi alors leur destruction prochaine. 
Observe* encore ses disciples qui s'approchent de lui 
par un sentiment de crainte respectueuse. Voilà ses 
barons et ses comtes, ses gentilshommes et ses 
écuyers; voyez enfin la Mère de Jésus qui le suit 
attentive avec Madeleine et les autres femmes. Vous 
pourrez aisément concevoir qu’en voyant couler les 
larmes de Jésus, sa Mère et tous ses autres amis ne 
purent retenir les leurs. 

Notre-Seigneur Jésus-Christ entra donc à Jérusalem 


(I) Hebr. 5. — (8) Hymne de la sainte Croix. 


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V® PAHTIE. — JEUDI, CHAP. LXXÏ. 36t 

avec cette pompe triomphale et ces honneurs que le 
peuple lui décernait et dont la ville fut toute trou¬ 
blée. (1) 11 alla aussi au temple d'où il chassa, pour la 
seconde fois, les acheteurs et les vendeurs. Jésus de¬ 
meura publiquement dans le temple presque jus¬ 
qu'au soir, prêchant et répondant aux questions que 
lui faisaient les princes des prêtres et les pharisiens. 
Et, quoiqu’on lui eût prodigué de si grands hon¬ 
neurs, il ne se trouva personne qui l'invitât à pren¬ 
dre chez lui quelques rafraîchissements. Jésus donc 
et ceux qui raccompagnaient restèrent à jeun pen¬ 
dant tout le jour, et tous retournèrent le soir à 
Béthanie. 

Remarquez bien avec quelle petite escorte Jésus 
traverse humblement cette ville où il avait été si 
honorablement reçu le matin. Cette observation vous 
fera comprendre qu'il faut faire bien peu de cas 
des honneurs du monde, qui passent si prompte¬ 
ment. Vous pouvez encore remarquer quelle fut la 
joie de Madeleine et des autres disciples pendant que 
Jésus recevait les hommages du peuple, et surtout 
lorsque, heureusement délivrés de tous les dangers, 
ils rentrèrent tous ensemble à Béthanie. 


(I) Marc. II. 


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362 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 


* CHAPITRE LXXn. 

Notre-Seigneur annonce à sa Mère qu’il va bientôt mourir. 

fions pouvons placer ici une méditation fort inté¬ 
ressante sur un fait que l’Ecriture n’apoint rapporté. 
Le mercredi, Notre-Seigneur soupait avec ses disci¬ 
ples chez Marthe et Marie^ tandis que sa Mère et les 
autres saintes femmes prenaient aussi leur repas 
dans une autre partie de la maison. Madeleine, qui 
les servait, s'adressant à Jésus, Lui dit : « Maître, 
n’oubliez pas de faire la Pâque avec nous, ne rejetez 
peint la prière que je vous adresse. • Mais comme 
Jésus, au lieu de se rendre à ses vœux, déclara qu’il 
irait faire la Pâque à Jérusalem, Madeleine, désolée 
et tout en pleurs, se retire, va trouver Marie, lui 
raconte ce qui vient de se passer, et la conjure de 
retenir son Fils à Béthanie le jour où l’on devait 
faire la Pâque. Or, après le souper, Notre-Seigneur 
va trouver sa Mère, s’assied et s’entretient avec elle 
à l’éc.art, la faisant jouir abondamment desdoueeun 
de sa présence dont elle allait bientôt être privée. 

Maintenant cousidérez-les avec attention assis l’un 
près de i’aulre; voyez quel respectueux accueil 
Marie fait à son Fils, quelle tendre affection la retient 
près de lui, et, eu môme temps, observez quel res¬ 
pect Jésus montre pour elle. Pendant un si doux en¬ 
tretien, Madeleine vient les trouver et, s’étant assise 


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V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. LXXII. tft 

à leurs pieds, elle dit à Marie : « J'avais engagé note» 
" Maître à faire ici la Pâque avec nous, mais il paraît 
qu'il veut aller la célébrer à Jérusalem, au risque de 
s'y. faire prendre- par ses ennemis ; de grâce, ne le 
souffrez pas. » Marie dit alors à Jésus : « Ne risquez 
pas, mon Fils, une telle démarche, je vous prie ; 
faites plutôt ici la Pâque avec nous; car vous savez 
quels pièges vos ennemis ont tendus pour vous 
prendre. » « Ma très-chère Mère, dit Jésus, la vo¬ 
lonté de mon Père est que je fasse; la Pâque à Jéru¬ 
salem, car le moment est venu où je dois racheter 
le monde ; bientôt va s’accomplir tout ce qui a été 
dit à mon sujet dans les Ecritures, bientôt mes en¬ 
nemis feront de moi tout ce qu'ils voudront. » 
La Mère de Jésus et Madeleine ne purent entendre 
ces paroles sans une extrême douleur, pajrce qu’elles 
virent bien que Notre^Seigneur parlait ici de sa 
mort. Marie, qui pouvait à peine prononcer quelques 
mots, dit alors : « Mon Fils, ce que je viens d’enten¬ 
dre a porté le trouble dans mon cœur, et je le sens 
défaillir. Je ne sais que dire ; que votre Père vous 
protège; je ne veux point m’opposer à sa volonté, 
mais priez-le de différer, s’il lui plait, l’accomplisse¬ 
ment de ses desseins, et de vous laisser faire ici la 
Pâque avec tous vos amis, 11 peut assurément opé¬ 
rer le salut des hommes par un autre moyen que 
par votre mort ; car Tien ne lui est impossible. * 

Oh! si, pendant cet entretien, vous pouviez voir 
les larmes abondantes qui coulent avec tant de mo¬ 
destie des yeux de Marie, et les torrents de pleurs que, 
dans l'excès d’amour dont elle est comme enivrée 
pour son divin Maître, Madeleine unit aux sanglots 


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364 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

les plus lamentables, certes, vous ne pourriez vous- 
méme8 vous défendre de pleurer avec elles ! Con¬ 
sidérez dans quelle situation elles se trouvaient pen¬ 
dant ces explications. Enfin Jésus dit avec douceur 
pour les consoler : « Ne pleurez point, car vous sa¬ 
vez que je dois l'obéissance à mon Père; mais croyez 
fermement que vous me reverrez bientôt et que, 
délivré de tous les maux, je ressusciterai lé troisième 
jour. J'irai donc, selon la volonté de mon Père, faire 
la Pâque sur la montagne de Sion. » Madeleine dit 
alors : « Puisque nous ne pouvons l'empécher de 
partir, allons aussi à Jérusalem dans la maison que 
nous y possédons. Mais je ne crois pas que nous y 
ayons jamais fait la Pâque avec tant d'amertume. » 
Jésus permit qu'elles allassent faire la Pâque dans 
cette maison. 


CHAPITRE LXXIÏI. 

De la Cène de Noire-Seigneur ; puis de la table et de la ma¬ 
nière dont il s’y mit avec ses disciples. — De cinq exem¬ 
ples de vertus donnés par Jésus-Christ dans la Cène, et 
de cinq choses à méditer dans le discours que Notre-Sei- 
gneur fit après la Cène. 

Les jours de la clémence et de la miséricorde de 
Notre-Seigneur Jésus-Cbrist étant proches, le mo¬ 
ment étant enfin venu où il avait résolu de sauver 


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V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. LXXIII. 365 

son peuple et de le racheter, (l) « non avec un or et 
un argent corruptibles, mais au prix de son sang 
précieux, » il voulut, avant que la mort le séparât 
de ses disciples, faire avec eux une grande Cône pour 
leur laisser un signe commémoratif de cette mort, 
et aussi, pour achever les mystères qui lui restaient 
'à accomplir. Cette Cène fut d’une extrême magnifi¬ 
cence, et ce que Jésus y fit est digne de votre admi¬ 
ration. Contemplez, avec une extrême attention, 
toutes ces choses comme si elles se passaient sous 
vos yeux ; car, si vous assistez dignement et avec 
soin à ce festin, Notre Seigneur, dont la bonté est 
infioie, ne souffrira pas que vous en sortiez à jeun. 
Or, dans la Cène, vous avez particulièrement à mé¬ 
diter quatre choses extrêmement remarquables. La 
première, le souper et toutes les circonstances ma¬ 
térielles qui s’y rapportent; la seconde, le lavement 
des pieds des disciples opéré par Notre-Seigneur; 
la troisième, l’institution du Sacrement de son corps; 
la quatrième, enfin, l’admirable sermon qu’il fit en 
cette circonstance. Nous allons successivement les 
examiner. 

Quant à la première, considérez que (2) Pierre et 
Jean allèrent, conformément à l’ordre que Notre-Sei- 
gneur leur en avait donné, sur la montagne de Sion, 
préparer la Pâque dans la maison de l’un de ses amis 
où se trouvait une salle grande et bien ornée. Voyez 
aussi comment Notre-Seigneur, accompagné des au¬ 
tres disciples, entra dans la ville le jeudi vers la fin 
du jour et se rendit au lieu indiqué. Observez ensuite 

(f) I. Petr. i. — (2) Matth. 26. 


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866 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

Jésus retiré dans un Heu écarté de la maison et adres¬ 
sant des paroles édifiantes à ses disciples, pendant 
que quelques-uns des soixante-douze préparaient la 
Pâque dans le Cénacle. Car on lit dans une légende 
de saint Martial que ee saint, avec quelques-uns des 
soixante-douze, aidait Notre-Seigneur pendant que 
le soir de ce même jour il lavait les pieds à ses dis- 
ciples. Lors donc que tout fut préparé dans le Céna¬ 
cle, saint Jean, le disciple bien-aimé, qui, dans sa 
sollicitude, ne cessait d’aller et de \enir, soit pour 
présider, soit pour aider à cette préparation, vint 
dire à Jésus : « Seigneur, tout est prêt ; mainte¬ 
nant vous pouvez vous mettre à table quand il vou6 
plaira. » 

Examinez à présent avec soin et avec une sérieuse 
attention toutes les actions et toutes les paroles de 
Notre-Seigneur, parce qu’elles sont fort touchantes ; 
au lieu de les abréger, comme les autres faits de sa 
vie, vous devez plutôt ici les étendre et les dévelop¬ 
per; car c’est d'un tel examen que dépend toute 
l’efficacité des méditations que voua pouvez faire sur 
sa personne, et surtout sur cet amour qui lui fit 
opérer dans la Cène des prodiges si étonnants JSotre- 
Seigneur se leva donc ainsi que ses disciples. Mais 
saint Jean se tint auprès de lui, peur ne plus s’en 
séparer dans la suite; car personne ne lui fut plus 
fidèlement* plus tendrement attaché que saint Jean. 
En effet, lorsque Jésus fut arrêté, saint Jean entra 
avec lui dans la maison du prince des prêtres et ne 
le quitta plus, ni pendant qu'on le crucifiait, ni à sa 
mort, ni après sa mort, jusqu’au moment de sa sé¬ 
pulture. Mais dans la Cène* il s’assit tout près de lui, 


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967 


V e PARTIE. — JEUDI, CHAP. LXXIIÎ. 

quoiqu’il fût le plus jeune de tous les disciples. 
Alors tous entrent dans le Cénacle, se lavent les 
mains , et font, avec beaucoup de piété, la bé¬ 
nédiction de la table autour de laquelle ils se sont 
rangés. 

Observez bien tout ce qui va suivre. Or, vous n’i¬ 
gnorez pas que la table était posée à terre et qu’à la 
maniéré des anciens, tous s’assirent à terre peur 
manger. Cette table, ainsi qu’on le croit, était carrée 
et composée de plusieurs planches; je l’ai vue à 
Rome, dans l’Eglise de Latran, et j’en ai même me¬ 
suré les dimensions. La longueur de chaque côté est 
de deux bras et trois doigts, ou une palme environ; 
de sorte que, suivant l’opinion générale, trois disciples 
pouvaient s’asseoir un peu à l’étroit de chaque côté ; 
Notre-Seigneur s’était placé humblement à l’un des 
coins, et ainsi tout le monde pouvait manger au 
môme plat; cela fit que, quand Jésus dit : Celui qui 
met la main au plat avec moi me trahira , ses disciples ne 
comprirent pas ces paroles, parce que tous portaient 
la main au plat. Après que le divin Maître eut étendu 
la main pour bénir aussi la table, tous s’asseyent à 
l’entour, et saint Jean se place à côté de Notre-Sei- 
gneur. On apporte alors l'agneau pascal. 

Mais remarquez que la méditation peut se faire ici 
de deux manières. La première, est de se représenter 
les disciples assis comme je viens de le dire ; la se¬ 
conde, debout, un bâton à la main et mangeant l’a¬ 
gneau avec des laitues sauvages, pour observer ce 
que prescrit la loi; mais il faudra ensuite les consi¬ 
dérer assis, prenant quelque nourriture, ainsi qu’on 
peut le conclure de plusieurs passages du tete, puis- 


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368 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. . 

que saint Jean, s’il n’eût été assis, n’aurait pu se re¬ 
poser sur le sein de Jésus. Ou apporte donc l’agneau 
tout rûti, et Jésus, le véritable Agneau immaculé, 
placé au centre de la table comme celui qui y pré¬ 
side, le prend, le coupe en morceaux, et, plein de 
joie, le présente à ses disciples en les excitant à en 
manger; ils en mangent, mais ils ne peuvent se livrer 
à la joie,.parce qu’ils craignent quelque nouvel atten¬ 
tat contre leur divin Maître. Pendant le souper, Jésus 
découvrit plus clairement ce qui devait lui arriver, 
et dit entre autres choses ; (1) J'ai désiré avec ardeur 
de faire avec vous cette Pâque , avant que de souffrir ; 
mais l'un d'entre vous doit me trahir. Cette parole pé¬ 
nétra dans leurs cœurs comme le glaive le plus tran¬ 
chant; ils ne purent continuer de manger, se regar¬ 
dèrent l'un l’autre et dirent à Jésus: Est-ce moi , 
Seigneur? 

Considérez-les bien à ce moment, et ne refusez 
votre compassion, ni à eux, ni à Notre-Seigneur; car 
ils sont tous accablés de tristesse. Quant au traître 
Judas, pour ne pas laisser croire que ces paroles le 
regardent, il n’interrompt point son repas. Mais saint 
Jean, sur les instances de saint Pierre, s'adressant à 
Jésus, lui dit : (2) Maître , quel est donc celui qui vous 
trahira? Et Notre-Seigneur le lui fit connaître fami¬ 
lièrement, parce qu’il avait pour lui une amitié toute 
particulière. Alors saint Jean, dans l’étonnement et la 
douleur où cette confidence l’avait jeté, se tourna 
vers lui et se coucha sur son sein. Mais Jésus ne di t 
pas à saint Pierre quel était le traître, parce que, 


(I) Lue. St. - (S) Joftn. «8. 


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• V® PARTIE. — JEUDI, CHAP. LXXIII. 369 

comme l’observe saint Aùgustin, « (l) si Pierre l’eût 
connu, il l’eût indubitablement mis en pièces. » 

Saint Augustin, dans la même homélie sur l’Evan- 
gile qu’on lit à la fêle de saint Jean, observe que 
saint Pierre est l’image de la vie active, comme saint 
Jean est la figure de la vie contemplative. D’où vous 
devez conclure que ceux qui se livrent à la contem¬ 
plation ne s’immiscent jamais ni de juger les actes 
purement intérieurs, ni même de demander la puni¬ 
tion des offenses faites à Notre-Seigneur ; mais qu’ils 
se bornent à gémir intérieurement, qu’ils s’adres¬ 
sent à Dieu par de ferventes prières, ,et qu'après 
s’être plus fortement rapprochés de Dieu par la con¬ 
templation et s’y être attachés plus' étroitement, ils 
abandonnent tout à la disposition de sa providence.' 
Car, ainsi que je l’ai amplement expliqué ci-dessus 
en parlant de la contemplation, le zèle de Dieu et le 
salut dhi prochain obligent quelquefois les âmes con¬ 
templatives à se répandre au dehors. Vous pouvez 
aussi remarquer ici que saint* Jean ne dit rien à 
Pierre de ce qu’il vient d’apprendre, quoique ce fût 
sur sa demande qu’il eût interrogé le Seigneur. Vous 
pouvez inférer de là que ceux qui s'exercent à la vie 
•contemplative ne doivent pas révéler les secrets de 
leur divin Maître. On voit, en effet, que saint Fran¬ 
çois ne faisait connaître les choses que Dieu lui ré¬ 
vélait intérieurement, qu’autant qu’il y était poussé 
par le zèle du salut de ses frères, ou par l’instinct de 
l’inspiration divine. Mais admirez maintenant l’indul¬ 
gente condescendance de Notre-Seigneur qui retient 


(I) August. tract. 424 iuJoan., tom. 9. 


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24 



370 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

avec tant de bonté son bien-aimé disciple sur son 
cœur. Qhl que l’amour qui les unissait Punà l’autre 
était tendre ! Observez aussi les autres disciples après 
qu’ils ont entendu ces paroles de leur divin Maître : 
Un d'entre vous me trahira ; ils «ont profondément 
affligés, ils ne peuvent plus manger, ils se regardent 
l’un l’autre et ne savent quel parti prendre. En voilà 
assez sur le premier article. 

Mais le second n’est pas moins digne de toute votre 
attention. Car, après tous ces préliminaires, (i) Notre- 
Seigneur se lève de table, et il est à l’instant suivi 
par ses disciples, qui ne savent où il veut , aller. Or, 
Jésus descendit avec eux dans une pièce inférieure de 
la même maison ainsi que le rapportent ceux qui ont 
% visité les lieux; là il les fait tous asseoir, se fait 
apporter de l’eau, se dépouille de ses vêtements 
d'honneur, se ceint lui-même d’un linge et verse de 
l’eau dans un bassin de pierre pour leur Inver les 
pieds. Pierre n’y veut pas consentir, et, tout stupé¬ 
fait de l’abaissement de son divin Maître, se refuse à 
une action qui lui parait si indigne d’une telle Ma¬ 
jesté. Mais, dès qu’il eut entendu la menace de Jésus- 
Christ, il prit sagement un meilleur parti. 

Observez bien ici chaque action en particulier, et 
contemplez avec admiration tout ce qui se passe. Le 
Dieu de Mqjesié, le Maître de l’humilité s’abaisse jus¬ 
qu’aux pieds de pauvres pécheurs, se tient tout 
courbé et agenouillé devant eux pendant qu’ils sont 
-assis, lave de ses mains, essuie et baise les pieds de 
chacun d’eux. fit, ce qui met le comble à son humi- 


(I) Joan. 13 . 


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V e PAUTOS. — IfeUDl, CH AP. LKXIiL. 37:1 

Lité, c’est qu’iLne refuse .pas de rendre un tel service 
au traître lui-même, Mans, ô cœur abominable î n-es- 
tu pas plus.dur que Jes rochers, puisqu?une telle hu¬ 
milité ne ♦peuU’amathr, puisque tu crains si peu le 
Dieu de toute Majesté, puisque tu conspires la perle 
de Gelai qui n’a,cessé de te combler de bienfaits, de 
Celui qui est l’innocence même? Air! malheur à toi 
misérable Apôtre I car tu t’endurciras encore, et le 
crime qnetti as conçu, lu l'enfanteras; ce n’est point 
la parle de Jésus# c’est ,ia tienne que tu vas consom¬ 
mer. Qu’il est donc juste d’admirer une si profonde 
humilUé, iune bonté si excessive, etc. ! Après ie la¬ 
vement des pieds, Jésus retourne au Cén<acle, et, 
s’étant remis à table* il engage ses disciples à l’imiter. 

Dr, vous pouvez remarquer que, dans cette «urée, 
Jésus-Christ nous a donné l’exemple de ciuq grandes 
vertus. Premièrement, exemple d’humilité dans le 
lavement des pieds dont nous venons de parler. Se¬ 
condement, exemple de charité dans l’institution du 
Sacrement de son corps et de son sang, ainsi que 
dans le Sermon après la Cène qu’il a rempli d'avte si 
chantables. Troisièmement, exemple de patience, en 
srçpportanUa vue du disciple qui le trahissait et tous 
les outrages dont on l’accabla lorsqu’il fut arrêté et 
conduit comme un voleur. Quatrièmement, exemple 
d’obéissance, en acceptant sa passion et sa mort par 
soumission à la volonté de son Père. Cinquièmement, 
exemple de prière par sa triple oraison au Jardin des 
Olivier?* Efforçons-nous donc de l’imiter dans toutes 
ces vertus. Voilé ce que j ’ai à dire sur le.secoad article. 

En méditant le troisième, soyez saisie d’élonnement 
à la vue de la condescendance charitable et de la 


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372 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

charité condescendante avec lesquelles il se livre à 
nous tout entier et nous laisse son corps en nourri¬ 
ture. Lors donc qu'après avoir lavé les pieds de ses 
disciples, il se fut remis à table, voulant mettre fin 
aux coutumes, aux sacrifices de l’ancienne loi et 
commencer un nouveau testament, il fait, de sa per¬ 
sonne sacrée, la victime du nouveau sacrifice; il 
prend le pain, lève les yeux vers son Père, if insti¬ 
tue l’auguste Sacrement de son corps et le donne à 
ses disciples en disant : (1) Ceci est mon corps qui sera 
livré pour vous . Puis, ayant pris de même le calice, 
il dit : Ceci est mon sang qui sera répandu pour vous . 
Observez maintenant, au nom de Dieu, avec quel 
soin, quelle attention et quelle piété il fait toutes ees 
choses et communie de ses propres mains ces heu¬ 
reux disciples qu’il traite comme des enfants bien- 
aimés ; et, pour perpétuer le souvenir de son amour, 
ajoute enfin : Faites ceci en mémoire de moi . Or, tou¬ 
tes les fois qu’une âme reconnaissante s’unit à Jé¬ 
sus-Christ, soit par la communion, soit par une fer¬ 
vente méditation, voilà le souvenir qui devrait l’en¬ 
flammer, l’enivrer et la remplir d’.un tel excès de 
charité et de dévotion qu’elle se transformât entiè¬ 
rement en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car il ne 
pouvait nous laisser rien de plus grand, de plus cher, 
de plus doux et de plus précieux que lui-même. 
En effet, ce que nous recevons dans le Sacrement, 
c’est Celui qui, dans sa merveilleuse Incarnation, 
étant né d’une Vierge, est mort pour nous, et, depuis 
sa Résurrection et sa glorieuse Ascension, est assis à 


(L MatUi. m. 


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V« PARUE. — JEUDI, GHAP. LXXIII. 373 

ia droite de Dieu; c’est Celui qui créa le ciel, la terre 
et tout ce qu’ils contiennent, qui les gouverne et 
les conduit ; c’est Celui de qui dépend votre salut, 
' qui peut, suivant son bon plaisir, vous donner ou 
vous refuser la gloire du Paradis ; c’est Celui-là même 
qui s’olfre et se présente à vous sous de si faibles es¬ 
pèces; en un mot, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ; 
car s’est le Fils du Dieu vivant. Je n’en dis pas plus 
sur ce troisième article. 

Mais dans le quatrième, où Jésus-Christ met le 
comble à toutes ses bontés pour nous, vous allez voir 
d’autres marques éclatantes de sa charité. Car il pro¬ 
nonce (1) un discours admirable, plein de douceur et 
tout brûlant des flammes de la charité. En ellèt, après 
avoir communié tous ses disciples et même l’infâme 
Judas, (2) selon ce que dit saint Augustin, quoique 
d’autres assurent qu’il n’a point été du nombre des 
communiants, Notre-Seigneur dit à Judas : (3) Faites 
vite ce que vous avez à faire. Après quoi ce misérable, 
étant sorti, alla trouver les princes des prêtres, aux¬ 
quels il avait la veille vendu son Maître pour trente 
deniers, et leur demanda une cohorte pour le pren¬ 
dre. 

Or, ce fut pendant l’absence de Judas que Notre-Sei¬ 
gneur fit à ses disciples le discours dont il s'agit. En¬ 
tre toutes les choses intéressantes et dignes de véné¬ 
ration renfermées dans ce long discours, je m’arrête 
particulièrement à cinq que je vous engage à médi¬ 
ter profondément. Observez d’abord comment, an¬ 
nonçant à ses disciples qu’il va bientôt les quitter, il 

. .(4) Joan. 43. — (#) Aaff. Enar. in psalm. 40. — (3) Joan. 43. 


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Z74 MÉDITATIONS SUR LÀ VIE DE N*-». J.-C. 

tes console et les encourage. Car il leur disait : (1) 
Je ne suis plus avec vous que'pour quelque temps, mais 
je ne vous laisserai pas orphelins, (2) Je m'en vais, mm* 
je reviens à vous, je vous reverrai de nouveau et votre 
cœwr sera rempli d'allégresse. Ces paroles et d’auorer 
semblables que j’abrège, perçaient et pénétraient 
leurs cœurs. Car ils ne pouvaient supporter la pensée 
d étre séparés de leur divin Maître. En second liew y 
remarquez, dans ce discours, avee quelle effusion de 
cœur Jésus parie à ses disciples der la charité, comme 
il insiste sur la pratique de cette vertu, en disant: 
(8) Mon précepte, c'est que vom vous aimiez le* un* le* 
autres. On connaîtra que vom êtes mes disciples à la cha¬ 
nté que vous aurez les uns pour les autres^e t autres avis 
du même genre que vous pourrez trouver abondam¬ 
ment dans^Evangile. Troisièmement, considérez en¬ 
core comment, dans ce discours, il leur recommande 
d’observer ses précèptes, en disant : (4) Si vous m’ai¬ 
mez, gardez mes commandements. (&)Si wn*s observez ntt* 
préceptes, vous demeurerez dans mm amour ; et autres 
choses semblables. En quatrième lieu, faites atiea-' 
tion qu’en ce discours il les rassure contre les dan¬ 
gers des tribulations dont il leur annonce qu’ils se¬ 
ront bientôt assaillis, en leur disant : (6) Vous serez 
affligés dans ce monde, mais ayez confiance, j'ai 
vaincu le monde; et encore : (7) Si le monde vom 
hait, sachez qu'il m'a haï le premier. (8) Le monde 
sera dans la joie, et vous* serez dans la tristesse, mme 
votre tristesse sera changée en joie . Cinquièmement, 
observez comment, au milieu de ce discours, No¬ 
te Jotnn.'U. — (2) Joan. 16. — (3) Joan. 44. — (4) Joan. U. 
—' ( 5 ) ». — (f) im». 4f. — (7) Jou. 45. — (•) Jm. 4*. 


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375 


V« PARTIE. — JEUDI, CHAR. LXXÏIÏ. 

Ire-Seigneur, élevant ses yeux au ciel, s’adresse à 
son Père et Jui dit i (!) MonPère, conservez ceux que 
vom mîmes, donnés. Je les ai gardés , tant que fai été 
avec eux; maintenant je retourne à vous. Père saint, je 
vous prie pour eux et non pour le monde ; je ne prie 
pas seulement pour eux , mais pour tous ceux qui doi¬ 
vent croire en moi , par leur ministère . Mon Père , je 
veux que là où je suis , ceux que vous m'avez donnée 
y soient avec moi , afin qu'ils contemplent ma gloire; et 
autres semblables discours bien capables de leur dé* 
ctoirer le cœur. On a vraiment peine à comprendre 
comment* le» disciples, qui avaient tant d*amour 
pour leur divin Maître, purent entendre de telles pa¬ 
roles. 

En effet, si von» examinez attentivement ce que 
renferme ce discours, si vous l'approfondissez dan» 
une sérieuse méditation et si vous en savoures en 
paix toute la douceur, votre cœur sera certainement 
tout brûlant d’amour en contemplant tant de condes¬ 
cendance, de boBté, de prévoyauce, d’indulgence, de 
charité et toutes les autres merveilles qui se sont 
passées dans cette soirée. Regardez Jésus pendant 
ce discours; remarquez avec quelle force, quelle 
douceur, quel charme é'expres6ion il imprime tout 
ee qu’il dit dans l’âme de ses disciples et repaît tout 
à la foi» leurs yeux du honheur do le voir, et leur» 
oreilles de celui de l’entendr»; 

Considérez ensuite les disciples, tristes, la tête 
baissée; ils pleurent, poussent de profonds soupirs, 
sont remplis d’une extrême affliction à laquelle Jé- 


(I) Joan. 47. 


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376 MÉDITATIONS SUN LA VIE DE N.-S. J.-C. 

sus, la Vérité même, rendait témoignage par cesja- 
roles : (1) Parce que je vous ai dit ces choses , votre 
cœur est rempli de tristesse, Observez entr’autres saint 
Jean. Il se presse plus affectueusement contre le 
cœur de Jésus; il arrête, sur celui qu’il aime, des re¬ 
gards inquiets et attentifs et recueille toutes ses pa¬ 
roles avec une tendre anxiété. Aussi n’y a-t-il que lui 
qui les ait écrites et nous les ait fidèlement transmises. 
Notre-Seigneur dit entre autres choses à ses disci¬ 
ples : (2) Levez-vous , sortons d'ici. Oh ! de quelle frayeur 
ne furent-ils pas alors remplis! ils ne savaient ni 
en quel lieu, ni comment ils devaient se retirer, ils 
redoutaient extrêmement de se séparer de lui. Jésus 
continua de leur parler encore pendant qu’ils se ren¬ 
daient ensemble en un autre lieu où il acheva son 
discours. 

Observez maintenant ses disciples. Les uns le sui¬ 
vent, les autres l’accompagnent, chacun s’efforce de 
s’approcher de lui autant qu’il le peut; ils se rassem¬ 
blent autour de leur Maître comme des poussins au¬ 
tour de la poule. Jésus est pressé tantôt par Tun, 
•tantôt par l’autre, à cause du désir qu’ils ont tous 
de s’approcher de lui et d’entendre ses paroles; et 
Jésus les supporte avec bonté. Enfin tous ces mys¬ 
tères étant accomplis, il alla avec eux, au delà du 
torrent de Gédron, dans un jardin, pour y attendre le 
traître Judas avec ses satellites. 


(I) Jean, 16. — (2) Marc. 14. 


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VI® PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXIV. 377 


SIXIÈME PARTIE. 

(VENDBBDI.) 


CHAPITRE LXXIV. 

Méditations sur la Passion de Notre Seigneur en général. 

Nous allons maintenant approfondir la Passion de 
Notre-Seigneur Jésus-Christ. Si Ton veut donc se glo¬ 
rifier dans la Passion et dans la Croix de Notre-Sei- 
gneur, il faut, par une soigneuse et persévérante 
méditation, s’appliquer à ce mystère, dont les profon¬ 
deurs et les circonstances, examinées avec tout le 
recueillement de l’esprit, sont indubitablement ca¬ 
pables de nous renouveler entièrement. En effet, ce¬ 
lui qui les examinerait avec une sérieuse attention 
ét du fond du cœur verrait s’opérer dans* ses affec¬ 
tions des changements inespérés qui produiraient 
bientôt en lui une plus vive compassion, un plus ar¬ 
dent amour, de plus douces consolations, et par con¬ 
séquent, une espèce de renouvellement que l’on 
pourrait regarder comme un présage et un avant- 
goût de la gloire éternelle. Pour moi qui ne suis 
qu’un ignorant et qui ne sais que balbutier sur un 
pareil sujet, il me semblerait que, pour parvenir à ce, 
renouvellement, il faudrait, détournant ses regards 


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37D MÉDITATIONS SUR LA VÎE DF N.-S. J.-C. 

de toutes les choses de la terre et tenant les yeux 
éclairés du cœur sans cesse ouverts sur ce mystère, 
appliquer à sa considération toute la pénétration de 
son esprit et considérer tout ce qui regarde la Croix, 
la Passion et la mort de Jésus-Christ avec autant d’in¬ 
térêt, d’attention, d’amour et de persévérance que si 
nous étions réellement présents à ce spectacle. Si 
donc vous avez fait une sérieuse attention à tout ce 
que nous avons précédemment dit sur la vie de Notre- 
Seigneur, je voua engage à appliquer ici, avec encore 
plus de soin, tout votre esprit et toutes vos facultés, 
parce que c’est surtout dans sa Passion qu’éclate cette 
charité qui devrait entièrement enflammer notre 
coeur. Je me. propose donc de mettre sous vos yeux 
toutes les circonstances de la Passion, en les modifiant 
comme je. l’ai déjà, fait, de manière que vous pourrez* 
les méditer telles que je vais vous les raconter. Car, 
dans cet opuscule, je ne donnerai pour certain que 
ce qui est garanti par la sainte Ecriture, justifié par. 
le témoignage des saints, ou du moins par des opi¬ 
nions généralement approuvées. 

Or on a, selon moi, hien raison de dire que la peine, 
de mort infligée à Notre-Seigueur sur la Croix et en 
même temps tous les tourments qui l’ont précédée 
sont bieu propres à exciter en nous les plus vifs sent 
timents de compassion, d’ameitume et de stupeur. 
Comment, en effet, rester froid et indifférent en 
pensant que Notre-Seigueur, que le Dieu béni au- 
dessus de toutes choses eut, depuis l’heure de la nuit 
où on l'arrêta jusqu’à la sixième heure du jour sui¬ 
vant, à souffrir de continuelles attaques, d'excessi- 
vea douleurs, des opprobres, des outrages el des 


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VI e PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXÏV. 379 

tourments cruels?' Car on ne lui accorda pas le 
moindre repos; et vous allez voir quel combat, quels 
assauts il eut à soutenir. 

Le doux, l’aimable, le tendre Jésus est arrêté, gar¬ 
rotté ; on s’élève, on fait entendre des clameurs, des 
imputations, des blasphèmes contre lui; l’un lui cra¬ 
che au visage, fàutre le maltraite; un autre lui tend 
des pièges, un quatrième l’interroge; quelques-uns 
subornent de faux témoins contre lui, d’autres ras¬ 
semblent ses ennemis; celui-ci rend contre lui un 
faux témoignage, ceiüi-là se fait son accusateur; on 
se joue de lui, on couvre ses yeux d’un voile, on 
meurtrit son beau visage, on le soufflette; un bour¬ 
reau le conduit à la colonne, un autre le dépouilte d& 
ses vêlements; pendant sa marche, les^uns le frap¬ 
pent, d’autres l’outragent ; l’un se saisit insolemment 
de lui pour le tourmenter, l’autre l’attache à la co¬ 
lonne; ceux-ci se précipitent sur lui, ceux-là le fla¬ 
gellent; il est revêtu de pourpre par dérision, cou¬ 
ronné d’épines; un soldat met entre ses mains un ro¬ 
seau dont un autre s’empare avec fureur, pour en 
frapper sa tête couronnée d’épines, un troisième flé¬ 
chit le genou par moquerie, un quatrième se rit de 
cette génuflexion ; enfin tous les genres d’opprobres 
loi sont prodigués. 11 est conduit et reconduit, mé¬ 
prisé et rejeté; il va, il vient d’un lieu dans un 
autre comme un insensé, le plus stupide de tous lçs 
hommes, et même comme un voleur et un infâme 
malfaiteur ; il comparait tantôt devant Anne, tantôt 
devant Caïphe, tantôt devant Pilate, tantôt devant 
Hérode, une seconde fois devant Pilate qui le "fait 
aller et revenir alternativement de l’intérieur à l’ex- 


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380 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

térieur dé son Palais. Bon Dieu! qu’est-ce que tout 
cela ! 

N’est-ce pas là, ma Fille, à votre avis, un combat 
très-rude, très-insupportable, incessant et excessif? 
Mais attendez un peu et je vous montrerai des assauts 
plus terribles encore ; les princes des prêtres, les pha¬ 
risiens, les anciens et une foule innombrable s’achar¬ 
nent constamment contre lui. Tous n’ont qu’une voix 
pour demander qu’il soit crucifié. On charge sur ses 
épaules brisées et déchirées la Croix où l’on doit 
bientôt l’attacher. Citoyens, étrangers, grands, dé¬ 
bauchés intempérants, tous accourent de toutes 
parts, non pour compatir,. mais pour insulter indi¬ 
gnement à ses maux. Nul ne rend hommage à sa 
personne sacrée, mais tous le souillent, le couvrent 
brutalement de boue et d'ordures; et pendant qu’il 
supporte cette ignominie, il réalise ce texte pro¬ 
phétique : (l) Ceux qui étaient assis à la porte décla¬ 
maient contre lui; et les hommes déplaisirs Vinsultaient 
le verre à la main dans des chansons bachiques. On le 
pousse, on le tourmente, on le traîne, on précipite sa 
marche, et, après l’avoir ainsi maltraité, harassé, 
tout à fait accablé et rassasié d’opprobres jusqu’à 
l’excès, on ne lui laisse aucune paix, aucun repos; à 
peine lui permet-on de respirer jusqu’à ce qu’il soit 
parvenu à la montagne du Calvaire, lieu le plus dé¬ 
goûtant, le plus infect de tous. Ët tout cela se fait 
avec autant de violence que de fureur. Là se termi- 
ment et s’apaisent les violentes attaques dont nous 
venons de parler ; mais cette paix est plus cruelle que 


(4) Pnl. 68. 


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VI e PARTIR. — VENDREDI, CHÀP. LXXIV. 38Î 

la guerre elle-même. On le crucifie, on l’étend sur un 
lit de douleur; voilà le repos qu’on lui accorde. 

Vous voyez donc quel long et terrible combat Jésus 
eut à soutenir jusqu’à la sixième heure du jour. (1) 
Les eaux de la tnbulation ont vraiment inondé son 
âme; (2) une meute nombreuse d'animaux terribles, 
hardis et cruels Vont environné de toute part ; (3) il a 
été assiégé par une foule d'hommes pervers dont les 
mains et les langues , semblables à un glaive à deux 
tranchants, se sont cruellement tournées contre lui. 

11 semblerait que ce que nous venons de dire pour¬ 
rait suffire pour méditer sommairement la Passion 
de Noire-Seigneur dans les trois heures qui précè¬ 
dent Sexte, c’est-à-dire Matines, Prime et Tierce. 
Mais il ne faut pas nous en tenir là. Les douleurs ex¬ 
cessives, les tourments cruels, qu’endura Jésus, ne 
doivent pas être traités si légèrement; ainsi reportez 
vos regards en arrière, et recueillez-vous profondé¬ 
ment; car il reste à vous présenter d’importantes et 
nombreuses considérations qui ne manqueront pas 
de vous toucher et de vous édifier, si, selon notre 
conseil, vous avez soin de vous rendre les circon¬ 
stances <Je la Passion aussi présentes que si elles se 
passaient sous vos yeux. Nous vous les avons fait 
connaître dans une sorte de généralité; mais exaroi- 
nons-les maintenant l’une après l’autre, car nous ne 
devons pas nous lasser de penser à tout ce que Notre- 
Seigneur ne s’est pas lassé de souffrir. 

(I) Psal. 68 . — (2) Psal. 21. — (3) Psal. 36. 


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382 MÉDITATIONS SUR IA VIE DE N.-S. J.-C. 


CHAPITRE LXXV. 

Méditation but la Passion do Jésus-Christ avant matines. 

Reprenez donc ces méditations depuis le coramen- 
cernent de la Passion, et continuez-les, par ordre, 
jusqu’à la fin. Il me semble que je dois me borner 
ici à esquisser légèrement ce sujet ; mais, si cela vous 
convient, vous pourrez vous exercer à le développer 
selon que Notre-Seigneur lui-même vous en fera la 
grâce. Observez donc chaque chose comme si ellesé 
passait sous vos yeux -, et considérez d'abord attenti¬ 
vement Jésus au moment où, sortant de la Cène et 
ayant terminé son discours, il se rend avec ses dis*- 
ciptes au jardin des Oliviers. Enfin entrez-y en même 
temps que lui et remarquez avec quelle affection, 
quelle amitié, quelle familiarité il adresse la parole 
à ses disciples et les invite à prier ; voyez comment, 
après s'être im peu éloigné d’eux à te distance d’un 
jet de pierre, il S’agenouille et adresse à son Père 
une fipmble et respectueuse prière. Arrêtez-vous ici 
quelque temps et repassez pieusement dans votre 
esprit toutes les merveilles du Seigneur votre Dieu. 

Jésus prie donc. Or on a vu précédemment qu^l 
avait souvent ainsi prié ; mais jusque là il avait prié 
pour nous en qualité de médiateur, et maintenant 
c’était pour lui-méme qu’il priait. Laissez-vous péné¬ 
trer tout à la fois de compassion et d’admiration à 


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Vi e PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXV. fflë 

la vue d'une humilité si profonde. Car .bien qu’il soit 
Aieu,.£oéternel et égal en tout à son Père, il semble 
oublier sa divinité, il prie comme s’il n'était qu’un 
homme et se tient prosterné devant.Dieu comme le 
ferait le dernier des mortels. 

Considérez aussi sa parfaite obéissance.* En effet, 
que demande-t-il*? 11 supplie son Père d'éloigner de 
lui l’heure de sa mort, il aimerait à prolonger ses 
jours, si tel était le bon plaisir de son Père, et ce dé¬ 
sir n’est point exaucé parce qu’il est contraire à une 
autre volonté qui était en lui. Car, comme je le dirai 
plus tard, il y avait en Jésus plusieurs volontés. Et 
ce qui doit exciter de nouveau votre compassion, 
c’est que son Père veut absolument qu’il meure, c’est 
qu’il n’a point; épargné son propre Fils, son Fils uni¬ 
que ; mais qu’il l’a livré, pour nous tous, à une si 
horrible mort, (i) Dieu a tant aimé le monde qu’il a 
donné pour lui son Fils unique. Jésus obéit et se sou¬ 
met respectueusement à la volonté de son Père. 

Voyez, en troisième lieu, combien l’ineffable misé¬ 
ricorde que le Père et le Fils ont eue pour nous est 
digne de compassion, d’admiration et de vénération. 
Une telle mort est commandée et soufferte pour uous, 
par un excès de la charité du Père et du Fils. 

Notre-Seigneur Jésus-Christ prie donc longtemps 
en ces termes : (2) « Dieu de clémence, ô mon Père! 
» je vous en conjure, écoutez mon humble prière, 
» ne rejetez pas mes supplications. Daignez m’enten- 
» dre et m’exaucer, car mes tristes pensées font 
» couler mes larmes ; mon esprit est rempli d’inquié- 


(4) Joann. 4. — (St) Patta. 44. 


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384 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» tudes, le trouble a pénétré jusqu’au fond de mon 
» cœar. Prêtez donc l’oreille à ma prière et écoutez 
» ma voix suppliante. Il vous a plu, mon Père, de 
» m’envoyer en ce monde pour réparer Poutrage que 
» l’homme-a fait à votre divine Majesté, et aussitôt 
» que votre volonté m’a été connue, fai dit : Me voici 
» prêt à partir, prêt à faire votre volonté, ainsi qu’il 
» est écrit de moi à la"tête du livre. J’ai enseigné aux 
» hommes la vérité et la voie du salut qui conduisent 
» à vous. J’ai aimé, dès les jours de ma jeunesse, la 
» pauvreté et le travail. J’ai fait votre volonté et j’ai 
» obéi à tous vos commandements. Je suis prêt encore 
» à accomplir ce qui me reste à faire. Cependant, mon 
» Père, s’il est possible, éloignez de moi les maux 
» affreux que mes ennemis me préparent. Car voyez, 
» mon Père, combien d’imputations ils élèvent con- 
> tre moi, de combien d’accusations horribles ils me 
» chargent, pour lesquels ils ont comploté de m’ôter 
» la vie. (1) Père saint, si j’ai fait ce qu’on m’impute, 
» si mes mains sont souillées par l’iniquité, si j’ai 
» rendu le mal pour le mal, que je tombe sans dé- 

• fense devant mes ennemis ; je l’ai mérité. (2) Mais 
» je me suis toujours appliqué à faire ce qui vous est 

agréable. Et cependant ils m ont rendu le mal pour 
» le bien, et la haine pour l’amour; ils ont corrompu 
» l’un de mes disciples, et l’ont mis à leur tête pour 
» me perdre ; trente deniers, voilà le salaire qu’ils 
» lui ont promis et la valeur à laquelle ils m’ont ap- 
» précié. (3) Je vous supplie, ô mon Père, d’éloigner 

* de moi ce calice; néanmoins, si vous en jugez au- 


(O.Pttlm.7. - (2) Pstlm. 108. — (8)Mdttb. 10 et 17. 


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VI e PARTIE. — VENDREDI, CH AP. LXXV. 385 

* trement, que voire volonté soit faite et non la 
» mienne. Mais, mon Père, (1) venez à mon aide, 
» hàtez-vous de me secourir. Je le reconnais, 6 mon 
» tendre Père, ils ignoraient que j’étais votre Fils; 
» mais après avoir vu l’innocence de ma vie et tous 

* les bienfaits que j’ai répandus sur eux, ne de- 
» vraient-ils pas être moins cruels envers moi? Car 
*> vous savez combien de fois, je me suis présenté 

* devant vous, pour vous implorer en leur faveur, 
» pour détourner loin d’eux les traits de votre co- 
» 1ère. (2) Mais hélas! ne me rendent-il pas le mai 
» pour le bien? N’ont-ils pas creusé sous mes pas 
» une fosse pour m’y précipiter? Ne préparent-ils 
« pas pour moi le supplice le plus ignominieux? 
» Vous le voyez, Seigneur; ne m’abandonnez pas, ne 
» vous éloignez pas de moi ; car le moment de la tri- 
» bulation approche et personne ne vient à mon aide. 

Voici mes persécuteurs, c’est en votre présence 
» qu’ils cherchent à m’ôter la vie; mon cœur n’at- 
» tend que des opprobres et des douleurs. » 

Après.cela, Notre-Seigneur Jésus-Christ revient à 
ses disciples, les excite et les encourage à prier. Puis 
il repreud une seconde et une troisième fois son 
oraison, mais en se mettant à trois places différentes, 
éloignées l’une de l’autre de la distance que parcourt 
une pierre, non quand elle est lancée avec toute la 
force du bras, mais quand elle est jetée sans faire un 
grand effort ; distance à peu près équivalente à celle 
qui sépare nos deux couvents, ainsi que je le tiens.de 
i'un de nos frères qui a visité les lieux mômes où se 

(I) Jerem. 48. — (8) Psalm. 88. 

25 


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386 MÊDlfÀTIONS SUR LA VIE DÉ N.-S. J.-C. 

trouvent encore les restes des Eglises qui y furent 
élevées. Revenant donc, ainsi que je l*ai dit, une se¬ 
conde et une troisième fois à son oraison, Jésus répéta 
les mêmes paroles auxquelles il ajouta : « (i) Mon 
» Père, s'il faut absolument subir le supplice de la 
» Croix, si vous l’avez ainsi résolu, que votre vo- 

* lonté s’accomplisse. Mais je vous recommande ma 

* tendre Mère et les disciples que j’ai conservés jus- 
qu’à ce jour. Mon Père, conservez-les désormais. » 

Et, pendant ce combat intérieur qui le réduit à l’ago¬ 
nie, pendant qu’il prolongé sa prière, le sang très- 
sacré de Jésus s’échappe de toutes les parties de 
son corps comme des gouttes de sueur, et coule jus¬ 
qu’à terre. 

Considérez donc Jésus en cet état; voyez dans 
quelles mortelles angoisses son àme est plongée. Mais 
surtout remarquez ici combien, par sa conduite, il 
condamne notre impatience ordinaire; car ce ne 
fut qu’après avoir trois fols prié son Père qu'il en fut 
écouté. 

Pendant que Notre-Seigneur Jésus-Christ, en proie à 
tant d’anxiétés, adresse pour la troisième fois une 
humble prière à sou Père, voici qu’un Ange du Sei¬ 
gneur, saint Michel, le chef de la milice céleste, se 
présente à lui et le fortifie en ces termes : « Jésus, ô 

* mon Dieu, je vous salue. Votre prière et votre sueur 

* de sang ont été offertes par moi à vôtre Père en 
» présence de toute la cour céleste, et tous ensemble, 
» prosternés aux pieds de sa divine Majesté, nous 
» l'avons suppliée d’éloigner de vous ce calice. Vôtre 


(I) Joan, 17. 


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VI e PARTIE. — 'VENDREDI, CHAP. LXXV. 387 

» Père a répondu : Mon bien-aimé Fils Jésus sait que 
» la rédemption du genre humain, objet de tous nos 
» désirs, ne peut s’opérer efficacement que par l’effu- 
» sion de son sang; si donc il veut le salut des âmes, 

» il faut qu’il meure pour elles. Que voulez-vous donc 

• faire? » Notre-Seigneur répondit à l'Ange : « Je 
» veux avant tout le salut des hommes, et j’aime 
» mieux mourir, en sauvant leurs âmes créées par 
» mon Père à son image, que de vivre sans opérer 
» leur rédemption. Ainsi, que la volonté de mon Père 

• s’accomplisse. » L’Ange répondit : « Montrez donc 

• de la fermeté et faites preuve d’intrépidité, car tes 

• actions sublimes conviennent aux âmes élevées, 

» et les grands cœurs savent supporter les grandes 
» afflictions. La peine expiatrice du péché sera courte 
» et passagère, elle sera suivie d’une gloire éternelle. 

» Votre Père a dit qu’il serait toujours avec vous, 

» qu’il conserverait votre Mère et vos disciples, et 
» qu’il vous les rendrait après les avoir préservés de 
» tout péril. » L’humble Jésus reçut, avec autant de 
» respect que d’humilité, ces paroles encourageantes, 
quoiqu’elles lui fussent adressées par t’pne de 6es 
créatures, n’oublfant pas qu’en descendant dans cette 
vallée de misères et de ténèbres, il s’élait abaissé un 
peu au-dessous des Anges. Ainsi, c’est parce qu’il était 
homme qu'il ressentit la tristesse, qu’il salua l’Ange, 
qu’il fut fortifié par ses paroles et qu'il le pria de 1& 
recommander à son Père et à la Cour céleste. 11 quitte 
donc une troisième fois la prière, encore trempé de 
la sueur de sang qu’il vient de répandre. Imaginez 
que vous le voyez s’essuyant le visage, ou peut-être 
même le lavant dans les eaux du torrent; observez 


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388 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

respéctueusement toute son affliction et soyez-en 
profondément touchée, car c’èst l’excès-de sa douleur 
qui l’a mis dans un état si déplorable. 

Les savants et les interprètes assurent que Jésus a 
prié son Père, moins par crainte des souffrances qu’il 
allait endurer que par compassion pour son ancien 
peuple, par compassion pour les Juifs qui, en le li¬ 
vrant à une mort si injuste et si cruelle, allaient con¬ 
sommer leur propre ruine. En effet, Tes Juifs ne de¬ 
vaient pas mettre eux-mêmes à mort Jésus Christ, 
parce que c’était un de leurs frères, parce qu’il n’a¬ 
vait jamais transgressé la loi et qu’il leur avait ob¬ 
tenu les plus grandes grâces, lorsque, s’adressant à 
son Père, il avait prié pour eux en disant : « Je ne 
refuse pas de souffrir pour que la multitude des na¬ 
tions croie en moi. Mais si, pour les éclairer, il faut 
que les Juifs tombent dans l’aveuglement, que votre 
volonté soit faite et non la mienne. » Mais on peut 
remarquer qu’il y eut alors en Jésus-Christ quatre vo¬ 
lontés distinctes, savoir : la volonté charnelle, qui 
refusait entièrement de souffrir ; la volôqté sensuelle, 
qui murmurait et s’alarmait; la volonté raisonnable, 
qui se soumettait et consentait; car il est dit dans 
Isaïe : (1)1/ a été offert en sacrifice, parce qu'il l'a voulu ; 
enlin , il y eut aussi la volonté divine qui dictait la 
sentence et en exigeait impérieusement l’exécution. 
Or, comme Jésus était véritablement homme, il se 
trouvait, en cette qualité, réduit à la plus fâcheuse 
extrémité. Compatissez donc à ses maux du fond du 
cœur; considérez et observez attentivement toutes 


(1) Isal, 53. 


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VI e PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXV. 389 ‘ 

les actions et tous les sentiments de votre Seigneur 
et de votre Dieu. 

Or, il va trouver ses disciples et leur dit : Donnez 
maintenant et livrez-vous au repos . Là-dessus ils s’as¬ 
soupirent quelques instants. Mais le bon pasteur veille 
à la garde de son petit troupeau. Oh ! il est bien vrai 
qu’il les a aimés d’un amour immense, qu’il les a* 
aimés jusqu’à la fin, puisqu’au milieu de sa doulou¬ 
reuse agonie, il prend encore soin de leur repos ! Jésus 
voyait de loin ses ennemis s’avancer avec des armes 
et des flambeaux ; mais ce ne fut que lorsqu’ils étaient 
tout à fait proche de ses disciples qu’il les réveilla en 
leur disant : (1) C'est assez , levez-vous ; celui qui doit 
me trahir n'est pas loin d'ici. Il parlait encore lorsque 
l'infâme Judas, qui l'avait si indignement vendu , se 
présenté et lui donne un kaiser. On assure que Notre- 
Seigneur avait coutume de se laisser embrasser par 
ses disciples, lorsqu’ils revenaient près de lui après 
s’en être éloignés; et voilà pourquoi ce traître, re¬ 
venu près de son Maître, lui donna un baiser qui le 
livrait à ses ennemis en le leur signalant, et qui, étant 
donné avant l’arrivée de ceux-ci, semblait dire à 
Jésus : Je ne fais point partie de cette troupe armée, 
■mais, suivant l’usage, en revenant près de vous, je 
vous embrasse et vous dis : Maître, je vous salue. 

• Observez donc bien ce qui se passe ici ; fixez vos 
regards sur'Notre-Seigneür et voyez avec quelle pa¬ 
tience et quelle bon lé il reçoit les embrassements et 
le baiser du perfide et malheureux Apôtre auquel il 
venait de laver les pièds et de donner une si exeel- 


(4) Matth. 25. 


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390 MÉDITATIONS SUR La VIE DE N.-S. J.-C. 

lente nourriture ; voyez avec quelle patience il se 
la sse prendre, lier, frapper et brutalement conduire 
comme un malfaiteur et un homme tout à fait im¬ 
puissant 4 se défendre; voyez enfin quelle compas¬ 
sion il montre pour ses disciples qui fuient et s'éga¬ 
rent loin de lui. Vous pouvez aussi remarquer l’ex¬ 
trême douleur de ceux-ci qui, ne pouvant retenir 
leurs larmes et leurs soupirs, se retiraient comme des 
orphelins etdes hommes frappés de terreur; remar¬ 
quez encore que leur douleur s’accroît à chaque in¬ 
stant lorsqu’ils voient ces misérables'traiter si indi¬ 
gnement et traîner comme une victime leur divin 
Maître qui, semblable à un doux agneau, les suit sans 
aucune résistance. 

Considérez avec quelle inquiète précipitation Jésus 
est conduit par ces scélérats du torrent de Gédron à 
Jérusalem; il a les mains liées derrière le dos, il est 
sans tunique, ses vêtements sont en désordre, sa tête 
est découverte, et, quoiqu’excédé 4e fatigues, on le 
contraint violemment d’accélérer sa marche. On le 
fait comparaître devant Ajme et Gaïphe, princes des 
prêtres, et devant les autres sénateurs assemblés. 
Ils tressaillent de joie comme le lion qui a saisi sa 
proie; ils l'interrogent, produisent contre lui de faux 
témoins et le condamnent; quelques-uns couvrent 
de crachats sa face très-saccée, mettent sur ses yeux 
un bandeau, le frappent à coups de poing et le souf¬ 
flettent en disant : Prophétise-nous qui est celui qui 
t'a frappé ? On lui prodigue les outrages et sa patience 
est inaltérable. Contemplez Jésus dans chacune de 
ces circonstances et laissez-vous toucher de compas¬ 
sion. 


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Vl a PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXV. 391 

Enfin les principaux sénateurs sortirent pour le 
mettre dans un cachot souterrain qui subsiste encore, 
ou dont on peut du moins retrouver quelques vesti¬ 
ges ; ils l’attachèrent à une colonne de pierre brisée 
en partie dans la suite, mais qui pourtant se distin¬ 
gue encore, comme je l'ai appris de l’un de nos frè¬ 
res, témoin oculaire. Cependant, pour plus de sûreté, 
ils le confièrent à la garde de quelques satellites qui, 
pendant tout le reste de la nuH, le tourmentèrent en 
l’abreuvant de dérisions et d’outrages. Considère® 
donc avec quelle audace ces misérables l’insultent 
en lu; disant : « Tu te croyais donc meilleur et plus 
sage que rob princes? Quelle était ta folie ? Tu ne 
devais pas parler contre eux ; comment as-tu osé le 
faire ? Mais maintenant ta sagesse éclate à tous les 
yeux, puisque te voilà logé où il convient d’être 4 
tes pareils, et que tu ne peux échapper à la mort que 
tu mérites indubitablement. » Et c’est ainsi que, 
pendant toute ia nuit, il fut en butte aux paroles et 
aux actions^outrageantes que tantôt l’un, tantôt l’au¬ 
tre crut pouvoir se permettre contre lui. Or, conce¬ 
vez-vous tout ce qu’ont pu dire et faire ces misé¬ 
rables. Sans égards et sans respect, ils l’accablent 
des plus vils outrages. Maintenant tournez vos re¬ 
gards sut Notre-Seigneur qui, les yeux baissés, tou¬ 
jours modeste et patient, souffre tout en silence 
comme s’il eût été surpris dans quelque faute, et ne 
lui refusez pas une vive compassion. O Seigneur ! en 
quelles main6 êtes-vous tombé ? Que votre patience 
«st grande ! C’est vraiment là l’heure des ténèbres. 

Gefut ainsi que, jusqu’au matin, Jésus demeura 
debout et garrotté à cette colonne. Mais pendant ce 


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392 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

temps, saint Jean va chez Madeleine trouver Marie et 
ses compagnes qui s’y étaient réunies pour faire la 
Pâque, et il leur raconte tout ce qui était arrivé à 
Jésus et à ses disciples. D’inexprimables gémisse¬ 
ments, des lamentations, des clameurs se font enten¬ 
dre alors de toutes parts. Considérez ces saintes fem¬ 
mes, ayez-en compassion, car c’est leur amour pour 
Jésus qui les plonge dans une si grande affliction et 
leur cause une si vive douleur; elles comprennent 
maintenant et sont convaincues que leur Mal ire chéri 
ne peut (( happer à la mort. 

.Enfin, Marie s’écartant un peu, recourut à la priè¬ 
re, et dit : * Mon adorable Père, mon tendre Père, 
» Père des miséricordes, je vous recommande mon 
» Fils bien aimé. Ne soyez pas impitoyable pour lui, 
» puisque vous répandez sur tous les effets de votre 
» bonté : Père éternel, mon Fils Jésus n'a fait aucun 
*mal. Faut-il qu’il périsse ? Père juste, si vous vou- 
» lez la Rédemption de tous les hommes, je vous prie 
» de l’opérer par un autre moyen, car tout vous est 
» possible. Père saint, je vous en conjure, ne livrez 
» pas, s’il vous plaît, mon Fils à la mort, délivrez-le 
» des mains des pécheurs et rendez-le à ma tendresse. 
* Par obéissance et par respect pour vous, il n’oppose 
» aucune résistance à ses ennemis, et s’abandonne à 
» eux, comme un homme faible et impuissant. Dai- 
» gnez donc, Seigneur, venir à son secours. » 

. Ce fut ainsi, ou à peu près en ces termes, que, 
dans fa profonde douleur de son âme, Marie adressait 
à Dieu des prières accompagnées des plus ardents 
désirs et des plus vives instances. En la voyant si 
affligée, ne lui refusez pas votre compassion. 


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VI a PARTIE. — VENDREDI, CHAP- LXXVI. 393 


CHAPITRE LXXVI. ♦ 

Méditation sur la Passion de Jésus-Christ à l'heure 
de Prime. 

Dans la matinée, les princes des prêtres et les an- * 
ciens du peuple revinrent à Jésus et lui firent lier les 
mains derrière le dos, en lui disant : « Viens avec 
nous, brigand, viens écouter ta sentence ; on va met¬ 
tre un terme à tes crimes, on va voir de quoi tu es 
capable. » Puis ils le conduisirent à Pilate, et Jésus les 
suivait comme un criminel, lui qui avait l’innocence 
d’un agneau. Or, sa Mère, saint Jean et les saintes 
femmes, qui étaient partis de grand matin pour le 
trouver, le rencontrèrent à la jonction de deux rou¬ 
tes, et il serait impossible d’exprimer la douleur dont 
ils furent tous remplis, lorsqu'ils virent nue si grande 
multitude le cou.luire avefc tant d’indignité cl d’in¬ 
justice. Dans cette rencontre, la douleur fut exces¬ 
sive de part et d’autre. Car Notre-Seigneur ne put se 
défendre de compatir très-douloureusement à l’afflic¬ 
tion dont ses amis, et surtout sa mère, étaient acca¬ 
blés. Il savait bien, en effet, que c’était à cause de 
lui que leurs âmes étaient remplies d’une douleur 
qui pouvait leur donner la mort. Considérez donc 
tout avec attention, ne négligez aucun détail, car 
tout ici est digne d’une grande et môme d’une ex¬ 
trême compassion. 


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394 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

On conduit Jésus à Pilate, et les saintes femmes 
le suivent de loin parce qu’elles ne peuvent s’en ap¬ 
procher davantage. On porte alors contre lui plu¬ 
sieurs accusations et (1) Pilate l’envoie à Hérode. Hé- 
rode en eut une grande joie, parce qu’il souhaitait de 
lui voir faire quelques prodiges, mais )il n’en put ob¬ 
tenir aucun miracle, pas môme une seule parole. Il 
en conclut donc que c’était un insensé, le fit, par dé¬ 
rision, revêtir d’une robe blanche et le renvoya à Pi¬ 
late. Ainsi, vous le voyez, il passa, aux yeux*de toute 
cette cour, non-seulement pour un jnalfaiteur, mais 
pour un insensé; et Jésus souffrait tout cela avec pa¬ 
tience. Appliquez-vous encore à le considérer ici. 
Pendant qu’on le mène et qu’on le ramène, il mar¬ 
che modestement et les yeux baissés, il entend les cris, 
les insultes, les huées de la multitude, et il reçoit les 
coups de pierres et les souillures infectes des diver¬ 
ses immondices que peut-être on lance contre lui. 
Portez ensuite vos regards sur sa Mère et sur ses 
disciples qui, après s’être arrêtés loin de lui, dans 
l’accablement d’une indicible douleur, se remettent 
en marche à sa suite. Or, ^après l’avoir ramené à Pi¬ 
late, lacanaille qui l’accompagnait, continue à l’ac¬ 
cuser avec une infatigable insolence; mais Pilate, qui 
ne trouvait eu lui aucune cause de condamnation, 
cherchait tous les moyens de le délivrer. Il dit donc 
aux Juifs : Je vais le renvoyer après l'avoir fait châtier . 
Quoi ! Pilate vous osez infliger un châtiment à votre 
souverain Seigneur! Vous ne savez ce què vous fai¬ 
tes, car il ne mérite ni la flagellation ni la mort; 


(4) Luc. as. 


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VI e PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXVI. 395 

vous feriez bien mieux de travailler, comme il le dé¬ 
sire, à vous corriger vous-même! 

Or, Pilate fit cruellement flageller Jésus. On dé¬ 
pouille donc Notre-Seigneur de ses vêtements, ou 
rattache à la colonne, on le flagelle de différentes 
manières. Un jeune homme plein de grâces, de mo¬ 
destie, (i) le plus beau des enfants des hommes est 
exposé à tous les regards dans un état de nudité ; les 
fouets cruels destinés aux plus vils scélérats tombent 
sur la chair la plus innocente et la plus délicate, sur 
le corps le plus pur et le plus parfait. Ce corps mo¬ 
dèle, la gloire de la nature humaine, est couvert de 
meurtrissures et de plaies. Un sang royal coule de 
toutes parts, on ajoute des meurtrissures à des 
meurtrissures, des plaies à des plaies, on les renou¬ 
velle, on les redouble jusqu’à ce que les bourreaux 
et leurs surveillants fatigués, aient reçu l’ordre de 
délier la victime. Mais la colonne à laquelle elle fut 
attachée offre encore des traces de sang, suivant tous 
les récits historiques. Arrêtez-vous longtemps à con¬ 
templer ce spectacle, et s'il ne vous émeut pas, il 
faut que vous ayez un cœur de pierre. Ce fut alors 
que s'accomplirent ces paroles du Prophète Isaïe : 
(2) Nous Vavons vu ; et il était méconnaissable, et nous 
l'avons considéré comme un lépreux , comme un homme 
que Dieu humilie pdtlr ses péchés. 

O Seigneur Jésus! quelles mains téméraires ont osé 
vous dépouiller ainsi 7 Quelles mains plus hardies 
vous ont attaché à la colonne ?Enfln quelles mains 
plus audacieuses encore ont mis le comble au sacri- 


(I) Ps. 44. — (fi) Isal. 53. 


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396 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE'N.-S. J.-C. 

lége en vous infligeant une flagellation si cruelle? 
Mais, ô Soleil de justice, vous vous êtes couvert d'un 
nuage, et par la soustraction de votre lumière, vous 
avez produit les ténèbres et la puissance des ténèbres. 
Tous vos ennemis deviennent plus forts que vous- 
même. C’est votre amour, ce sont nos crimes qui 
vous réduisent à cette impuissance. Maudits soient 
les péchés qui vous ont coûté si cher ! Dès que No- 
tre-Seigneur est détaché de la colonne, on le conduit 
tôut nu, tout déchiré des coups de la flagellation, 
pour chercher dans la maison les vêtements que les 
bourreaux y avaient jetés çà et là. Considérez-le 
dans un tel état d’affliction et tout tremblant, car 
it faisait froid, ainsi que le remarque l’Evangile (IJ. 

Au moment où il allait reprendre ses vêtements, 
quelques-uns des plus impies parmi ses gardes s’y 
opposent, et disent à Pilate : « Seigneur, il s’est fait 
passer pour roi, nous allons lui donner les vêtements 
et la couronne dus à une si haute Majesté. » Et, 
ayant pris un vieil et ignoble manteau de soie rouge, 
ils l’en revêtirent et lui mirent sur la tête une cou¬ 
ronne d’épines. Observez-le donc dafts tous ses mou¬ 
vements et du milieu de ses douleurs, car il fait et 
supporte tout ce qu’on exige de lui. Il se laisse re¬ 
vêtir de pourpre, il porte sur la tête une couronne 
d’épines, il tient à la main u# roseau, et lorsque, 
fléchissant le genou devant lui, on rend hommage à 
sa royauté, il garde le silence et souffre tout sans 
se plaindre. Voyez surtout avec une vive compas¬ 
sion comment, à chaque instant, on frappe avec le 


l<)Joan. 48. 


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Vl° PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXVI. 397 

roseau sa tête toute couverte d’épines : voyez son 
cou douloureusement affaissé sous le poids de ces 
affreuses violences. Car ces cruelles épines péné¬ 
traient profondément dans sa tête et la rendaient 
toute dégouttante de sang. 

O misérables! qu’elle vous paraîtra terrible un 
jour, cette tête du Roi des rois que vous osez main¬ 
tenant maltraiter ! Car ils se moquaient alors de 
Jésus comme d’un homme qui a la prétention et non 

• le pouvoir de régner sur les autres. Or, Jésus sup¬ 
porte tout, quoique la cruauté de ses ennemis soit 
extrême. Car ils ne se contentèrent pas de l’excès 
d’opprobres qu’il reçut lorsqu’ils l’exposèrent aux 
dérisions de la cohorte réunie tout entière autour de 
lui ; mais, après l’avoir ainsi bafoué, ils le firent 
sortir portant la couronne d’épines, revêtu du man¬ 
teau d’écarlate pour le présenter publiquement à 
Pilate et à tout le peuple. Pour Dieu, voyez aussi 
comment Jésus se tient maintenant la tête baisée 

• devant une foule immense qui vocifère et demande 
avec fureur qu’on le crucifie, et qui, se croyant plus 
sage que lui, met le comble à toutes les dérisions 
et à toutes les insultes qui lui ont été prodiguées. 
Voyez combien leur paraît extravagante sa conduite 

' envers les princes des prêtres et les pharisiens qui, 
après lui avoir fait subir un tel traitement, le con¬ 
duisirent à une fin si misérable. Et c’est ainsi que 
Jésus était accablé tout à la fois de tourments, de 
douleurs et d’opprobres. 


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388 MÉDITATIONS SUR LÀ VIE DE N.-S- J.-G. 


CHAPITRE LXXm 

Méditation suc la Passion à l’heure de Tierce. 

Toute ia multitude des Juifs demande doue que 
Jésus soit crucifié,-et Pilate, ce misérable juge, pro- 
, nonce une si injuste condamnation. Ils ne se sou¬ 
viennent ni de ses bienfaits ni de ses miracles, ils ne 
sont pas touchés de son innocence, et les princes 
des prêtres, les anciens, à la vue des tourments 
qu'ils lui ont déjà fait éprouver, loin de désavouer 
leur cruauté, s'applaudissent d’avoir si parfaitement 
accompli leurs mauvais desseins contre lui. Ils se 
' moquent,’il se raillent de celui qui est le Dieu véri¬ 
table et éternel, ils hâtent sa mort avec impatience. 
Qn le fait rentrer, on lui ôte le manteau de pourpre, 
il reste tout nu devant eux, et on lui permet de 
reprendre ses vêtements. 

Arrêtez-vous ici ; considérez attentivement cha¬ 
cune des parties de son corps, et pour exciter en 
vous une compassion plus profonde, pour vous édi¬ 
fier aussi davantage, oubliez sa divinité et ne con¬ 
sidérez que son humanité. Vous verrez un beau 
jeune homme, d'une haute distinction, plein d’inno¬ 
cence et des sentiments les plus affectueux qui, tout 
couvert de plaies, de sang et de meurtrissures, re¬ 
cueille çà et là ses vêtements étendus de tous côtés 
sur la terre, et, sous les yeux de ses ennemis qui le 


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VI® PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXVII. 399 

raillent, s’empresse', en rougissant par pndeur et par 
modestie, de s’en revêtir lui-même, comme s’il était 
le dernier des hommes, abandonné de Dieu, privé 
de tout secours. Observez tout avec soin et .votre 
cœur sera pénétré des sentiments de la plus tendre 
compassion ; car il ramasse tantôt une chose, tantôt 
une autre et s’en couvre devant éüx. Revenez en¬ 
suite à sa divinité et considérez le Dieu éternel, 
immense, incompréhensible, la Majesté suprême 
revêtue de notre chair, se courbant, s'inclinant 
humblement vers la terre pour y ramasser des 
vêtements, et s’en couvrant enfin comme s’il était 
le dernier des hommes, ou plutôt, comme si, acheté 
à prix d’argent parles misérables qui le regardent, 
il était leur esclave, soumis à leur autorité, corrigé 
et châtié paf eux pour quelque faute. Contemplez- 
le encore avec la même attention pour admirer son 
humilité, et, après avoir de nouveau excité votre 
compassion parles mêmes considérations, vous pour¬ 
rez le voir attaché à la colonne où il fut si horri¬ 
blement flagellé. 

Aussitôt qu’il a repris ses vêtements, on le fait 
sortir pour ne pas différer sa mort davantage. Alors 
on charge ses épaules du bois sacré de la croix qtie, 
malgré ' sa longueur, sa grosseur ot son poids, le 
doux Agneaii accepte et porte avec patiencé. ^On 
pense, d’après des récits historiques, que la croix 
de Notre-Seigneur avait quinze pieds de haut. Alérs 
on le coudait, on presse sa marehe, on le rassasie 
d’opprobres, ainsi que nous l’avons déjà dit à l’heure 
de Matines. Or, on fit sortir Jésus accompagné de 
deux voleurs. Voilà la socifeté>qü’ôïr-lktf dohate. O 


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400 MÉDITATIONS SUR LA ME DE N.-S. J.-C. 

bon Jésus, de quel opprobre ou vous couvre ! vos 
ennemis ne se contentent pas de vous assimiler à 
deux voleurs, ils ^veulent vous faire passer pour le 
plus coupable, puisqu’ils vous obligent à porter 
voire croix, ce qu’ils n’exigent point de vos 
deux compagnons. Ainsi non-seulement,comme ledit 
lsaie : (i) Il a été mis au rang des scélérats , mais il a 
passé pour être le plus coupable entre les scélérats. 
Seigneur, votre patience est ineffable. 

Voyez donc ici Jésus, marchant tout courbé et 
tout essoufflé sous le poids de la croix. Compatissez 
le plus qu’il vous sera possible à son sort, en le 
voyant réduit a une telle ex'trémilé et exposé à de 
nouveaux outrages. Comme sa Mère, dont la dou¬ 
leur était extrême, ne pouvait ni s’approcher de lui, 
ni le voir à cause de la foule qui l'en séparait, elle 
prit, avec ses compagnes et avec saint Jean, un che¬ 
min plus court pour s'avancer près de lui en devan¬ 
çant la multitude. Mais lorsque, au delà de la porte 
de la ville, elle le rencontra à la jonction des deux 
routes, en voyant la croix énorme dont il était 
chargé et qu’elle u’avait point d’abord aperçue, elle 
faillit mourir de douleur et resta muette devant son 
Fils qui, de son côté, ne put lui adresser une parole, 
parce qu’il était pressé d’avancer par ceux qui le 
conduisaient pour le crucifier. 

Or* Notre-Seigueur ayant continué sa marche se 
tourna peu apiès vers des femmes qui fondaient en 
larmes, et leur dit : (2) Filles de Jérusalem , ne pleurez 


(I) Irai. W. — (I) Luc. 13. 


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VI 0 PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXVIÎ. 401 

pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes; et le reste 
comme il est dit dans l’Evangile. 

On voit encore à ces deux endroits les restes des 
Eglises qui y ont été élevées pour conserver le sou¬ 
venir de ces deux événements, ainsi que je l’ai appris 
de l'un de nos frères qui a visité les saints lieux, et 
qui m’a dit encore que la montagne du Calvaire, où 
Jésus fut crucifié, était aussi éloignée de la porte de 
la ville que notre couvent l’est de la porte Saint- 
Germain. D’où il faut conclure que Jésus eut à por¬ 
ter longtemps sa croix. Après donc qu’il eut fait 
encore quelques pas, il se sentit si fatigué et si 
accablé que, ne pouvant porter la croix plus loin, il 
fut forcé de déposer ce fardeau. Mais les monstres 
qui l’accompagnaient, ne voulant point* différer sa 
mort de peur que Pilate, qui avait manifesté l’in¬ 
tention de le renvoyer, ne révoquât sa sentence, 
forcèrent un passant de porter la croix de Jésus, 
et, l’en ayant ainsi déchargé, le conduisirent à la 
montagne du Calvaire, garrotté comme un voleur. 

Après tout ce que Jésus avait souffert pendant le 3 
héures de Matines, de Prime et de Tierce, ne vous 
semble-t-il pas que scs douleurs étaient assez cruel¬ 
les, assez excessives sans ajouter le crucifiement à 
ces horreurs monstrueuses ? Certes, il y avait là. 
selon moi, de quoi exciter leur compassion ; que 
dis-je ? de quoi les pénétrer de la plus vive douleur. 
Je crois avoir épuisé maintenant tout ce qu'il y a 
à dire sur les trois heures dont je viens de parler. 
Voyons donc ce qui s’est passé au crucifiement et 
à la mort de Jésus-Christ, c’est-à-dire aux heures de 
Sexle et de None, puis nous nous occuperons de ce 

26 


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402 MÉDITATIONS SUR LA VtE DE N.-S. J.-C. 

qui eut lieu après sa mort ou pendant les heures de 
Vêpres et de Compiles. 


CHAPITRE LXXYIJI. 

Méditation sur la Passion de Jésus-Christ à l’heure 
de Sexte. 

Jésus, toujours conduit par ces scélérats, arriva 
enfin au Calvaire, lieu infect où vous pourrez voir 
d'atroces ouvriers s’occupant de toutes parts à 
d’horribles préparatifs. Or, représentez-vous vive¬ 
ment à l’esprit ces misérables, et considérez avec 
soin leurs dispositions contre votre souverain Maître, 
tout ce qui se dit, tout ce qui se fait, soit par lui, 
soit pour lui. Voyez donc en esprit les uns fixer la 
Croix dans la terre, les autres préparer lés clous et 
les marteaux, ceux-ci apprêter l’échelle et les au¬ 
tres instruments, ceux-là régler tout ce que l'on 
doit faire, d’autres enfin ôter à Jésus ses vêtements. 
Le voilà encore une fois dépouillé, le voilà pour la 
troisième fois exposé aux regards de la multitude ; 
tontes les plaies sont rouvertes par ses vétèments 
collés à la chair. Ce fut alors que, pour la première 
fois, la Mère de Jésus put contempler son Fils que 
l’on préparait comme un esclave ù subir la mort la 
plus cruelle. Elle est profondément affligée et cou¬ 
verte de confusion en le voyant dans une entière 
nudité ; car on ne lui avait pas même laissé les vôte- 


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Y I e PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXVIII. 403 

ments les plus indispensables à la pudeur. Elle se 
hâte donc et s’approche de son Fils, elle le prend 
dans ses bras et lui fait une ceinture du voile qu'elle 
portait silr la tête. Oh ! dans l'amertume dont son 
âme était alors remplie, je ne crois pas qu’elle ait 
pu adresser une seule parole à Jésus. S’il lui eût été 
possible de faire pour lui davantage, elle n’eût cer¬ 
tainement point hésité ; mais elle ne put rendre 
aucun autre service à son Fils ; car à l'instant 
même on l’arrache avec fureur de ses bras pour le 
traîner au pied de la croix. 

Observez ici avec attention de quelle manière Jésus 
fut crucifié. Derrière la croix on place une échelle au 
bras droit, au bras gauche une seconde échelle, sur 
lesquelles montent deux scélérats avec des clous et 
des marteaux. On pose aussi par devant une troisième 
échelle, pour atteindre à la place où les pieds de¬ 
vaient être attachés. Maintenant, observez bien tout ce 
qui va se passer. On oblige Notre-Seigneur à monter, 
à la croix par cette petite échelle, et Jésus sans ré¬ 
sister, sans contredire, fait humblement ce qu’on 
exige de lui. Lors donc que, parvenu au sommet de 
cette échelle, it peutatteindre la croix, il se retourne, 
et le Roi des rois ouvr$ ses bras, étend ses mains 
adorables, les élève et les présente à ses bourreaux. 
Il tourne ses regards vers le ciel et dit à son Père : 

« Me voici, ômon Père, me voici; car vous avez voulu 
que, pour l’amour et le salut du genre humain, je 
fusse humilié jusqu’à la mort de la croix. J'y consens, 
jei’accepte et je m'offre à vous pour ceux que vous 
m’avez donnés et que vous m’avez commandé de 
regarder comme mes frères. Daignez aussi, ô mon 


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404 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N -S. J.-C* 

Père, agréer cette offrande, et, par amour de moi, 
laissez-vous désormais fléchir. Purifiez, délivrez tous 
les hommes de leurs anciennes iniquités, je me sacrifie 
pour eux. » 

Or, l’un des bourreaux qui était derrière, saisit la 
main droite de Jésus, et l’attache fortement à la croix. 
Puis, celui qui était de l’autre côté, s’empare de la 
main gauche, la lire autant qu’il le peut, l’élend, y 
applique un autre clou qu’il frappe et fixe à la croix; 
ils descendent ensuite et mettent h l’écart les trois 
échelles. Notre-Seigneur reste ainsi suspendu; le 
poids de son corps l’entraînant en bas, il ne se soutient 
plus que par les clous ;dont ses mains sont percées. 
Alors accourt un troisième bourreau qui tire violem¬ 
ment Jésus par les pieds, et lorsqu’il est ainsi étendu, 
un quatrième enfonce impitoyablement un énorme 
clou dans ses pieds. 

Toutefois quelques personnes croient que Jésus fut 
crucifié d’une autre manière, et que la croix après 
avoir été élendue sur le sol en fût relevée et fixée en 
terre. Si ce mode de-crucifiement vous intéresse da¬ 
vantage, voyez avec quelle insolence les bourreaux 
saisissent Jésus comme s’il était le dernier des scélé¬ 
rats, le renversent brutalement à terre sur la croix, 
s’emparent de ses bras et, après les y avoir violem¬ 
ment étendus, les y clouent impitoyablement. Remar¬ 
quez qu’on en fit autant de ses pieds qui furent tirés 
aussi fortement que possible. 

Notre-Seigneur est donc crucifié el son corps est sur 
la croix dans une tension si violente que ( 1 ) Von 

(») Psal. 94 . 


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VI e PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXV1II. 405 

pourrait compter tous ses os, comme il s'en plaint 
par la bouche du* prophète. De tous côtés sou sang 
adorable coule en longs ruisseaux des profondes 
plaies dont son corps est couvert. Et tous ses mem¬ 
bres sont dans un tel état de gêne et de contrainte 
qu’il ne peut mouvoir que la tête. Trois clous sup¬ 
portent tout le poids de son corps ; il soutire des dou¬ 
leurs excessives et les maux qu’il endure sont au- 
dessus de tout ce que l’on peut dire ou penser. Il est 
suspendu entre deux voleurs. De toutes parts des 
souffrances, de toutes parts des opprobres, de toutes 
parts des reproches cruels; car on ne les lui épargne 
pas quelque horrible que soit sa situation. On le blas¬ 
phème; les uns disent : (i) Va! toi qui détmis le 
temple de Dieu ! d’autres : Il ne peut se sauver lui- 
même. On lui fait encore d’autres provocations : S'il 
est le Fils de Dieu, qu'il descende de la croix et nous 
croirons en lui. Les soldats qui le crucifièrent firent 
entre eux et sous ses yeux le partage de ses vête¬ 
ments. 

Et tout se fait, tout se dit en présence de sa mère 
désolée dont la vive compassion augmente infiniment 
les tourments de son Fils et réciproquement. Ma;ie 
était attachée avec son Fils à la croix, elle aurait pré¬ 
féré y mourir avec lui plutôt que de lui survivre. Ce 
ne sont partout qu’angoisses et que tourments; il 
était possible de les partager, il est impossible de les 
décrire. Marie se tenait debout entre la croix de Jésus 
et celle du bon larron; ses yeux étaient fixés sur 
son Fils, elle ressentait toutes ses douleurs et adres- 

(I) Matth. 27. 


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406 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

sait à Dieu le Père celte ardente prière : « Dieu éterr 
uel, ô mon Père, vous avez voulu que mon Ris fût 
attaché à la croix, il n’est plus temps de vous le 
redemander. Mais vous voyez à quelles extrémités il 
est maintenant réduit; adoucissez, s’il vous plaît, ses 
tourments, j’ose vous en supplier. O mon Père, jp 
vous recomihande mon Fils. » Jésus de son côté priait 
tacitement son Père pour Marie et lui disait intérieu¬ 
rement : « Mon Père, vous voyez l'affliction de celle 
qui m’a porté dans son sein maternel. C’est moi qui 
dois être crucitié et non pas elle; cependant elle est 
avec moi sur la croix. Je dois mourir sur la croix, 
parce que je me suis chargé des péchés de tout mon 
peuple; mais ma mort doit suffire et ma Mère na 
rien à expier. Vous voyez sa désolation, elle est depuis 
hier accablée de douleur. Je vous supplie, ô mon 
Père, de lut en rendre le poids supportable. >* 
Cependant avec la Mère de Jésus on voyait au pied 
de la croix, saint Jean, Madeleine, la mère de Jacques 
et Marie de Salomé toutes deux sœurs de Marie et 
peut-être aussi d’autres saintes femmes qui, tous en¬ 
semble et spécialement Madeleine, l’amante de Jésus, 
répandaient des larmes abondantes sur la* mort de 
* leur Seigneur et de leur Maître bien-aimé dont rien 
ne pouvait les consoler. Ils pleuraient avec une vive 
compassion sur îésfts, sur Marie, sur eux-mêmes; et 
leur douleur se ranimait avec leur compassion toutes 
Us fois que de nouveaux outrages ou de nouveaux 
tourments étaient ajoutés à ceux qu’éproüvait déjà 
leur divin Maître. 


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VI® PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXIX. 407 


CHAPITRE LXXIX. 

Méditations fcur la Passion de Jésus-Christ à l'heure 
de None. 

Depuis le moment où Jésus-Christ fut suspendu à 
la croix jusqu’à celui où il rendit l’esprit, il ne de¬ 
meura point oisif, mais ses actions comme ses pa¬ 
roles étaient pour nous de salutaires iostruction».- 
Aussi fit-il entendre sept paroles mémorables que 
l’Evangile nous a conservées. 

La première fut une prière que, pendant l’acte 
même de son crucifiement, il fit en ces- termes pour 
ses bourreaux : (1) Mon Père, pardonnez-leur, car ils 
ne savent ce qu’ils font ; paroles d’une prodigieuse pa¬ 
tience, d’un amour excessif, d’une charité inexpri¬ 
mable ! 

La seconde fut pour sa Mère quand il dit : (2) 
Femme , voilà votre Fils; et à saint Jean : Voilà votre 
Mère . Il ne l’appela pas sa Mère, de peur que cette 
expression n augmentât sa douleur en excitant trop 
vivement sa tendresse. 

La troisième fut adressée au larron pénitent : (3) 
Vous serez , lui dit-il, aujourd'hui avec moi dans le Pa • 
radis . 

yoici la quatrième parole : Eli, Eli, lamma sabac - 


(I) Loc. 83. — (2) Joan. 19, — (3) Luc. 23. 

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408 MÉDITATIONS SUR LÀ VIE DE N.-S. J.-C. 

thani? €’est-à-dire, mon Dieu , mon Dieu , 'pourquoi 
m'avez-vous abandonné? Comme s’il eût dit : Mon 
Père, vous avez tant aimé le monde que, pour lui, 
vous semblez m'abandonner entièrement. 

La cinquième parole fut celle-ci : (1 ) y ai soif. Cette ’ 
parole qui excita toute la compassion de sa Mère, des 
saintes femmes et de saint Jean, fut, au contraire, 
pour les ennemis de Jésus, le sujet d'une joie cruelle. 
Car bien que cette parole pourrait s’entendre de la 
soif que Jésus avait du salut des âmes, cependant il 
est indubitable que Noire-Seigneur ressentit réelle¬ 
ment la soif, parce que l’effusion de son sang, en l’é¬ 
puisant intérieurement, avait dû lui occasionner une 
extrême altération. Et comme ses bourreaux ne sa- 
va.ent quels moyens employer pour le faire souffrir, 
ils saisirent avec empressement l’occasion d’un nou¬ 
veau supplice. (2) Ils lui donnèrent donc à boire du 
vinaigre mêlé de fiel. Malheureuse obstination de la 
fureur qui les porta à faire tout le iùal possible à leur 
victime ! 

La sixième [ arole fut : Tout est consommé; ce qui 
signifie : « Mon Père, mon obéissance à vos ordres a 
été complète. Si vous voulez quelque chose de plus, 
commandez à votre Fils ; me voici prêt à faire ce que 
vous pourriez exiger encore ; (3) car mon cœur est 
préparé à tous les supplices. Mais tout ce qu’on a 
écrit de moi étant consommé, rappelez-moi mainte¬ 
nant à vous, mon Père, si cela vous est agréable. * 
Le Père céleste lui dit alors : « Venez, mon Fils bien- 
aimé, vous avez bien fait toutes choses, je veux met- 


(I) Joan. 4». - (2) Ibid. — (3) P«al. 37. 

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VI e PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXX. 409 

tre ùn terme à vos souffrances ; venez, mon cœur et 
mes bras sont ouverts pour vous recevoir. » Et dès 
tors Jésus commença à ressentir la défaillance ordi¬ 
naire aux agonisants, ouvrant tes yeux et bientôt les 
refermant, inclinant la tète tantôt d’un côté, tantôt 
d'un autre par l'affaiblissement progressif de toutes 
ses forces. Enfin Jésus pour la septième parole, dit 
en versant des larmes et jetant un grand çri : (1) 
Mon Père, je remets mon âme entre vos mains. Ayant 
dit ces mots et baissant la tète devant son Père 
comme pour le remercier de ce qu’il le rappe¬ 
lait à lui, il expira. Le Genteaier qui était devant 
la croix, entendant ce cri de Jésus mourant, se 
convertit et dit (2) Cet homme était véritablement le Fils 
de Dieu. Il crut eu lui parce qu’en effet les autres 
hommes ne peuvent crier en rendant le dernier sou¬ 
pir. Or ce cri fut si grand qu'il pénétra jusqu’au 
fond de l’enfer. 

Oh ! que devint alors l’âme de Marie? qu’éprouva 
cette tendre Mère en voyant si péniblement Jésus dé¬ 
faillir, verser Ses pleurs et mourir? Pour moi, je 
crois que tant de douleurs et d’angoisses la firent 
tomber alors dans un élat d’insensibilité, d’anéan¬ 
tissement, ou peut-être môme d’agonie beaucoup 
plus cruel que celui où elle se trouva lorsqu’elle ren- ' 
contra son Fils portant sa croix. 

Que faisaient en ce moment Madeleine, cette 
amante fidèle et chérie, saint Jean, le disciple bien- 
aimé, et les deux autres sœurs de Marie ? Mais, dans 
un tel état d’affiietion, de douleur et d’amertume, que 

(I) Luc. 23. — (2) Matth. 27. 


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410 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C.. 

pouvaient'ils faire? D'intarissables larmes coulaient 
de leurs yeux. 

Jésus mort reste donc suspendu à la croix. La 
foule s'écoule; Marie abîmée de douleur, saint Jean 
et les autres femmes restent seuls. Ils vont s’asseoir 
au pied de la croix, ils contemplent leur bien-aimé et 
demandent à Dieu de les aider à recouvrer le corps 
de Jésu,s, afin de pouvoir l’ensevelir. 

Ët vous, si vous aviez bien examiné le corps de 
Notre-Seigneur, il vous est facile de reconnaître que, 
depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la 
tête, il n’y a rien de sain en lui, et que tous les mem¬ 
bres de son corps et tous ses sens ont eu leur dou¬ 
leur et leur supplice. Voilà donc, eu égard à mon in¬ 
capacité et votre peu de savoir, tout ce que, pour le 
moment, il semble possible de dire sur ce qui se 
passa au crucifiement- et à la mort de Jésus-Christ, 
pendant les heures de Sexte et de None. Quant à 
vous, ne négligez rien pour vous attacher à toutes 
ces choses avec la dévotion, l’exactitude et le soin 
dont vous êtes capable. Parlons maintenant de ce qui 
se passa après la mort. 


CHAPITRE LXXX. 

Le Cœur de Jésus est ouvert par la lance. 

Pendant que la Mère de Jésus, notre digue souve¬ 
raine, saint Jean, Madeleine et les deux sœurs de 
Marie restaient assis à l’un des côtés de la croix, les 


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VI e PARTIE. — VENDREDI, CHAI\ LXXX. 411 

yeux presque continuellement fixés sur Notre-Sei- 
gneur ainsi suspendu entre deux voleurs, dans un 
état si affreux de nudité, d’affaissement, de mort et 
d’abandon universel, voilà que plusieurs soldais ar¬ 
més se dirigeant de la ville vers ceux qui gardaient 
la croix, venaient rompre les jambes aux trois cru¬ 
cifiés, pour leur donner la mort et les ensevelir, de 
peur que ces corps ne restassent attachés à la croix 
le jour du sabbat qui était une grande fête. Alors 
Marie et ceux qui étaient avec elle se lèvent, regar¬ 
dent, aperçoivent ces hommes armés et, ne sachant 
ce que cela peut être, leur douleur se renouvelle, 
leur crainte et leur terreur s’augmentent. Marie sur¬ 
tout est très-effrayée, elle ne sait quel parti prendre, 
elle se tourne vers le corps inanimé de son Fils, et 
lui adresse ces paroles : « Mon Fils, mon cher Fils, 
pourquoi ces soldats reviennent-ils ici? que veulent- 
ils donc vous faire encore ? Ne vous ont-ils pas ôté 
la vie ? Mon Fils, je croyais que leur fureur était 
satisfaite ; mais je vois qu’ils veulent vous persécuter 
même après votre mort. Mon Fils, je ne sais que 
faire. Je n’ui pu vous préserver de la mort -, mate je 
vais me mettre à vos pieds et m’attacher à votre 
croix. Priez, mon Fils, suppliez votre Père de leur 
inspirer pour vous quelque pitié ; je fèiai de mon 
côté tout ce qui sera en mon pouvoir. » Au même 
instant, Marie et les quatre autres allèrent en pleu¬ 
rant se placer devant la croix de Jésus. 

Or les soldats furieux s’approchent avec fracas et, 
voyant que les voleurs respirent encore, ils leur 
rompent les jambes, leur donnent ainsi la mort, tes 
descendent de la croix et se hâtent de les jeter dans 


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412 .MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

une fosse préparée à cet effet. Puis comme ils s’avan¬ 
caient vers Jésus, Marie, qui craignait qu’ils ne trai¬ 
tassent son Fils de la même manière, dans la 
douleur dont son âme était intérieurement percée, 
imagina de recourir à ses armes ordinaires, c’est-à- 
dire à l’humilité qui lui était si naturelle; alors, se 
prosternant à leurs pieds, les bras en croix, les yeux 
baignés de larmes, la voix entrecoupée par ses san¬ 
glots, elle leur adresse ces paroles : c Mes frères, je 
vous conjure, par le Dieu Très-haut, de m’épargner 
en épargnant mon cher Fils. Car je suis la plus affligée 
des mères ; et vous savez, mes frères, que je ne vous 
ai jamais fait aucune peine, que je ne vous ai jamais 
offensés.en aucune chose ; si mon Fils vous a paru un 
objet de contradiction, vous lui avez ôté* la vie, et 
moi je suis prête à vous pardonner vos injures, vos 
offenses et jusqu’à la mort de mon Fils. Mais du 
moins, accordez-moi une grâce, ne le touchez pas, 
afin que je puisse le déposer daus le tombeau, sans 
qu’aucun de ses os aient été brisés. 11 est inutile de 
lui rompre les jambes, car vous voyez qu’il est 
déjà mort; en effet il y a une heure qu’il a rendu 
le dernier soupir. » Saint Jean, Madeleine et les deux 
sœurs de Marie étaient à genoux avec elle et pleu¬ 
raient très-amèiement. 

Que faites-vous, ô Marie ! vous vous jetez aux pieds 
de ces monstres, vous voulez attendrir ces cœurs de 
bronze, vous comptez sur la pitié de ces impitoyables, 
sur la piété de ces impies, sur l’humilité de ces or¬ 
gueilleux? Ces hommes superbes abhorrent l’humi¬ 
lité; vos efforts sont superllus. Cependant, insensi¬ 
ble à ces prières et à ces supplications, l'un des 


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413 


VI 3 PARTIE. - VENDREDI, CIIAP. LXXX. 

soldats, nommé Longin, alors rempli d’orgueil et 
d’impiété, mais qui plus tard se convertit, fut martyr 
et devint un saint, brandissant de loin sa lance, ouvrit, 
par une large plaie, le côté droit de Jésus et il en 
coula du sang et de l’eau. Eu ce moment la Mère de 
Jésus tomba à demi morte entre les bras de Made¬ 
leine. Mais Jean exalté par l’excès de sa douleur, se 
posa hardiment devant eux et leur dit : « Hommes 
abominables, pourquoi celle infâmie sacrilège ; ne 
voyez-vous pas qu’il est mofl? Voulez-vous aussi ôter 
la vie à sa malheureuse Mère? Retirez-vous afin (tue 
nous puissions l’ensevelir. » A ces mots ils s’éloignè¬ 
rent, Dieu bayant ainsi permis. Or Marie, reprenant 
ses sens, se relève comme si elle fût sortie d’nn pro¬ 
fond sommeil et demande ce qu’on a fait du corps de 
son Fils bien aimé. On lui répond qu’il est encore là. 
Ensuite elle soupire profondément, demeure dans 
une grande anxiété d’esprit, et, voyant la nouvelle 
blessure de sou Fils, elle succombe sous le poids 
d'une douleur mortelle. 

Voyez combien de morts elle a souffertes aujour¬ 
d’hui. Elle en a senti les atteintes tout autant de fois 
qu’un nouveau supplice était enduré par sou Fils. 
Ainsi s’est bien accompli en elle ce que Siméon lui 
avait annoncé, lorsqu’il lui dit: (1) Votre âme s&'a 
percée d'un glaive de douleur. Mais en ce moment, la 
poinle de la lance a vraiment déchiré le corps du Fils 
et le cœur de la Mère. Or, tous les amis de Jésus 
s’asseient de nouveau auprès de la croix, ne sachant 
ce qu’ils doivent faire ; car il leur est impossible de 

(I; Luc. 2. 


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414 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

descendre le corps de la croix et de lui donner la sé¬ 
pulture, les forces et les instruments nécessaires à 
ces opérations leur manquent à la fois. Ils n’osent se 
retirer en laissant le saint corps dans cet état, et 
l'approche de la nuit ne leur permet pas de rester là 
plus longtemps. Vous voyez dans quelle perplexité 
ils se trouvent. 

O Dieu infiniment bon ! comment avez-vous per¬ 
mis à la tribulation d’accabler ainsi celle qui était 
votre bien aimée choisie entre mille, le miroir sans 
tache et la consolation des affligés? Ah! le temps pa¬ 
raissait pourtant venu de la laisser un peu respirer. 


CHAPITRE LXXXI. 

Méditation à l’heure de Vêpres. 

Or, voici qu’ils voient encore venir à eux sur la 
route plusieurs hommes. C’étaient Joseph d’Arimathie 
. et Nicodème qui, conduisant avec eux quelques au¬ 
tres personnes chargées des instruments nécessaires 
. pour descendre le corps de la croix, venaient avec 
environ cent livres de myrrhe et d’aloès ensevelir le 
corps du Seigneur. Marie et ceux qui étaient avec elle 
se lèvent aussitôt pleins d’une extrême frayeur. O 
Dieu, que d’afflictions dans un seul jour! Mais saint 
Jean dit, après avoir promené ses regards sur ceux 
qui s’avançaient : « Je reconnais Joseph et Nico- 
dèine. • A ces mots Marie se ranime et s’écrie : Béni 


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VI e PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXXI. 41 $ 

soit notre Dieu qui nous envoie ce secours ; il s'est sou¬ 
venu de nous et ne nous a point abandonnés . Mon fils, 
allez au-devant d’eux. Saint Jean courut donc en 
toute hâte à leur rencontre et, dès qu'ils furent 
réunis, ils s’embrassèrent tous en pleurant, et ne pu¬ 
rent pendant une grande heure s’entretenir ensemble 
à cause de leur tendre compassion, de leurs larmes 
abondantes et de leur excessive douleur. Ensuite ils 
se dirigent vers la croix. Joseph demande quels sont 
ceux qui sont avec Marie et ce que sont devenus les 
autres disciples ? Jean lui fait connaître les femmes 
qui sont près de Marie. Quant aux disciples, il ré¬ 
pond qu’il ne sait ce qu’ils sont devenus, parce qu’il 
n’en a vu là aucun aujourd’hui. r Joseph s’informe 
aussi de ce qui s’est passé à l’égard du Seigneur ; 
saint Jean lui en fait un récit circonstancié. 

Dès qu’ils furent près d’arriver, ils s’agenouillè¬ 
rent et adorèrent le Seigneur en pleurant. Puis ils 
s’approchèrent de Marie et de ses compagnes qui les 
reçurent avec respect, fléchissant le genou et s’in¬ 
clinant profondément devant eux. Ils se prosternè¬ 
rent aussi tout en pleurs devant ces saintes femmes 
et restèrent dans cet état pendant une heure entière* 
Enfin Marie leur dit : « Vous faites bien de ne pas 
oublier votre Maître, car il vous a beaucoup aimés, 
et j’avoue qu’à votre arrivée, j’ai cru voir briller une 
nouvelle lumière. Nous ne savions quel parti 'pren¬ 
dre; que Dieu vous récompense de votre charité. » 
Ils répondirent : « Nous gémissons de tout notre 
coeur sur les horribles outrages qui lui ont été faits. 
Car les impies ont prévalu contre le Juste; nous 
l’eussions de grand cœur arraché à leur iniquité si 


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416 MÉDITATIONS SLR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

cela nous eût été possible. Nous venons du rpoins 
rendre à Noire-Seigneur et à notre Maître un bien 
faible service. » S’étant relevés à ces mots, ils se pré¬ 
parent à descendre de la croix le corps de Jésus. 

Quant à vous, comihe je vous l’ai déjà plusieurs 
fois conseillé, observez avec beaucoup d’attention et 
de soin comment ils procédèrent à cette opération. 
Deux* échelles sont placées àJ’opposite, de l’un et de 
l’autre côté de la croix. Joseph monte sur l’échelle à 
droite; il s’empresse de détacher le clou de la main 
du même côté. Mais cela est difficile, car ce clou gros 
et long est fortement fixé à la croix, et il semble im¬ 
possible de l’en détacher sans faire éprouver à la 
main de Notre-Seigneur une forte compression. Mais 
on ne peut voir ici aucune violence, car c’est l’action 
d’un serviteur fidèle, et Jésus l’accepte tout entière. 
Dés que le clou est arraché, saint Jean fait signe à 
Joseph de le lui remettre pour ne pas le laisser voir 
à Marie. Ensuite Nicodème extrait le clou de la main 
gauche, et le donne pareillement à saint Jean. Puis il 
descend pour ôter le clou des pieds. Pendant ce 
temps Joseph sou’enait le corps du Seigneur. Heu¬ 
reux Joseph qui mérita la faveur de presser ainsi 
entre ses bras le corps de son divin Maître! Alors 
Marie prend respectueusement la main pendante de 
son Fils et l’applique contre son visage. Elle la consi¬ 
dère, la baise en répandant beaucoup de larmes ac¬ 
compagnées de soupirs douloureux. 

Dès que les pieds furent détachés, Joseph descend 
un peu, et tous ceux qui étaient au bas de la croix 
reçoivent le corps de Jésus et le déposent à terre. 
Marie soutient sur son sein la tête et les épaules; Ma- 


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VF» PARTIE. - VENDREDI, CHAP. LXXXII. 417 

delei ne-s’empare des pieds où lant de grâces lui 
avaient autrefois été accordées; les autres se rangèit 
autour du corps; tous expriment leur douleur par 
des cns et des gémissements; car leur affliction est 
aussi amère que celle qu’on éprouve à la mort d’un 
hls unique. 


CHAPITRE LXXXII. 

A l’heure de Compiles. 


Peu après, la nuit s’approchant, Joseph prie Marie 
de lui permettre d’ensevelir le corps de Jésus et.de le 
déposer dans le tombeau. Marie n’y pouvait consentir. 
« Mes amis, disait-elle, ne me privez pas sitôt de mon 
Pus, ou bien mettez moi avec lui dans le même tom 
beau. » Alors d’intarissables larmes coulaient de ses 
yeux; elle considérait les plaies des mains et du côté 
de Jésus, s’arrêtant tantôt à l’une, tantôt à l’autre- 
e e portait ses regards sur le visage et sur la- tête • 
elle observait les nombreuses piqûres de la couronne 
d épines, la dépilation de la barbe, cette face souillée 
de crachats et de sang, cette tête dépouillée de che¬ 
veux , et elle ne pouvait ni en détourner les veux 
m suspendre ses pleurs. ’ 

r a °pAvaia U f lqUe Paft que NoUe - Sk ’ i gneur, ainsi qu’il 
l’a révélé à une sainte religieuse, fut dépouillé de 

ses cheveux et de sa barbe; mais les Evangélistes en 
parlant de sa Passion, ne sont pas entrés dans £ 

27 


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418 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

les détails. Aussi je ne saurais constater par l’Ecri¬ 
ture ni îa réalité de ce dépouillement, ni la manière 
dont il s’opéra; quant à la dépilation de la barbe, 
on ne peut en douter, car Isaïe fait dire à Notre-Sei- 
gneur : (i) J'ai abandonné mon corps à ceux qui le 
frappaient , et mes joues â ceux qui m*arrachaient la 
barbe . Et voilà pourquoi Marie était si attentive à ob¬ 
server ces circonstances et voulait les constater si 
exactement. Mais comme l’heure s’avançait, saint 
Jean dit à Marie : « Ma mère, laissons faire Joseph et 
Nicodème ; laissons-les ensevelir et déposer dans le 
tombeau le corps de Notre-Seigneur; car un plus long 
Têtard pourrait les exposer aux calomnies des Juifs. » 
A ces mots, craignant de manquer de reconnais¬ 
sance et de discrétion, se souvenant d'ailleurs qu’elle 
avait été confiée à saint Jean par son Fils, Marie ne 
résista pas plus longtemps, bénit le corps de Jésus et 
.consentit à ce qu’on lui demandait. Alors Jean, Ni- 
codème et quelques autres se mirent à l’ensevelir et 
à le ceindre de bandelettes, selon la coutume des 
Juifs. Marie, qui s’était réservé îe soin d’envelopper 
la tète de son Fils, la tenait toujours appuyée sur son 
cœur ; Madeleine n’avait pas quitté ses pieds. Et dès 
-qu’on eut tout disposé jusqu’à l’extrémité des jambes: 
« Je vous en prie, dit-elle, permettez-moi d’envelop- 
perles pieds, car c’est là que j’ai obtenu miséricorde. » 
On la laissa foire, et elle ne quitta plus les pieds de 
son divin Maître. La douleur paraissait l’accabler, et 
ces pieds, qu’elle avait autrefois arrosés des pleurs du 
repentir, elle les inonda alors d’une bien plus grande 


(U Isat. se. 


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VI® PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXXII. 419 

abondance de larmes de douleur et de compassion. 
En voyant ces pieds si horriblement blessés, si dou¬ 
loureusement percés , si amaigris et si'ensanglantés, 
elle de cessait de pleurer avec beaucoup d’amertume. 
Car, suivant le témoignage de Celui qui est la Vérité, (l ) 
elle a beaucoup aimé, et voilà pourquoi elle a beau¬ 
coup pleuré, surtout en rendant ce dernier service à 
son Maître et à son Seigneur, qu’elle voyait réduit à 
un tel anéantissement après tant de maux, une si 
cruelle flagellation, de si profondes blessures et une 
telle mort. Son âme était prête à se séparer de son 
corps, tant sa douleur était grande; et il est facile de 
éomprendre que; si cela lui eût été possible, elle eût 
bien volontiers rendu te dernier soupir aux pieds de 
son divin Maître. Rien ne pouvait la consoler ; elle 
n’était point accoutumée à rendre à Jésus de pareils 
services; celui-là est tout nouveau pour elle, c’est 
un dernier devoir dont elle s’acquitte, en gémissant 
an fond du cœur de ne pouvoir faire comme elle sou¬ 
haiterait et comme il conviendrait. Car elle aurait 
voulu laver tout le corps, l’embaumer et l’envelop¬ 
per. Mais le temps et le lieu ne le lui permettaientpas. 
En effet, elle ne pouvait faire plus, elle ne pouvait 
faire autre chose ; elle fait tout ce qui lui est possible. 
Du moins, elle lave de ses larmes les pieds de Jésus, 
elle les essuie, les presse sur son cœur, les baise avec 
piété, les enveloppe, les entoure de bandelettes avec 
tout lé sons* toutes les précautions dont elle est ca¬ 
pable. 

Après ces préparatifs, tous les regards se tournent 


(T) Luc: T. 


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420 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

sur Marie, qui doit les compléter, et tous recom¬ 
mencent leurs lamentations. Comprenant qu’on ne 
peut différer plus longtemps, Notre-Dame colle alors 
son visage sur celui de son bien-aimé Fils, en disant : 
O mon Fils ! c’est donc votre corps inanimé que je 
presse entre mes bras ; qu’il est cruel de me voir sé¬ 
parée de vous par la mort ! Notre union était si douce 
et 6i délicieuse! Nous n’avons manqué ni d’indul¬ 
gence, ni de charité envers personne, et pourtant, ô 
mon cher Fils ! on vous a ôté la vie comme au plus 
coupable de tous* les hommes ! Je vous ai fidèlement 
servi et vous m’avez rendu services pour services; 
mais dans la lutte douloureuse qui a terminé vos 
jours, votre Père n'a voulu et moi je n’ai pu vous 
donner aucun secours. Vous vous ôtes abandonné 
vous-même, parce que .vous aimiez les hommes et 
que vous vouliez les racheter. Quelque dure, quel¬ 
que pénible que soit cette Rédemption, je m’en ré¬ 
jouis pourtant, puisqu’elle opère le salut du monde. 
Mais une mort si douloureuse me plonge dans une 
extrême affliction ; car je sais qu’il n’y a en vous au¬ 
cun péché et que c’est sans motifs que vous avez été 
livré à un supplice si cruel et si ignominieux. Les 
voilà donc rompus, ô mon Fils ! les liens qui nous 
unissaient 1 11 faut maintenant que je me sépare de 
vous. C’est donc moi, moi votre malheureuse Mère, 
qui aurai la douleur de vous conduire au tombeau? 
Mais, ensuite, que deviendrai-je? où porterai-je mes 
pas? comment pourrai-je vivre sans vous? Je vou¬ 
drais m’ensevelir avec vous, afin d’être partout où 
vous serez. Mais si je ne le puis de corps, je le ferai 
du moins en esprit ; mon âme s’ensevelira avec vous 


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VI® PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXXII. 421 ' 

dans le môme tombeau ; je vous l’abandonne et la 
remets entre vos mains. 0 mon Fils ! que Cette sépa¬ 
ration est amère ! » Et elle baigne pour la seconde 
fois le visage de Jésus de larmes plus abondantes que 
celles dont Madeleine avait arrosé ses pieds. Ensuite 
elle essuie lè visage de son Fils, dépose un baiser de 
Mère sur sa bouche et sur ses yeux , couvre sa tête 
d’un suaire, l’en enveloppe avec soin et le bénit une 
seconde fois. 

Alors tous ceux qui étaient présents se prosternent, 
l’adorent, baisent ses pieds,* le prennent et le portent 
au sépulcre. Marie soutenait la tête et les épaules, 
Madeleine les pieds, les autres, placés au milieu, por¬ 
taient le corps. Tout près du lieu où Jésus avait été 
crucifié, à une distance environ égale à la longueur 
de notre église, il y àvait un sépulcre. C’est là qu’à 
genoux, avec beaucoup de larmes, de sanglots et de 
soupirs, on le déposa respectueusement. Après quoi, 
sa Mère le bénit encore, l’embrasse et reste étendue 
sur son Fils bien-aimé. Mais on la relève, et une 
grosse pierre ferme l’entrée du sépulcre. 

Bède nous apprend que ce sépulcre était rond, 
creusé dans un rocher, et d’une élévation telle, qu’un 
homme, en étendant la main, ne pourrait en toucher 
la voûte; l’entrée est située à l’Orient; au Nord, on 
voit, taillée dans la même pierre, sur une longueur 
de sept pieds, la place où fut mis le corps de Notre- 
Seigneur. 


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4M MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 


CHAPITRE LXXXIU. 

Méditation après Compiles. 

Après que Joseph eut ainBi achevé de rendre les 
derniers devoirs au Seigneur, voulant retourner à la 
ville, il dit à Marie : « Mon auguste Souveraine, je 
vous supplie, au nom de Dieu et par l'amour de Jésus 
votre Fils et mon divin Maître, de vouloir bien venir 
loger chez moi, car je sais que vous ne possédez pas 
de maison; servez-vous donc de la mienne comme si 
c’était la vôtre, parce que tout ce qui est à moi est à 
vous. » Nicodème fit aussi les mêmes offres. 

üh ! qui ne serait ici pénétré de la plus vive com¬ 
passion ! La Reine du ciel n’a pas où reposer sa tête, 
et les tristes jours de son veuvage, il faudra qu’elle 
les passe sous un toit étranger. Je dis les jours de son 
veuvage, car Notre-Seigneur Jésus-Christ était pour 
elle un Fils, un époux, un père, une mère, tout son 
bien, ef, en le perdant, elle perdit à la fois ce qu’elle 
avait de plus cher au monde. Elle est véritablement 
veuve, abandonnée, sans asile. Efle s’incline alors 
humblement, remercie et répond que son Fils l'a 
confiée à saint Jean. Joseph et Nicodème, renouve¬ 
lant leurs instances, saint Jean leur dit qu’il se pro¬ 
posait de la conduire sur la montagne de Sion, dans 
la maison où Notre-Seigneur avait le soir précédent 
fait la Cène avec ses disciples, et que son intention 
était d’y fixer avec elle son domicile. Joseph et Nico- 


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VI e PARTIE. — VENDREDI, CHAP. LXXX1II. 423 

dème saluèrent Marie et se retirèrent après avoir 
adoré Jésus dans son tombeau. L'Evangile nous ap*- 
prend qué tous les autres (1) demeurèrent assis au¬ 
près du sépulcre. 

La nuit approchait ; saint Jean dit à Marie : « 11 ne 
convient ni de rester plus longtemps ici, ni de retour¬ 
ner de nuit dans la ville ; si donc vous le permettez* 
ma Mère, nous allons nous retirer. » Marie se lève 
aussitôt, se jette à genoux, embrasse le sépulcre et 
dit en bénissant Jésus : « Mon Fils, je ne puis rester 
plus longtemps avec vous, je vous recommande à 
votre Père. » Puis, élevant ses regards vers le ciel* 
dlle dit avec une profonde émotion et en versant 
beaucoup de larmes : « Père éternel, je vous recom¬ 
mande mon Fils, ainsi que mon âme, que je vous 
abandonne. » Après quoi, ils commencèrent à se re¬ 
tirer. Mais, lorsqu'on passa près de la croix, Marie s’y 
agenouilla et l’adora en disant : « C'est là que mon 
Fils est mort, là que son précieux sang a été répandu. * 
Tous ceux qui accompagnaient Marie suivirent son 
exemple. Car vous pouvez bien penser qu’elle fut la 
première adoratrice de la croix. 

Ensuite on s'achemina vers la ville. Marie se re¬ 
tournait souvent en* chemin pour regarder derrière 
elfe ; et quand on fut parvenu au point où l’on ne 
pouvait plus voir ni le sépulcre, ni la croix, elle se 
retourna encore, les salua et s’agenouilla pour les 
adorer avec beaucoup de dévotion et de piété. Tout 
le monde en fit autant. Quand on fut près de la ville, 
les sœurs de Marie lui mirent, ainsi qu'on le fait aux 

(I) Matlh. 17. 


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424 MÉDITATIONS SUR LA VlE DE N.-S. J.-C. 

veuyes, un voile qui lui couvrait presque tout le vi¬ 
sage. Elles ouvraient la marche, puis Marie, couverte 
de son voile, s'avançait tristement entre Jean et Ma¬ 
deleine. Celle-ci, qui avait le projet de prendre à l’en¬ 
trée de la ville la toute de sa maison et dPy amener 
tous ceux qui étaient avec elle, prépara les choses 
en disant à Marie : « Venez, je vous en prie, dans no¬ 
tre maison, nous y serons mieux qu’ailleurs; venez- 
y par amour pour mon divin Maître, car vous savez 
avec quel plaisir il y venait lui-même; regardez 
cette maison comme la vôtre; tout ce que je possède 
est à vous. » Alors les larmes recommencèrent à 
couler. Mais comme Marie ne répondait rien et s’était 
tournée vers saint Jean, Madeleine invite aussi ce 
dernier qui lui répond : « Venez plutôt vous-même 
avec notre Mère, car il vaut mieux que nous allions 
à la montagne de Sion, et surtout après les refus que 
nous avons déjà faits à nos amis. » Madeleine repartit: 
« Vous savez bien que je suis disposée à la suivre 
partout où elle ira et à ne jamais l'abandonner. » 

On entre dans la ville, et alors toutes les filles et 
les femmes pieuses, dès qu’elles aperçoivent Marie, 
accourent à elle de toutes parts, l’accompagnent et la 
consolent en chemin en unissantes larmes abondan¬ 
tes à celles que répand la Mère de Jésus. Quelques 
hommes de bien, touchés de compassion,ne pouvaient 
retenir leurs larmes et disaient en la voyant passer au 
milieu d’eux : « 11 faut le reconnaître, une grande 
injustice a été commise aujourd’hui par nos chefs 
contre le Fils de cette femme infortunée, et Dieu a 
fait en sa faveur des prodiges étonnants. Quel sujet 
de crainte pour les auteurs de ce crime ! » 


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VI* PARTIE. — SAMEDI, CHAP. LXXXIH. 425 

Arrivée à la maison qu’elle allait habiter, Marie, se 
tournant vers les femmes qui l’accompagnaient, le9 
remercia et les salua avec beaucoup de gratitude. 
Celles-ci s’inclinèrent aussi, fléchirent les genoux et 
toutes commencèrent à donner des signes d’une pro¬ 
fonde douleur. Marie entra dans la maison avec ses 
deux sœurs et Madeleine. Alors saint Jean, se tenant 
à la porte, invita toutes les personnes qui avaient 
suivi Marie à se retirer dans leur maison, parce qu’il 
était déjà tard, et, après les avoir remerciée,s il 
ferma la porte. 

Alors la Mère de Jésus disait en promenant de tous 
côtés ses regards dans la maison : « Où êtes-vous, 
mon cher Fils? pourquoi ne vous vois-je point ici? 
Jean, où est donc mon Fils? Madeleine, où est donc 
le Père dont vous étiez si • tendrement aimée ? Et 
vous, mes sœurs, où est le Fils qui nous avait été 
donné? Il est mort Celui qui était toute notre joie» 
notre douceur et la lumière de nos yeux; il est 
mort au milieu des plus aifreux tourments, vous 
le savez, et ce qui met le comble à ma douleur, 
c’est que, mourant tout couvert de plaies, dans les 
plus affreuses anxiétés, torturé par la soif, la con¬ 
trainte, l’oppression et la violence, nous n’avons pu 
lui procurer le moindre soulagement; c’est qu’il a 
été universellement abandonné, et que son Père, le 
Dieu tout-puissant, n’a pas voulu le secourir ; et vous 
avez vu avec quelle rapidité tant de maux sont tom¬ 
bés sur lui. Quel homme, môme parmi les plus scé¬ 
lérats, fut jamais condamné d’une manière si prompte 
et si foudroyante? 0 mon Fils, c’est hier soir qu’un 
perfide vous a livré, hier soir qu’on vous a arrêté ; 


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426 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

c’est à la troisième heure de ce jour que l’on vous 
a condamné ; c’est à la sixième que l’on vous a atta¬ 
ché à la croix où vous avez perdu la vie. O mon Fils, 
qu’il m'est pénible d’étre séparée de vous et que le 
souvenir de votre mort ignominieuse est amer pour 
moi! * Enfin saint Jean la supplia de mettre fin à ses 
gémissements et essaya de la consoler. 

Pour vous, ma fille, si vous écoutez votre lèle, il 
vous suggérera les moyens de soulager, de servir, de 
consoler ces cœurs affligés, et d’encourager Marie à 
prendre quelque nourriture afin d’exciter les autres 
à suivre son exemple, car ils sont encore tous à jeun. 
Ypus les quitterez ensuite après que Marie et tous 
ceux qui sont avec elle vous auront donné leurs bé¬ 
nédictions. 


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VU* PARTIE. — SAMEDI, CHÀP. LXXXIY. AIT 


SEPTIÈME PARTIE. 

(LS JOUB DU SABBAT, QU SAVBVI.) 


CHAPITRE LXXXIY. 

Méditation sur ce que firent Marie et ses compagnes 
le Jour du sabbat. 

Or, pendant toute la matinée du sabbat, Marie et 
ses compagnes, aussi tristes, aussi affligées, auss* 
désolées que des enfants qui ont perdu leur père, de¬ 
meurent avec saint Jean à la maison dont les portes 
sont exactement fermées. Elles s’y tenaient assises 
toutes ensemble, en silence et dans le recueillement, 
jetant l’une sur l’autre quelques regards à la déw>* 
bée, comme ont coutume de le faire des personnes 
accablées par des peines et des calamités excessir 
Tes. Mais tout à coup on frappe à la porte et la crainte 
tes saisit, parce qu’elles avaient perdu Celui qui fai¬ 
sait toute leur sûreté. Cependant saint Jean va à la 
porte, et ayant regardé qui était là; fl reconnaît Si¬ 
mon et dit : «c’est Pierre. » « Ouvrez-lui, dit Marie, t 
Pierre entre, les yeux baissés, poussant de profonds 
soupirs et répandant des larmes. Alors ils se mirent 
tous à pleurer avec lui, et ils ne pouvaient lui adres¬ 
ser une parole, tant leur peine était grande. Ensuite 


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42$ MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

arrivent successivement les autres disciples versant 
aussi des pleurs. Ëufm ils suspendent un moment 
leur douleur et commencent à s’entretenir de leur 
divin Maître. Pierre dit alors : « Je suis tout couvert 
de confusion, et je ne devrais ni ouvrir la bouche de¬ 
vant vous, ni me montrer aux yeux des hommes, 
après avoir abandonné et renié, comme je l’ai fait, le 
Maître qui m’avait tant aimé. » Les autres disciples, 
lesyeux pleins de larmes, joignant les mains, se re¬ 
prochaient également d'avoir aussi abandonné un si 
aimable Maître. 

Alors Marie prit la parole et dit : t Notre bon Maî¬ 
tre, notre fidèle Pasteur n’est plus et nous laisse or¬ 
phelins, mais j’ai la ferme espérance que nous le re¬ 
verrons bientôt au milieu de nous ; car vous con¬ 
naissez tous la bonté de mon Fils et vous savez 
combien il vous aimait. Ne doutez donc pas qu’il ne 
vous accorde la grâce d’une parfaite réconciliation, 
et qu’il ne vous pardonne du fond du cœur toutes les 
offenses et toutes les fautes que vous vous repro¬ 
chez. Au reste, le Père céleste a permis à la fureur 
d’aller si loin, et à l’audace des méchants de tant 
prévaloir contre lui que, quand même vous ne l’eus¬ 
siez point abandonné, il vous eût été impossible de 
le secourir; bannissez donc toute inquiétude. » Pierre 
répondit à Marie : « Ce que vous dites est bien-vrai i 
car moi qui |n’ai vu que les premières scènes de la 
Passion, j’en ai été si vivement touché dans la cour 
de Gaïphe/qu’il m’eût été impossible de penser que je 
pusse jamais l’abandonner; et cependant je l’ai renié 
et je né me suis souvenu de ce qu’il m’avait prédit 
qu'au moment où il daigna jeter un regard sur moi. 


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VII e PARTIE. — SAMEDI, CHAP. LXXXIY. 429 

— Que vous avait-il donc prédit, demanda Madeleine? 

— Que je le renierais, répondit Pierre ; » et il rap¬ 
porta tout ce qui s’était passé à ce sujet, ajoutant 
que Notre-Seigneur, pendant la Cène, leur avait en¬ 
core annoncé plusieurs autres choses relatives à sa 
Passion. 

Alors Marie dit : « Je voudrais bien connaître tout 
ce qu’il a dit et fait pendant la Cène, > Pierre fait un 
signe à Jean pour l’engager à répondre à cette ques¬ 
tion. Jean commence et rapporte tout ce qu’il sait à 
ce sujet. Ce récit conduisit les autres disciples à se 
raconter mutuellement tout ce qu’ils savaient tant 
sur ce qui s’était passé dans la Cène que sur les au¬ 
tres actions de la vie de Jésus-Christ dont ils avaient 
été les témoins ; et c’est en s’entretenant ainsi de 
leur divin Maître qu’ils passent tout ce jour. Avec 
quelle attention ces intéressants détails étaient re¬ 
cueillis par Madeleine et surtout par Marie ? Combien 
de fois, en les entendant, la digne Mère de Jésus 
s’écria-t-elle pendant ce jour : Béni soit mon fils 
Jésus ! 

Considérez attentivement ccs saints personnages, 
et compatissez à la vive douleur, disons mieux, à 
l’extrême affliction dans laquelle ils restèrent plon¬ 
gés pendant toute cette journée. Quel spectacle, en 
effet, que de voir la Reine du ciel et de la terre, les 
princes de toutes les Eglises et de tous les peuples, 
les chefs de toute l’armée céleste renfermés ainsi 
tout tremblants dans une pauvre maison, ne voyant 
rien de mieux à faire pour se fortifier dans cette 
épreuve que de s’entretenir des paroles et des ac¬ 
tions de leur Maître bien-aimé. Observez cependant 


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430 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N .-S. J.-C. 

que Marie conservait la paix et la tranquillité du 
cœur parce qu'elle avait une ferme espérance en 1» 
résurrection de son Fils et qu’elle y persévéra'iné¬ 
branlablement, même pendant le jour du sabbat; et 
c’est pour cela que ce jour lui est particulièrement 
consacré. Toutefois Marie ne pouvait goûter aucune 
consolation à cause de la mort de son cher fils Jé¬ 
sus. 

Or, vers le soir, après le coucher du soleil, mo¬ 
ment auquel il était permis de travailler, Marie-Ma¬ 
deleine et l’autre Marie allèrent acheter des aromates 
pour en composer des parfums. Dès la fin du jour 
précédent, après la sépulture de Notre-Seigneur, 
elles s’étaient déjà occupées de ces préparatifs de¬ 
puis leur retour jusqu’au coucher du soleil, ensuite 
elles demeurèrent en repos. Car on devait garderie 
sabbat depuis le coucher du soleil du vendredi jusqu’à 
celui du jour suivant. Elles vont donc alors acheter 
des aromates. Gonsidérez-les avec soin. Elles mar¬ 
chent tristementà la manière des veuves, elles entrent 
dans le magasin de quelque serviteur dévoué du Sei¬ 
gneur, qui compatit à leur peine et satisfait de bon 
cœur à leur désir; elles demandent des aromates, 
choisissent les meilleurs autant qu’elles le peuvent, 
en paient le prix et reviennent préparer tout ce qu*3 
faut pour embaumer le corps de leur divin Maître: 

Voyez donc attentivement avec quelle humilité, 
quelle dévotion, quel dévouement, quelle abondance 
de larmes et quels profonds soupirs eile 3 s’occupent 
de ces soins. Elles les prennent sous les yeux de Bfa- 
rie et des Apôtres qui peut-être lès partagent avec 
elleB; cela fait, on passà la nuit en silence. Voilà 


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VH® PARTIE. — SAMEDI, CHÀP. LXXXV. 491 

donc ce que l’on peut méditer le jout du sabbat sur 
Marie, ses compagnes et les disciples. 


CHAPITRE LXXXV. 

Méditation sur la descente de Notre-Seigneur Jésus-Christ 
aux enfers le jour du sabbat. 

Nous avons maintenant à considérer ce que Notre- 
Seigneur a fait le jour du sabbat. Aussitôt après sa 
mort, il descendit aux enfers pour y visiter les saints 
patriarches qui furent alors comblés de gloire; car 
la gloire parfaite consiste à voir le Seigneur. Arrê¬ 
tez-vous donc ici à contempler quel excès de bonté, 
de charité et d’humilité porta Jésus à descendre aux 
enfers. Il pouvait, en effet, se contenter d’envoyer 
un ange pour délivrer tous ses serviteurs et les lui 
présenter où il aurait voulu ; mais cela n’aurait sa¬ 
tisfait ni son amour infini ni son humilité. Aussi ce 
roi de l’univers alla-t-il en personne les visiter non 
comme des sujets, mais comme des amis; et il de¬ 
meura avec eux jusqu’au dimanche un peu ayant 
Paurore. Réfléchissez sérieusement à toutes ces cho¬ 
ses, admirez-les et tâchez de les imiter. Or, à l’arri¬ 
vée de Notre-Seigneur, les saints patriarches furent 
comblés de joie, remplis d’ineffables consolations, 
et 1 délivrés de toutes leurs peines, et ils entonnèrent 
en sa présence des cantiques de louanges que vous 
pouvez méditer de la manière suivante. 


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432 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

Représentez-vous ces saints personnages revêtus 
de leurs corps comme ils le seront après leur résur¬ 
rection; représentez-vous de mêmeTàme très-par¬ 
faite de Notre-Seigneur.Dès que leurs pressentiments 
les eurent avertis de son bienheureux avéneuiem, 
ils coururent avec joie au-devant de lui, s'encoura¬ 
geant réciproquement par ces paroles : Béni soit le 
Seigneur , le Dieu d'Israël , qui a daigné visiter et ra¬ 
cheter son peuple , etc. — Levez la tête , car votre Ré- 
dempteur approche. — Levez-vous , levez-vous , Jérusa¬ 
lem, rompez les liens de votre captivité ; voilà le Sau¬ 
veur qui vient briser vos chaînes. — Elevez-vous , portes 
éternelles , et laissez entrer le Roi de gloire. Nous vous 
adorons, ô Christ , et nous vous bénissons , ô Dieu qui 
nous avez tant aimés. Et se prosternant devant lui, ils 
l’adorèrent dans les transports de la joie et de l’allé¬ 
gresse. Mais considérez avec quels respects, quelle 
vive satisfaction et quel air de ravissement ils se 
tiennent devant lui, et font entendre en sa présence 
les paroles que nous venons de rapporter, et com¬ 
ment, jusqu’au point du jour du dimanche, ils ne 
cessèrent de répéter dans les limbes ces cantiques 
de louanges et de jubilation auxquels s’unissaient les 
joyeux concerts d’une multitude innombrable d’An¬ 
ges qui habitaient avec eux ce séjour. 

Alors Notre-Seigneur sortant plein de joie des en¬ 
fers avec cette brillante escorte qu’il précède en 
triomphateur, les fait entrer dans le paradis de déli¬ 
ces. Mais après avoir agréablement passé quelque 
temps avec eux, avec Elie et Enoch qui le reconnu¬ 
rent, il leur dit : « Voici le moment de ressusciter 
mon corps, je retourne sur la terre, pour m’en rèvê- 


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VII e PARTIE. — SAMEDI, CHAP. LXXXV. 433 

tir de nouveau. » Tous alors se prosternent devant 
lui en disant : « Allez, ô Roi de gloire, et revenez 
bientôt parmi nous, s’il vous plaît, car nous dési¬ 
rons ardemment de contempler votre corps glo¬ 
rieux. » 

Voilà donc ce qui, le jour du sabbat, peut être la 
matière des méditations que vous ferez sur Notre- 
Seigneur Jésus-Christ, sur sa sainte Mère, ses disci¬ 
ples et les saints patriarches. Mais comme, pour fixer 
uniquement votre esprit sur la Passion de Notre-Sei- 
gneur, je vous en ai rapidement fait parcourir toutes 
les circonstances sans mêler à mon récit aucune ci¬ 
tation, j’ai pensé qu’il convenait d’en produire main¬ 
tenant quelques-unes, afin que la lecture de ces pas¬ 
sages vous excitât à méditer avec plus de ferveur et 
de piété sur les sujets que je vous ai proposés. Voici 
donc quelques pensées que, suivant mon habitude, 
j'emprunte à saint Bernard. 

« (l) Vous devez consacrer toute votre vie à Jésus- 
» Christ, parce qu’il a donné sa vie pour vous, et 
» qu’il a supporté les plus affreux tourments, afin de 

* vous arracher aux supplices éternels. En effet, quand 
» même il me serait donné de compter autantde jours 

* qu’en obtiendront ensemble tous les enfants d’A- 

* dam, autant qu’il s’en écoulera jusqu’à la tiu du 
» monde, de pouvoir exécuter les travaux de tous les 

* hommes qui ont vécu, qui vivent et qui vivront-sur 
» la terre, tout cela ne serait rien en comparaison de 
» ce corps qui est, même aux yeux des vertus céles- 
» tes, si merveilleux et si admirable, soit par sa con- 


0) Serra. U, sup. Cant. 


28 


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484 MÉDITATIONS SUÉ LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» ception du Saint-Esprit et sa naissance de la vierge 
» Marie, soit par Tinnocence de sa vie, la multitude 
» de ses enseignements, l'éclat de ses miracles et la 
» révélation des mystères renfermés dans ses sacre- 
> ments. Autant donc les cieux sont élevés au-des- 
» sus de la terre, autant la vie de Jésus-Christ est su- 
» périeure à la nôtre ; et cette vie, il l*a donnée pour 
» nous. Et comme il n’y a aucune comparaison à 

* faire entre le néant et l’être, il n’y a aussi aucune 
» proportion entre notre vie et la sienne, puisqu’on 
» ne peut rien ajouter ni à la dignité de Fune ni à la 
» misère de l’autre. Lors donc que je lui donne tout 
» ce qui est en mon pouvoir, mon offrande n’est-elle 
y pas, par rapport à lui, comme l’étoile est au soleil, 
» la goutte d’eau à la mer, une petite pierre à une 

* montagne, nn simple grain à un énorme monceau 

*» de blé. 

»(1) L’anéantissement de Jésus-Christ n’a point été 
» ordinaire et limité; car il s’est anéanti jusqu’à la 
» chair, jusqu’à la mort et la mort de la croix. O 
» abîme d’humilité, de bonté et de condescendance! 
» qui pourra jamais sonder ta profondeur? Qui 
» pourra concevoir que le Dieu de majesté ait voulu 
y être revêtu de notre chair, condamné à la mort et 
» déshonoré par le supplice de la croix ? Mais, ponr- 
» rait-on dire, le Créateur n’a-t-il pu réparer son 
» ouvrage sans recourir à de telles extrémités? H l’a 
« pu sans doute, mais il a préféré prendre le moyen 
» qui lui coûtait davantage, afin de ne fcasser à 
y rbomme aucune occasion de tom ber dans le détes- 


(t) Serin. Il, sup. Cant. 


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VII e PARTIT:. — SAMEDI, CHAP. LXXXV. 435 

» table et abominable vice de Tingratitude. En effet, 

» s’il s’est lassé dans les plus rudes travaux, c’était 
» pour obliger l’homme à l’aimer davantage et pour 
» que la difficulté de la Rédemption excitât la recon- 
» naissance dans un cœur qu’une condition primiti- 
j > vement plus heureuse avait rendu moins dévoué 
» à son bienfaiteur. Car, que disait l’homme ingrat 
» après sa création? Mon existence est, je l’avoue^ 

» un don purement gratuit, mais elle n’a coûté ni 
» peine ni travail à l’auteur de mon être ; (1) Dieu a 
» dit une parole, et je suis sorti du néant comme les 
» autres créatures. 

» (2) Mais l’iniquité a été réduite au silence. O 
» homme, n’est-il pas plus clair que le jour que Dieu 
» s’est prodigué pour toi de toutes les manières? 

» Maître souverain, il s’est fait esclave; riche, il s'est 
» fait pauvre; Verbe éternel, il s’est fait chair; Fils 
» de Dieu, il n’a pas dédaigné de se faire Fils de 
» l’homme. 9 Pour vous, n’oubliez pas que si vous 
» avez été fait de rien, vous n’avez pas été racheté 
• pour rien. Dieu en six jours a créé toutes choses 
» et vous êtes l’une de ces créatures. Mais il a passé 
» trente années entières sur la terre pour opérer no- 
» tre salut! O combien ü lui en a coûté pour support 
» ter les nécessités de la chair et les tentations de 
» l’ennemi du salut! N'a-t-il pas ajouté à ces maux, 
» n’y a-t-il pas mis le. comble par les horreurs de sa 
» mort? 

»■ (3) Bon Jésus! l’œuvre de ma rédemption, calice 
» amer que vous avez bu jusqu’à la lie, vous rend à 


(I) Ps. 140. — (8/ Ps. 68. — (3) Serm. 30, sup. Cant. 


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436 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» mes yeux plus aimable que tout ce qu’il y a dans 
» le monde. Ce bienfait vous donne à juste titre tous 
» les droits à notre amour. Oui, voilà ce qui attire 
» plus doucement notre dévotion, ce qui la com- 
» mande plus impérieusement, ce qui en serre plus 
» étroitement les liens, ce qui en imprime plus pro- 
» fondément en nous les sentiments. Car c’est par 
» les plus rudes travaux que notre Sauveur a opéré 
» notre Rédemption, et il en a beaucoup moins coûté 
» à Fauteur de la nature pour la création de tout 
» l’univers. Quand il a eréé le monde, (1) il a dit et 
» tout a été fait; il a commandé et tout a été créé : 
» mais quand il a racheté l’homme, il a été contre- 
» dit dans toutes ses paroles, censuré dans toutes ses 
» actions, moqué dans tous ses tourments, outragé 
» jusque dans sa mort. 

,» (2) Pour comble de ga charité, Jésus-Christ s’est 
» livré à la mort, il a tiré de la plaie de son côté de 
» quoi satisfaire à la justice de son Père irrité; et 
» c’est ainsi qu’on a pu lui appliquer ce verset : (3) 
» Le Seigneur est plein de miséricorde et la Rédemption 
» qu’il nous a préparée est trés-abondante. Oui, vrai- 
» ment abondante, car ce ne sont point quelques 
» gouttes, ce sont des torrents de sang qui ont coulé 
» des cinq plaies de son corps I Qu’a-t-il dû faire pour 
» vous qu ? il n’ait pas fait réellement? Vous éties 
» aveugle, il vous a éclairé ; esclave, il a brisé vos 
» fers; égaré, il vous a ramené dans la voie ; coupa- 
» ble, il vous a réconcilié avec son Père. Qui de nous 
» refuserait de courir de bon cœur et avec joie après 


(I) P*. «. — (t) Serm. SS, sup. Ctnt. — (3) Ps. IS9. 


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VII 6 PARTIE. — SAMEDI, CHAP. LXXXV. 437 

» celui qui nous délivre du péché, dissimule nos éga- 
» rements, n’a vécu que pour nous enrichir de mé- 
» rites, et n’est mort que pour nous obtenir. les 
» récompenses éternelles? Qui peut s'excuser de ne 
> pas courir à l’odeur de ses parfums, si ce n’est celui 
» qui n’en a jamais senti la suavité? Cependant çetle 
» odeur de vie s’est répandue sur toute la terre ; 
» car dit le Psalmiste -: (1) Les miséricordes du Seigneur 
» ont rempli toute la terre , et elles sont au-dessus de 
» toutes ses œuvres. Celui donc qui ne sent point cette 
» odeur de vie répandue en tout lieu et qui ne court 
» point après ses parfums, est déjà mort ou du moins 
» atteint de corruption. » 

Saint Bernard dit encore : « (2) L’Epouse ne rougit 
» point d’avoir le teint noir, quand elle sait que 
» cette couleur a précédemment été celle de son 
» Epoux. En effet, quelle gloire pour elle de lui res- 
» sembler en quelque chose ! Il n’y a donc rien de 
» plus glorieux que d’avoir part aux opprobres de 
» Jésus-Christ. Ce qui a fait dire à l’Apôtre dans un 
» saint transport : (3) A Dieu ne plaise que je me glo- 
t » rifie en autre chose qu'en la croix de Notre-Seigneur 
» Jésus-Christ. L’ignominie de la croix est délicieuse 
» pour celui qui, par reconnaissance, met ses délices 
» en Jésuy crucifié. C’est là ce qu’il faut entendre par 
» la noirceur du teint; rhais c’est là aussi l’image et 
» la ressemblance de Jésus-Christ. Interrogez Isaïe, 

» et il vous tracera son portrait tel qu’il l’a vu en es- 
» prit ; car de quel autre a-t-il pu dire : Que (4) c'est 


(f> Ps. 32. — (2) Serai. .25, super Cant. — ( 5 ) Gai. 6. — 
(4) Isaï. 53. 


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438 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» un homme de douleur, qu'il sait ce que c'est que de 
» souffrir; qu'il est sans éclat et sans beauté* 

» De quel autre entend-il parler quand il ajoute : 

* Nous l'avons considéré comme un lépreux , comme un 
j homme frappé de Dieu et humilié pour ses propres pé- 
j chés; il a été couvert de plaies , il a été brisé, pour nas 

* trimes, et nous avons été guéris par ses meurtrissures? 
» Enfin puis-je craindre de dire que Jésus est noir 

* quand saint Paul a dit : Qu’il s’était fait le péché 
» même. En effet, considérez-le indignement revêtu 
» de pauvres haillons, meurtri de coups, souillé de 

* crachats, couvert des ombres de la mort... Y avait- 
il donc au monde quelque chose de plus noir et de 

» plus affreux que ce qui s’offrit aux yeux des spec- 
» tateurs au moment où Jésus-Christ cloué sur la 
» croix, entre deux scélérats, provoquait la dérision 
» des méchants et tout à la fois les larmes des fidô- 
» les, de sorte que l’unique objet des railleries et des 
» insultes était précisément celui qui pouvait seul 
» inspirer la terreur, qui seul méritait d’être ho- 

* noré. 

» ( 1 ) Le rocher offre un asile au hérisson , et où les 
» infirmes peuvent-ils trouver un lieu de repos plus 
» sûr et plus inviolable que dans les plaies du Sau- 
» veur? Je m’y réfugie avec une sécurité proportion- 
» née au pouvoir qu’il a de me sauver. Le monde 
» frémit de rage, la chair me presse de son aiguillon* 
» le démon me tend des pièges, mais je demeure 
» inébranlable ; car je suis solidement établi sur la 
» pierre ferme. J’ai commis une faute énorme ; ma 


(I) Sera, fil, super G*ut. 


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Vil 6 PARTIE. — SAMEDI, CHAP. LXX£V. 439 

» conscience en sera troublée^ mais non pas désespé- 
» rée, parce que je me souviendrai des plaies de mon 
» Sauveur; car il a été blessé pour nos iniquités. Y a- 
» t r il donc un pécheur si exposé à périr que ne puisse 
» sauver la mort de Jésus-Christ ? Ces clous, ces 
» plaies nous crient que Dieu est vraiment dans Jé- 
* sus-Christ se réconciliant le monde. La lance a 
» transpercé son âme, pénétré jusqu’à son cœur, 
» afin qu’il sache toujours compatir à toutes nos in- 
» firmités. Les plaies de ce corps adorable nous dé- 
» couvrent les plus intimes secrets de son cœur, le 
» profond mystère et (1) les entrailles de la miséri - 
» corde de notre Dieu par lesquelles ce Soleil levant est 
» venu d'en haut nous visiter. Et, en effet, que peut- 
» on voir à travers ses blessures, si ce n’est ses misé- 
» ricordieuses entrailles ? Et par quelles preuves plus 
» éclatantes pouviez-vous, Seigneur, nous convainc 
» cre que vous êtes plein de bonté, de douceur et 
» d’une miséricorde infinie? Car nul ne peut se mon- 
» trer plus miséricordieux que Celui qui donne sa 
» vie pour des coupables condamnés à la mort. » 
Saint Bernard dit encore autre part : « Méditez les 
» douleurs de Jésus crucifié et voyez si toutes les par- 
» fies de son corps ne plaident pas en votre faveur 
» auprès de son Père- C’est pour vous que cette tète 
» sacrée, hérissée d’un si grand nombre d’épines, est 
» percée jusqu’au crâne, pendant qu’une pointe plus 
» cruelle a pénétré jusqu’au cœur; car, dit le Sei- 
» gneur par un Prophète : Ce peuple m'a fait , de ses 
» péchés , une couronne d’épines, pour épargner des 


,(1) Gant. Zach. Luc. 


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440 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» douleurs à votre tête et des souvenirs trop pénibles 
» à votre esprit ; les yeux de Jésus se sont obscurcis 
» à sa mort, et ces deux luminaires qui éclairent le 
» monde entier se sont éteints à ce moment suprê- 
» me. Le voile de ténèbres qui couvrit alors ses yeux 
» ne s’étendit-il pas aussi sur toute la terre, et ces 
» deux luminaires ne s’éteignirent-ils point avec ceux 
» de la nature? Or tout cela se fit afin que vos yeux 
» se détournent des choses vaines pour ne pas les 
» voir, et que, s’ils les voient, ils ne s’y attachent pas; 

» Les oreilles de Jésus qui entendent répéter dans 
» le ciel : Saint , saint, saint est le Dieu des armées , 
» entendent dire sur la terre : (l) Vous êtes possédé 
» du démon ; et vociférer : ( 2 ) Crucifiez-le , crudfiez-le. 
> Et pourquoi tout cela? Afin que vos oreilles ne 
» soient jamais fermées aux cris de l’indigence, 
» qu’elles ne s’ouvrent point aux discours inutiles, et 
» qu’elles ne reçoivent jamais le poison de la détrac- 
» tîon. Cette face adorable (3), cette face du plus 
» beau des enfants des hommes est couverte de cra- 
» chats, meurtrie de soufflets, condamnée à tous les 
» outrages. Car voici ce qui est écrit au sujet de Jé- 
» sus : (4) Ils se mirent à lui cracher au visage, à lui 
» donner des soufflets et à se moquer de lui en disant : 
» Prophétise et dis-nous qui fa frappé ? Pourquoi ces 
» horribles traitements ? Pour obtenir que la lumière 
» céleste brille sur votre front, qu’en y éclatant elle 
» y établisse une sainte assurance et qu’on puisse 
» alors dire de vous : (6) Scw visage est inaltérable. 


% (I) Joan. 7. — (2) Joan. I». — (3) Ps. U. — (4) Matth. 36, — 
(S)I.Reg. f. 


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VII e PARTIE. — SAMEDI* CHAP. LXXXV. 441 

» Cette bouche sacrée organe de tant d’enseigne- 
• ments pour les Anges* de tant d’instructions pour 
» les hommes, dont la parole puissante a opéré tant 

• » de prodiges, cette bouche est abreuvée de fiel et de 
» vinaigre pour que la vôtre devienne l’organe de la 
» vérité et de la justice, et publie les louanges de son 
» Dieu- Ces mains puissantes qui ont fondé les cieux, 
» sont attachées à la croix et cruellement percées de 
» clous pour que les vôtres, en s’étendant vers l’in- 
» digent, vous autorisent à dire avec le Psalmiste : 
» (1 ) Je tiens toujours mon âme entre mes mains . Or, ce 
» que l’on tient dans les mains ne s’oublie pas aisé- 
» ment. Ainsi celui qui applique son âme à quelques 
» bonnes œuvres ne l’a certainement pas mise en oubli. 

» Ce Cœur adorable dans lequel sont cachés tous 
» les trésors de la sagesse et de la science de Dieu est 
» ouvert par la lance du soldat pour que le vôtre se 
» purifie de ses coupables affections, qu’en se puri- 
» fiant il se sanctifie et qu’en se sanctifiant il se con- 

* serve pour la vie ‘éternelle. Ces saints pieds dont 
» l’escabeau mérite nos adorations, parce qu’il est 
» saint lui-même, sont cruellement percés et cloués 
» à la croix afin que les vôtres ne se précipitent pas 
» dans la voie de l’iniquité, mais qu’ils courent dans 
» celle des commandements du Seigneur. Que dirai- 
» je encore ? ( 2 ) Ils ont percé mes pieds et mes mains , 
» ils ont compté tous mes os. Jésus a livré pour vous 

• son corps et son âme, afin d’acheter et votre corps 
» et votre âme ; en un mot, il s’est donné tout entier 

* pour vous recouvrer tout entier. 


(I) Ps. U*. — (2) p 8 . 28. 


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442 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» Sortez donc maintenant, 6 mon âme, de votre as- 
» soupissement et secouez là poussière dont vous ôtes 
» couverte, pour contempler cet homme admirable 
» dont tous les traits se réfléchissent dans le Miroir 
» du récit évangélique, comme s’il était réellement 
» présent à vos yeux. Considérez, ô mon âme, quel 
» est celui qui vient à vous avec la Majesté d’un roi, 
» et néanmoins tout couvert de l’ignominie due au 
» dernier des esclaves. Il s’avance le front couronné, 
» mais son diadème est un supplice et sa noble tête 
» est déchirée de mille pointes aiguës. 11 est couvert 
» de la pourpre des rois, mais elle lui attire plus de 
» mépris que d’honneurs. Un sceptre est dans ses 
» mains, mais il ne sert qu’à porter à celte tête au- 
» gus te les coups les plus douloureux. Des soldats se 
y prosternent devant lui pour l’adorer, ils procia- 
» ment sa royauté, et an môme instant ils se relô- 
» vent pour couvrir de crachats le visage du plus ai- 
» mable des enfants des hommes. Ils déchargent sur 
» ses joues d’horribles soufflets et couvrent d’infa- 
» mie ses épaules sacrées. Voyez, ô mon àme, com- 
» bien de violences et d’insultes on prodigue, et de 
» toutes les manières, à un tel personnage ! On lui 
» commande de se courber sous le pesant fardeau 
» de la croix et de porter les insignes de son déshon- 
» neur. Parvenu au heu du supplice, on l’abreuve de 
» fiel et de vinaigre. On .l’élève en croix, et il s'é- 
* crie : (I) Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne sa- 
» vent oe qu'ils font . Quel est donc Celui qui, au mi- 
» lieu de traitements si horribles, n’ouvre pas une 

(I) Luc. 23. 


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Y II® PARTIE. — SAMEDI, CHÀP. LXXXV. 443 

» seule fois la bouche pour adresser à ces tigres fu- 
» rieux quelques plaintes, quelques excuses, quel- 
» ques menaces ou quelques malédictions, mais qui, 
» après tant d'indignités, répand sur ses injustes per- 
» sécuteurs des paroles de bénédictions que nul 
» avant lui n’avait fait entendre ? Connaissez-vous, 
» 6 mon âme, quelqu'un de plus doux, de meilleur 
» que cet homme admirable ? Mais considérez-le plus 
» attentivement encore, et il vous paraîtra digne de 
» la plus grande admiration et de la compassion la 
» plus tendre. Voyez-le nu et déchiré, entre deux 
» voleurs, ignominieusement fixé à. la croix par des 
» clous, abreuvé de vinaigre sur ce lit de douleur, 
» percé par la lance après sa mort et répandant A 
» grands flots son sang par les cinq plaies de ses 
» mains, de ses pieds et de son côté. Pleurez, mes 
» yeux ; et vous, ô mon tune, laissez-vous attendrir 
» de compassion sur les maux affreux dont est acça- 
» blé le plus aimable des enfants des hommes, qui 
» supporte tant de douleurs avec une si admirable 
» mansuétude. 

» Seigneur [très-samt, Père tout-puissant, du fond 
» de votre sanctuaire et du haut du trône que vous 
» occupez dans les cieux, daignez abaisser vos re- 
» gards sur la sainte et adorable victime que le grand 
» Pontife de la loi nouvelle, Jésus-Christ votre File et 
» Notre-Seigneur, vous offre pour les péchés de ses 
» frères et pardonnez-nous la multitude de nos oflen- 
» ses. Voici quë la voix du sang de notre frère Jésue 
» est montée vers voue de la croix en criant : J’ai 
» été couronné de gloire et d’honneur. Assis à la 
* droite de votre Majesté, il s’offre sans cesse devant 


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444 MÉDITATIONS SDH LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» vous en notre faveur, car il est notre frère et nous 
» sommes une même chair avec lui. 

» Regardez, Seigneur, la face de votre Christ qui 
» s’est’montré obéissant jusqu’à la mort, et ne dé- 
» tournez jamais vos yeux des cicatrices de ses plaies, 
, afin de vous souvenir sans cesse de la satisfaction 
» surabondante qu’il vous a offerte pour nos péchés. 
» Plaise à votre bonté, Seigneur, que le poids des 
» iniquités par lesquelles nous avons provoqué votre 
» indignation soit, dans la balance de votîe justice, 
* comparé à celui des maux affreux que votre Fils 
» innocent a soufferts pour nous! Oh! alors, encon- 
> sidération de tant de souffrances, il vous paraîtra 
» sûrement plus convenable et plus digne de vous 
» de répandre sur nous les flots de vos miséricordes 
» que d’en retenir l’abondante effusion en vue des 
» péchés qui ont excité votre colère. Seigneur, notre 
» Père, que toute langue vous bénisse de la bonté 
» infime qui vous a porté à ne pas épargner votre 
» Fils unique et bien*aimé, mais à le livrer pour nous 
» à la mort, afin que nous eussions auprès de vous 
» dans le ciel un si digne et si fidèle avocat. 

» Et vous, Seigneur Jésus, généreux zélateur de 
» mon âme, quelle reconnaissance, quelles actions 
» de grâces proportionnées à vos bienfaits puis-je 
» vous offrir, moi qui ne suis qu’un homme, cendre, 

» poussière et la plus indigne de vos créatures? En 
» effet qu’avez-vous dû faire pour mon salut que 
» vous n’ayez .réellement opéré? Pour me retirer en- 
» fièrement de l’abîme de tous les maux, vous vous 
» êtes vous-même plongé tout entier dans une mer 
w de douleurs dont les eaux amères ont pénétré jus- 


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VII® PARTIE. — SAMEDI, CHAP. LXXXV. 44S 

» qu’à votre âme. Eu vous livrant à la mort-, vous 
» avez perdu votre âme pour me rendre la mienne 
» que j’avais perdue par.le péché. J’ai contracté avec 
» vous une double dette; car je vous suis redevable 
» et de ce que j’ai reçu de vous et de ce que voua 
» avez sacrifié pour moi ; la vie même que je tiens de 
» vous, vous me l’avez donnée deux fois, l’une par 
» ma création, l’autre par ma rédemption. Le sacri- 
» fice de cette même vie est le seul moyen-que j’aie 
» de m’acquitter exactement envers vous. Mais je 
» ne sais ce que l’homme peut convenablement vous 
» rendre pour le prix inestimable de votre âme livrée 
» à tant de trouble et d’angoisse. En effet, quand il 
» me serait possible de vous offrir le ciel, la terre et 
» toutes leurs magnificences, tout cela n’aurait cer- 
» tainement aucune proportion avec ce que je vous 
» dois. Mais c’est à vous. Seigneur, à me donner de 
» quoi m’acquitter envers vous autant que je le dois 
» et qu’il m’est possible. Je dois vous aimer de tout 
» mon cœur, de tout mon esprit, de toute mon âme, 

» de toutes mes forces. Je dois marcher sur vos tra- 
» ces, ô vous qui avez daigné mourir pour moi; or, 

» comment, sans votre secours, puis-je remplir ces 
» obligations? Mon âme s’attache entièrement à vous 
» car elle ne peut absolument rien sans vous. » Tout 
ceci est de saint Bernard. 

Vous connaissez maintenant tout ce que saint Ber¬ 
nard a, dans un style enchanteur qui lui est si fami¬ 
lier, laissé échapper de plus suave et de plus touchant 
sur la Passion de Notre-Seigneur. Ne recevez pas en 
vain cette grâce; mais plutôt, que ces paroles vous 
excitent à méditer fréquemment de tout votre cœur 


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446 MéWTÀTION» SUR LÀ VIE BE N.-S. J.-C. 

et de toutes ses affections la Passion de Notre-Sei- 
gneur, parce qu’il est reconnu que cette méditation 
est bien préférable à toutes celles que l’on peut foire 
sur sa vie. Mais occupons-nous maintenant de sa Ré¬ 
surrection. 


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Vffl» PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. LXXXVI. 44T 


HUITIÈME PARTIE. 

(DIMANCHE.) 


CHAPITRE LXXXYI. 

De la résurrection de Notre-Seigneur, et comment il apparut 
d’abord à sa Mère le jour du dimanche. 

Notre-Seigneur Jésus-Christ, accompagné d'une 
glorieuse multitude d’esprits célestes, étant venu le 
dimanche de grand matin au sépulcre, y reprit son 
corps très-saint ressuscité par sa propre puissance et 
sortit à l’instant du monument qu’il laissa fermé. Au 
même moment, c’est-à-dire à la pointe du jour, Ma¬ 
rie-Madeleine, Marie, mère de Jacques et Salomé, 
après en avoir demandé la permission à la sainte 
Vierge, partirent avec des aromates pour aller au 
sépulcre. Mais Notre-Dame demeura à la maison et 
fit cette prière : 

«Dieu de clémence, Père plein de bonté, vous le 
savez, mon Fils est mort, il a été attaché à la croix 
entre deux voleurs, je l’ai enseveli de mes propres 
mains; mais, Seigneur, vous pouvez le ressusciter, et 
je supplie Votre Majesté de le rendre à ma tendresse. 
Pourquoi tarde-t-il tant à venir me trouver? Rendez- 
le-moi, je vous en conjure; car, si je ne le vois, je ne 


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448 MÉDITATIONS SUR LA ME DE N.-S. J.-C. 

puis goûter aucun repos. 0 mon cher Fils, qu’êtes- 
vous devenu? Que faites-vous? Qui vous retient loin 
de moi? Ne différez pas plus longtemps votre retour, 
je vous prie, car vous l’avez dit :(1) Je ressusciterai le 
troisième jour. Mon Fils, n’esl-ce donc pas aujourd’hui 
ce troisième jour ? Ce ne fut pas hier, mais avant- 
hier que Se leva ce grand jour, ce jour plein d’amer¬ 
tume, ce jour de malheur et de mortelles angoisses, 
ce jour de ténèbres et d’obscurités, ce jour où votre 
mort nous sépara l’un de l’autre : c’est donc, mon 
Fils, aujourd’hui le troisième jour. Sortez du tom¬ 
beau, ô vous qui êtes ma gloire mon trésor, et reve¬ 
nez à moi. Tout mon désir est de vous revoir. Conso¬ 
lez par votre retour celle que votre éloignement a si 
douloureusement affligée. Revenez donc, mon bien- 
aimé. Venez, Seigneur Jésus, venez, mon unique 
espérance, venez à moi, mon cher Fils! » 

Or, pendant qu’elle faisait cette prière que le 
charme de ses pleurs rendait encore plus touchante, 
voilà qu'apparait tout à coup Notre-Seigneur Jésus- 
Christ revêtu de vêtements d’une éclatante blan¬ 
cheur; la sérénité, une beauté ravissante, la gloire 
de sa résurrection, une douce joie éclatent sur son 
front, et il lui dit en se mettant tout près d’elle : t Je 
vous salue, ô ma sainte Mère. » Marie se retournant 
à l’instant : « Etes-vous, lui dit-elle, mon Fils Jé¬ 
sus? • Et elle se prosterna pour l’adorer, t C’est moi- 
méme, ô ma tendre Mère, dit Jésus ; je suis ressuscité 
et me voici encore avec vous. » Tous deux alors se 
relèvent, et Marie, en répandant des larmes de joie, 

(I) Matth. *7. 


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Vül* PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. LXXXVII. 449 

t’embrasse, colle son visage sur le sien, le presse 
fortement snr son cœur, s’abandonne entièrement 
entre les bras de son Fils, et Jésus la soutient aveé 
joie. Puis le Fils et la Mère s’étant assis, Marie ob¬ 
serve avec attention le visage de Jésus et les cicatri¬ 
ces de ses mains, cherchant à s’assurer si toutes les 
parties de son corps n'avaient plus rien à souffrir. 
Jésus lui dit alors : « Ma respectable Mère, toutes les 
douleurs se sont éloignées de moi;j’ai vaincu la 
mort, la souffrance et tous les maux; je suis désor¬ 
mais à l’abri de tous leurs traits. » Marie répondit : 
« Béni 6oit à jamais votre Père qui vous a rendu à 
mes vœux ; que son nom soit loué, exalté et glorifié 
dans tous les siècles. » Ils prolongent un si doux et 
si consolant entretien, et font ensemble leur Pâque 
dans les transports de l’amour le plus délicieux. Jé¬ 
sus apprend alors à sa Mère comment il vient d’ar¬ 
racher son peuple à l’enfer, et tout ce qu’il à fait pen¬ 
dant ces trois jours. Voilà donc maintenant la Pâque 
par excellence. 


CHAPITRE LXXXVII. 

Marie-Madeleine et les deux autres Marie Tiennent au 
sépulcre; Pierre et Jean y accourent. 

Marie-Madeleine et les deux autres Marie allaient, 
comme je l’ai dit, au sépulcre avec des parfums. Dès 
qu’elles sont hors des portes de la ville, elles rappel¬ 
as 


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450 . MÉIKTÀTIODfS* SUR LA Vifc UE Jw-C. 

lent à leur souvenir toutes les afflictions, toutes les 
souffrances de leur divin Maître, et à chaque endroit 
témoin de quelque action importante dont Jésus 
avait été la victime ou le héros, eHes s’arrêtent quel¬ 
ques moments, fléchissent le genou, baisent la terre, 
puis exhalantquelques soupirs et.quelques gémisse¬ 
ments, elles disent : « C’est là que nous l’avons ren¬ 
contré portant sa Croix, et qu’en le voyant sa Mère 
a failli mourir de douleur; ici il a adressé la parole 
aux femmes de Jérusalem ; là, dans son accablement, 
il a laissé tomber sa Croix et s’est un moment appuyé 
sur cette pierre; c’est ici que, pour accélérer sa mar¬ 
che, ses bourreaux l’ont pressé avec tant d’inhuma¬ 
nité, tant de violence, et l’ont presque obligé de cou¬ 
rir; c’est là qu’on l’a dépouillé de ses vêtements et 
réduit à une entière nuditévc’est en ce heu qu’on l’a 
attaché à la croix. > Et alors, poussant de grand» 
cris et baignées de larmes, les trois Marie tombent 
la face contre terre, adorent et baisent la croix en¬ 
core toute rougie du sang précieux de Noire-Set» 
gneur. 

Puis s’étant relevées-et se dirigeant vers le sépul¬ 
cre, elles se disaient entre elles : (1) Qui nous ôtera 
la pierrre de Ventrée du sépulcre ? et levant les yeux 
elles virent la pierre renversée et dessus un Ange du 
Seigneur assis qui leur dit: Ne craignez point , et le 
reste ainsi qu’il est rapporté dans l’Evangile. Mais 
ces femmes, qui croyaient trouver là le corps de No- 
tre-Seigneur, se voyant trompées dans leur espé¬ 
rance et ne faisant' aucune attention aux paroles?de 

(1) Mttth. as. 


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VIII e . PARTIE. — DIMANCHE, CHÀP. LXXXVIH. 4SI 


l’Ange, revinrent tout effrayées trouver les disciples* 
et.leur dirent qu’on avait enlevé le corps de Jésus» 
Aussitôt Pierre et Jean courent au sépulcre. 

Coosidérez*les tous attentivement. Ces deux Apô¬ 
tres courent au sépulcre; Madeleine et ses compa¬ 
gnes les 'suivent en courant; tous courent avec 
empressement pour chercher leur Maître bien-aimé* 
l’ami de leur cœur, la vie de leur Ame; ils courent; 
la fidélité, la ferveur, l’anxiété semblent leur don¬ 
ner des ailes; Ils arrivent au sépulcre, regardent 
attentivement et ne voyant au lieu du eorps de Jésus 
que des linceuls et un suaire, ils se retirèrent. Ne 
leur refusez point votre compassion, car ils sont 
plongés dans une profonde douleur. Ils cherchent 
leur maître et leurs recherches sont vaines; et 
comme ils ne savent en quel lieu ils pourront le 
trouver, ils se retirent fort affligés et répandant de» 
larmes. 


CHAPITRE LXXXYItf. 

Apparition d« Jésus aux trois Marie. 

Or, tes trois Marie qui étaient restée» prés du sé¬ 
pulcre, ayant regardé dans l'intérieur, y aperçurent 
deux Anges vétusde blane qui leur dirent : (1) Pour¬ 
quoi therchn-voui parmi Im morts etlui qui tstw- 


« Lu 4 . u t 


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465 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

vaut? Mais elles ne firent alors aucune attention à 
ces paroles et n'éprouvèrent aucune consolation de 
cette vision, parce que ce n’était pas des Anges, mais 
le Seigneur des Anges qu’elles cherchaient. Deux 
d’entre elles, effrayées et comme anéanties, s’éloi¬ 
gnèrent un peu du sépulcre et s’assirent en pleurant. 
Quant à Madeleine, qui ne savait quel parti prendre, 
qui ne pouvait se passer de son bon Maître, ne le 
voyant point où elle avait espéré de le trouver, et 
ignorant où elle irait le chercher, elle se tint hors du 
sépulcre en répandant] des larmes; Ët comme elle 
conservait toujours l’espoir de revoir Celui qui lui 
était si cher au lieu même où elle l’avait enseveli, elle 
regarda une seconde fois dans l’intérieur du sépul¬ 
cre et vit les deux mêmes Anges assis qui lui dirent : 
(1) Femme y pourquoi pleurez-vous? Qui cherchez-vous? 
Elle répondit : C’est qu'ils ont enlevé mon Seigneur , et 
je ne sais oit ils l’ont mis. 

Remarquez un admirable effet de l’amour. Il n’y a 
pas longtemps qu’un Ange lui a annoncé que Jésus 
était ressuscité ; deux Anges lui ont dit ensuite'qu’il 
était vivant, elle a tout oublié et répond : Je ne sais 
ce qu’il est devenu. C’est son amour qui lui fait tout 
oublier, parce que, dit Origène, (2) son âme n’était' 
plusdù elle était elle-même, mais uniquement où était 
son Maître. Elle ne savait s’occuper, s’entretenir et 
parler que de lui. Mais pendant que,'sans faire aucune 
attention aux Anges, Madeleine s’abandonnait ainsi 
à la douleur, son divin Maître né pouvait retenir 
les transports de son amour pour elle. Aussi Notre- 


(I) Jo&n. 20. — (2) Orig. in dirers. hom. 40. 


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VIII e PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. LXXXVIII. 463 

Seigneur raconte tout cela à sa Mère et lui annonce 
qu’il veut aller consoler Madeleine. Marie l'approuve 
beaucoup et lui dit : « Mon cher Fils, allez en paix, 
lui donner des consolations, car elle a beaucoup d'a¬ 
mour pour vous et votre mort lui a fait verser bien 
des larmes;mais n’oubliez pas de revenir bientôt 
près de moi. » Puis l’ayant embrassé, elle le laissa 
partir. Il alla donc au sépulcre, et trouvant Marie 
dans le jardin, il lui dit : Qui cherchexrvous ? Pourquoi 
pleurez-vous ? Madeleine, qui ne le reconnaissait pas 
encore, répondit comme une personne dont la raison 
est troublée : Seigneur, si c'est vous qui l'avez enlevé, 
dites-moi où vous l'avez mis et je l'emporterai. 

Observez bien avec quel air affligé, suppliant et re¬ 
ligieux elle le conjure de lui dire où est Celui qu’elle 
cherche ; car elle avait toujours l’espérance d’ap¬ 
prendre quelque chose de nouveau sur son bien-aimé. 
Alors Notre-Seigneur lui dit : Marie ! Et Madeleine qui, 
en reconnaissant sa voix, semblait renaître à la vie, 
s’écrie avec une joie inexprimable : « Rabboni! c’est- 
à-dire, mon Maître ; c’est vous, Seigneur, que je cher¬ 
chais ; pourquoi vous êtes-vous si longtemps dérobé 
à mes regards? > Et elle se précipita à ses pieds, qu’elle 
voulait embrasser. Mais Notre-Seigneur, pour l’éle¬ 
ver à la pensée des choses célestes et l’empécher ainsi 
de le chercher sur la terre, lui dit : (1) Ne me touchez 
pas; je ne suis pas encore monté vers mon Père; mais 
dites à mes frères : Je monte vers mon Père et votre 
Père , etc. Puis il ajouta : « Ne vous ai-je pas prédit 
que je ressusciterais le troisième jour? Pourquoi donc 


(I) Joai. 90. 


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454 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

me cherchiez-vous encore dans le sépulcre? — Maître, 
répondit Marie, je vous dirai que votre Passion et 
votre mort si affreuses avaient rempli mon âme d'une 
telle douleur qu’ayant tout oublié, votre corps glacé 
par la mort et le lieu où je l’avais enseveli étaient les 
seules choses dont j’eusse conservé le souvenir, et 
c’est pour cela que dès le matin j^avuis apporté ici ce 
parfam. Bénie soit votre miséricorde qui vous a porté 
& vous ressusciter et àTevenir parmi nous. » Jésus et 
ilarieteiae, dont les cœurs étaient si unis, goûtent 
ainsi pendant quelque temps la joie et le bonheur de 
ae retrouver ensemble. Pourtant Madeleine examine 
attentivement Jésus, l’interroge sur tous les points et 
reçoit de lui les réponses les plus consolantes. Et 
c’est encore ici une grande Pâque (ou un grand pas- 
nage de la douleur à la joie). 

Toutefois, je ne puis me persuader que Madeleine, 
avant de quitter Jésus, ne lui ait pas familièrement 
baisé les pieds et les mains, quoiqu’il lui eût d'abord 
détendu de le toucha*. Et si, dans sa sagesse, il crut 
-devoir commencer par cette défense, ce fut ou parce 
qu’en môme temps il découvrait à Madeleine les sen¬ 
timents de son cœur à son égard, comme on l’expli¬ 
que ordinairement, ou parce qu’il voulait élever son 
esprit à la contemplation des choses du Qél, ainsi 
que je l’ai déjà dit et que saint Bernard seniîde l’m- 
«ouer. En effet, on peut croire pieusement tptfen la 
visitant avec tant d’amour et avant tous ceux dont 
il est parlé dans l’Evangile, Jésus lui accordait cette 
£ràce privilégiée pour la consoler et non pour la jeter 
dans le trouble. La défense de le toucher ne fut donc 
point absolue, c’était un mystère d’amour. Car Ifotee- 


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VIH® PARTIE. — DIMANCHE, CHÀP. LXXXVIII. 455 

Seigneur n’a point d’inflexibilité, point de Bévérité, 
surtout pour ceux qui l’aiment. 

Peu de temps après, le Seigneur la quitta, en di¬ 
sant qu’il fallait qu’il allât visiter d’autres personnes. 
Presqu’attérée à ces mots, Madeleine, qui ne voulait 
plus se séparer de Jésus, lui dit : « Seigneur, à ce 
qu’il paraît, ce n’est plus avec nous que vous voulez 
désormais habiter comme par le passé. Du moins', je 
vous en conjure, ne m’oubliez pas; souvenez-vous, 
Seigneur, de toutes les grâces dont vous m’avez fa¬ 
vorisée; souvenez-vous enfin, mon Dieu, de la fami¬ 
liarité et de la tendre affection dont vous m’avez ho¬ 
norée. Souvenez-vous de moi, Seigneur mon Dieu ! » 
Et Jésus lui répondit.: « Ne craignez rien, soyez con¬ 
fiante et fidèle ; car je serai -toujours avec vous. » 
Puis, après que Notre-Seigneur, en se retirant, lui 
eut donné sa bénédicUon, Madeleine alla retrouver 
ses compagnes et leur raconta ce qui venait de se 
passer. Gdtes-ci, joyeuses d’apprendre la résurrec¬ 
tion de Jésus-Christ, mais affligées de ne l’avoir pas 
encore vu, se retirent avec Madeleine. Pendant que 
ces trois femmes retournaient ensemble à la ville, 
Jésus leuT apparut et leur dit : Je vous saluœ. Elles 
lurent alors remplies d’une joie inexprimable et se 
prosternèrent à ses pieds pour les embrasser. Ici donc, 
comme dans fapparition à Madeleine, ces femmes 
cherchent Jésus, le voient, en reçoivent des paroles 
-consolantes et font une*grande Pâque. Jésus leur dit 
encore : Allez dire à mes frères qu'ils aillent en Galilée; 
<c*est là qu'iês me verront , comme je le leur ai prédit. 

Remarquez que Jésus donne à ses disciples le nom 
de frères; le Maître de l'humilité pouvait-il cesser de 


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456 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

pratiquer cette vertu? Quant à vous, si vous voulez 
avoir l’intelligence de ces mystères et en recevoir 
quelque consolation, souvenez-vous, ainsi que je vous 
Tai dit plus haut, de vous représenter à l’esprit tous 
les lieux et tous les faits, comme si vous les voyiez 
Réellement des yeux du corps ; faites de même pour 
tout ce qui me reste encore à vous dire. 


CHÀPHRE LXXXIX. 

Jésus apparaît à Joseph d’Arimathie, & saint Jacques le 
Mineur et à Pierre. 

Ayant quitté les trois Marie, Notre-Seigneur Jésus- 
Christ apparut à Joseph, par les soins duquel il avait 
été enseveli. C’était pour cela que les Juifs l’avaient 
arrêté et renfermé dans une petite chambre bien scel¬ 
lée. Ils se proposaient même de le mettre à mort 
après le jour du sabbat. Notre-Seigneur se montra 
donc à lui, lui essuya, lui baisa le visage; puis, sans 
briser les scellés, il le reporta chez lui. Jésus appa¬ 
rut aussi à saint Jacques le mineur, qui avait fait 
vœu de ne pas manger avant d’avoir vu Notre-Sei¬ 
gneur ressuscité. Jésus s’adressant à cet Apôtre et à 
ceux qui étaient avec lui, leur dit : • Dressez la table. » 
Ensuite, prenant du pain, il le bénit et le donna à 
saint Jacques, en disant : « Mangez maintenant, mon 


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VIII® PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. LXXXIX. 4*7 

cher frère, car le Fils de l’homme est ressuscité. » Ce 
fait est rapporté par saint Jérôme (1). 

Or, au moment où Madeleine et ses compagnes, 
rentrées à la maison, disent aux disciples que le Sei- 
* gneur est ressuscité, Pierre, affligé de ne pas encore 
avoir vu son divin Maître et ne pouvant modérer la 
vivacité de son amour, quitte à l’instant ces femmes 
et retourné seul au sépulcre, ne voyant pas d’autre 
lieu où il pût aller chercher Jésus. Pendant qu’il pour¬ 
suivait son chemin, Notre-Seigneur lui apparut et lui 
dit : « Simon, la paix soit avec vous. » Aussitôt Pierre, 
frappant sa poitrine, se jette tout en pleurs aux pieds 
de Jésus et lui dit : « Je suis bien coupable, je l’a¬ 
voue; car je vous ai abandonné et renié plusieurs 
fois. » Puis il lui baisa les pieds. Mais Notre -Seigneur 
le relève, l’embrasse et lui dit : « Allez en paix, ne 
craignez rien, tous-vos péchés vous sont remis; j’a¬ 
vais prévu votre faute et je vous l’ai prédite. Allez 
donc maintenant, affermissez vos frères et aryez vous- 
même confiance, car j’ai vaincu la mort, tous vos en¬ 
nemis et tous vos adversaires. » Ce fut donc encore 
une grande Pâque pour saint Pierre. 

Pendant que Notre-Seigneur demeure et s'entre¬ 
tient ainsi avec son Apôtre, Pierre l’examine et ob¬ 
serve tout avec attention. Puis, ayant reçu la béné¬ 
diction de son divin Maître, il retourne et raconte à 
Marie et aux autres disciples tout ce qui vient de se 
passer. Or vous devez savoir que l’Evangile ne parle 
point' de l’apparition que Notre-Seigneur fit à sa 
Mèrë ; mais je l’ai rapportée et je l’ai même placée 

(!) Hier. Ub. de Scrip. ecc. in Jac . 


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458 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

avant toutes les autres apparitions parce que l’Eglise 
la regarde comme certaine, ainsi que le prouve clai¬ 
rement une légende sur la résurrection de Notre- 
Eeigneur. 


CHAPITRE XC. 

Noire-Seigneur après sa résurrection va retrouver les 
saints Pères. 

Comme Notre-Seigneur Jésus-Christ, après avoir 
quitté Simon-Pierre, n’avait pas encore, depuis sa 
Résurrection, visité les saints Pères qu'il avait laissés 
dans le Paradis de délices, il vintles retrouver et s'a¬ 
vança vers eux revêtu d’une robe blanche et envi¬ 
ronné d'une multitude d^Anges. Le voyant de loin 
s’approcher d’eux dans cet appareil de gloire, les 
saints Pères furent remplis d’une joie inexprimable 
et le reçurent au bruit des acclamations, des canti¬ 
ques de bénédictions et de louanges, s’écriant tous 
ensemble : Voici notre Roi; venez , courons tous au-de¬ 
vant de notre Sauveur , son règne commence et n'aura 
jamais de fin . Le jour éternel des Saints luit enfin pour 
nous; venez tous , adorons ensemble le Seigneur . Et se 
prosternant à ses pieds, ils l'adorèrent. 

Puis, s’étant relevés et l’environnant avec une 
respectueuse allégresse, ils mirent le comble à leurs 
louanges, en disant : Il est vainqueur le Lion de la tribu 
deJuda; notre chair bride déjà de T éclat d'une jeunesse 


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VIII e PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. XC. 459 

étemelle . En vous voyant, nous sommes remplis d'une 
sainte joie, vous répandez sur nous d’intarissables déli¬ 
ces. Vous êtes ressuscité ; nous nous réjouirons, nous 
tressaillerons de joie en vous qui êtes la gloire de votre 
peuple. Vous régnerez dans tous les siècles et votre em¬ 
pire s'étendra de génération en génération. Rien ne 
pourra nous séparer de vous , vous nous ressusciterez 
aussi, et nous exalterons le nom du Seigneur. Notre Pré¬ 
curseur est entré pour nous dans les deux, où il réside 
en qualité de Pontife étemel. Void le jour que te Sei¬ 
gneur a fait, passom-le dans les transports d'une sainte 
joie. Voici le jour de notre Rédemption, le jour si long - 
* temps attendu de notre réparation et de notre bonheur 
éternel. Aujourd'hui une douce rosée est descendue des 
Cieuæ, parce que, du haut de sa Croix, le Seigneur Vi¬ 
gne sur tout l'univers. Le Seigneur est monté sur son 
.trône ; la gloire est son vêtement, la force est ta ceinture 
de ses reins. Chantez à l'Etemel un Cantique nouveau, 
parce qu'il a opéré des merveilles. C’est sa droite, c’est 
son bras saint qui nous ont sauvés pour sa gloire. Nous 
sommes maintenant son peuple et les brebis de son p⬠
turage. Venez , adorons-le. 

Vers le soir, Notre-Seigneur dit aux saints Pères : 
« J’ai compassion de mes frères, parce qu’affligés et 
effrayés par ma mort, ils sont dispersés comme des 
brebis errantes et désirent ardemment de me revoir. 
Je vais donc m’offrir à leurs regards pour les fortifier 
et les consoler; après quoi je reviendrai au milieu 
de vous. » À -ces mots les saints Pères æ prosternent 
-en disant : « Qu’il nous soit fait selon votre pa¬ 
role. * 


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460 MÉDITATIONS SUR LA "VIE DE N.-S. J.-C. 


CHAPITRE XCI. 

Apparition de Notre-Seigneur & deux disciples qui allaient 
à Emmaûs. 

Pendant que deux des disciples de Notre-Seigneur, 
qui avaient presque perdu l’espérance de sa Résur¬ 
rection , s’avançaient fort affligés vers Je bourg 
d’Emmaüs, s’entretenant en chemin de ce qui venait 
de se passer, Jésus vint les joindre sous la figure 
d’un voyageur et se mit à marcher avec eux, les in¬ 
terrogeant, leur répondant et leur donnant les plus 
utiles instructions rapportées dans l’Evangile. Enfin, 
cédant à leurs instances, il entra avec eux et se ma¬ 
nifesta à leurs yeux. 

Or, arrêtez-vous ici pour considérer attentivement 
la bonté et l’indulgence de votre adorable Maître. Re¬ 
marquez d’abord que son ardente charité ne peut 
consentir à laisser ainsi ses frères dans l’erreur et 
dans l’affliction. Ami sûr, compagnon fidèle, excel¬ 
lent Maître, il se joint à eux, leur demande la cause 
de leur tristesse et leur explique les Ecritures, em¬ 
brasant leurs cœurs comme le fer dans la fournaise, 
pour en extirper toute la rouille. Et c’est ainsi qu’il 
en agit spirituellement avec nous tous les jours. En 
effet si, dans nos irrésolutions, dans nos décourage¬ 
ments, il nous arrive de parler de Jésus, aussitôt il 
vient à nous, il affermit, il éclaire notre cœur et l’em- 


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46! 


VIH* PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. XCl. 

brase même du feu de son amour; car, parler de 
Dieu est Le meilleur jremède contre de semblables ma¬ 
ladies de l’âme. Ge qui fait dire au Prophète : (1) Vos 
paroles , Seigneur , sont plus douces à mon cœur que le 
miel ne Vest à ma bouche . Et encore : (2) Seigneur , vos 
paroles sont un feu consumant;\ elles ont embrasé d'a¬ 
mour le cœur de votre serviteur . Penser à Dieu produit 
aussi de semblables effets ; ce qui fait dire au même 
Prophète : (3) Mon cœur s'est échauffé au dedans de 
moi; des flammes ardentes Vont embrasé dans la médi¬ 
tation. 

Jugez en second lieu de la bonté de Jésus, non pas 
seulement, comme je viens de le dire, par l’excès 
de son amour, mais encore par son profond abaisse¬ 
ment. En effet, voyez avec quellè humilité il daigne 
marcher en leur compagnie ; le Souverain de l’uni¬ 
vers chemine avec ses serviteurs, comme aurait fait 
un de leurs égaux. Ne dirait-on pas qu’il s’est remis 
à la pratique élémentaire de l’humilité? C’est un 
exemple que nous devons imiter. Mais une autre 
preuve de son humilité, c’est qu'il ne dédaigne pas 
des disciples d’un ordre inférieur. Car ce n’étaient pas 
des Apôtres, mais quelques-uns des derniers disciples 
de Jésus, et cependant il se joint familièrement à 
eux, voyage et s’entretient avec eux. Ge n’est pas 
ainsi qu’en agissent les orgueilleux, ce n’est qu’avec 
des hommes distingués par leur rang ou par leur 
fortune qu'ils consentent à s’entretenir et à voyager. 

On peut encore remarquer ici une troisième preuve 
de l'humilité de Jésus. Observez en effet la conduite 

(I) P*. 108. - (S) Pi. IOS. — (S) Pi. M. 


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462 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-G. 

des orgueilleux et vous verrez que ce n'est pas de* 
vaut un petit nombre d’auditeurs qu’ils débitent 
leurs phrases ampoulées, tandis* que c’est devant 
deux disciples seulement que'Notre-Seigneur expli¬ 
que ses plus profonds mystères; il ne dédaigne point 
de parler devant un si petit auditoire, pas même de¬ 
vant une seule personne, comme on l’a vu précé¬ 
demment dans son entretien avec la Samaritaine. 
En troisième lieu, voyez comment, dans cette cir¬ 
constance, Jésu& fait éclater sa bonté en donnant à 
ses disciples une leçon pratique* de morale, en les 
ranimant et les consolant. Observez donc comment 
il feint de vouloir aller plus loin, afin qu’en leur 
donnant un plus grand désir de le conserver, ils l’in¬ 
vitent à demeurer et le retiennent parmi eux. Yoyea 
ensuite avec quelle bonté il entre avec eux, prend 
du pain, et après l’avoir béni de ses mains très-sain¬ 
tes, le rompt, le leur présente, et se révèle à eux* 
Et tous les jours il en agit invisiblement de Ja même 
manière avec nous, car il veut que nous nous elbr- 
çioos de le retenir par nos désirs, nos prières et de 
saintes méditations. C’est pourquoi (1) il faut toujours 
prier et ne jamais se lasser , comme il uous l’a recom¬ 
mandé et enseigné par son propre exemple, et cela 
afin de nous porter à nous acquitter avec soin des 
devoirs de la piété et de l’hospitalité, et de nous faire 
comprendre qu'il ne suffit pas de lire, ou d’écouter 
la parole de Dieu, mais qu’il faut la mettre eu pra¬ 
tique. Vous pourrez trouver à ce sujet de plus amples 
instructions dans l’homélie que saint Grégoire a 


(I) Luc. I7« 


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VIU® PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. XCU. 462 

faite (l) sur l’Evaugile que nous méditons. Or, Notre- 
Seigneur ne laissa pas longtemps les deux disciples 
d’Emmaüs jouir du bonheur de sa présence; mais 
aussitôt qu'il leur eut présenté le pain, il s'évanouit 
à leurs yeux. Car il voulait faire goûter à ses autres 
disciples une consolation que partagèrent en même 
temps les disciples d’Emmaüs. 


CHAPITRE XCII. 

Notre-Seigneur apparaît le four de la résurrection & tons les 
disciples assemblés. 

Les deux disciples dont nous venons de parler re¬ 
vinrent donc sans délai à Jérusalem, et, à l’exception 
de Thomas, qui était absent, ils trouvèrent tous les 
autres disciples réunis, auxquels ils racontèrent ce 
qui venait de leur arriver. Ils apprirent en même 
temps que le Seigneur était ressuscité et qu’il était 
apparu à Simon. Alors (2) Jésus se présente à eux, les 
portes étant fermées, et leur dit : La paix sait am 
vous* Aussitôt les disciples se prosternent devant lui, 
et, après s’être accusés de lavoir si indignement 
abandonné, ils l’accueillent avec une grande joie. Le 
Seigneur leur dit alors : c Leves-veus, mes frères, 
tous vos péchés vous sont remis. » 11 demeure dons 
familièrement au milieu (Veux, leur montre ses 

(4) S. üreg. bom. il. in Etang. — (i) Luc. il; Joai» 80«£ 


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464 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-5. I.-C. 

mains et son côté, leur ouvre l’esprit pour leur faire 
comprendre les Ecritures et les convaincre de sa ré¬ 
surrection. 11 leur demande s’ils ont là quelque chose 
à manger, et mange devant eux un morceau de pois¬ 
son rôti et un rayon de miel. Enfin (l) il souffle sur 
eux en disant : Recevez le Saint-Esprit. 

Vous le voyez, toutes ces circonstances sont pleines 
de charme et de consolations. Aussi les disciples, si 
effrayés naguères, sont-ils, en revoyant leur Maître, 
transportés d’une joie qui éclate en sa présence. Oh! 
qu’ils sont heureux de lui présenter ce poisson,' ce 
rayon de miel ! Avec quel soin ils le servent, avec 
quel plaisir ils le contemplent! Remarquez aussi que 
Marie était là, car les disciples s’étaient réunis à elle. 
Voyez-la, contemplant toutes ces choses avec une 
inexprimable joie, s’asseyant familièrement auprès 
de son Fils, et lui prodiguant autant qu’elle le peut 
les soins les plus empressés. Notre-Seigneur reçoit 
aussi volontiers tous les services qui lui viennent 
d’une main si chère, et, devant ses disciples, il rend 
à sa Mère les hommages les plus respectueux. N’ou¬ 
bliez pas non plus Madeleine, l’élève bien-aimée de 
Jésus, l’Apôtre des Apôtres. Considérez-la assise, sui¬ 
vant sa coutume, aux pieds de son Maître; voyez avec 
quelle attention elle écoute ses paroles, avec quelle 
joie, quelle profonde affection elle lui rend elle-même 
tous les services qui sont en son pouvoir. Oh! quelle 
idée devons-nous concevoir de cette petite maison, 
et qu’il nous serait doux d’y fixer notre demeure! 
Pour peu que vous ayez de piété, ne trouvez-vous 

0) loin. M. 


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VIII* PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. XCII. 405 

pas qu’il y eut encore là nnc grande Pâque? Pour 
moi, je n’en puis douter. 

Mais Notre-Seigneur resta alors peu de temps avec 
eux, parce que la nuit approchait. Néanmoins il est 
probable que, pour l’obliger à prolonger un peu sa 
visite, ils le prièrent de ne pas se retirer si tôt. Ne 
pensez-vous pas que Madeleine, toujours assise à ses 
pieds, osait, avec une respectueuse confiance, l’em¬ 
pêcher de s’éloigner si vite en le retenant par ses vê¬ 
lements? Car Jésus était revêtu d’une robe éclatante 
de blancheur, ornement de sa gloire. En agissant 
ainsi, Madeleine n’était pas téméraire. Elle aimait 
tant ! elle était si aimée ! Cela lui inspirait de la con¬ 
fiance, et cette confiance ne déplaisait pas au divin 
Maître. Notre-Seigneur aime qu’on le retienne, comme 
nous l’avons vu ci-dessus dans l’apparition aux deux 
disciples qui allaient à Emmatis. Enfin, Jésus, après 
avoir rendu ses devoirs à sa Mère et pris congé d’elle^ 
les bénit tous et se retira. Tous alors se prosternèrent 
à ses pieds et le supplièrent de revenir bientôt. Car, 
accoutumés par le passé à jouir si abondamment de 
la présence de leur divin Maître, ils avaient une faim 
et une soif ardente de le revoir et le rappelaient sou¬ 
vent par leurs désirs et par leurs soupirs. 

Vous venez de voir combien de fois aujourd’hui 
vous avez pu faire la Pâque; car toutes ces appari¬ 
tions eurent lieu le jour de Pâques. Mais si vous n’a¬ 
vez pas assez compati aux douleurs de Jésus dans sa 
Passion, tout ce que je viens de rapporter aura peut- - 
être plus frappé votre esprit que touché votre cœur ; 
car il me semble que si, en méditant les douleurs de 
la Passion, vous saviez y compatir et garder le re- 

30 


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46G MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

cueillement de votre esprit, au lieu de le partager en 
l’occupant aux inutilités, aux curiosités de ce monde, 
vous sentiriez à chaque fois les consolations de ces 
Pâques ou de ces apparitions de Jésus-Christ. Et cela 
pourrait môme vous arriver tous les dimanches si, 
les vendredis et les samedis, vous vous prépariez à 
recevoir ces grâces, en appliquant tout votre esprit 
il la Passion de Notre-Seigneur; puisque, selon PÀ- 
pôtre : (1) Nous ne serons associés aux consolations de 
Jésus qu’autant que rtous aurons pris part à ses souf¬ 
frances. * 


CHAPITRE XCIII. 

ïluit jours après la résurrection, Jésus apparaît à ses 
disciples, Thoihas étant avec eux. 

Or, (1) huit jours après la Résurrection, Jésus ap¬ 
parut une seconde fois à ses disciples, les portes du lieu 
où ils étaient rassemblés étant fermées: 'Thomas, absent 
la première fois, était alors avec eux. Les autres dis¬ 
ciples lui ayant dit qtfils avaient vu le Seigneur , Tho¬ 
mas répondit : St je ne vois dans ses mains la marque 
des dous et si je ne mets mon doigt , et le reste, aihsi 
qu’on le voit dans l’Evangile, je ne le croirai pas. Le 
bon Pasteur, toujours plein de sollicitude pour son 
petit troupeau, leur dit donc : La paix soit axes vous . 


(*) S. Cor. I. — (î) Jean,90. 


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Vlfl® PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. XCIII. 4C7 

Puis il dit à Thomas : Portez ici votre doigt , et regardez 
mes mains ; approchez votre main, mettezAa sur mon 
oété, , et ne soyez pas incrédule, mais fidèle. Alors Tho¬ 
mas, se jetant aux pieds de Jésus, toucha ses cica¬ 
trices en disant : Mon Seigneur et mon Dieu. Il ne vit 
que l’humanité de Jésus-Christ et crut à sa divinité* 
Ainsi que les autres disciples l’avaient déjà fait, il 
s’accusa d’avoir abandonné son divin Maître. Mais 
Notre* Seigneur lui dit en le relevant : « Ne craignes 
rien, tous vos péchés vous sont remis. » 

Au reste Dieu, par une sage économie de sa provi¬ 
dence, permit le doute de Thomas parce qu’il devait 
être l’une des plus fortes preuves de la Résurrection 
de Notre-Seigneur. Arrêtez donc ici vos regards sur 
Jésus et considérez la bonté, l’humilité, l’ardente 
charité qui, comme de coutume, éclatent en lui, 
lorsque, pour leur utilité et pour la nôtre, il daigne 
montrer ses plaies à Thomas et aux autres disciples alin 
de bannir de leurs cœurs toute hésitation. Notre- 
Seigneur a aussi voulu conserver les cicatrices de 
ses blessures pour trois motifs principaux : d’abord 
pour les présenter à ses Apôtres en témoignage de 
*a Résurrection; ensuite pour les montrer à son 
Père, lorsqu’il veut désarmer sa colère et intercéder 
pour nous, car il est notre avocat ; et enfin pour les 
-offrir aux regards des réprouvés au jour du juge- 
•ment, 

Notre-Seigneur Jésus-Christ Testa donc quelque 
^emps avec sa Mère et ses disciples, et pendant qu’il 
leur parlait du royaume de Dieu, chacun d’eux, les 
yeux fixés sur ses traits éclatants d’allégresse et de 
beauté, écoutait avec ravissement les grandes choses 


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458 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N*-S. J.-C- 

dont il les entretenait. Observez avec soin les disci¬ 
ples l’entourant de toutes parts ; Marie se tenait plus 
familièrement près de lui et Madeleine toujours as* 
sise à ses pieds. Prenez ici respectueusement votre 
place, mais tenez-vous un peu loin, à moins que 
Jésus, par un sentiment de miséricorde, ne daigue 
vous faire appeler près de lui. Enfin Noire-Seigneur 
dit à ses disciples d’aller en Galilée sur la montagne 
appelée Thabor, et leur promet de s’y montrer à eux; 
puis il les quitte, après leur avoir donné sa bénédic¬ 
tion. Mais les disciples, quoique merveilleument for¬ 
tifiés par la vue de leur divin Maître, n'en restèrent 
pas moins affamés, moins altérés de sa présence qu’ils 
l'étaient avant son apparition. 


„ CHAPITRE XCIV. 

Notre-Seignenr apparaît à ses disciples en Galilée. 

Les disciples s’étant ensuite rendus au lieu indiqué 
par Jésus-Christ, (!) il leur apparut de nouveau en 
leur disant : Toute puissance m'a été donnée dans le 
ciel et sur la terre. Allez donc, instruisez tous les peu» 
pies, baptisez-les au nom da Père , du Fils et du Saint- 
Esprit ; apprenezrleur à observer toutes les choses que je 
vous ai commandées, et assurez-vous que je suis toujours 
avec vous jusqu'à la consommation des siècles . En 

(!) Ma Ult 28. 


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VIII e PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. XCV. 469 

voyant Jésus, les disciples l’adorent et sont heureux 
de se trouver avec lui. 

Considérez-les attentivement et pesez bien les pa¬ 
roles qui viennent de leur être adressées, car elles 
sont magnifiques. En effet, par ces paroles, Jésus 
leur fait connaître qu'il est le souverain de l’univers, 
il leur donue l'ordre d’instruire Les nations, jl établit 
la forme du Baptême, il les remplit d’une force et 
d’un courage 4 toute épreuve, en leur déclarant 
qu’il sera toujours avec eux. Voyez de quelles con¬ 
solations il les comble, et quels éclatants témoi¬ 
gnages il leur donne de sa charité ! Jésus, ayant dit 
ces choses et béni ses disciples, disparut de devant 
eux. 


CHAPITRE XCV. 

Jésus apparaît à ses disciples au bord delà mer de Tibériade. 

Les disciples demeurèrent encore quelque temps 
dans la Galilée. Or, sept d'entre eux, étant une fois 
allés pêcher dans la mer de Tibériade, ne prirent 
rien pendant toute la nuit. Le matin étant venu, 
Notre-Seigneur leur apparut encore et se tint sur le 
rivage. Observez bien tout ce qui va se passer ici, 
car tout y est plein d’intérêt. (I) Le Seigneur leur 
demande donc s’ils ont pris quelque chose, et sur 


(!) Joan. 1«. 


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470 MÉDITATIONS SUR 1À VIE*DE N.-S. 

leur réponse négative, il leur dit : Jetez, le filet au 
côté droit de la barque et vous trouverez. Ils le jetè¬ 
rent aussitôt et prirent une grande quantité de pois¬ 
sons. C’est pourquoi Jean dit à Pierre : C’est le Sei¬ 
gneur! Alors Pierre, qui était dépouillé de sa tunique, 
la remit et s’empressa d’aller à Jésus en se jetant à la 
mer; les autres disciples vinrent avec la barque. 
Etant descend ns à terre, ils virent un poisson qu’on 
avait mis sur des charbons allumés, et trouvèrent 
aussi du pain. Car Notre Seigneur leur avait préparé 
tout cela. Il lit aussi apporter et rôtir quesques-uns 
des poissons qu'ils avaient pris. Puis se mettant à 
table avec eux, ils tirent ensemble sur le bord de ia 
mer un repas ou plutôt un festin magnifique. Jésus 
qui, toujours fidèle à son humilité ordinaire, les ser¬ 
vait alors, leur offrit du pain après l’avoir rompu, et 
il leur donna aussi du poisson. 

Les sept disciples, pleins d’une respectueuse satis¬ 
faction, goûtent au fond de leurs cœurs le bonheur 
de se retrouver avec leur divin Maitre, de manger 
avec lui et de pouvoir contempler cette beauté cé¬ 
leste l’objet des désirs de tous les Anges. Ils reçoi¬ 
vent de ses mains très-saintes ces aliments délicieux 
qui réparent tout à la fois leurs forces spirituelles et 
corporelles. Oh ! quel festin ! 

Observez-en tous les détails et toutes les circon¬ 
stances, et si vous le pouvez, prenea-y part avec les 
disciples. Ne faites pas moins d’attention à ce qui se 
fit et se dit après le repas. Tout cela est aussi utile 
qu’intéressant. Or, après ce festin solennel, Noire- 
Seigneur dit à Pierre : M’aimez-vous plus que ceux-ci? 
Pierre répondit : Seigneur, vous savez que je vous 


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VIII e PARTIE. — DIMANCHE* CHAP. XCV. 471 

aime. Et Jésus lui dit : Paissez mes agneaux, etc. Et 
après ravoir ainsi interrogé trois fois, Notre-Sei- 
gneur lui confia son troupeau tout entier. Remar¬ 
quez ici la bonté accoutumée, la charité, l'humilité 
de Jésus. Car on voit éclater sa sollicitude et son af¬ 
fection pour nos âmes dans les recommandations 
qu’il fait et qu’il réitère afin de les graver dans le 
cœur de son Apôtre. 

Mais en outre Notre-Seigneur annonça ensuite à 
Pierre de quelle manière il devait mourir, en lui di¬ 
sant : Lorsque vous étiez jeune, vous vous ceigniez vous - 
même , etc., indiquant ainsi qu’il devait glorifier Dieu 
par le supplice de la croix. Pierre ayant demandé en~ 
suite, en montrant saint Jean : Et celui-ci, que de - 
viendra-t-il? Notre-Seigneur répondit : Je veux qu'il 
demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne; comme s’il eût 
dit : Mon intention n’est pas qu’il me suive dans la 
voie douloureuse où j'ai marché, mais je veux que, 
passant ses jours dans la paix de la contemplation, il 
parvienne à une extrême vieillesse. Cependant les 
autres disciples conclurent de ses paroles que Jean 
ne devait pas mourir. Mais vivre toujours n'aurait 
pas été pour lui un grand avantage, puisqu’il vaut 
mieux mourir, afin d’étre avec Jésus-Christ. 

Vous voyez combien de choses, et de choses im¬ 
portantes ont été dites et faites dans cette apparition. 
Après cela Notre-Seigneur disparut de devant eux et, 
comme il l’avait déjà fait, il alla retrouver les saints* 
Pères. Quant A ses disciples, ils furent comblés de 
consolation et retournèrent ensuite à Jérusalem,etc* 


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472 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 


CHAPITRE XCYI. 

De l'apparition de Notre-Seigneur à plus de cinq cents frères 
réunis, et de quelques autres apparitions. 

Notre-Seigneur apparut encore à plus de cinq cents 
frères réunis (i), an témoignage de saint Paul; mais 
en quel lieu et dans quel temps, l’Ecriture ne le dit 
pas. Tout ce que l’on sait, c’est que notre bon Maî¬ 
tre, s’étant placé au milieu d’eux, les entretint, leur 
parla du royaume de Dieu et les remplit des plus 
douces consolations. 

Voilà donc, depuis la Résurrection jusqu’à l’As¬ 
cension, douze apparitions de Notre-Seigneur, les¬ 
quelles, réunies à deux autres que nous allons rap¬ 
porter en parlant de l’Ascension, font en tout qua¬ 
torze apparitions. Mais vous devez savoir que l’Evan¬ 
gile n’en rapporte que dix ; car on n’y voit nulle part 
l’apparition faite à Marie, quoique ce soit une pieuse 
croyance. Quant à l’apparition à Joseph, il n’en est 
question que dans l’Evangile de Nicodéme. (2) Saint 
Paul, dans son Epitre aux Corinthiens, parie aussi de 
l’apparition à saint Jacques dont saint Jérôme fait 
également mention. Et enfin l'apôtre saint Paul, 
dans i’Epître précitée, raconte l’apparition à cinq 
cents d’entre les frères. Les autres se trouvent dans 

(«) «. Cor. 15. — (*) Ibid. 


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VIII e PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. XCVI. 473 

l’Evangile. Mais vous pouvez penser qu’il y en eut en¬ 
core plusieurs autres. Car il est vraisemblable que le 
bon Jésus visitait souvent sa Mère, ses disciples etMa- 
deleine son élève chérie, afin de rendre la force et la 
joie à des âmes que sa Passion avait remples de tant 
d’affliction et de terreur. Et c’est aussi, ce semble, le 
sentiment de saint Augustin, qui p^rle ainsi du temps 
quia suivi la Résurrection : « On n’a pas, dit-il, écrit 
tout ce qui s’est passé alors, parce que les visites de 
Jésus à ses disciples étaient très-fréquentes. » Et 
peut-être même que les saints Pères, et surtout Abra¬ 
ham et David auxquels la promesse du Fils de Dieu 
fut particulièrement faite, venaient avec Jésus voir 
leur excellente Fille, Mère deNotre-Seigneur, qui leur 
obtint à tous la grâce du salut et enfanta le Sauveur 
du monde. 

Oh! avec quelle joie ils la contemplaient, avec quel 
respect ils la saluaient, quelles bénédictions ils répan¬ 
daient sur elle, quoiqu’ils fussent invisibles à ses yeux! 
Vous pouvez encore observer ici, comme à l’ordinaire, 
la bonté, la charité, l’humilité habituelles de Notre- 
Seigneur, vertus dont nous avons si souvent fait men¬ 
tion et qui éclatent dans toutes ses œuvres, surtout 
après le triomphe de sa glorieuse Résurrection, puis¬ 
qu’il daigna encore vivre en pèlerin, pendant qua¬ 
rante jours, pour confirmer et fortifier ses disciples. 
En effet, après le cours de tant d’années, après tant 
de travaux et de douleurs, après une mort si igno¬ 
minieuse et 6i cruelle, ce puissant vainqueur pouvait 
bien rentrer enfin dans sa gloire et confier à ses 
Anges le soin de confirmer et de fortifier ses Apô¬ 
tres, suivant ses desseins éternels; mais sa charité ne 


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474 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J--C. 

pouvant supporter cette séparation, il voulut de¬ 
meurer personnellement avec eux, leur donnant, 
durant quarante jours, par ses apparitions, des preu¬ 
ves nombreuses de sa Résurrection, et les entrete¬ 
nant du royaume de Dieu. Ce n'est pas seulement 
pour ses Apôtres, c'est aussi pour nous 'qu'il a fait 
tout cela, et nous n'y pensons pas. 11 nous a aimés 
d'un amour extrémé, et nous restons froids et glacés 
près de ce feu dévorant dont les ardeurs devraient 
non-seulement nous échauffer, mais nous embraser 
entièrement. 

Mais, passons maintenant à l'Ascension* 


CHAPITRE XCVH. 

De l’Ascension de Notre-Seigneur. . 

Je vais parler de l’Ascension de Notre-Seigneur * 
recueillez-vous profondément, et si jusqu’à présent 
vous avez fait tous vos efforts pour écouter ses paro¬ 
les et observer ses actions comme si vous en étiez 
réellement le témoin, faites plus encore en ce mo¬ 
ment ; car cette solennité l'emporte sur toutes les 
autres, ainsi que je vais clairement vous le montrer 
tout à l'heure. Du moins excitez-vous à une grande 
attention en pensant que Notre-Seigneur, parvenu 
au terme de sa course en ce monde, va maintenant 
nous priver de sa présence corporelle. Considérez 
donc avec plus de recueillement ses paroles et ses 


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VIII e PARTIE» — DIMANCHE» CH AP. XCVII. 474 

actions. Car une âme fidèle, au moment où son 
Epoux, son Seigneur et son Dieu va s’éloigner d’élle* 
doit observer avec beaucoup de soin tout ce qu’il dit 
et tout ce qu’il fait, le graver plus* profondément 
dans son cœur, se recommander à lui avec plus de 
dévotion et d’humilité, et enfin se détacher entière- 
ment de toute autre chose. 

Or, le quarantième jour après sa Résurrection, Jé¬ 
sus sachant que le moment était venu de passer de ce 
monde à son Père , comme il avait aimé les siens, il les. 
aima jusqu'à la fin. Ayant donc pris avec lui les saints. 
Pères et les autres saintes âmes qui se trouvaient dans 
le Paradis terrestre, et n’y laissant qu’Elie et Enoch 
qui vivaient encore et qu’il bénit avant de les quitter*, 
il vint au mont Sion, apparut à ses disciples rassem¬ 
blés dans le Cénacle avec Marie et les autres saintes 
femmes et voulut, avant de les quitter, faire avec 
eux un dernier repas, mémorial touchant d’amour 
et de bonheur. Or, pendant qu’ils se livraient à la 
joie que leur inspirait ce dernier repas fait avec 
leur divin Maître, Notre-Seigneur leur dit i Voici le 
moment où je dois retourner à celui qui m'a envoyé; 
pour vous , restez à Jérusalem jusqu*à ce que vous ayez, 
été revêtus de la force d’en haut; car sous peu de jours, 
ainsi que je vous l'jai promis, vous- serez remplis du Saint- 
Esprit. Ensuite vous irez partout le monde prêchant 
mon Evangile , baptisant ceux qui croiront , et vous met 
rendrez témoignage jusqu'aux extrémités de la terre . 11 
leur reprocha aussi leur incrédulité et surtout de 
n’avoir pas cru les témoins de sa Résurrection, c’est- ; 
à-dire les Auges. 

Et pour leur adresser ce reproche* il choisit exprès 


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476 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.«S. J.-C. 

ce moment où il leur parlait de la prédication qu'ils 
devaient faire de son Evangile, comme s'il leur eût 
dit : L'obligation de croire au témoignage des anges 
était bien plus grande pour vous, môme avant que de 
m'avoir vu, qu'elle ne t'est pour les gentils qui de¬ 
vront y croire sur la foi de votre prédication et ne 
me verront pas. Notre-Seigneur, par ces reproches, 
voulait aussi leur faire connaître la faute qu'ils 
avaient commise, afin de les rendre plus humbles, et 
il leur apprenait en les quittant combien l'humilité 
est agréable à ses yeux, comme pour leur faire une 
recommandation spéciale de cette vertu. Les disciples 
i'ayant ensuite interrogé sur ce qui devait arriver 
dans l'avenir, il refusa de satisfaire leur curiosité, 
parce que cela leur était inutile. Ils continuèrent donc 
ù manger, à converser, à goûter en la présence de 
leur Maître une joie qui n’était troublée que par la 
pensée d'une séparation prochaine. Car ils avaient 
pour lui une affection si tendre qu'ils ne pouvaient 
sans émotion entendre parler de son départ. 

Mais que dirai-je de sa Mère assise à table à ses 
côtés, de sa Mère qui l'aimait incomparablement plus 
que tous les autres? Ne pensez-vous pas qu'à l'an¬ 
nonce de ce départ, troublée par les tendres émotions 
de son amour maternel, Marie a penché sa tète sur 
Jésus et s'est reposée sur son sein? En effet, puisque 
saint Jçan en agit ainsi dans la Gène, on est bien plus 
fondé à croire que Marie en fit autant en cette cir¬ 
constance. Aussi ‘dans une prière accompagnée de 
soupirs et de larmes, elle lui disait : « Mon Fils, si 
vous voulez vous éloigner d’ici, emmenez-moi avec 
vous. » Et Notre-Seigneur lui disait pour la consoler : 


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VIII e PARTIE. — DIMANCHE, CHÀP. XCVII. 477 

« Ma tendre Mère, je vous en conjure, ne vous affli¬ 
gez pas de mon départ, car je retourne à mon Pèrq. 
Quant à vous, il faut que vous restiez encore quelque 
temps sur la terre pour confirmer ceux qui croient 
en moi, ensuite je reviendrai à vous et je vous ferai 
entrer dans ma gloire. » Marie lui répondit : « Mon 
cher Fils, que votre volonté s’accomplisse; car je 
suis prête non-seulement à rester sur la terre, mais 
môme à donner ma vie en faveur des âmes pour les¬ 
quelles vous avez livré la vôtre; mais souvenez-vous 
de moi. » Or Jésus remplissait de consolation sa Mère, 
les disciples, Madeleine et ses compagnes en leur di¬ 
sant : « Bannissez loin de vous le trouble et ia 
crainte, je ne vous laisserai point orphelins ; je m'en 
vais , mais je reviendrai et je serai toujours avec vous. » 
Enfin il leur commanda d’aller sur la montagne des 
Oliviers, d’où il voulait remonter dans les cieux. Et 
aussitôt il disparut de devant eux. 

Sa Mère donc et tous ceux qui étaient réunis avec 
elle allèrent sans délai à la montagne indiquée, située 
à un mille de Jérusalem, où Notre-Seigneur leur ap¬ 
parut de nouveau ; ce qpi fait deux apparitions dans 
le même jour. Alors Jésus salue et embrasse sa Mère 
qui le presse tendrement contre son cœur. Les disci¬ 
ples, Madeleine et tous les autres se prosternent et lui 
baisent les pieds avec attendrissement; Jésus relève 
ses Apôtres et les embrasse avec bonté. 

Fixez maintenant des yeux attentifs sur tous ces 
personnages et ne perdez rien de toute cette scène. 
Considérez aussi avec quel plaisir ef quels respects 
les saints Pères qui sont là présents, mais d’une ma¬ 
nière invisible, contemplent Marie, et avec quelle 


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478 * MÉDITATIONS SLR LA YIE DE N.-S. J.-C. 

tendre reconnaissance ils bénissent celle à laquelle 
ils sont redevables d’un si grand bienfait. Observez 
encore quels regards ils jettent sur ces illustres ath¬ 
lètes, sur ces chefs de la divine armée que le Seigneur 
a choisis entre tant d’autres pour combattre et sou¬ 
mettre tout l'univers, Enfin, ayant ainsi accompli tous 
les mystères, Notre-Seigneur Jésus-Christ s’éleva peu 
à peu au-dessus d’eux et monta au ciel par sa propre 
vertu. Alors sa Mère et tous ceux qui* étaient sur la 
montagne tombent la face contre terre. Marie s’écrie : 
« Mon Fils éternellement béni, souvenez-vous de 
moi. » Le départ de Jésus faisait couler ses larmes, 
mais en même temps, elle était pleine de joie en le 
voyant s’élever vers le ciel. Les disciples disaient de 
même : « Seigneur, nous avons tout quitté pour vous 
suivre, souvenez-vous aussi de nous. » 

Pour Jésus, les mains élevées, le front serein et ra¬ 
dieux, portant la couronne et les ornements d’un 
roi, il était triomphalement emporté dans les deux ; 
et les bénissant, il leur disait : « Montrez-vous fermes 
et courageux, car je serai toujours avec vous. » Or, 
en montant au del, il menait après lui la glorieuse 
multitude des Pères et des Patriarches auxquels il 
ouvrait la route, comme l’avait dit (1) le prophète 
Michée. Tout brillant de la blancheur des lis unie ù 
l’éclat de la pourpre, resplendissant de gloire et d’al¬ 
légresse, il les précédait leur montrant la route, et 
les justes de l’ancienne loi le suivaient avec ravisse- 
sement et remplissaient l’air de leurs cantiques et de 
leurs acclamations, répétant sans cessé : Célébrons la 

*) Mich. 


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Vm # PARTIE. — DIMANCHE, CBAP. XCVII. 479 

gloire de notre Maître, il triomphe aujourd'hui de ta 
mort. Son nom est le Seigneur. Que l'univers entier pu¬ 
blie les miséricordes du Seigneur et les merveilles qu'il a 
opérées en faveur des enfants des hommes. Vous êtes 
béni, Seigneur f notre Dieu, qui êtes le Sauveur de ceux 
qui mettent en vous leur espérance, qui remplissez votre 
peuple d'allégresse et comblez de joie tous vos élus. Que 
votre gloire , à mon Dieu, vous élève au-dessus de-tous les 
deux. Elevez-vous, ô Dieu, au plus haut du ciel et au- 
dessus de toute la terre pour délivrer ceux que vous ho¬ 
norez de votre amour. En montant aux deux, en nous 
en rendant l'accès facile, en nous faisant entrer dans le 
lieu du rafraîchissement, vous brisez dans votre Toute - 
Puissance les chaînes de vos serviteurs et vous mettez le 
combie à tous nos désirs. Nous entrerons donc en vcttre 
maison et nous chanterons des hymnes en présence de 
tous vos Anges. Gloire, louange et honneur vous soient à 
jamais rendus, Roi et Christ Rédempteur. Peuples de la 
terre, bénissez votre Dieu, chantez les louanges du Sei¬ 
gneur. 

Cependant saint Michel, préposé par Dieu à la garde 
du paradis, précédant Jésüs dans la patrie céleste, y 
avait annoncé la prochaine arrivée du Seigneur. Et 
voilà que tous les ordres des esprits célestes, succes¬ 
sivement et suivant le rang de leur hiérarchie, se pré¬ 
cipitent au-devant de lui; il n’y en eut aucun qui ne 
s’empressât de venir à sa rencontre, et, se tenant in¬ 
clinés en sa présence avec tout le respect dont ils 
étaient capables, ils raccompagnaient au bruit des 
hymnes et d’ineffables cantiques. Car qui pourrait 
exprimer les chants et les acclamations qu’ils fai¬ 
saient entendre ? Tous ces princes de la cour céleste 


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480 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

arrivèrent donc ensemble, répétant en chœur : Allé¬ 
luia, alléluia, alléluia. Roi béni, qui venez au nom du 
Seigneur, nous célébrons votre triomphe par nos chants 
d’allégresse , alléluia, alléluia, alléluia. 

Mais qui serait capable d’exprimer la vive satisfac¬ 
tion que tous les Esprits célestes et les saints Patri¬ 
arches éprouvèrent réciproquement lorsqu’ils se ren¬ 
contrèrent et se réunirent ensemble? Ces habitants 
du ciel, après avoir rendu leurs hommages au Sei¬ 
gneur et mis fin à leurs cantiques de louanges, di¬ 
saient avec transport aux saints Pères : « Princes 
choisis entre tous les peuples, nous vous félicitons 
d’étre enfin parvenus au séjour du bonheur, allé¬ 
luia; vous voilà donc pour toujours réunis à votre Dieu, 
alléluia; vous êtes élevés au comble de la gloire, allé¬ 
luia ; chantez les louanges de celui qui est monté au- 
dessus de tous les deux, alléluia, alléluia. » Et les 
saints Pères répondaient dans leur ravissement : 
« Princes de la cité de Dieu, alléluia; nos gardiens et 
nos protecteurs, alléluia; que le bonheur et la paix 
saient toujours avec vous, alléluia ; célébrez aussi par 
vos cantiques la gloire de notre roi , alléluia. Tressail¬ 
lez d’allégresse en présence du Dieu qui nous a secourus, 
alléluia, alléluia, alléluia. » Ils se disaient aussi en se 
saluant les uns les autres : « Nous aurons donc le 
bonheur d ' aller dans la maison du Seigneur, alléluia, 
alléluia; nous habiterons tous ensemble dans la sainte 
dté de Dieu , alléluia ; nous sommes les brebis des pâtu¬ 
rages du Seigneur, franchissons les portes et les parvis 
de son Temple, alléluia; en chantant des hymnes et 
des cantiques, alléluia; car le Dieu des vertus est avec 
nous, alléluia ; il nous a adoptés pour ses enfants , alie- 


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VIII e PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. XCVII. 481 

luia, alléluia. » Vous voyez donc que les acclama¬ 
tions et lés chants de joie étaient universels. En ef¬ 
fet, selon le Prophète : (1) Dieu est monté au bruit 
des acclamations, le Seigneur est monté au son des ins¬ 
truments . 

Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour la conso¬ 
lation de sa Mère et de ses disciples, monta si visi¬ 
blement au ciel qu’ils le suivirent des yeux autant 
que cela leur était possible; mais une nuée le déroba 
à leur vue, et au même instant, il entra dans la pa¬ 
trie céleste avec tous les Anges et tous les saints Pè¬ 
res dont nous venons de parler. Car, dit encore le 
Prophète-Roi : (2) Toits montez sur les nues comme sur 
t m char, vous volez sur les ailes des vents . Or, ce qu’on 
appelle les ailes des vents ce sont leurs sommités, 
c’est-à-dire leurs parties antérieures les plus légères. 
Et dès que Jésus se fut caché dans une nuée, sou 
ascension fut encore plus rapide. Sa Mère, les disci¬ 
ples, Marie, Madeleine et les autres saintes femmes 
restèrent donc à genoux et le regardèrent monter 
aux deux aussi longtemps qu’il leur fut possible de 
l’apercevoir. 

Oh! si la vue de Jésus montant si glorieusement 
au ciel fut pour eux un spectacle ravissant, qu’au- 
rait-ce donc été s’ils eussent pu voir et entendre les 
esprits bienheureux et les âmes saintes l’accompa¬ 
gnant dans sa marche triomphale? Il est probable 
qu’un tel spectacle aurait transporté leurs âmes d'une 
joie si grande, qu’elles se seraient détachées de leur 
corps et se seraient aussi élancées dans les deux. 


(4) Ps. 46. - (2) Ps. 103. 


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31 



482 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE IU-6. J.-€. 

M comme ils étaient ainsi attentifs à le regarder mon¬ 
tant au ciel, deux Anges vêtus de blanc se présentèrent 
subitement à eux, et leur dirent : Hommes de Galilée, 
pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel? Ce Jésus 
qui , en se séparant de vous, s'est élevé dans le ciel, re¬ 
viendra de la même manière que vous Yy avez vu mon¬ 
ter . Retournez doric à Jérusalem et attendez l’accom¬ 
plissement de ce qu'il vous a promis. 

Remarquez ici la sollicitude de Jésus pour ses dis¬ 
ciples. Car à peine l’ont-ils perdu de vue qu’il leur 
envoie deux Auges, pour ne pas les fatiguer par une 
trop loQgue attente et pour les fortifier, en entendant 
ces esprits célestes rendre un témoignage si concor¬ 
dant avec l'idée qu’ils avaient eux-mémes de l’aa- 
oension au ciel de leur divin Maître. Après ces paro¬ 
les, Marie pria humblement les Auges de la recom¬ 
mander à son Fite. Ges messagers célestes, s’inclinant 
profondément, se chargèrent avec empressement 
des ordres de leur Souveraine. Les apôtres, Made¬ 
leine et tous les autres leur firent les mêmes prières; 
et dès que les Auges furent disparus, tous retour¬ 
nèrent à la ville sur le mont Sion, où ils demeurè¬ 
rent dans l’attente, ainsi que le Seigneur le leur 
avait commandé. 

Or, Notre-Seigneur Jésus-Ghrist, heureusement ac¬ 
compagné du magnifique et nombreux cortège que 
nous avons décrit précédemment, ouvrant lui-même 
les portes du Paradis fermées jusqu’alors à tons les 
hommes, les franchit en triomphe, et, fléchissant le 
genou devant son Père, il lui dit d’un air satisfait : 
« Mon Père, je vous rends grâces de m’avoir fait 
triompher de tous nos adversaires. Nos am t g gémis- 


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VIII e PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. XCVII. 48$ 

Raient dans les liens de la captivité, je viens vous les 
présenter. Mais j’ai promis aux frères et aux disciples 
que j’ai laissés dans le -monde de leur envoyer la 
Saint-Esprit, je vous les recommande, ô mon Père, et 
vous prie d’accomplir la promesse que je leur ai 
faute. » Alors le Père céleste le relève, le fait asseoir 
à sa droite et lui dit : « Objet éternel de mes béné¬ 
dictions, 6 mon Fils, je vous ai donné puissance et 
juridiction sur toutes choses; disposez donc comme 
vous l’entendrez de vos disciples et de l’envoi du 
Saint-Esprit. » Tous les saints Pères et tous les esprit» 
bienheureux, qui s’étaient prosternés pour adorer la 
Père céleste, se relevèrent et recommencèrent devant 
lui leurs cantiques, leurs acclamations et leur» 
louanges. 

Car, si, après le passage de la mer Rouge, Moïse et 
les enfants d’Israël s’adressant à Dieu, lui dirent dan» 
un saint cantique : Chantons des hymnes au Seigneur 
parce qu'ü a fait éclater sa gloire , etc. ; si Marie, soeur 
de Moïse et prophétesse, avec toutes les femmes qui 
la suivaient, chantaient les louanges de Dieu et dan¬ 
saient en sa présence au son de leurs tambours, avec: 
combien plus d’allégresse les saints Pères devaient- 
ils célébrer le triomphe remporté sur tous leurs en¬ 
nemis! De même si, pendant que David transportait 
à Jérusalem l’arche «du Seigneur, tout le peuple d’Is¬ 
raël faisait entendre de justes acclamations; si le 
Roi-Prophète unissait alors le son de sa harpe à la 
voix des chanteurs; si tous les chœurs louaient le 
Seigneur en s’accompagnant de la lyre et du tam¬ 
bour; si David enfin dansait de toutes ses forces em 
présence du Seigneur, quels transports d’allégresse 


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484 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

devaient faire éclater ceux qui étaient alors si véri¬ 
tablement et si délicieusement entrés dans la joie 
du Seigneur! Enfin si saint Jean, ainsi qu’il le dit 
dans l’Apocalypse, entendit dans le ciel les concerte 
de cent quarante-quatre mille joueurs de barpe qui 
s’accompagnaient de leurs instruments et cbantaieut 
comme un cantique nouveau devant le trône de Dieu 
et de l’Agneau, quelle que soit la joie dont le saint 
Apôtre cherche à nous donner l’idée, je pense que 
«elle qui éclata dans le ciel le jour de l’Ascension fut 
bien supérieure. Ainsi donc, tous les habitants de cet 
heureux séjour font résonner leurs instruments, tous 
sont dans le ravissement, tous sont dans la joie, tous 
entonnent des cantiques, tous sont transportés d’al¬ 
légresse, tous font des acclamations, tous applaudis¬ 
sent, tous forment des chœurs de danse, tous font 
entendre des cris de réjouissance, tous sont enivrés 
et hors d’eux-mêmes. C’est vraiment alors que le 
cantique de louange retentit dans la Jérusalem cé¬ 
leste, et que de toutes parts toutes les bouches répè¬ 
tent : Alléluia. Jamais, depuis l’origine du monde, on 
c’avait célébré dans le ciel une telle fête, ni une P⬠
que aussi solennelle, et on n’y verra rien de sembla¬ 
ble avant le jour du jugement où tous les élus y en¬ 
treront avec des corps glorieux. Et voilà pourquoi je 
vous ai dit d’abord que, tout bien considéré, cette 
solennité l’emporte sur toutes les autres. En effet, 
examinez-les toutes, et vous verrez que je n’exagère 
pas. 

L’Incarnation de Notre-Seigneur est une grande 
Pâque et une Fête très-solennelle, ç’aété le principe 
de notre bonheur ; mais ce bonheur n’a profité qu’à 


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VIII 6 PARTIE. — DIMANCHE, CIIAP. XCMI- 48S 

nous, et Jésus n’a pu y participer, puisqu’il était ren¬ 
fermé dans le sein virginal de Marie. C’est une gran¬ 
de Pâque que la fête de la Nativité ; mais si elle est 
consolante par rapport à nous, elle doit nous faire 
répandre des larmes de compassion sur Jésus, puis¬ 
qu’il ne vient au monde que pour souffrir un tel ex¬ 
cès de pauvreté, d’anéantissement et d’indigence. La 
Passion est également une grande fête pour nous, 
puisque par elle nos péchés ont été effacés ; « car, 
selon saint Grégoire, la vie ne nous aurait été d’au¬ 
cune utilité sans la Rédemption. » Toutefois les tour¬ 
ments de Jésus-Christ ont été si cruels et sa mort a 
été si ignominieuse que la Rédemption elle-même ne 
peut jamais être ni pour lui ni pour nous un sujet 
de joie et de réjouissance. La Résurrection fut sur¬ 
tout une grande, solennelle et véritable Pâque tant 
pour Jésus-Christ que pour nous, puisqu’elle a pro¬ 
curé à ce Dieu sauveur le plus glorieux triomphe et 
à nous la plus heureuse justification. Ce jour mérite 
donc la plus grande vénération ; aussi est-ce de lui 
que, selon saint Augustin, l’Eglise dit dans ses chants : 
Voilà le jour que le Seigneur a fait , etc. 

La fête que nous célébrons aujourd’hui l’emporte 
sur toutes les autres, et cela peut se conclure de ce 
qui précède. En effet, ce jour de l’Ascension parait 
plus grand et plus saint, parce que, même après la 
Résurrection, Notre-Seigneur ne put encore quitter 
la terre, que les portes du paradis ne purent encore 
s’ouvrir, ni les saints Patriarches être présentés au 
Père céleste, toutes choses qui ne s’accomplirent que 
le jour de l’Ascension. Et si vous y faites bien atten¬ 
tion, tout ce que Dien avait opéré jusque là ne ten- 


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486 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

dàit qu’à cette unique fin sans laquelle toutes ses 
autres œuvres étaient imparfaites. En effet le ciel, 
la terre et tout ce qu’ils renferment sont faits pour 
l’homme, l’homme est créé pour posséder la gloire 
éternelle à laquelle jusqu’alors nul mortel, quelque 
juste qu’il fût, n’avait pu parvenir depuis le péché 
«l'Adam. Vous voyez combien ce jour est grand et 
admirable. 

Le jour de la Pentecôte est encore une très-grande 
Fête que l’Eglise célèbre avec beaucoup de solennité, 
et ce n’est pas sans raison, puisqu’en ce jour elle a 
ireçu le Saint-Esprit, le plus grand de tous les dons 
«le Dieu. Or, c'est encore à nous, et non à Jésus-Christ, 
«lue ce présent a été fait. Mais le jour de l’Ascension 
est vraiment la Fête la plus solennelle de Notre-Sei- 
gneur Jésus-Christ, parce que c’est en ce jour qu’il 
est allé s’asseoir à la droite de son Père et se reposer 
«les fatigues de son pèlerinage en ce monde. C’est 
encore la Fête spéciale de tous les Esprits célestes, 
parce qu’ils reçoivent un accroissement de joie de la 
présence corporelle de Notre-Seigneur, que jusque 
là, ils n’avaient pu contempler au ciel dans son hu¬ 
manité, et parce qu’en ce jour les pertes qu’ils ont 
faites commencent à se réparer par l’introduction 
-d’une si grande multitude de bienheureux ; et c’est 
proprement aussi la Fête des illustres Patriarches et 
Prophètes et de toutes les çaintes âmes qui, pour la 
première fois, firent aujourd’hui leur entrée dans la 
patrie céleste. Si donc nous célébrons le jour où 
«pielque saint a été admis dans le ciel, combien de¬ 
vons-nous plus encore célébrer celui où tant de mfl- 
iiers de saints, où le Saint des saints sont entrés 


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VIII e PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. XCV1I. 487 

dans le séjour éternel 1 C'est également la fête de 
Marie qui vit en ce jour son Fils, décoré du diadème 
royal, aller, comme le Dieu vivant et véritable, s'as¬ 
seoir au plus haut des deux. Mais en même temps 
c'est aussi notre fête particulière, puisqu’en ce jour 
la nature humaine^ été exaltée dans le ciel, et parce 
qu’en outre, si Jésus-Christ ne s’y était élevé, nous * 
n'aurions jamais pu recevoir le don du Saint-Esprit 
qui est à si juste titre l'objet principal de cette solen¬ 
nité. Et voilà pourquoi Jésus disait à ses disciples : 

Il vous est avantageux que je m’en aille , car si je ne 
m’en vai9 point, le Consolateur ne viendra point à vous . 

Mais à l'appui de ce que je viens de dire, voilà 
comment saint Bernard parle de ce jour dans son 
sermon sur l'Ascension de Notre-Seigneur : « Cette 
» fête, mes chers fïères, est glorieuse. Car c'est la 
» consommation et le complément de toutes les au- 

* très solennités ; c est l’heureuse conclusion de tout 
» le pèlerinage de Jésus-Christ Fils du Dieu vivant. 

« C’est avec raison que l'on a fait un jour de fête et 
» d'allégresse de celui où le brillant flambeau de la 
» cour céleste, le soleil de justice a daigné s’offrir à 
» nos regards. Mais on doit se livrer aux transports 
» d'une joie beaucoup plus grande encore le jour où 
» Jésus, déchirant le voile de la mortalité, inaugura 
» avec tant d'allégresse les prémices de notre Résur- 
« rection. Cependant savez-vous ce que j’éprouve en 

* ces Fêtes solennelles, en voyant que, jusqu'à pré- 
» sait, je suis retenu sur la terre ? Je vous le déclare 
» ici, ce lieu de mon exil ne me parait pas beaucoup 
» plus supportable que l'enfer. Enfla Jésus a dit : 

» Si je ne m'en vais point, le Consolateur ne vien- 


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488 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

» dra point a vous. Ne comprenez-vous donc pas 
» que la solennité de ce jour renferme la consom- 

* mation, fait connaître le fruit et perfectionne la 
» grâce de toutes les autres solennités? Car, de même 

* que Celui qui est né pour nous a tout fait pour 

* nous, de même aussi, Celui qui est monté au ciel 
» pour nous, y fait tout pour nous. » Tout cela est 
de saint Bernards 

Vous voyez donc bien que cette fête l’emporte sur 
toutes les autres, et qu’un cœur plein d’amour pour 
Notre-Seigneur devrait plus se réjouir en ce jour 
que d.ms tous les autres jours de l’année. Aussi Jé¬ 
sus disait-il à ses disciples : Si vous m'aimiez, vous 
vous réjouiriez de ce que je retourne à mon Père . J'ai 
donc eu bien raison de dire qu’aucun jour n’a jamais 
été dans le ciel aussi solennisé que celui de l’Ascen¬ 
sion. Or, la joie et les réjouissances de cette fête se 
prolongèrent jusqu’à la Pentecôte ; ce que Ton pour¬ 
ra méditer de la manière suivante. Notre-Seigneur 
monta au ciel à l’heure de Sexte, puisque c’était à 
l’heure de Tierce qu’il avait mangé d’abord avec ses 
disciples ; et quoique tous les habitants de la céleste 
patrie fussent remplis d’une inexprimable joie, ce¬ 
pendant celle fête fut particulièrement célébrée par 
les Anges depuis le premier jour jusqu’à Sexte du 
lendemain, et pendant ce temps Notre-Seigneur leur 
montra quelque familiarité ou leur accorda quelques 
consolations spéciales. Le second jour la fête fut cé¬ 
lébrée par les Archanges, le troisième par les Prin¬ 
cipautés, le quatrième par les Puissances, le cin¬ 
quième par les Vertus, le sixième par les Domina¬ 
tions, le septième par les Trônes, le huitième par les 


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VHP PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. XCVIII. 48fr 

Chérubins et le neuvième par les Séraphins ; ce qui 
complète les neuf chœurs des Anges, de sorte que 
ces réjouissances durèrent jusqu’à Sexte de la veille 
de la Pentecôte. Et alors les saints Pères à leur tour 
célébrèrent cette fête jusqu’à l’heure de Tierce du 
Dimanche de la Pentecôte. 


CHAPITRE XCVIII. 

De Penvoi du Saint-Esprit. — Désir de la patrie céleste et 
de la mort qui peut nous y conduire. 

Tout étant ainsi terminé, Jésus dit à son Père : 
« Mon Père, souvenez-vous de la promesse que j’ai 
faite à mes frères au sujet du Saint-Esprit. » — « Mon 
Fils, répondit le Père céleste, votre promesse m’est 
très-agréable et voici le moment de l’accomplir. Dites 
donc au Saint-Esprit que nous le prions de descendre 
sur nos disciples, de les remplir, de les consoler, de 
les fortifier, de les instruire et de les combler de 
grâces et de faveurs. » Aussitôt cette demande, l’Es¬ 
prit saint, prenant la forme de langues de feu, se 
précipita, et descendit sur les cent vingt disciples 
alors réunis et les renplit tous d’une joie inexprima¬ 
ble. Fortifiés, instruits, embrasés et éclairés par la 
grâce du Saint-Esprit, les disciples parcourent le 
monde et le soumettent en grande partie. 

Cependant, môme après la descente de l’Esprit 
saint, les habitants du ciel continuèrent à chanter et 


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490 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-5. J.-C. 

ne cessent encore de répéter les louanges du Set- 
gnenr. Ils sont toujours dans la joie, célèbrent une 
Fête perpétuelle et ne font entendre que des actions 
de grâces et des Cantiques de louanges. Car il est 
écrit : (1) Heureux, Seigneur , ceux qui habitent dans 
votre maison , ils vous loueront dans tous les siècles des 
siècles . 

Hâtons-nous donc d'entrer dans ce séjoûr de paix 
où coule avec tant d’abondance et sans jamais se ta¬ 
rir un torrent de délices, et. soupirons avec ardeur 
après notre patrie céleste. Ayons horreur des liens 
de ce corps misérable et corrompu, et ne faisons aucun 
cas- des vains désirs par lesquels il s'efforce de nous 
enchaîner à ce monde et de nous tenir éloignés d'une 
si grande félicité. Répétons donc avec l'Apôtre : (2) 
Malheureux homme que je suis , qui me délivrera de ce 
corps de mort ? Et encore : (3) Tant que nous habitons 
dans ce corps , nous sommes éloignés du Seigneur. Et en¬ 
core : (4) [Je désire d'étre délivré des liens du corps , 
pour être avec Jésus-Christ. Désirons donc la dissolu¬ 
tion de notre corps et ne cessons de la demander an 
Seigneur, parce que nous ne pouvons l’opérer par 
nous-méme sans danger pour notre salut. Disons en¬ 
core : Mourons du moins au monde , à ses pompes et à 
ses concupiscences. Séparons-nous avec courage et 
persévérance de tout ce qui est périssable et de 
toutes les misérables, courtes et vaines satisfactions 
des choses visibles qui infectent et blessent nos 
âmes. 

Elevons-nous en esprit avec le Seigneur, ou plutôt 


{#) P», as. — ( 9 ) Rom. 7. - (3) «. Cor. 5. — (S) Phü. 4. 


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VIII* PARTIE» — DIMANCHE, CHAP. XCIX. 491 

vers le Soignent ; que notre conversation soit avec 
lui dans les deux, et qu’ainsi nous ne soyons pas 
tout à fait comme des pèlerins et des étrangers, afin 
qu'au jour du dernier avènement nous méritions 
d'être emportés dans les deux par le même Jésus- 
Christ Notre-Seigueur qui est au-dessus de toutes 
choses, le Dieu béni et loué dans tous les siècles des 
siècles. Ainsi soit-R. 


CHAPITRE XCIX. 

Deux manières de méditer la vie de Jésus-Christ; l’une selon 
la chair, l’antre selon l’esprit. 

Vous avez donc, ma chère Fille, dans ce qui pré¬ 
cède la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ mise, 
pour la plus grande partie, en Méditations. Je les ai 
préparées pour vous. Recevez-les respectueusement» 
de bon cœur et de bonne grâce, et ne négligez pas 
d’en flaire habituellement usage avec toute la piété, 
la joie spirituelle et la sollicitude dont vous êtes ca¬ 
pable; car c’est là votre voie et votre vie, c’est là le 
fondement sur lequel vous pourrez élever le grand 
édifice de votre sanctification. Comme je vous Yb\ 
dit dans plusieurs chapitres précédents, il faut com¬ 
mencer par là, si vous voulez vous élever à une plus 
haute spiritualité, parce que cette méditation de la 
vie de Jésus-Christ non-seulement nourrit par elle- 
même délicieusement notre âme, mais la prépare à 


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492 MÉDITATIONS SUR LÀ VIE DE N.-S. J -C. 

une nourriture encore plus excellente. En effet elle 
nous rend en quelque sorte témoins oculaires des ac¬ 
tions que Notre-Seigneur a faites en sa chair; mais 
quelque chose de plus sublime, c’est de les contem¬ 
pler des yeux de l’esprit, et la Méditation de sa vie 
est l’échelle mystérieuse par laquelle vous pourrez 
parvenir à cette sublimité. Mais, en attendant, il 
faut vous en tenir à la méthode que je vous ai indi¬ 
quée, dont saint Bernard parle en ces termes ; 

« (1) Pour moi, je pense que le motif principal qui a 
» déterminé le Dieu invisible à se moutrer sous une 
» forme humaine, et à habiter parmi nous, c’a été 
» d’attirer d’abord à l’amour de son humanité toutes 
» les affections des hommes charnels qui ne pouvaient 
» rien aimer que selon la chair, et par ce moyen de 
» les conduire ensuite graduellement à l’amour des 
» choses spirituelles. Il indiquait à ses disciples un 
» plus haut degré d'amour quand il leur disait : (2) 
» C'est l'esprit qui vivifie , la chair ne sert de rien. 

» En attendant qu’on s’élève à ce degré supérieur, 
» la dévotion à l’humanité de Jésus-Christ doit faire la 
» consolation de celui qui n’a pas encore reçu l’es- 
» prit vivifiant au degré où le possèdent ceux qui 
» peuvent dire : (3) L'esprit qui nous conduit , c'est 
» celui de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et encore : (4) 
» Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair , main - 
» tenant nous ne le connaissons plus de cette sorte. Car 
» autrement sans le Saint-Esprit>possédé dans cette 
» plénitude, il est impossible d’aimer Jésus, même 
» selon la chair. Toutefois cette dévotion n’est par 

(I) Serai. 80, siip. CanL — (i) Joan. 6. — (3) Thren. *. — (4) !. 
Cor. 5. 


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VIII e PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. XOX. 498 

• faite que lorsque sa suavité, remplissant notre 

• cœur, l’affranchit entièrement de toute affection 
» aux objets charnels et le rend insensible à tous les 
» attraits de la chair ; car voilà ce que c’est que d’ai- 
» mer de tout son cœur. Si, au contraire, je préfère à 
» l’humanité de mon Sauveur quelque parent ou 
» quelque plaisir selon la chair, et qu’en conséquence 

• je remplisse moins fidèlement tout ce que Jésus, 
» pendant sa vie mortelle, m’a enseigné par ses pa- 
» rôles et par ses exemples, n’est-il pas évident alors 
» que je ne l’aime pas de tout mon cœur, puisque, 

• par un malheureux partage, il semble qu’en don- 
» nant à son humanité une partie de mes affections, 
» je réserve l’autre pour moi-môme? Enfin Jésus- 
» Christ a dit : (1) Celui qui aime son Père ou sa mère 
» plus que moi n M est pas digne de moi . Pour résumer 
» en peu de mots ma pensée, aimer Jésus de tout son 
» cœur c’est mettre l’amour de sa sainte humanité 
» bien au-dessus de tout ce qui pourrait nous flatter 
» le plus, soit dans nous-mêmes, soit dans les autres; 
» sans môme en excepter la gloire de ce monde, 
» parce que c’est une gloire selon la chair et qu’il n’y 
» a que des hommes charnels qui puissent s’y atta- 
» cher. » 

Vous voyez donc ce qu’il y a encore de charnel dans 
l’espèce de Méditation que je vous propose, si on la 
compare à la Méditation purement spirituelle. Néan¬ 
moins ne prenez pas de là motif de diminuer votre 
dévotion à la première, mais plutôt de croître en fer¬ 
veur pour vous élever à la sublimité de la seconde, 

(I) Matth. 40. 


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4*4 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

à laquelle cependant tous ne parviendrez qu'en pas¬ 
sant par la moins parfaite, qu'il faut également pra¬ 
tiquer avec beaucoup d’ardeur pour vous abîmer 
dans l’autre. Rien en effet n'est plu» utile que cette 
méditation charnelle qui nous détache de la vie des 
cens, qui nous fait mépriser et vaincre le monde. En 
vous y exerçant de oette manière, vous affermirez 
votre volonté dans la pratique du bien, par une con¬ 
naissance plus approfondie de toutes les vertus, et 
vous acquerrez la force de l'Ame, ainsi que je vous 
l'ai dit dans l'avant-propos. Que cette espèce de mé¬ 
ditation soit donc votre seule et unique occupation, 
votre repos, voire nourriture, votre étude. Get exer¬ 
cice non-seulement vous procurera les avantages 
dont je viens de parler, non-seulement vous élévera 
par degré à la contemplation de la Patrie céleste et 
de la divine Majesté, mais il sera pour vous une 
source abondante et perpétuelle de consolations. En- 
tin, ceux mêmes qui peuvent s'élever à la plus su¬ 
blime contemplation ne doivent pas, selon le lieu et 
selon le temps, abandonner la Méditation 'ordinaire 
de la vie de Jésus-Christ ; autrement, il semblerait 
qu’ils la méprisent, ce qui ne viendrait que d’un or¬ 
gueil excessif. Rappelez-vous donc ce que, dans le 
chapitre relatif à cette sorte de contemplation, je 
vous ai dit ci-dessus sur la Méditation de l’humanité 
de Jésus-Christ que saint Bernard, le plus grand 
des contemplatifs, non-seulement n’a jamais aban¬ 
donnée, mais qu’il affectionne et recommande au- 
dessus de tout, comme on le voit dans ses sermons 
sur ce sujet. 


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VIII* PARTIE. — DIMANCHE, (MAP. C. 


496 


CHAPITRE C. • 

De quelle manière il faut méditer la vie de Jésus-Christ, et 
conclusion de cet ouvrage. 

Maintenant, ma chère fille, je veux vous indiquer 
la méthode que vous devez suivre dans ces Médita¬ 
tions; de peur que, vous imaginant que vous devez 
vous élever à toutes les considérations, et parcourir 
tous les détails développés ci-dessus, vous ne preniez 
le parti de rejeter ce travail comme un fardeau trop 
accablant, surtout lorsque vous saurez que toutes ces 
Méditations peuvent, selon moi, se faire dans l’es¬ 
pace d’une seule semaine. Sachez donc qu’il vous 
suffit de méditer une seule action, une seule parole 
que Notre-Seigneur a faite ou dite lui-môme, ou bien 
qui s’est faite ou dite à son occasion, conformément 
h l’histoire évangélique, en vous représentant toutes 
ces choses de même que si elles se passaient devant 
vous, et à peu près comme l’esprit se figure natu¬ 
rellement les événements dont il entend faire le ré- 
uit. Quant aux considérations morales et aux cita¬ 
tions que, pour votre instruction, jai insérées dans 
cet ouvrage, il ne faut les méditer que si vous voyez 
au premier coup d’œil que cela peut vous conduire à 
l’amour pratique de quelque vertu, ou à la haine de 
quelque vice. Choisissez pour faire ces Méditations 


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496 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

un moment de tranquillité; puis, pendant le reste du 
jour vous pourrez étudier et graver avec soin dans 
votre mémoire les moralités et les citations. Elles 
vous seront extrêmement utiles ; car elles sont esprit 
et vie, et si belles que voué y pourrez puiser presque 
toutes les connaissances propres à vous élever à la 
plus parfaite spiritualité. 

Partagez ces Méditations de manière que, les com¬ 
mençant le lundi, vous alliez jusqu'à la fuite de 
Notre-Seigneur en Egypte ; vous laisserez là Notre- 
Seigneur jusqu’au lendemain, et le mardi, l’accom¬ 
pagnant dans son retour, vous continuerez les Médi¬ 
tations jusqu’à celle où il est dit que Jésus ouvrit 
dans la synagogue le livre du prophète Isaïe ; le mer¬ 
credi vous irez de là jusqu’au chapitre où l’on traite 
des différentes fonctions de Marthe et de Marie; le 
jeudi vous reprendrez les Méditations jusqu’à la Pas¬ 
sion ; Le vendredi et le samedi vous les pousserez 
jusqu’à. la Résurrection ; le dimanche enfin vous 
méditerez la Résurrection, et vous continuerez 
jusqu’à la fin. Répétez cela toutes les semâmes 
pour vous familiariser avec ces exercices, parce 
que plus vous les renouvellerez, plus vous les trou¬ 
verez faciles et agréables. Entretenez-vous vo¬ 
lontiers avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ef¬ 
forcez-vous de mettre constamment Bsa vie dans 
votre cœur, comme sainte Cécile plaçait l’Evangile 
sur le sien. 

Au reste, il est temps de terminer cet ouvrage, 
non par mes propres paroles, mais par celles que 
j’emprunte à saint Bernard, sur le sein duquel j’ai 
tant de fois cueilli de si brillantes fleurs pour vous les 


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407 


VIII® PARTIE, -t DIMANCHE, CHAP. C. 

présenter. Concluons au nom de Notre-Seigneur 
Jésus-Christ, livre scellé, en l’honneur duquel tout ce 
livre a été fait. 

Or, voici à ce sujet ce que saint Bernard dit sur 
ces paroles : Votre nom est comme une huile de parfum 
répandu : « (1) On n’en peut douterai y a entre l’huile 
» et le nom de l’Epoux une certaine similitude ; et ce 
» n’est pas sans raison que le Saint-Esprit a comparé 
» l’un à l’autre. Cette similitude je la trouve, si vous 
» ne voyez rien de mieux, en trois propriétés de 
» l’huile, qui sont d’éclairer, de nourrir et d’oindre. 
» Elle entretient la flamme, nourrit la chair, adoucit 
» la douleur ; c’est une lumière, une nourriture, un 
» remède. Remarquez aussi les mêmes propriétés 
» dans le nom de l’Epoux. Il éclaire celui qui Fen- 

* tend prêcher, nourrit celui qui le inédite, remplit 
» de douceur et d’onction celui qui l’invoque. Mais 
i parcourons ces effets l'un après l'autre. 

» Comment, je vous prie, la lumière de la foi s'est- 
» elle répandue avec tant d’abondance et de promp- 
> Jitude dans tout l’univers, si ce n'est par la prédi- 
» cation du nom de Jésus? N’est-ce pas en faisant 
» briller à nos yeux l’éclat de ce nom que Dieu nous 
» a appelés à son admirable lumière? Et quand nous 
» sommes investis de ces brillantes clartés, quand par 
» elles nous pouvons contempler les splendeurs de 
» la lumière éternelle, n’est-ce pas avec raison que 

* saint Paul nous dit : (2) Vous n’étiez autrefois que 
» ténèbres , mais maintenant vous êtes lumière en Notre? 

* Seigneur . 


(I) Serm. 25» super liant. — (s; Eph. 5. 


32 


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498 MÉDITATIONS SUR LÀ VIE DE N.-S. J.-C. 

» Or le nom de Jésus n’est pas seulement une lu- 

• mière, c’est encore une nourriture. Toutes les fois 
» que vous le rappelez à votre souvenir, ne vous com- 

• munique-t-il pas la force et la vigueur? Quoi de 

• plus propre à nourrir l’âme dans la méditation? 
» Qui peut aus$i bien réparer les fatigues des sens, 

» affermir les vertus, fortifier les inclinations hon- 

• nêtes et vertueuses, entretenir les saintes affec- 
» tions? Tout aliment de l’âme est aride* ri cette 
» huile ne le pénètre, est insipide si ce sel ne l’as- 

• saisonne. Tout écrit est sans goût* pour moi, ri 
» je n’y trouve le nom de Jésus. Toute discusrioo, 

» toute conférence est sans attrait, si l’on n’y pro- 
» nonce le nom de Jésus. Jésus est le miel de mes 
» lèvres, la mélodie de mon oreille, la joie de mon 
» cœur. 

» Mais ce nom est aussi un remède. L’un de vous 
» est-il attristé? Que Jésus viennedansson cœur,que 

• ce nom vole sur ses lèvres et à l’apparition de cette 
» lumière, il verra tous les nuages se dissiper et lasé- 
» rénité renaître. Un autre commet-il un crime ? est- 
» il tenté dans son désespoir de recourir à la mort? 
» _s*il invoque le nom de Jésus, ce nom de vie ne le 

• fera-t-il pas bientôt soupirer après la vie? Quel 
» homme à ce nom salutaire pourrait conserver en- 
» core l’endurcissement habituel du cœur, l’engour- 
» dissement et la paresse, quelque rancune secrète^ 
» la nonchalance et le découragement? Quel homme, 
» lorsque la source de ses larmes est tarie, ne les 
» laisse s’échapper avec plus d’abondance et couler 

• avec plus de douceur dès qu’il a invoqué le nom de 

• Jésus? Quel cœur effrayé et palpitant à la vue du 


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VIII e PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. C. 499 

» péril, n’a pas recouvré la confiance et déposé la 
» crainte en invoquant ce nom plein de puissance? 
» Quel esprit agité et flottant dans le doute n'a pas* 
» dites-moi, vu briller tout à coup la certitude à i’in- 
» vocation de ce nom plein de lumière? Quel homme 
^ désespéré par le malheur n’a pas retrouvé tout 
» son courage en entendant prononcer ce nom sa- 
*> lutaire ? Ce sont là sans doute des; langueurs, des 
» maladies spirituelles, mais aussi en voilà le re- 
» mède. 

» Enfin, pour vous convaincre, écoutez ces paro- 
» les: fl) Invoquez-moi au jour de la tribulation, dit 
» le Seigneur, je vous délivrerai, et vous rendrez gloire 

• à mon nom . Rien d’aussi puissant que ce nom pour 
» réprimer les emportements de la colère, faire tom- 
» ber l’enflure de l’orgueil, guérir la plaie de Penvie, 
» susprendre le cours des dérégléments, éteindre le 
» feu des passions, tempérer la soif de l’avarice et 
» éloigner toutes les tentations impures. Ea effet 
» quand je prononce le nom de Jésus, je me repré- 
» sente un homme doux et humble de cœur, rem- 

• pli de bonté, de sobriété, de chasteté, de misé- 
» ricorde, enfin tout éclatant de la pureté et de la 
» sainteté les plus éminentes, et en môme temps je 
» vois en lui un Dieu tout-puissant, qui me corrige 
» par son exemple et me fortifie par son secours. 
» Le nom de Jésus suffit pour me rappeler tout cela. 
» J’emprunte à l’homme des exemples, au Tout-Puis- 
» sant des secours; je me sers des exemples comme 
» d’une espèce de médicament et de l’assistance pour 

(l)Ps 94. 


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600 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 

• en rendre la vertu plus pénétrante, et j’en compose 
» un remède si excellent qu’aucun médecin n’en 
» pourrait faire de semblable. 

» Le nom de Jésus, voilà, ô mon âme, le vase pré- 
» cieux où vous trouverez toujours renfermé ce re- 
» mède salutaire et toujours efficace contre toutes 
» les maladies dont la pestilence pourrait vous attein- 
» dre. Tenez gravé dans votre cœur, tenez écrit dans 
» votre main, ce nom si propre à diriger vers Jésus 
» tous vos sentiments et toutes vos actions. Jésus 

• lui-même vous y invite, fl) Mettez-moi, dit-il dans 
» un des cantiques, comme un cachet sur votre cœur 

• et comme un sceau sur votre bras . Mais il le répète 

• encore ailleurs. Vous avez donc maintenant un 
» remède contre les péchés dont vos mains et votre 

• cœur pourraient se souiller. Vous avez donc dans 
» le nom de Jésus, de quoi corriger vos actions les 
» plus mauvaises, de quoi perfectionner les moins 
» parfaites ; vous avez aussi en ce nom de quoi pré- 
» server vos sens de la corruption, de quoi les gué- 
» rir s’ils en sont atteints. • Saint Bernard dit ail¬ 
leurs : 

« (2) Seigneur Jésus! que vous ôtes beau aux yeux 
» de vos Anges, sous la forme de Dieu, au jour de 
» votrg éternité, engendré avant l’aurore dans Ta 
» splendeur des Saints, image resplendissante de la 
» substance du Père, lumière éblouissante et toujours 
» durable de la vie éternelle! Mais aussi, ô le Dieu 
» de mon cœur, quels attraits vous m’offrez dans Té- 
» tat humilié où vous dérobez à nos regards votre 

(«) Cant 8. — p: Sera 45, sop CanL 


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VIII e PARTIE. — DIMANCHE, CHAP. C. 501 

» beauté suprême! Car plus vous vous ôtes anéanti, 

• plus, sous le voile de la chair, vous avez caché les 
» rayons de votre indéfectible lumière ; plus ici-bas 
» vous nous avez montré d’amour, plus votre charité 

• a éclaté, plus votre grâce a rayonné à nos yeux. 
» Que vous êtes brillante à votre lever, étoile de 
» Jacob ! Quel est votre éclat, ô fleur sortie de la tige 
» de Jessé ! Quelles douces clartés ont lui dans les 
» ténèbres, ô soleil levant, lorsque vous êtes venu 
» d'en haut pour nous visiter ! Quels sujets d’admi- 
» ration et d'étonnement sont, pour les vertus mê- 
» mes des cieux, votre Conception du Saint-Esprit, 

• votre Naissance de la Vierge Marie, l’innocence de 

• votre vie, la fécondité abondante de votre doctrine, 
» l’éclat de vos miracles, les mystérieuses révélations 
» de vos Sacrements ! Quel éclat vous jetez, ô soleil 
» de justice, lorsqu’après votre repos, vous vous 

• élancez tout radieux du sein de la terre! Enfin que 
» vous êtes ravissant, ô roi de gloire, lorsque magni- 
9 fiquement revêtu de la robe d’immortalifé qui 
<» n’appartient qu’à vous, vous remontez au plus haut 
» des cieux! Comment, à la vue de tant de mer- 
» veilles, tous mes os ne s’écrieraient-ils pas : Sei- 

• gneur, qui est semblable à vous? Pour moi je crois 
» que, lorsque l’Epouse des Cantiques disait : Que 
9 vous êtes beau, ô mon bien-aimé, que vous avez de grâ- 

• ces et de charmes! c’est qu’elle avait admiré dans 

• l’Epoux céleste les attraits ravissants que nous ve- 
» nons d’exquisser, ou d’autres perfections sembla- 
» blés; mais en outre, c’est qu’indubitablement, elle 
» avait contemplé quelques traits de cette beauté di- 
9 vine dont nous ne pouvons nous faire aucune idée 


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502 MÉDITATIONS SUR LA VIE DE N.-S. J.-C. 


» et dont nous n’avons aucune expérience. Voilà 
» pourquoi elle a'désigné, par une double exclama- 
» tion, la beauté spéciale de l’une et de l'autre sub- 
» stance. » Ainsi s’exprime saint Bernard. 

Grâces soient rendues au Dieu qui vit dans tous les 
siècles des siècles. Ainsi soit-il. 


fin. 


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PRIÈRES DURANT LA SAINTE MESSE* 


Au nom du Fêre , et du Fils , et du Saint-Esprit. 

Ainsi soit-ih 

C'est en votre nom, adorable Trinité, ç’est pour vous ren¬ 
dre l'honneur et les hommages qui vous sont dus, que j’as¬ 
siste au très-saint et très-auguste sacrifice. Permettez-moi^ 
divin Sanvéur, de m’unir d’intention au ministre de vo» 
autels pour offrir la précieuse victime de mon salut, et don¬ 
nez-moi les sentiments que j'aurais dû*avoir sur le Calvaire, 
si j’avais assisté au sacrifice sanglant de votre passion. 

Au Gonfiteor. 

Je m’accuse devant vous, ô mon Dieu, de tous les péché» 
dont je suis coupable. Je m’en accuse en présence de Marie, 
la plus pure de toutes les vierges, de tous les saints et de tous 
• les fidèles : parce que j’ai péché en pensées, en paroles, en 
actions, en omissions, par ma faute, oui, par ma faute, et 
par ma très-grande faute. C'est pourquoi je conjure la 
très-sainte Vierge et tous tes saints de vouloir intercéder 
pour moi. 

Au Kyrie, eleison. 

Divin créateur de nos âmés, ayez pitié de l’ouvrage de 
vos mains : Père miséricordieux, faites miséricorde à voe 
enfants. 

Auteur de notre salut, immolé pour nous, appliquez-*»» 
lesmérites de votre mort et de votre précieux sang. 


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504 PRIÈRES 

y 

Aimable Sauveur, doux Jésus, ayez compassion de nos mi¬ 
sères, pardonnez-nous nos péchés. 

Au Gloria in excelsis. 

C'est un cantique de joie ; on ne le récite pas pendant VAvenu , 
•pendant le Carême, ni aux Messes des Morts. 

Gloire à Dieu dans le ciel, et paix aux hommes de bonne 
volonté sur la terre. Nous vous louons. Seigneur, nous vous 
bénissons, nous vous adorons, nous vous glorifions, noos 
vous rendons de très-humbles actions de grâces dans la vue 
de votre grande gloire, vous qui êtes le Seigneur, le souverain 
Monarque, le Très-Haut, le seul vrai Dieu, le Père tout-puis¬ 
sant. 

Adorable Jésus, Fils unique du Père, Dieu et Seigneur de 
toutes choses, Agneau envoyé de Dieu pour effacer les péchés 
du monde, ayez pitié de nous, et du haut du ciel où, vous 
régnez avec votre Père, jetez un regard de compassion sur 
nous. Sauvez nous, vous êtes le seul qui le puissiez. Seigneur 
Jésus, parce que vous êtes le seul infiniment saint, infini¬ 
ment puissant, infiniment adorable, avec le Saint-Esprit 
dans la gloire du Père. Ainsi soit-il. 

Aux Oraisons. 

Accordez-nous, Seigneur, par l’intercession de la sainte 
Vierge et des saints que nous honorons, toutes les grâces 
«que votre ministre vous demande pour lui et pour nous. 
M’unissant à lui, je vous fais la même prière pour ceux et 
celles pour lesquels je suis obligé de prier, et je vous demande. 
Seigneur, pour eux et pour moi, tous les secours que vous 
-savez nous être nécessaires, afin d’obtenir la vie éternelle ; an 
nom de Jésus-Christ notre Seigneur. Ainsi soit-il. 

A VEpitre. 

VEpitre et VÉvangile sont des instructions tirées de la sainte 
Ecriture. Quand vous les lisez ou quand vous les entendez , que 
ce soit toujours avec le profond respect qui est dû à la parole de 
Dieu. 

Mon Dieu, vous m’avez appe’.é à la connaissance de votre 


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DURANT LA SAINTE MESSE. 


505 


sainte loi, préférablement à tant de peuples qui vivent dans 
l’ignorance de vos mystères. Je l’accepte de tout mon cœur, 
cette divine loi, et j’écoute avec respect les sacrés oracles que 
vous avez prononcés par la bouche de vos prophètes : je les 
révère avec toute la soumission qui est due à la parole d’un 
Dieu, j’èn vois l’accomplissement avec toute la joie de mon 
âme. 

Que n’ai-je pour vous, ô mon Dieu ! un cœur semblable à 
celui des saints de votre Ancien Testament ! Que ne puis-je 
vous désirer avec l’ardeur des Patriarches, vous connaître et 
vous révérer comme les Prophètes, vous aimer et m’attacher 
uniquement à vous comme les Apôtres ! 

A VÉvangile. 

Ce ne sont plus, ô mon Dieu ! les Prophètes ni les Apôtres 
qui vont m’instruire de mes devoirs; c’est votre Fils unique, 
c’est sa parole que je vais entendre. Mais, hélas! que me 
servira d’avoir cru que c’est votre parole, Seigneur Jésus, si 
je n’agis pas conformément à ma croyance? que me servira, 
lorsque je paraîtrai devant vous, d’avoir eu la foi sans le mé¬ 
rite de la charité et des bonnes œuvres ? 

Je crois et je vis comme ai je ne croyais pas, ou comme si 
je croyais un Evangile contraire au vôtre. Ne méjugez pas, ô 
mon Dieu ! sur cette opposition perpétuelle que je mets entre 
vos maximes et ma conduite. Je crois, mais inspirez-moi le 
courage et la force de pratiquer ce que je crois. A vous. Sei¬ 
gneur, en reviendra toute la gloire. 

Au Credo. 

Je crois en un seul Dieu, Père tout-puissant, qui a fait le 
ciel et la terre, les choses visibles et invisibles; en un seul 
Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, né de Dieu son 
Père, avant tous les siècles ; Dieu de Dieu, lumière de lu¬ 
mière, vrai Dieu du vrai Dieu, engendré et non créé, consub¬ 
stantiel à son Père, et par qui tout a été fait ; qui est des¬ 
cendu du ciel pour l’amour de nous et de notre salut; qui 
s’est incarné, par l’opération du Saint-Esprit, dans le sein de 
la Vierge Marie, et qui s’est fait homme. Je crois aussi que 
ésu s-Christ a été crucifié pour, l’amour de nous sous Ponce- 


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506 PRIÈRES 

Pilate; qu'il a souffert la mort, et qu’il a été enseveli; qu’il 
est ressuscité le troisième jour, suivant les Ecritures ; qu’il est 
monté aji ciel, et qu’il y est assis à la dioite de son Père ; 
qu’il viendra encore une fois sur la terre avec gloire pour juger 
les vivants et les morts, et que son règne n’aura point de fin. 

le crois au Saint-Esprit, Seigneur vivifiant, qui procède du 
Père et du Fils, qui est adoré et glorifié avec le Père et le 
Fils, et qui a parlé par les Prophètes. Je crois que l’Eglise est 
une, sainte, catholique et apostolique. Je confesse qu’il y a 
Un haptéme pour la rémission des péchés, et j’attends la 
résurrection des} morts, et la vie du siècle à venir. Ainsi 
soit-il. 

A VOffertoire. 

* Offrande du pain et du vin : ajoutez-y l*offrande de vous-mime 
à Dieu qui est votre souverain Seigneur. 

Père infiniment saint. Dieu tout-puissant et étemel, quel¬ 
que indigne que je sois de paraître devant vous, j'ose vous 
présenter cette hostie par les mains du prêtre, avec l’inten¬ 
tion qu’a eue Jésus-Christ mon Sauveur, lorsqu’il institua ce 
sacrifice, et qu’il a encore au moment qu’il s’immole ici pour 
moi. 

Je vous l’offre pour reconnaître votre souverain domaine 
sur moi et sur toutes les créatures. Je vous l’offre pour l’ex¬ 
piation de mes péchés, et en action de grâces de tous les 
bienfaits dont vous m’avez comblé. 

Je vous l’offre enfin, mon Dieu, cet auguste sacrifice, afin 
d’obtenir de votre infinie bonté, pour moi, pour mes parents, 
pour mes bienfaiteurs, mes amis et mes ennemis, ces grâces 
précieuses de salut qui ne peuvent être accordées à un pé¬ 
cheur qu’en vue des mérites de celui qui est le juste par 
excellence, et qui s’est fait victime de propitiation pour tocs. 

Mais en vons offrant cette adorable victime, je vous m ai - 
mande, ô mon Dieu J toute l’Eglise catholique, N. S. P. le 
Pape, notre Evêque, tous les pasteurs des âmes, notre sou¬ 
verain, les princes chrétiens, et tous les peuples qui croient 
en vous. 

Souvenez-vous aussi, Seigneur, des fidèles trépassés ; et en 
considération des mérites de votre Fils, donnea-teor un lieu 
de rafraîchissement, de lumière et de paix. 


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DURANT LA SAINTE MESSE. 


507 


N’oubliez pas, mon Dieu, vos ennemis et les miens : ayez 
pitié de tous les infidèles, des hérétiques et de tous les pé¬ 
cheurs. Comblez de bénédictions ceux qui me persécutent ; et 
me pardonnez mes pêchés, comme je leur pardonne tout le 
mal qu’ils me font, ou qu'ils voudraient me faire. Ainsi 
soit-il 

A la Préface. 

Voici rheureux’moment où le Roi des Anges et des hommes 
va paraître, Seigneur, remplitsez-moi de votre esprit; que 
mon cœur, dégagé de la terre, ne pense qu’à vous. Quelle 
obligation n’ai-je pas de vous bénir et de vous louer en tout 
temps et en tout fieu, Dieu du ciel et de la terre. Maître infi¬ 
niment grand, Père tout-puissant et éternel ! 

Rien n’est plus juste, rien n’est plus avantageux que de 
nous unir à Jésus-Christ pour vous adorer continuellement. 
C’est par lui que tous les Esprits bienheureux rendent leurs 
hommages à Votre Majesté * c’est par lui que toutes les Ver¬ 
tus du ciel, saisies d’une frayeur respectueuse, s’unissent pour 
vous glorifier. Souffrez, Seigneur, que nous joignions nos fai¬ 
bles louanges à celles de ces saintes intelligences, et que,, 
de concert avec elles, nous disions dans un transport de 
oie et d’admiration : 

Au Sanctus. 

Saint, saint, saint, est le Seigneur, le Dieu des années» 
Tant l’univers est rempli de sa gloire. Que les bienheu¬ 
reux le bénissait dans le ciel* Béni soit oelui qui nous 
vient sur la terre, Dieu et Seigneur comme celui qui l’en- 
.voie. 

Au Canon. 

Nous vous conjurons, au nom de Jésus-Christ votre Fila 
et notre Seigneur, ô Père infiniment miséricordieux ! d’a¬ 
voir pour agréable et de bénir l’offrande que nous vous pré¬ 
sentons, afin qu’il vous plaise de conserver, de défendre et 
de gouverner votre sainte Eglise catholique, avec tous les 
membres qui la composent, le Pape, notre Evêque, et géné» 
Talement tous ceux qui font profession de votre sainte loi. 


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508 


PRIÈRES 


Nous vous recommandons en particulier, Seigneur, ceux 
pour qui la justice, la reconnaissance et la charité nous 
obligent de prier; tous ceux qui sont présents à cet adora¬ 
ble sacrifice, et singulièrement N. et N. Et afin, grand Dieu ! 
«que nos hommages vous soient plus agréables, nous nous 
unissons à la glorieuse Marie toujours vierge, mère de notre 
Dieu et Seigneur Jésus-Christ, à tous vos Apôtres, à tous les 
bienheureux Martyrs, et à tous les Saints qui composent 
.avec nous une même Eglise. 

Que n’ai-je en ce moment, ô mon Dieu ! les désirs en¬ 
flammés avec lesquels les saints Patriarches souhaitaient la 
venue du Messie ! Que n’ai-je leur foi et leur amour ! Ve¬ 
nez, Seigneur Jésus, venez, aimable Réparateur du monde, 
venez accomplir un mystère qui est l’abrégé de toutes vos 
merveilles. 11 vient, cet Agneau de Dieu; voici l’adorable 
Victime par qui tous les péchés du monde sont effacés. 

A l'Élévation. 

C'est ici le moment de la Consécration. A la parole du Prêtre 
Jésus-Christ se rend présent sous les apparences du pain et du 
vin. Il est entouré des Anges qui l'adorent, adorons-le avec eux. 

Verbe incarné, divin Jésus, vrai Dieu et vrai homme, je 
crois que vous êtes ici présent ; je vous y adore avec humi¬ 
lité ; je vous y adore de tout mon cœur, et comme vous y 
venez pour l’amour de moi, je me consacre entièrement à 
vous. 

J’adore ce sang précieux que vous avez répandu pour tous 
tes hommes, et j’espère, ô mon Dieul que vous ne l’aurez 
^as versé inutilement pour moi. Faites-moi la grâce de m'en 
appliquer les mérites. Je vous offre le mien, aimable Jésus, 
en reconnaissance de cette charité infinie que vous avez eue 
de donner le vôtre pour l’amour de moi. 

Suite du Canon . 

- Quelle serait donc désormais ma malice et mon ingrati¬ 
tude, si, après avoir vu ce que je vois, je consentais à vous 
offenser! Non, mon Dieu ! je n’oublierai jamais ce que vous 
me représentez par cette auguste cérémonie : les souffrances * 


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DURANT LA Sa INTE MESSE. 


509 


de votre passionna gloire de votre résurrection, votre corps 
tout déchiré, votre sang répandu pour nous, réellement pré¬ 
sent à mes yeux sur cet autel. 

C’est maintenant, éternelle Majesté, que nous vous offrons 
de votre grâce véritablement et proprement la victime pure, 
sainte et sans tache, qu’il vous a plu nous donner vous-mê¬ 
me, et dont toutes les autres n’étaient que la figure. Oui, 
grand Dieu ! nous osons vous le dire, il y a ici plus que tous 
les sacrifices d’Abel, d’Abraham et de Melchisédech ; la seule 
victime digne de votre autel, Notre-Seigneur Jésus-Christ, 
votre Fils, l’unique objet de vos éternelles complaisances. 

Que tous ceux qui participent ici de la bouche ou du cœur 
à cette sacrée Victime soient remplis de sa bénédiction. 

Que cette bénédiction se répande, ô mon Dieu ! sur les 
âmes des fidèles qui sont morts dans la paix de l’Eglise, et 
particulièrement sur l’âme de N. et N. Accordez-leur, Sei-. 
gneur, en vue de ce sacrifice, la délivrance entière de leurs 
peines. 

Daignez nous accorder aussi un jour cette grâce à nous- 
mêmes, Père infiniment .bon, et faites-nous entrer en so¬ 
ciété avec les saints Apôtres, les saints Martyrs et tous les 
Saints, afin que nous puissions vous aimer et vous glorifier 
éternellement avec eux. Ainsi soit-il. 


Au Pater. 

Que je suis heureux, ô mon Dieu, de vous avoir pour pèreî 
Que j’ai de joie de songer que le ciel où vous êtes doit être 
un jour ma demeure ! Que votre saint nom soit glorifié par 
toute la terre. Régnez absolument sur tous les cœurs et sur 
toutes les volontés. Ne refusez pas à vos enfants la nourri¬ 
ture spirituelle et corporelle. Nous pardonnons de bon 
cœur : pardonnez-nous, soutenez-nous dans les tentations 
et dans les maux de cette misérable vie; mais préserves- 
Hous du péché le plus grand de tous les maux. Ainsi soit-il. 

A TAgnus Dei. 

Agneau de Dieu, immolé pour mol, ayez pitié de moi. Vie- 


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PRIÈRES 


510 

time adorable de mon salut, sauvezmoi. Divin Médiateur, 
obtenez-moi ma grâce auprès de votre Père, donnez-moi 
votre paix. 

A la Communion. 

Qu’il me serait doux, ô mon aimable Sauveur ! d'être du 
nombre de ces heureux chrétiens à qui la pureté de con¬ 
science et une tendre piété permettent d’approcher tous les 
jours de votre sainte table ! 

Quel avantage pour moi, si je pouvais en ce moment vous 
posséder dans mon cœur, vous y rendre mes hommages» 
vous y exposer mes besoins, et participer aux grâces que 
vous faites à ceux qui vous reçoivent réellement ? Mais puis¬ 
que j’en suis très-indigne, suppléez, 6 mon Dieu! à l’indis¬ 
position de mon âme. Pardonnez-moi tous mes péchés : jt 
les déteste de tout mon cœur, parce qu’ils vous déplaisent. 
Recevez le désir sincère que j’ai de m’unir à vous. Purifies- 
moi d’un seul de vos regards, et mettez-moi en état de vous 
bien recevoir au plus tôt. 

En attendant cet heureux jour, je vous conjure, Seigneur, 
de me faire participant des fruits que la communion du prê¬ 
tre doit produire en tout le peuple fidèle qui est présent à ce 
sacrifice. Augmentez ma foi par la vertu de ce divin sacre- 
ment ; fortifiez mon espérance ; épurez en moi la charité ; 
remplissez mon cœur de votre amour, afin qu’il ne respire 
plus que pour vous et qu’il ne vive plus que pour vous. Ainsi 
soit-il. 


Aux dernières Oraisons . 

Vous venez, ô mon*Dieu, de vous immoler pour mon saint, 
je veux me sacrifier pour votre gloire. Je suis votre victime, 
ne m’épargnez point. J’accepte de bon cœur toutes les croix 
qu’il vous plaira de m’envoyer ; je les bénis, je les reçois de 
votre main, et je les unis à la vôtre. 

Je sors purifié de vos saints mystères ; Je fuirai avec hor¬ 
reur les moindres taches du péché, surtout de celui où mon 
penchant m’entraîne avec plus de violence. Je serai fidèle à 
votre loi, et je suis résolu de tout perdre et de tout souffrir 
plutôt que de la violer. 


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DURANT LA SAINTE MESSE. 511 

A la Bénédiction . 

Bénissez, ô mon Dieu ! ces saintes résolutions : bénissez - 
nous tous par la main de votre ministre, et qne les effets de 
votre bénédiction demeurent éternellement sur nous. Au 
nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il. 

Au dernier Évangile . 

Verbe divin, Fils unique du Père, lumière du monde, 
venue du ciel pour nous en montrer le chemin, ne permet¬ 
tez pas que je ressemble à ce peuple infidèle qui a refusé de 
vous reconnaître pour le Messie. Ne souffrez pas que je 
tombe dans le même aveuglement que ces malheureux qui 
ont mieux aimé devenir esclaves de Satan que d’avoir part à 
la glorieuse adoption d’enfants de Dieu, que vous veniez leur 
procurer. 

Verbe fait chair, je vous adore avec le respect le plus pro¬ 
fond; je mets toute ma confiance en vous seul, espérant 
fermement que, puisque vous êtes mon Dieu, et un Dieu qui 
s’est fait homme afin de sauver les hommes, vous m’accor¬ 
derez les grâces nécessaires pour me sanctifier et vous possé¬ 
der éternellement dans le ciel. Ainsi soit il. 

Prière après la sainte Messe . 

Seigneur* je vous remercie de la grâce que vous m'avez 
faite en me permettant aujourd’hui d’assister au sacrifiée de 
la sainte Messe, préférablement à tant d’autres qui n’ont 
pas eu le même bonheur ; je vous demande pardon de toutes 
les fautes que j’ai commises par la dissipation et la langueur 
où je me suis laissé aller en votre présence. Que ce sacrifice, 
ô mon Dieu ! me purifie pour le passé et me fortifie pour 
l’avenir. Ainsi soit-il. 


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VÊPRES DU DIMANCHE 


PSAUME 109. 


Le Seigneur a dit à mon Sei¬ 
gneur : Asseyez-vous à ma 
droite. 

Jusqu’à ce que je réduise vos 
ennemis à vous servir de mar¬ 
che pied. 

Le Seigneur fera sortir de 
Sion le sceptre de votre puis¬ 
sance ; régnez au milieu de vos 
ennemis. 

•Avec vous sera la souverai¬ 
neté au jour de votre puissance, 
dans la splendeur des Saints : 
je vous ai engendré de mon 
sein avant l’aurore. 

Le Seigneur l'a juré et il ne 
s’en repentira pas : Vous êtes 
rétre à jamais, selon l’ordre 
e Melchisédech. 

Le Seigneur est à votre droi¬ 
te, il brisera les vois au jour de 
sa colère. 

11 jugera les nations. 11 les 
remplira de ruines. Il écrasera 
sur la terre la tête d’un grand 
nombre. 

11 boira, dans son chemin, 
l’eau du torrent; c’est pour 
cela qu’il élèvera la tête. 

Gloire au Père, au Fils et 
au Saint-Esprit à présent et 


Dixrr Dominus Domina 
meo : * Sede a dextris raeis. 

Donec ponam inimicos 
tuos, * scabellum pedum 
tuorum. 

Virgam virtutis tuæ emit- 
tet Dominus ex Sion : * do- 
minarc in medio inimico- 
rum tuorum. 

Tecum principium in die 
virtutis tuæ, in splendori- 
bus sanctorum : ex utero 
ante luciferum genui te. 

Juravit Dominus et non 
poenitebit eum : * Tu es sa- 
cerdos in æternuin secun- 
dum ordinem Melchise- 
dech. 

Dominus a dextris tuis : • 
confregit in die iræ suæ re- 
ges. 

Judicabit in nationibos, 
impie bit ruinas : * eonquas- 
sabit capita in terra multo- 
rum. 

De torrente in via bibet : 
* propterea exaltabit ca- 
put. 

Gloria Patri, et Filio, et 
Spiritui sancto : * Sicut 


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VÊPRES DU DIMANCHE. SU 


oint in principio; et nunc, 
et semper, et in sæcula 
sæculorum. Amen. 


toujours, comme dès le com¬ 
mencement et à la fin de tons 
les siècles des siècles. Ainsi 
soit-il. 


PSAUME 110. 


Confitebor tibi, Domine, 
in toto corde meo : * in 
conciliojustorum et congre- 
gatione. 

Magna opéra Domini : * 
exquUita in omnes volun- 
tates ejus. 

Confessio et magniflcen- 
tia opus ejus : * et justifia 
ejus manet in sæculum sæ- 
Culi. 

Memoriam fecit mlrabi- 
lium suorum, misericors et 
miserator Dominus : * es- 
cam dédit timentibus se. 

Memor erit in sæculum 
testamenti sui : * virtutem 
operum suorum annuntia- 
bit populo suo. 

Ut det illis hæreditatem 
gentium : * opéra manuum 
ejus veritas et judicium. 

Fidelia omnia mandata 
«jus, conûrmata in sæcu¬ 
lum sæculi : * facta in veri- 
tate et æquitate. 

Redemptionem misit po- 

S ulo suo s. * manda vit 
i æternum testamentum 
auum. 

SANCTUM ET TERR1BILE 

hohen ejus : * inititim sa- 
pientiæ timor Domini. 

fntellectus bonus omni¬ 
bus facientibus eum :* lau- 


Je vous louerai, Seigneur, de 
tout mon coeur, dans les réu¬ 
nions et les assemblées des jus¬ 
tes. 

Car les œuvres de Dieu sont 
admirables, et parfaitement 
ordonnées selon ses volontés. 

Ses œuvres ne sont que gloire 
et magnificence, et sa justice 
subsiste éternellement. 

Il a perpétué le souvenir de 
ses merveilles ; le Seigneur est 
bon et miséricordieux. Il a 
donné la nourriture à ceux qui 
le craignent. 

Il se souviendra toujours de 
son alliance. 11 manifestera à 
son peuple la force de son 
bras, 

En lui donnant les nations 
en héritage ï les œuvres de ses 
mains sont fidélité et justice. 

Toutes ses volontés sont plei¬ 
nes d'équité : elles s'étendent 
de siècle en siècle, appuyées 
sur la vérité et la droiture. 

Le Seigneur a envoyé là dé¬ 
livrance à son peuple ; il a 
confirmé son alliance pour tou¬ 
jours. 

Son nom est saint et terri¬ 
ble : la crainte du Seigneur est 
le commencement de la sa¬ 
gesse. 

La véritable intelligence est 
le partage de ceux qui ont cette 

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VÊPRES Dü DIMANCHE? 

crainte; sa gloire subsistera j datie ejus manet in ssn^ 
dans tou* les siècles, I lum sscuR. 

Gloire an Père, etc» | Gloria Patri, etc. 


PSAUME 111.SB 


Hebrkux l'hommequi craint , Eeatus vir qui timet Do¬ 
le Seigneur, il fait ses délices minum : * in mandatis ejus. 
dosa loi ! volet nimis. 

Sa postérité sera puissante Potens in terra erit se- 
sur la terre : la race des justes raen ejus : * generatio rec- 
sera bénie» torum benedicetur. 

La gloire et les richesses sont Gloria et divitiæ in domo 
dans sa maison ; sa justice de- ejus, * et justitia ejus zna- 
meure éternellement. net in sæculum sæculi. 

Du sein des ténèbres il s'é- Exortum est iu tenebrix 
lève une lumière pour l'homme lumen rectis : * misericors* 
droit; le Seigneur est.bon* mi- etmiserator, et jus tus. 
séricordieux et juste» ; 

Heureux l’homme qui a Juoundus homo qui mise- 
compassion et qui prête ; tous, retur et commodat, dispo¬ 
ses discours sont réglés par la net sermones suos in judi- 
prudence : il nfr sera Jamais cio : * quia in sternum 
ébranlé. non commovebitur. 

La mémoire du juste vivra In memoria ætema erit 
éternellement : il ne craindra justus : * ab auditione mala 
pas les discours mauvais. non timebit. 

Son cœur se confie sans Faratum cor ejus sperare 
crainte dans le Seigneur; son in Domino, eonfirmatum 
cœur est calme et sans inquié- est cor ejus : * non commo- 
tude, en attendant qu'il voie vebitur donec despiciat ini- 
son triomphe sur m ennemis, micas sucuk. 

11 répand, il donne aux pau- Dispersit, dédit pauperi- 
vres ; le prix de sa justice sub- bus, Justifia ejus manet In 
aiste dans tous les siècles ; sa sæculum sæculi, # cornu 
puissance sera affermie dans la ejus. cxaltabitur in gloria* 
gloire. 

L'impie verra, il s'irritera, Peccator videbit et iras- 
Ü grincera des dents, il séchera cetur,«denfibus suis fremet 
de rage ; les espérances des im- et tabescet : * desiderium 
pies périront. peccatorum peribit.* 

Gloire au Père, etc. Gloria Patri, etc. 


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VÊPRES DIT DIMANCHE*. 


515 


PSAUME 112* 

Laudatc, pneri, Domi- Loue* le Seigneur, von a qui 
num : * laudite nomen êtes ses serviteurs, et célébrez' 
Domini. son nom. 

Sit nomen nomm bene- Béni soit le nom btj Sei- 
dictom, n hoc nunc, et gneur, maintenant et a jamais! 

USQUE IN SÆCULUMi 

A, solis ortu usque ad Depuis le lever du soleil jus- 
occasnm ; * laudabile no qu'à son coucher, loué soit le 
men Domini. nom du Seigneur l 

Excelsus super omnes Le Seigneur est élevé au» 
gentes Domines, * et super dessus de toutes les nations : 
cœtos gloria ejus. sa gloire est élevée au-dessus 

des cieux. 

Qnis sicut Dominos Deus Qui est semblable au Sei- . 
noster, qui in altis habi- gneur, notre Dieu, qui est assis 
tat i * et humilia respidt au plus haut des deux, et re¬ 
in cœlo et in terra ? garde ce qu’il y a de pins hum¬ 

ble dans le eiel et sur la terre? 

Suscitans a terra ino- 11 retire le pauvre delà boue, 
pem : * et de stercore eri- Ü arrache au fumier l'indi- 
gens pauperem, gent, 

Ut collocet eum cum Pour le faire asseoir parmi 
pîincipibus, * cum princi- les princes, parmi les princes 
plbus populisui. de son peuple. 

Qui habitare facit steri- Il donne la fécondité à la ' 
lem in domo, * matrem femme stérile ; il lui donne les. 
filiorum lætantem. joies de la maternité. 

Gloria Patri, etc. , Gloire au Père, etc.’ 


PSAUME 113; 

In exltu Israël de Ægyp- Lorsqu’jsrael sortit de l’E- 
to : * domus Jacob de po- gypte, lorsque la maison de 
pulo barbaro. Jacob quitta un peuple bar¬ 

bare. 

Facta est Judæa sancti- La Judée fut consacrée au ■ 
ficatio ejus : * Israël po- Seigneur ; Israël devint sa pou- 
testas ejus. session. 

Mareviditetfugit ;* Jor- La mer le vit et s’enfuit t 
danis convenus est re- lé Jourdain retourna en ar- 
trorsum. ) rière. 


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516 


VÊPRES DU DIMANCHE. 


Les montagnes bondirent 
comme des béliers; les collines 
comme des agneaux. 

Pourquoi, Ô mer, as-tu fui P 
Pourquoi, ô Jourdain, retour¬ 
nas-tu en arriére ? 

Pourquoi, ô montagnes, 
avez-vous bondi comme des 
béliers ? et vous, collines, 
comme des agneaux ? 

C’est que la terre s’est émue 
devant la face du Seigneur, à 
l’aspect du Dieu de Jacob, 

Qui change les rochers en 
lacs, qui tire des torrents du 
sein de la pierre. 

# Ce n’est pas a nous, Sei¬ 
gneur, CB N’EST 'PAS A NOUS, 
MAIS A VOTRE NOM QU’iL FAUT 
RENDRE GLOIRE, 

A cause de votre miséri¬ 
corde et de la vérité de vos pro¬ 
messes ; de peur que les na¬ 
tions ne disent de vous : Où 
est donc leur Dieu? 

Car notre Dieu est dans les 
deux ; tout ce qu’il veut, il le 
fait. 

Mais leurs idoles sont de 
l’argent et de l’or, ouvrage de 
la main de l’homme. 

Elles ont une bouche, et ne 
parlent pas ; des yeux, et ne 
Toient pas. 

Elles ont des oreille!, et 
«l’entendent pas ; des narines, 
et ne sentent pas. 

Elles ont des mains et ne 
touchent pas ; des pieds, et ne 
marchent pas ; leur gosier ne 
rend aucun son. 

Ils sont semblables à elles, 
ceux qui les font, et tous ceux 
«qui mettent en elles leur con- 
üsnee. 


Montes exultaverunt ut 
arietes ; * et colles sicut 
agni ovium. 

Quidesttibi, mare, quod. 
fugisti : * et tu, Jordanie, 
quia convenus es retror- 
sum? 

Montes, exultastis sicut 
arietes ; * et colles, aient 
agni ovium ? 

Afacie Domini motaêst 
terra, * a fade Dei Jacob, 

Qui convertit petram in 
stagna aquarum, * et to¬ 
pera in fontes aquarum. 

Non nobis. Domine, non 

NOBIS, * SED NOMiNi TUO OA 
G LO RI AM, 

Super misericordia tua 
et veritate tua : * nequando 
dicant genres : Ubi est 
Deus eorum P 

Deus autem nosier in 
cœlo, * omnia quæcumque 
voluit fecit 

Simulacra gentium ar¬ 
gent*! m et aurum, * opesa 
manuum hominum. 

Os habent, et non lo- 
quentur, * oculos habent, 
et non videbunt. 

Aures habent, et non 
audient: * nares habent, 
et non odorabunt 

Manus habent, et non 
palpabunt, pedes habent, 
et non ambulabunt ; * non 
clamabunt in gotture son. 

Similes filftis fiant qui fa- 
ciunt ea, * et omnes qni 
oonfidont in eis. 


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VEPRES DU DIMANCHE, 


517 


Domus Israël speravit in Mais Israël espère dans le 
Domino : * adjutor eorum Seigneur, il sera son secours, 
et protector eorum est. et son bouclier. 

Domus Aaron speravit in La maison d’Aaron espère ' 
Domino : * adjutor eorum dans le Seigneur, il sera son 
et protector eorum est. secours et son bouclier. 

Qui timent Dominum, Ceux qui craignent le Sei- 
speraverunt in Domino : * gneur, espèrent dans te Sei- 
adjutor eorum et protec- gneur, il sera leur secours et 
tor eorum est. leur bouclier. 

Dominus memor fuit, Le Seigneur s'est souvent) 
nostri : * et benedixit no* de nous, et il nous a bénis, 
bis. 

Benedixit domui Israël : * Il a béni la maison d’Israçl, 
benedixit domui Aaron. il a béni la maison d’Aaron. 

Benedixit omnibus qui Le Seigneur a béni ceux qui 
timent Dominum : * pu- le craignent, petits et grands, 
sillis cum majoribus. 

Adjiciat Dominus super Que le Seigneur multiplie 
vos, * super vos et super ses faveurs sur vous, sur vous et 
fllios vestros. yps enfants. 

Benedicti vos a Domi- Soyez bénis du Seigneur, qui 
no, * qui fecit cœlum et a fait les deux et la terre, 
terrain. 

Cœlum cœli Domino : * Le ciel des deux est au Sei- 
terram autem dédit illiis gneur ; il a donné la terre aux 
hominum. enfants des hommes. 

Non mortui laudabunt Les morts ne loueront pas 
te, Domine : neque omnes le Seigneur, ni tous ceux qui 
qui descendunt in infer- descendent dans le silence de 
num. la tombe. 

Sed nos qui vivimus, be- Mais nous, nous bénissons le 
nedicimus Domino, * ex Seigneur, maintenant et à ja- 

boc nunc, et usque in sæ- mais, 

culum. 

Gloria Patri, etc. Gloire au Père, etc. 

CANTIQUE DE LA SAINTE VIERGE. 

Magnificat * anima mea Mon âme glorifie le Seigneur, 

Dominum. 

Et exultavit spiritus Et mon esprit est ravi de 
meus, * in Deo salutari joie en Dieu, mon Sauveur: 
meo : 

Quia respexit humilita- Parce qu’il a regardé l’hu- 


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$18 VÊPRES DU DIMANCHE. 


.milité de sa servante ; et voici 
que désormais toutes les na¬ 
ttions m’appelleront bienheu¬ 
reuse. 

Car il a opéré de grandes 
'Choses en moi, celui qui est 
tout-puissant, et dont le nom 
^est saint; 

Celui dont ia miséricorde 
- S’étend d’âge en âge sur ceux 
qui le craignent. 

’D a déployé la force de son 
bras; 11* a dissipé ceux qui s'en¬ 
orgueillissaient dans les pen- 
“Séesde leur cœur. 

-Il a-renversé du trône les 
'potentats et a élevé les petits. 

11 a comblé de biens ceux qui 
étaient dans l’indigence , et 
renvoyé les riches dénués de 
--tout. 

Se ressouvenant de sa misé- 
‘tioofde, il a pris sous sa pro¬ 
tection Israël, son serviteur. 

Selon qu’il l’avait promis à 
nos pères, à Abraham et à sa 
' -postérité pour toujours. 

Gloire au Père, etc. 


,tem ancilte suæ ; * ecce 
enim ex hoc beatam me 
dicent omnes générations. 

Quia fecit rnihi magna 
quipotens est; * et sanction 
nomèn ejus; 

Et miserfeordia ejus a 
progenle in progenies* ti- 
mentibus eum. 

Fecit potentiam in bra- 
Chio sué ; * dispersit super- 
bos mente confis soi. 

Deposuit potentes de so¬ 
dé, * et exaltavit MisMles. 

Esurientes implevit bo¬ 
nis; * et divites dinmirit 
inanes. 

Suscepit Israël puennn 
suum, * recordatus mtaeg- 
cordiæ suæ. 

Sicutlocutus est ad patres 
hostros, * Abraham et je- 
mini ejus in sæcüla. 

Gloria, Patrj, etc. 


COMPLIES. 


PSAUME 4. 


Lorsque Je l’invoquais, le 
Dieu de ma justice ara exaucé; 
Seigneur, dans mes-angoisses, 
-roi» avez dilaté mon cœur. 

^âyez pitié de moi, et exauces 
nia prière. 


Cum invocarem, eundi- 
vit me Deus justithemeae:* 
in tribulatione dUatasttmi- 
hi. 

Miserere moi, * etexaodi 
orationemmeam. 


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Filii hominum, mquequo 
gravi corde?* utquid dUin 
igitis vanitatem, et quœritiSj 
mendacium? j 

Etscitote çguoniam nriri-i 
ficavit Dominas sanctum 
suum : * Dominus exaudiat 
me, cum clamavero ad eum.j 

Iniaciaini, et noUte pec-| 
care : * quæ dicitis in eor- 
dibus vestris, in cubtUbusl 
# vestris conopnngknlni. | 

Saerifieaiesacfi^eiiimjüs-^ 
Ititiæ, et roerate in Domi¬ 
no : * mufti dicunt : Qui s 
ostendit nobis bona ? 

Signatum est super nos 
lumen vultus lui. Domine; *i 
dedisti lætiüam in corde 
meo. 

A frnctu. frumenti, fini, 
jet olei auj, * multiplicati 
sunt. f 

In pace in idipsum * dor-! 
Jniam, et regutescam. j 

Quoniam - .ta, Domine,: 
8lngulariter in spe *conati-, 
jtateti me. 

.Glosi* Patrie etc. 


Enfants des hommes, jusques 
à quand vos cœurs seront-ils 
appesantis? .pourquoi aimez- 
vous la vanité, et cherchez-vous 
le mensonge? 

Sachez que le Seigneur a glo¬ 
rifié son Saint : le Seigneur 
m’exaucera quand je crierai 
vers lui. 

Entrez èn colère, mais ne 
péchez pas : repassez avec amer- 
; tume^aanslerepos de votreUt» 
les pensées coupables de vos 
cœurs. 

Offrez des «acrifices de jus¬ 
tice au Seigneur, et espérez en 
lui. Plusieursdisent : Qui nous 
donnera les vrais biens? 

Seigneur, la lumière de votre 
visage est empreinte sur nous : 
vous avez rempli mon cœur de 
joie. 

Lesméchanls se sont multi- 



huite. 

Pour mol, je m’endormirai 
dans le Seigneur, et je prouve¬ 
rai ma paix en lui. 

Parce que c’est vous, Sei¬ 
gneur, qui m'avez affermi dans 
l’espérance. 

«Gloire anPère, etc. { 


•PSAUME DO. 


Qui habitat in adjutorio 
Aitisaimi, * in protectione 
Del cœli oommorabitur. 

, Dioet Domino : Susceptor 
meus es tu, et refugium 
meum : * Deus meus, spe- 
vaboin eum. 

«iftuoaiahi dpee libezavit 


Celui qui habite dans l’asile 
du Très-Haut demeurera sous 
la protection du Dieu du ciel. 

il dira au Seigneur ; Vous 
êtes mon refuge et mon protec¬ 
teur :.mon Dieu, j’espérirai en 
vous. 

C’est lui qui m’a délivré du 


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620 


COMPLIES. 


filet des chasseurs, et de la lan¬ 
gue des méchants. 

11 vous couvrira de son bras, 
et vous espérerez sous ses ailes. 

Sa vérité vous environnera 
comme un bouclier; vous ne 
craindrez point les terreurs de 
la nuit, 

Ni la flèche lancée pendant 
le jour, ni les complots qui se 
trament dans les ténèbres, ni 
les attaques du démon du 
midi. 

Mille tomberont à votre gau- 
chë et dix mille à votre droite ; 
mais la mort ne viendra pas 
ju&au’à vous. 

Vous contemplerez cela de 
vos yeux, et vous serez specta¬ 
teur du châtiment des mé¬ 
chants. 

Parce que vous avez dit : 
Seigneur, vous êtes mon espé¬ 
rance, et que vous vous êtes 
réfugié .dans le sein du Très- 
Haut. 

Le mal ne vous atteindra 
pas, et le fléau n'approchera 
pas de votre tente. 

Car il a donné ordre à ses 
Anges de vous garder en toutes 
vos voies. 

Ils vous porteront dans leurs 
mains, de peur que vous ne 
heurtiez votre pied contre la 
pierre. 

Vous marcherez sur l’aspic 
et sur le basilic, vous foulerez 
aux pieds le lion et le dragon. 

Je le délivrerai, dit le Sei¬ 
gneur, parce qu’il a mis son es¬ 
pérance en moi : je le proté¬ 


ine de laqueo venantium : * 
et a verbo aspero. 

Scapulis suis obumbràbit 
tibi : * et sub pennis ejus 
sperabis. 

Scuto circumdabit te ve¬ 
ritas ejus : * non timebis m 
timoré noctumo, 

A sagîtta volante in die» 
a negotio perambulante in 
tenebris,* ab incursn, et 
dæmonio meridiano. 

Gadent a latere tuo mille» 
et decem millia a dextrfs 
tuis : * ad te autem non 
appropinquabit. 

Verumtamen oculis tuis 
considerabis, * et retriho- 
tionem peccatonim vldebia. 

Quoniam, tu es, Domine, 
spes mea : * altissimum po- 
suisti refugium tuunu 


Non accedet ad te mt- 
lum : * et flagellum non 
appropinquabit taberna- 
culo tuo. 

Quoniam angelis sois 
mandavit de te : * ut eus- 
todiant te in omnibus xriis 
tuis. 

In manibus portabunt 
te : * ne forte onendas ad 
lapidem pedem tuum. 

Super aspidem et basilis- 
cum ambufabis, * et con¬ 
çu lcabis leonem et draco- 
nem. 

Quoniam in me spe- 
ravit, liberabo eum : * 
protegam eum, quoniam 


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C0MPL1ES. 521 

cognovit nomen meum. ' gérai, parce qu’il’ a connu mon 
■ nom. 

Clamabit ad me, et ego 11 criera vers moi et je 
exaudiam eum, * cum ipso l’exaucerai ; je serai avec lui 
sum in tribulatione : eri- dans l’affliction ; je l’en tirerai,, 
piam eum, et glorificabo et je le glorifierai, 
eum. ! 

Longitudine dierum re- Je le comblerai de long» 

S lebo eum ; * et ostendam jours, et lui montrerai le salut 
li salutare meum. qui vient de moi. 

Gloria Patri, etc. i Gloire au Père, etc. 


PSAUME 113. 


Ecce nunc bénédicité 
Dominum, * omnes servi 
Domini. j 

Qui statis in domo Do¬ 
mini, in atriis domus Dei 
nostri. I 

In noctibus extollite ma- 1 
nus vestras in sancta, * et 
bénédicité Dominum. 

Benedicat te Dominns ex 
Sion, * qui fecit cœlum et 
terra m. 

Gloria Patri, etc. 


Bénissez maintenant le Sei¬ 
gneur, vous qui êtes ses servi¬ 
teurs. 

Vous qui êtes dans la maison 
du Seigneur, et dans les parvte 
de la maison de notre Dieu. 

Elevez vos mains durant la 
nuit dans le sanctuaire, bénis¬ 
sez le Seigneur. 

Que le Seigneur vous bénisse 
du haut de Sion, lui qui a fait 
le ciel et la terre. 

üloire au Père, etc. 


CANTIQUE DE SIMÉON. 

Nunc dimittis servum ' Maintenant, Seigneur, voue 
tuum. Domine, * secundum laisserez aller en paix votre 
verbum tuum, in pace ; serviteur, selon votre parole; 

Quia videront oeuli Puisque mes yeux ont vu le 
mei * salutare tuum, ! Sauveur qui vient de vous, 

Quod parasti * ante fa- Et que vous a\ez établi pour 
ciem omnium populoram, être révélé à tous les peuples,. 

Lumen ad revelationem Comme la lumière qui doit 
gentium, * et gloriamplebis éclairer les nations, et la gloire 
tuæ Israël. j d’Israël votre peuple. 

Gloria Patri, etc. * Gloire au Père, etc. 


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TABLE INDICATIVE 


DE LECTURES PIEUSES, OU SUJETS MÉDITATION POUR TOUS ' 
ULES MMÂOmm, US TEMPS ,ET .LES PRINCIPALES EÊTES.DB 

l’année. 


AVENT. 


1" Dim. Chapitre 53, depuis Ainsi rien,de,'plus for * 
•midahle ,page 297 ., jusqu'à ia fia du cha¬ 
pitre. 

2 m «Dim. Ca«p. 29 entier,-page ;169. 

••■•Dim. — 16, depuis Soin* Bernardaeeanmande, 

çpage 118. jusqu'à Que cetteaerturépand sur 
toute votre vie, page 121. 

DÉCEMBRE. 

16. Chàp. I e * entier, page 19. 
î* 7. — :2entier,page20. 

«SS. — Atdatiar, page 26. 

19. — 4, page 30, jusqu'à La virginité elle-même 

est bien peu de ohoee, page 34. 

20. Chap. 4, depuis La Vierge tris-prudente, page 34, 

jusqu’à la fin du chapitre. 

21. Chap. 5 entier, page.38. 

323. — -ifi,,page 4î.,juaqu’à C'est toujours pourtour 
(montage, page 44. 

28. jChap. 6, depuis loeeph ayant interrogé Manie; 
page44, jusqu’à la fin du chapitre. 


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524 TABLE INDICATIVE 

24. Chap. 7, page 47, jusqu’à Je n'ai su ni les retenir, 

ni les écrire, page 49. 

FÊTE DE NOËL. 

25. Chap. 7, depuis Fous avez vu la Naissance, p. 49, 

jusqu’à Revenons à Vétable, page 53. 

26. Chap. 7, depuis Aussitôt la Naissance de Jésus , 

page 58, jusqu’à la fin du chapitre. 

27. Chap. 44, depuis Attachez-vous du fond du cœur, 

page 237, jusqu’à Le dévoùment dont vous êtes 
capable, page 239. 

28. Chap. 44, depuis Mais si vous voulez aussi entendre 

saint Bernard, page 239, jusqu’à L'objet prin¬ 
cipal de nos méditations , page 241. 

29. Chap. 44, depuis Sachez donc, quant à la gour¬ 

mandise, page 241, jusqu’à L'emporte en di¬ 
gnité sur Vautre, page 243. 

80, Chap. 44, depuis Mais que dirons-nous de Vabsti¬ 
nence ? page 245, jusqu'à En toute espèce de 
travail , page 248. 

31. Chap. 44, depuis Ceux qui sont favorisés , p. 252, 
jusqu’à La ruine entière de la nature, page 255. 

. CIRCONCISION. 

JAHV1BR. 

1. Chap. 8, entier, page 57. 

2. — 100, depuis Votre nom est comme une huHe, 

page 497, jusqu’à En voilà le remède, p. 499. 
8 . Chap. 100, depuis Enfin, pour vous commnm, 
page 499, jusqu’à la fin du chapitre. 


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DE LECTURES PIEUSES. 525 

4. Chap. 21, depuis Je me borne donc à remarquer t 

page 151, jusqu’à Vous en êtes le gardien et 
non le possesseur page 153. 

5. Chap. 9, page 61, jusqu’à Parce que Jésus les 

éclairait, les instruisait intérieurement, p. 65. 

ÉPIPHANIE. 

6- Chap. 9, depuis Enfin, après avoir été comblés, 
page 65, jusqu’à ia fin du chapitre. , 

7. Chap. 10 entier, page 67. 

8. — 12 K page 74, jusqu’à Pour se cocker au dé - 
• ma»,page 75. 

9. Chap. 12, depuis Une seconde considération, p. 75, 

jusqu’à N'accorde ni à lui-méme , ni à sa Mère , 
page77. 

10. Chap. 12, depuis Quatrièmement, appliquez-vous 

à connaître, page 77, jusqu’à De si nombreux 
sacrifices, page 78. 

11. Chap. 12, depuis Je ne vous parlerai pas, p. 78, 

jusqu'à L'amie de la pauvreté n'en aurait pas 
voulu, page 81. 

12. Chap. 12, depuis Mais pensez-vous, page 81, jus¬ 

qu’à la fin du chapitre. 

13. Chap. 13, page 85, jusqu’à Un repos déltcieuxj 

page 87. 

14. Chap. 13, depuis Dés le matin du jour suivant, 

page 87, jusqu’à Soulagement dans ses fatigues, 
page 89. 

15. Chap. IB, depuis Ainsi ils cheminent, page 89, 

jusqu’à la fin du chapitre. 

16. Chap. 14, page 91 jusqu’à L'absence de sonPilsbien * 

aimé, page 94. 


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TABLE INDICATIVE' 


ir; CïîAP. 14; depuis Le lèndemain matin, page 94, 
jusqu’à la fin du chapitre. 

18. Ghàp. 15, page 97, jusqu’à Rabaisse si profbndé- 

ment , page 100. 

19. ‘ Chap; 15;depuis Que si quelqtfuntrouve, page 100, 

. jusqu’à La bassesse de ses ' manières et de son 
langage, page 103. 

20. Chap. 15, depuis Voulez-vous donc voir , page 103, 

jusqu’à Pour le moment sur cette vertu, 
p. 105. 

21. Chap. 15, dépuis Revenons à Tobservation, p. 105, 

jusqu’à la fin du chapitre. 

22. ' Chap; 10; page 10a; jusqu’à II nous coûterait peu 

de lès dédaigner , page 111. 

23. Chap. 16, depuis Voilà donc Notre-Seigneur che¬ 

minant, page 111 ; jusqu’à Où est donc notre 
humilité? page 113- 

24. Chap. 16, depuis Ecoutez âcç sujet, page 113, jus¬ 

qu’à Ainsi conclut saint Bernard , page 116. 

25. CHAP. 16, depuis Or, les humbles montrent, p. 116, 

jusqu’à Vous comparer à personne, page 118. 

26. Chap. 16', depuis Saint Bernard recommande; 

page 118, jusqu’à Croira-t-on avoir franchi ce 
degré J page 119 . 

27. Chap. 16, depuis Le même saint Bernard dit aussi, 

page' 119, jusqu’à Putréfier par les voluptés de 
la chair; page 122. 

28. Chap. 16, depuis Quelqu*éclatante que paraisse y 

page 122,’ jusqu’à II obéit et le baptisa. 
page 124. 

29; Chap. 16,. depmsConsidêrezattentivement, p. 124 . 
jusqu’à la fin du chapitre. 


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DE LECTURES PIEUSES. 52T 

30. Ghap. 36; depuis le commencement, page 196, 
jusqu’à II exaucera tous les désirs de votre cosur 

page 201. 

31* Chap. 36, depuis séM Bernard qfmify 

jusqu’à Celui en vue de qui nou& le& sollicitons* 
page 203. 

FÉVRIER. 

1. Ghap. 11, page 69, jusqu'à Toutes ces choses dans 
son coeur, page 71* > 

PURIFICATION. 

X Chap. Il, depuis Jésus , alors, tendant les bras> 
page 71, jusqu’à la fin du chapitre- 

3. .Ghap. 20, page 144, jusqu’à Toute/sollicitude à 

leur égard , page 147. 

4. Chap. 20 , depuis Et à ce propos nous Usons y 

p. 147, jusqu’à la fin du chapitre 

•DIMANCHE DE LA SEPTUAGÉSBIE. 

Chap. 19 entier, page 142. 

DIMANCHE DE LA SEXAGÉSIME. 

Chap. 45, entier, page 236. 

QUINQUAGÉ51ME. 

Dim. Chap. 61, page 334, jusqu’à Quelquefois d’un 
grand désordre , page 337. 

Lundi. Chap. 51, depuis .Qu* fera luire , page 287, 
jusqu’à Ma plus sublime-philosophie, p, 289. 
Mardi. Chap. 74 entier, page 377. 


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£28 TABLE INDICATIVE 

CENDRES. 

Mercr. Chap. 17, page 127, jusqu’à Des quarante jours 
qu’il passa dans le désert y page 131. 

Jeudi. Chap. 22 entier, page 154. 

Vend. — 46 entier, page 259. 

Sam. — 36, depuis Mais revenons à Notre Sei¬ 

gneur, page 204, jusqu’à la lin du chapitre. 

CARÊME. 

PREMIÈRE SEMAINE. 

Dim. Chap 17, depuis Après quarante jours f p. I3l t 
jusqu’à la fin du chapitre. 

Lundi. Chap. 47 entier, page 263. 

Mardi. — 42 entier, page 228. 

Mercr. — 48 entier, page 271. 

Jeudi. — 37 entier, page 215. 

Vend. — 43 entier, page 229. 

Sam. — 49 entier, page 276. 

DEUXIÈME SEMAINE. 

JOim. Chap. 4i entier, page 227. 

, Lundi. — 50 entier, page 282« 

Mardi. — 51 entier, page 286. 

Mercr. — 42 entier, page 228. 

Jeudi. — 43 entier, page 229. 

Vendr. — 59 entier, page 332. 

Sam. — 54 entier, page 300. 

TROISIÈME SEMAINE. 

Dim. Chap. 55 entier, page 307. 


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DE LECTURES PIEUSES, 


529 


Lundi 

— 

32 entier, page 178. 

Mardi. 

—■ 

56 entier, page 311. 

Mercr. 

— 

57 entier, page 319. 

Jeudi. 

— 

24 entier, page 158. 

Vendr. 

— 

31 entier, page 174. 

Sam. 

— ■ 

68 entier, page 351» 

. • 

QUATRIÈME SEMAINE. 

Dim. 

Chap, 

, 34 entier, page 180. 

Lundi 

— 

41 entier, page 227. 

Mardi. 

— 

58 entier, page 325. 

Mercr. 

— 

63 entier, page 342. 

Jeudi. 

: — 

26 entier, page 160. 

Vendr. 

— 

66 entier, page 346. 

Sam. 

— 

62 entier, page 340. 


SEMAINE DE LA PASSION. 

Dim. Chap. 64 entier, page 313. 

Lundi — 72 entier, page 302. . 

Mardi. — 65 entier, page 344. 

Mercr. — 61 depuis II y a une honte , p. 837, jus¬ 
qu’à la fin du chapitre. 

Jeudi. Chap. 28, page 162, jusqu’à Allez en paix, 
page 165. 

Vendr. CHap. 28, depuis 0 douces et délicieuses pa¬ 
roles, p. 165, jusqu’à la fin du chapitre. 
Sam. Chap. 71, page 357 , jusqu’à Tu pleurerais 
aussi sur toi-même, p. 359. 

SEMAINE SAINTE. 

Dim. Chap. 71 entier, page 357; 

34 


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530 


table indicative 


T-nndi. Cbap. 70, depuis ha veiüe du jour, p. *55, 
jusqu'il la fin du chapitre 
Mardi. Chap. 69 entier, page *52. 

Mercr. 

l’imiter, page 371 

au matin, la fin du Chap. 7*, page 371. 
vers le soir, Chap. 75, entier, page *82; 


— 73, page 364 , jusqu’à Set disciples'à 


Jeudi 


Vendr. 


au matin, 
à midi, 
à 3 heures, 
à 4 heures, 
et le soir, 


! au matin; — 
à midi, — 

à 4 heures, - 
et le soir, — 


76, page 393. 

77, p„398,et78, p. 402. 

79, page 407. 

80, page 410. 

81, _page414. 

82, page 417. 

83, page 422. 

84, page 427. 

85, page 431. 


SAINT JOUR DE PAQUES. 

Au matin, Chap. 86, page 447. * 
A midi, - 87 , page 449. 
Au soir, - «8, page 451. 


. première semaine après sauces. 

* au matin, Chap. 89, page 456. 
LuIUÜ ' J au soir, - 91, page460. . 

Mardi. Chap. 92 entier, page 46*. 
Mercr. — *® entier, page 458. 
Jeudi. — 94 entier, page 468. 

Vendr. — *5 entier, page 469. 
Sam. — 96 entier, page 472, 


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DE LECTURES PIEUSES. 


*31 


APRÈS PAQUES*. 

I er Dim. QUAS1M0D0. Ghap. 93 entier, page 466. 

2 e Dim. Ghap. 40 entier, page 226. 

3 e Dim. — 73 depuis Or, ce fut 'pendant l'absence, 

p. 373, jusqu’à Votre tristesse sera changée 
en joie, p. 374. 

4 e Dim. Char,. 97, depuis Or, Notfe-Seigneur Jésus - 
Christ , page 481, jusqu’à Leurs acclama¬ 
tions et leurs louanges, page 483. 

5 e Dim. Chap. 36, page 196, jusqu’à La puissance de 
la prière, page 197. 

ROGATIONS. 

Lundi. Ghap. 36, depuis En effet, rien de plus inesti¬ 
mable, p. 198, jusqu’à Encore plus impor¬ 
tantes, p. 199. 

Mardi. Ghap. 36, depuis La •prière doit donc être , 
* page 199, jusqu’à Dune félicité parfaite, 

page 202 . 

Mercr. Ghap. 36, depuis Saint Bernard dit ensuite, 
page 202, jusque Là finit saint Bernard, 
page 203. 

ASCENSION* 

Jeudi. Chap. 97, page 474, jusqu’à Chantez les louan¬ 
ges du Seigneur, page 479. 

OCTAVE DE L'ASCENSION. 

Vendr. Chap. 97, depuis Cependant saint Michel, pa¬ 
ge 47Ô, jusqu’à Par nos chants d'allégresse, 
page 480. 


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582 TABLE INDICATIVE 

Sam. Chap. 97, depuis Mais qui serait capable , pa- 
gè 480, jusqu’à Possible de Vapercevoir x 
page 481. 

Dim. Chap. 36, depuis Le Saint-Esprit multiplie l 
page 213, jusqu’à la fin du chapitre. 

Lundi. Ghap. 97, depuis Oh ! si la vue de Jésus mon¬ 
tant, p. 481, jusqu'à Ainsi que le Seigneur 
le leur avait commandé, page 482. 

Mardi. Ghap. 97, depuis Or, Notre-Seigneur Jésus- 
Christ, page 482, jusqu’à La fête que nous 
célébrons aujourd'hui, remporte sur toutes les 
autres, page 485. 

Mercr. Chap. 97, depuis En effet ce jour, page 485, 
jusqu’à Son pèlerinage en ce monde , p. 486. 

Jeudi. Ghap. 97, depuis C'est encore la fête spéciale 
de tous les Esprits célestes, page 486, jus¬ 
qu’à Au plus haut des deux, page 487. 

Vendr. Ghap. 97, depuis Mais en même temps c'est 
aussi notre fête, page 487, jusqu’à Tout ce¬ 
la est de saint Bernard , page 488. 

Sam. Chap. 97, depuis Vous voyez donc bien que 
cette Fête, page 488, jusqu’à la lin du cha¬ 
pitre. 

DIMANCHE DE LA PENTECOTE. 

Chap. 98 entier, page 489. 

APRÈS LA PENTECOTE. 

LA SAINTE TRINITÉ. 

Chap. 94 entier, page 498. 


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DE LECTURES PIEUSES. 


583 


SAINT-SACREMENT. 

Jeudi. Chap. *73, page 364, jusqu'à Ses disciples à 
Vimiter, page 371. 

* 2* Dim. Chap. 73, depuis Or, vous pouvez remarquer, 
p. 371, jusqu'à la fin du chapitre. 

SACRÉ-CŒUR. 

3 e Dim. Chap. 100, depuisFofre nom est comme une 
huile , page 497, jusqu'à la fia du chapitre. 

4 e Dim. Chap. 95 entier, page 469. 

5 e Dim. — 16, depuis La chasteté , la charité , 
Vhumilitè, page 121, jusqu’à Des autres ver- 
Jus, page 123. 

6 e Dim. Chap. 34 entier, page 180. 

7® Dim. — 39 entier, page 222. 

S ® Dim. — 54, depuis Apprenez à veiller, p. 304, 

jusque Là finit saint Bernard , page 305. 

9® Dim,. Chap. 71, depuis Mais au milieu de cette joie, 
p. 359, jusqu’à la fin du chapitre. 

10° Dim. Chap. 16, depuis Apprenez donc ici, p. 111, 
jusqu'à Répand sur toute notre vie, p. 121. 

Il 9 Dim. Chap. 33 entier, page 179. 

12® Dim. — 48, depuis Four vous, si vous aimez, 

p. 273, jusqu’à la fin du chapitre. 

18® Dim. 6hap. 63 entier, page 342. 

14 e Dim. — 37, depuis Toutes les fois qu'une âme, 

p. 217, jusqu’à la fin du chapitre. 

15 e Dim. Chap. 26 entier, page 160. 

16 e Dim. — 16, depuis O homme ! que savez-vous ? 

page 117, jusqu’à Comparer à personne , 

‘ page 113 ; plus, Chap. 20, depuis Suivant 


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m wm mtmm: 

ces expUcations h p», 145* jusqu’à U exemple 
avant la leçon, page 146. 

17 * Dtah Chap. 3, page 25, jusqu’à Conservez*, lé 
temple et tout son peuple, page 27.. 

16* Dim. Ghap, 23 entier, page 156. 

19 e Dim. 73; depuis Pendant U souper , p. 368, 

jusqu’à ses disciples à l'imiter, page 371. 
20 e Dim. Chap. 22. entier, pegeils54. 

*1* Dim. — 79 entier, page 407. 

22° Dim. — 60 entier; page 334. 

23 e Dim. — 27 entier, page 160. 

24* Dim. — 67 entier, jjage 350. 

SAINT JEAN-BAPTISTE, 
juin. 

24. CHAP. 5, depuis Elisabeth étant parvenue, p. 41» 
jusqu’à la fin du chapitre. 

SAINT PIERRE. 

29. Chap. 95, depuis Or, après ce festin, page 470» 
jusqu’à la fîh du chapitre. 


LA VISITATION* 

juillet; 

2. Chap. 5, page 38, jusqu’à Deux vétiéfablesvieü 1 
lards, Zacharie et Joseph, page 40. 

ASSOMPTION. . 

AOUT. 

15. GHap. 5 t depuis Au moment où Marie, page 99, 


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DE LECTURES PIEUSES. 535 

• 

jusqu’à Ce Cantique sublime de ravisse¬ 
ment et de louange, page 40. 

DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE. 

29. Chap. 30 entier, page iro. 

LA TOUSSAINT. 

NOYBHBHB. 

K Chap. 8 entier, page 25. 

SAINT ANDRÉ. 

30. Chap. J9 entier, page 142. 


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TABLE DES CHAPITRES 


N» 


Notice sur la Vie et les écrits de saint Bonaventure. v 

Préface du traducteur . 4 

Avant-Propos de saint Bonaventure. Il 


PREMIÈRE PARTIE. 

(dimanche) 

CHAPITRES. 

I. — Pressante intercession des Anges en notre 

faveur. Il 

Débat élevé entre la Miséricorde et la Jus¬ 
tice, la Vérité et la Paix. S» 

De la Vie de la sainte Vierge et des sept 

demandes qu'elle adressait à Dieu. SB 

De l’Incarnation de Jésus-Christ. SB 

Comment la sainte Vierge visita sainte 
Elisabeth. — Origine des cantiques Ma¬ 
gnificat et Benedictus . SB 

Comment Joseph forma le dessein de quit¬ 
ter Marie; et oomment Dieu permet 
quelquefois que ses plus fidèles servi¬ 
teurs soient éprouvés par des tribula¬ 
tions. IB 

DEUXIÈME, PARTIE. 

(lundi.) 


VII. — Naissance de Jésus-Christ, et autres cho¬ 
ses y relatives.. If 

VIII. — Circoncision et larmes de Jésus-Christ.. 97 

IX. — De l'Epiphanie ou de la Manifestation du 

Seigneur. Bl 

X. — Séjour de Marie dans l'étable. 67 

' XI. — Purification de la sai